Opération Don Quichotte : rêves, malédictions et cauchemars
Qui est donc ce Don Quichotte dont beaucoup se réclament et qui inspire autant les auteurs, réalisateurs de films, philosophes et critiques littéraires ? Quelle est donc la vérité sur ce personnage ? Celle d'un personnage de roman ambivalent qui sert l'inspiration poétique de son auteur Miguel de Cervantès pour peindre la complexité de son époque, celle d'un divertissement tragicomique qui cache une virulente critique politique, celle d'un conte philosophique sur les méandres de la construction sociale de la réalité, celle du mystère de la folie d'un personnage, avec la description d'un trouble psychiatrique, la fugue dissociative, dont les symptômes assez préoccupant vont de l'altération des souvenirs, la confusion sur l'identité personnelle, l'adoption d'une nouvelle identité. Ce trouble dissociatif met en évidence une profonde souffrance liée à une dégradation du rôle social et un disfonctionnement dans les interactions avec les autres.
Cervantès comme pour contrebalancer chez Don Quichotte une folie associée à des rêveries et un idéalisme extrême, nous décrit son acolyte Sancho Panza, un paysan au bon sens caractérisé qui tout en étant son serviteur, reconnait la folie de son maitre, et l'aide dans ses mésaventures. L'entourage proche de Don Quichotte, inquiet et incapable de le contrôler, parvient à communiquer avec lui dans les termes même de sa folie et tout en usant de ruses et de subterfuges, essaye de le contraindre ou de le vaincre, le but avoué étant de le faire renoncer à sa quête insensée.
Nous retrouvons des personnages éloignés des contes et des légendes, qui ne naviguent pas à bord de merveilleux navires sur des mers étrangères mais qui voyagent sur des routes abimées, à dos de rosse décharnée et de vieux baudet.
Que dire des aventures de ce chevalier errant, sinon qu'elles questionnent sur le processus créatif. Comment et pourquoi écrire ? Cervantès propose de nombreux thèmes de réflexion, sur l'idéal messianique, la portée de la littérature, les tribulations de l'existence humaine. Qu'est-ce que combattre le mal par une pensée juste et une attitude noble mais avec des comportements délirants, opposant ainsi paroles sensées et vertueuses aux gestes irréfléchis et insensés ? Don Quichotte est-il condamné par cette apparente contradiction ?
La recherche d'un idéal peut-t-elle conduire le rêveur à sa perte ? Peut-on avoir confiance aux nobles intentions, aux paroles bienveillantes qui peinent à se réaliser en actions concrètes ou bien faut-il se méfier des faux-semblants ? Que peut un homme dans sa quête d'absolu, dans ses agitations et ses aspirations vers un monde meilleur ? Que peut-il faire avec des moyens dérisoires, des incertitudes permanentes, des paradoxes et des contradictions flagrantes ? Et que faire lorsque pris dans les tourmentes de ses propres faiblesses, il réalise dans un réveil brutal que ses rêves et ses chimères n'ont été qu'un moment douloureux dans une vie qui s'achève ?
Que reste-t-il ? La puissance d'un imaginaire qui s'affranchit des limitations des pensées convenues, pour dépasser les significations étroites et porter aux nues, à la fois la raison et la folie, la joie et la tristesse, la noblesse de cœur et les projets insensés. Cette ambivalence des valeurs dans l'art poétique de Cervantès permet de rendre ces différents états de l'être complémentaires et non de les opposer comme le ferait une tradition littéraire oppressive ou toute autre forme de pensée totalitaire qui ne rendrait compte que d'une seule facette de la réalité.
C'est tout l'enjeu d'une liberté créatrice que de rendre vivante une forme complexe de narration, être à l'écoute des autres, raconter des histoires hors du commun par-delà les représentations limitées et les perceptions étroites. Tout n'est pas uniforme, le monde est fait de nuances et de pluralités qu'il faut parvenir à cerner dans un même élan, au-delà de toute instrumentalisation et de récupération politique.
C'est parvenir par la force de la construction littéraire, à créer divers langages dans une même langue, donner à un auteur le moyen de s'affranchira des significations univoques pour créer dans sa propre langue, une sorte de langue étrangère avec laquelle il racontera simultanément d'autres lieux et d'autres imaginaires. C'est cette possibilité de réunir plusieurs versions de la même histoire dans une alternance entre les extrêmes et les opposés jusqu'à la réalisation concrète des rêves ou le réveil brutal dans un monde désenchanté.
Don Quichotte n'accepte pas le mal, espère devenir un valeureux chevalier au cœur pur. Il croit que l'âme ne sombre pas, que le bien triomphera sur le mal, que son salut repose sur une foi inaltérable aux forces de l'esprit, cette espérance en une progression permanente vers le meilleur des mondes possibles afin que le bien demeure irréductible.
On peut décrire les Hommes tels qu'ils sont ou bien les peindre tels qu'ils devraient être, chacun d'entre nous s'y reconnaîtra, non pas tel qu'il devrait être, mais tel qu'il est. Et si l'on espère le bien, le mal mis de côté, il reste cette incertitude entre deux conduites à tenir, dire ce qu'il ne faut pas faire ou œuvrer pour ce qu'il faut faire.
dessin de Don Quichotte par Pablo Picasso
DON QUICHOTTE raconté par GÉRARD PHILIPE
De la folie de Don Quichotte, par Michel Foucault
"Don Quichotte est au fond le personnage de la charité pure. Il y a évidemment tout le délire de la grandeur mais il y a aussi un désir de la bonté qui serait, peut-être, au fond, une sorte de folie mystique.Plein feu sur les spectacles du monde".
Cette archive est extraite de l'émission "Plein feu sur les spectacles du monde", enregistrée le 22 juin 1961.
Archive INA - Radio France - France Culture.
La comédie musicale
L'Homme de la Mancha (Man of La Mancha) est une comédie musicale américaine ( livret de Dale Wasserman, paroles de Joe Darion et musique de Mitch Leigh) inspirée du roman de Miguel de Cervantes, Don Quichotte, et créée au Mark Hellinger Theatre de Broadway le 30 octobre 1965. En 1967, Jacques Brel assiste à une représentation de la pièce au Carnegie Hall.
Il est bouleversé et décide de contacter immédiatement les producteurs pour obtenir l'autorisation de l'adapter en français, se réservant le rôle-titre avec lequel il se sent en totale adéquation.
Les répétitions débutent au théâtre de la Monnaie à Bruxelles à l'été 1968 et la création a lieu le 4 octobre. Brel est entouré de Dario Moreno dans le rôle de Sancho Pança et Joan Diener, créatrice du rôle de Dulcinea à Broadway, bien qu'elle ne parle pas un mot de français.
Man of La Mancha (1972) - I, Don Quixote
Peter O'Tool, joue Cervantès dans cette adaptation de la comédie musical de Broadway. Dans le film, l'acteur joue le dramaturge qui confronté aux geôles de l'inquisition devra pour amadouer des compagnons d'infortune également enfermés avec lui, raconter l'histoire de l'Homme de la Manche. Pour se faire, et avec l'aide de son assistant, il les fait tous participer à un jeu de rôle, dans lequel il joue le personnage principal de Don Quichotte, et son assistant celui de Sancho Pança. Les autres détenus subjugués par l'intrigue et la prestation théâtrale, sont adroitement invités à faire vivre ce spectacle en endossant les autres personnages, tous les participants s'y prêtent volontiers espérant avancer dans l'intrigue jusqu'a son dénouement. Le film bascule sans cesse entre la réalité brutale d'un environnement oppressant, celui de la prison avec cette mise en abyme sur une forme littéraire qui se raconte elle même, et une autre réalité reconstruite par la seule force de l'imagination et la participation d'acteurs de passage.
Le chevalier des miroirs
Extrait de la pièce de théâtre "Man of La Mancha", Steve Yudson joue Don Quixote, Julio Villegas joue Sancho et Peter Miller joue le Dr Carrasco (Le Chevalier des miroirs). Ce film a été enregistré au Grove Theatre à Upland et a été dirigé par Calvin Remsberg.
Sir Christopher Lee chante "I, Don Quixote"
John Quixote - Farscape - The Jim Henson Company
épisode numéro 7 de la quatrième saison
Quixote, film de marionnettes
L'homme qui tua Don Quichotte : la malédiction d'un réalisateur
Le 04 juin 2017, un message laconique sur le compte facebook de Terry Gillian : « Sorry for the long silence. I've been busy packing the truck and am now heading home. After 17 years, we have completed the shoot of THE MAN WHO KILLED DON QUIXOTE. Muchas gracias to all the team and believers. QUIXOTE VIVE! »
Terry Gillian a ainsi annoncé en juin 2017, avoir achevé le projet qu'il porte en lui depuis plus de vingt ans et qu'il a mis en chantier il y a 17 années de cela. Son film sur Don Quichotte va enfin sortir en salle. Ce n'est plus un rêve inachevé ou un documentaire sur un film maudit.
Sur Don Quichotte : "Personne n’échappe à cette littérature dans la vie"
« Après avoir échoué en tout, Don Quichotte en vient à se renier et sombre finalement dans la mélancolie. C'est que les questions qui l'ont préoccupé toute sa vie sont insolubles, comme son Livre est sans conclusion. Une chose toutefois est sûre : l'épopée est devenue impossible aujourd'hui sans imposture, car l'ordre épique, jadis relié à un ordre réel du monde, ne tient plus au présent que par des fils ténus, à demi ou complètement cassés. Il n'y a pas de littérature « éternelle », mais seulement un travestissement du temporel en éternel, du relatif en absolu, du fait particulier en généralité, c'est-à-dire un mensonge d'autant plus grave qu'il est habile à se dissimuler. En soi, le désir d'éternité est indestructible et parfaitement respectable, mais il devient suspect s'il n'a le courage de se montrer franchement avec son désarroi et son impuissance, ses peurs et ses regrets infantiles. La vraie réconciliation de l'Ancien et du Nouveau, qui est en un sens celle du désir du cœur et de la lucidité de l'esprit, de l'enfance et de l'âge adulte, Don Quichotte la poursuit avec une grandeur comique, à travers les péripéties de son odyssée, en sachant bien, au fond, qu'il mourra avant qu'elle ait eu lieu ». Marthe Robert. L'ancien et Le Nouveau. Payot.
En 1966, Marthe Robert, critique littéraire surtout célèbre pour son travail sur l'œuvre de Franz Kafka, était invitée de la Semaine Cervantès sur France Culture, à l'occasion du 350ème anniversaire de la mort de l'écrivain. Dans son essai L'ancien et le nouveau, elle analysait deux romans, Don Quichotte et Le Château de Kafka, qui, selon elle, posent tous deux la question de la vérité des ouvrages de fiction et des relations entre les livres et la vie. Elle s'entretenait dans cette émission avec Bernard Dort, écrivain, sur le thème "Don Quichotte ou le présent obscur".
Sur la question de la relation entre la littérature et la vie, au cœur de Don Quichotte, elle disait : "L'une des choses qui a beaucoup surpris les critiques, c’est qu’à un moment donné Sancho Pancha lui-même se met à parler d’une manière incroyable, il se met à parler en proverbes. [...] Ce qui a étonné la plupart des critiques me paraît à moi être l'un des traits de génie les plus remarquables de tout le livre : personne n’échappe à cette intrusion de la littérature dans la vie, pas même l’homme du peuple, pas même l’homme simple qu’est Sancho car en réalité son monde à lui à son propre niveau est tout également déformé et orné par la littérature…"
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Don Quichotte et le problème de la réalité
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Peintures et illustrations
Tout le monde peut-il être Don Quichotte ?
Tout le monde peut-il être Don Quichotte ? Non, il y en a qui en ont les apparences mais qui sont d'une autre envergure. Celles des tourmentés par une vérité impossible à supporter, accablés par une tragédie qui ruine le destin et consume les espérances d'une vie grandiose. Ils ne sont pas fous, pleinement conscients de leurs actes mais ne peuvent pas prendre la mesure des événements qui les accablent tant que leur foi en leur intelligence supérieure les aveuglera. Que peuvent-ils faire ? Que reste-t-il pour eux ? L'espoir de vaincre le sort par les chemins de traverse, s'éloigner de l'Hybris et comprendre cette dure leçon de la vie : la rédemption va de pair avec la douleur.
Aguirre, la colère de Dieu