posté sur le forum cinéma par une cinéphile qui etait sur place, lors du colloque.

Compte-rendu du colloque de la critique

Cinémathèque de Nice
Débat sur la critique et les films
22 et 23 mars 2002

Le vendredi 22 et le samedi 23 mars 2002, la Cinémathèque
de Nice a organisé deux journées de débat autour du
thème “ La critique et les films ”. L’objectif principal
de cet événement a été de réfléchir sur la nature de
l’exercice critique afin d’en comprendre sa fonction et
d’en apprécier ses nuances, tout en s’appuyant sur des
œuvres ayant été, par le passé, l’objet de discussions
enflammées, voire de polémiques.
La première soirée, “ Les critères de la critique ”, a été
animée par Jean-Jacques Bernard, (Première, France Inter,
Ciné Classics) et pour ce qui est de la seconde soirée, “
La critique à l’épreuve du temps ”, les débats ont été
menés par Jean Ollé-Laprune, (Ciné Classics).

Liste des journalistes présents :
Jean-Jacques Bernard, (Première, France Inter, Ciné
Classics)
Olivier de Bruyn, (Le Point)
Henry Chapier, (Radio Nova)
Michel Ciment, (Positif, Le Masque et la Plume)
Laurent Delmas, (Synopsis)
Anne de Gaspéri, (Le Figaro)
Gérard Lenne, (Télé 7 Jours)
Marie Marvier, (Synopsis, LCI)
Pierre Murat, (Télérama)
Alain Riou, (Le Nouvel Observateur, Le Masque et la Plume)
Jean Roy, (L’Humanité)
Aldo Tassone, (La Repubblica)
Christian Viviani, (Positif)
… et la présence effective dans la salle de Georges
Lautner, réalisateur.

Synthèse préparée par Jacques LEFEBVRE
 

LES CRITÈRES DE LA CRITIQUE
22/03/02
“ … L’hyper consommation des images un peu partout
aujourd’hui a tendance à laisser croire que les avis, les
propos, la dialectique des idées sur le cinéma ne comptent
pas, que le public se fie à son instinct pour consommer
ces impressions, ces nouvelles tendances qui passent au
bouche-à-oreille et que c’est très bien comme ça. Tout un
zapping entre les promotions, les multi salles, les
magazines télévisuels ou pas, donnent au public le
sentiment d’une abondance de biens qui ne nuit pas, d’où
il ressort qu’il faut consommer d’abord, consommer
toujours - les chiffres d’entrées tenant lieu de brevet
d’excellence aux films de partout et que tout ça, c’est
pas bien grave, c’est le marché : des pommes, des bananes,
des cacahouètes et du nougat. Tout égale tout au fond, le
discernement est démodé, la connaissance est une sorte
d’embarras et l’adjectif jubilatoire à toutes les sauces
sur les affiches fait passer le rata. Et pourtant, un
petit peuple besogneux, “lunetteux“ et grognon, essaye
encore d’imposer quelques sujets, verbes et compléments -
des phrases en quelque sorte– pour construire une
alternative d’idées, de propos sur les images, on appelle
cela des critiques de cinéma. Il ne faut pas oublier que
souvent ce sont les critiques qui ont nommé les auteurs
depuis les touts premiers courts-métrages qu’ils ont pu
faire ces auteurs-là, les critiques les ont suivis et
promu au sens joli du mot promotion, celle qui ne se
confond pas avec tout le fatras commercial.
Mais sur qui, comment et par quels outils de mesure les
critiques basent-ils leurs choix ? Certains vous diront
que les critiques, il y en a des tas. Toute une géométrie
d’angles de vues, de théories complexes qui font attendre
de la critique quelque chose d’à peu près mesurable.
D’autres vous diront que des critères, il n’y en a pas,
que tout est dans l’humeur ou dans le style, que se
tromper importe peu, que le lecteur ou l’histoire nous
pardonnera, pourvu que notre passion apparaisse bien dite.
Michel Ciment, sans doute, au cours de ce débat, se mettra
en colère, Gérard Lenne temporisera. La nature des
supports– du quotidien au magazine, de la revue au
supplément gratuit, la quantité de surface imprimée – de
la notule méchante en huit lignes à l’exégèse en douze
pages, tout sera évoqué, je suppose, devant vous dans un
joli tourbillon, d’où il ressortira que finalement l’art
est aisé et la critique est bien difficile. ”

Jean-Jacques Bernard.
 

Tour de table, les critiques annoncent leurs principaux
critères de jugement :

-       “ Le plaisir et l’ennui. Le plaisir, c’est bien et
l’ennui, c’est pas bien. ” Gérard Lenne.
-       “ Je suis réactionnaire, je ne m’intéresse pas
énormément à la nouveauté. Ce qui m’intéresse dans un
film, c’est sa durée. ” Alain Riou.
-       “ Il faut juger les films par rapport aux
intentions d’un cinéaste. Plus les intentions sont grandes
et plus le film sera grand. ” Michel Ciment.
-       “ Ne pas refaire le film, l’accepter tel qu’il
est. ” Christian Viviani.
-       “ On fait de la critique de cinéma parce qu’on a
une passion pour le cinéma. On veut communiquer cette
passion-là à d’autres, sinon vraiment cela n’a pas
d’intérêt. ” Henry Chapier.
-       “ La critique n’est en aucun cas objective, donc
les querelles de critiques sont des querelles de
passions. ” Anne de Gaspéri.
-       “ L’émotion de quelque ordre qu’elle soit, qu’elle
soit intellectuelle, qu’elle soit affective, une idée à
comprendre, un beau plan, une larme, un sourire… ” Marie
Marvier.
-       “ Je souhaite m’élever contre la dichotomie du
plaisir et de l’ennui. Il m’arrive de prendre du plaisir
en m’ennuyant et de m’ennuyer en prenant du plaisir. Ce
que j’aime dans le cinéma, c’est qu’il m’aide à vivre. ”
Laurent Delmas.
-       “ Ce que j’aime, c’est aller au cinéma avec de
vrais gens qui voient des films. Le critère, c’est de ne
pas regarder sa montre pendant le film. ” Jean Ollé-
Laprune.
-       “ Le plaisir de la découverte de cinéastes qui ont
un univers, une écriture, une personnalité. ” Olivier de
Bruyn.
-       “ Est-ce que ça te donne une émotion ? Bon, c’est
un bon film. ” Federico Fellini cité par Aldo Tassone.
-       “ Exprimer et penser pour qui l’on écrit. Prendre
par la peau du cou mon lecteur et ne pas l’abandonner
jusqu’au mot fin, que j’aime ou que j’n’aime pas un
film. ” Pierre Murat.

        Jean-Jacques Bernard ouvre le débat en posant la
question de la hiérarchie des films traités en fonction de
l’inflation des sorties.

        En considérant qu’une bonne douzaine de films
sortent chaque semaine, il est pratiquement impossible de
voir tous les films sous peine de ne pas avoir le temps
d’écrire. Les expériences varient selon les supports et la
périodicité. Certains critiques affirment leur autonomie,
d’autres soulignent le rôle majeur de la rédaction ou
regrettent le poids des enjeux économiques. Ainsi, il faut
à tout prix parler des films américains parce que cela
rapporte plus au plan publicitaire tout en ménageant un
espace aux films européens et il en résulte parfois une
situation confuse. L’emplacement imparti a aussi une
incidence. Le critique peut être conduit à composer, à
accepter que son texte soit parasité par des interviews,
des brèves et même, dans certains cas, par un “ Top
Seven ”. On a également insisté sur l’importance de la
prise compte du lectorat : il est essentiel que les
critiques ne soient pas coupés du public auquel ils
s’adressent et qu’ils écrivent en fonction de ce public,
exercice particulièrement difficile lorsqu’il n’y a pas
d’homogénéité. Selon le support, le critique sera ou non
confronté à des avis contradictoires. Participer au Le
Masque et la Plume, c’est donner son avis, vivre sa
passion, se frotter aux opinions des autres participants.
Enfin, on a regretté l’absence d’émissions télévisuelles
consacrées au cinéma par les chaînes françaises impliquées
directement dans le financement du cinéma français et
pratiquant ainsi une forme d’auto censure, d’auto
mutilation.

        La parole est à la salle, questions et réactions :

        L’intervention d’Henry Chapier mettant en cause
l’intérêt des problèmes de cuisine interne a suscité
quelques réactions et un désir de recentrage du débat,
mais aussi bien la salle que les membres de la tribune ont
admis qu’il était impossible de faire abstraction des
conditions dans lesquelles les critiques travaillent. On
est ensuite passé au rôle joué par les attachés de presse
dans le cadre de la promotion des films. L’époque des
attachés de presse cultivés est révolue. Aujourd’hui, les
sociétés d’attachés de presse exercent des pressions sur
les journaux afin que l’on assure la couverture des films
dont ils s’occupent. Ainsi, le journal pourra donner
l’impression que le film est à voir alors que le critique
est réticent. Enfin, il arrive que des barrages soient
édifiés et que des journalistes soient interdits de
projection.
        Le rôle prééminent de la critique a été ensuite
salué par un membre du public qui considère que le
critique permet de rester vigilant et de sortir du “ prêt
à penser ”. Une autre personne a mis en cause la démarche
même du critique qui se pose en juge alors qu’il n’est pas
un créateur. À cela, il lui a été répondu qu’une œuvre
sans critique est une œuvre morte.

        Qui choisit de parler de quoi dans un journal ?
Est-ce que le film le plus attendu va être pris par la
plume la plus attendue ?

        Pour la revue Positif, le choix de la personne qui
va parler du film, c’est essentiellement celui qui l’aime
le plus et qui rendra compte de l’opinion générale de la
revue organisée de manière collégiale. Anne de Gaspéri
défend le droit à la colère, mais se méfie des courants et
des querelles qui animent certains journaux. Enfin,
Laurent Delmas veut en finir avec “ l’illusion d’optique
qui voudrait que lorsqu’un journal s’exprime, il exprime
une sorte de pensée globale et donc molle qui ferait que
l’ensemble des journalistes de la rédaction est d’accord
avec lui. ”
        Par la suite un long échange s’est instauré à
propos de la querelle qui a opposé Patrice Leconte à la
critique. Alain Riou oppose cinéastes et critiques en ces
termes : “ Le bon cinéma est fondamentalement un art de
cancre, la bonne critique est un art de professeur et
c’est la raison pour laquelle, chacun des deux camps étant
convaincu de défendre très honnêtement son métier, sa
profession, sa passion, en arrive à un tel degré
d’animosité. ” Ensuite, il précise sa pensée en
affirmant : “ J’entends par cancre un démolisseur de
l’ordre établi ”. Michel Ciment, quant à lui, regrette que
l’on traite les cinéastes avec autant de désinvolture
notamment lorsqu’on assassine des films sans explications
quatre semaines avant leur sortie officielle. Selon
Olivier de Bruyn, ce n’est pas uniquement la critique
qu’il faut incriminer, c’est tout un système qui participe
à un “ emballement médiatique ”.

        La parole est à la salle, questions et réactions :

        Le premier point soulevé par le public est celui
de la non-distribution de films à la suite d’articles
assassins. Une discussion s’est engagée autour des
critiques au vitriol parues dans la presse récemment.
Certains affirment qu’il faut défendre le droit des
critiques à écrire des bêtises, d’autres fustigent les
critiques portant atteinte au physique des acteurs ou des
actrices, d’autres pensent qu’une critique atrocement
mauvaise n’a aucune espèce d’importance. Georges Lautner,
présent dans la salle, encourage les critiques à “ donner
le goût aux gens d’aller voir les films” , regrette des
propos qui viseraient à empêcher les gens d’aller voir
certains films et ne comprend pas l’intérêt qu’il y ait
d’écrire dans la colère. Les intervenants ont justifié
leur point de vue.
        Pour clore, chaque membre de la tribune a été
invité à expliquer s’il voyait le film une fois ou deux
fois avant d’en écrire la critique. Cela dépend de la
longueur du texte à écrire, certains critiques apprécient
d’arriver “ vierges ” de toute influence, d’autres aiment
également voir un film avec le public, tous s’accordent à
dire qu’il n’y a pas de routine.
        Laurent Delmas, réclame haut et fort, la liberté
totale pour les créateurs et les critiques. Il invite la
profession à se montrer vigilante et à combattre les
phénomènes de concentration.
 
 

        LA CRITIQUE À L’ÉPREUVE DU TEMPS
        23/03/02
        “ Les premières critiques de cinéma sont apparues
dans les années 1910 (1915-1920), écrites par des gens
qu’on ne lit plus beaucoup comme Comandon qui a inventé le
mot 7e Art, par des gens comme Delluc qui a inventé le mot
cinéaste et jusqu’à aujourd’hui, il y a eu des dizaines de
revues qui sont parues, des milliers de lettres,
d’articles et d’émissions de radio qui sont sorties. Que
reste-t-il de tout cela aujourd’hui ? Et deuxième volet
qui est un volet introspectif : par rapport à toute cette
expérience, comment la critique a-t-elle reçu tout cela ?
Et cela revient à poser la question : pourquoi et pour qui
vous, critiques de cinéma, écrivez-vous, parlez-vous,
faites-vous des émissions de télévision ? (…) Il y a une
chose qui est une constante dans tout cela, ce sont les
débats sur l’inutilité des critiques – vieux lieu commun
des réalisateurs. Je suis tombé sur Carné qui disait : “
Pour peu qu’on y réfléchisse, critiquer, c’est vivre dans
et de la sueur des autres. ” J’en ai repéré une de
Sternberg qui dit : “ Le critique c’est comme un chien qui
pisse contre un réverbère. Quand il s’en va, le réverbère
continue d’éclairer. ” André Bazin a eu une phrase très
désabusée : “ L’opinion de quelques malheureux
journalistes ne pèse pas bien lourd en regard du prestige
de Fernandel. ” La critique, c’est Jean-Michel Gravier
quand il écrivait dans Le Matin de Paris et qui terminait
chacune de ses critiques par “ allez voir Diva ”, c’est
Jean-Paul Törok dans Positif qui dit “ attendez, le cinéma
anglais, c’est pas uniquement Hitchcock, c’est également
quelqu’un comme Michaël Powell et il ressort Le Voyeur, ce
sont des gens comme André Bazin qui parle de Bud
Boetticher. La critique aussi, dans les souvenirs, c’est
une animation, c’est un esprit - je pense à Bory et
Charensol qui reste, pour beaucoup, un souvenir de passion
qu’on retrouve toujours dans Le Masque et la Plume. Ce
sont des analystes, je pense à des gens comme Roger
Leenhardt qui, bien que s’étant trompé et ayant massacré
Duvivier, Renoir, Feyder et Pierre Chenal, arrivait quand
même à bâtir une argumentation très précise et enfin, ce
sont des références, puisqu’on voit apparaître en
librairie, très régulièrement, des recueils de critiques
de cinéma qui, pour certains, sont des succès je pense
notamment à Henri Jeanson.
        Bref, je m’arrête là pour dire que tout ceci
mérite beaucoup de nuance, que la critique dans un premier
temps ni ne résiste, ni ne cède devant l’épreuve du
temps. ”
        Jean Ollé-Laprune.

        Tour de table : Quelle est la personne qui vous a
donné envie d’écrire et qu’elle est la personne qui vous a
influencée ?
-       “ Henri Langlois, il distribuait des prodigalités
formidables, il distribuait des copies de films un peu à
la volée et il envoyait aussi des critiques de films.
Freddy Buache et première revue, Positif. ” Jean-Jacques
Bernard.
-       “ La critique commence par la discussion au
collège et au lycée. Émulation avec Jacques Maurice. Les
gens des deux revues, Positif et Les Cahiers et puis André
Bazin. ” Olivier de Bruyn.
-       “ C’est en lisant les critiques qu’on a envie de
devenir critique. Je lisais deux revues dans les années
cinquante, Les Cahiers du Cinéma et Positif. Robert
Benhayoun à Positif et puis Roger Tailleur, Bazin et
Truffaut aux Cahiers. ” Michel Ciment.
        -       “ Deux cinéastes : Balzac et Zola.
Quadruple patronage : Pierre Tchernia, Jean-Claude Romer,
Jean-Louis Bory et Serge Daney. ” Laurent Delmas.
-       “ J’ai commencé à écrire des critiques de cinéma à
l’école. Chapier, Bory… ” Anne de Gaspéry.
-       “ Ciné-Clubs des années soixante. Je me suis donné
envie tout seul. Jean Douchet… ” Gérard Lenne.
-       “ Je suis arrivée à la critique par le cinéma et
par hasard. J’ai commencé à lire en écrivant. ” Marie
Marvier.
-       “ Pas de véritable maître. Une culture des rues,
de Visconti au western-spaghetti. Michel Perez… ” Pierre
Murat.
-       “ Doit d’être venu au cinéma à ma distraction. Le
Cuirassé Potemkine, Un numéro du tonnerre de Minelli, cinq
films par jour, rédacteur de faits divers pendant quinze
ans. ” Alain Riou.
-       “ Quatre pères spirituels : Henri Langlois, Jean
Collet, Jean Douchet et Louis Daquin qui m’a appris que
les films sont faits par des gens. ” Jean Roy.
-       “ Les résumés des films avec des photos de films
qu’on lisait chez le coiffeur. Fellini… ” Aldo Tassone.
-       “ Lola Montes à la télé, ça m’a bouleversé. Un
petit livre violet aux Editions Seghers, monographie sur
Max Ophuls par Claude Beylie. Cinémonde, Ciné revue, je
revendique complètement l’entourage midinette de mes
débuts au cinéma. ” Christian Viviani.
 

Pour qui écrivez-vous ? À qui pensez-vous ?

En ouverture, Anne de Gaspéri rapporte les propos de
Philippe Tesson, “ N’oubliez pas que demain le journal
sera dans les WC ”, et elle explique que le travail
d’écriture se fait au jour le jour et non pas pour le
lendemain.
Olivier de Bruyn revient sur l’importance du support : “
Lorsqu’on écrit dans Positif, on écrit pour un public déjà
cinéphile, cela change à la fois l’écriture et la façon
d’aborder le sujet. On peut considérer que l’on contribue
à une espèce d’encyclopédie permanente du cinéma. C’est
complètement différent quand on écrit dans des quotidiens
ou dans des hebdomadaires qui ne sont pas par nature
destinés à des cinéphiles. Il n’y a pas la même notion de
pérennité. Dans une revue comme Positif, on n’est pas
journaliste professionnel puisqu’on n’en vit pas alors que
dans Télérama, au Point, au Figaro, on est journaliste
professionnel. ”
        De nombreux intervenants s’étonnent d’être lus et
rapportent des anecdotes savoureuses lors de rencontres
impromptues avec leurs lecteurs. La plupart écrivent
d’abord pour eux-mêmes et encouragent à ne jamais sous-
estimer le lecteur. La clarté d’expression est également
soulignée afin d’analyser sa passion pour un film et de la
faire partager. Aldo Tassone résume l’opinion générale par
ces mots : “ On ne peut pas écrire pour un public, on
écrit pour soi-même, pour un public idéal. Il faut éviter
d’écrire pour être lu par les autres critiques. (…) C’est
une fête, essayons de la vivre ensemble. ”

        Question posée par l’assistance : Revenez-vous sur
une critique négative lorsqu’un film a du succès ?
Retournez-vous voir un film pour vous remettre en
question ?
        Alain Riou tient tout d’abord à rappeler que les
cinéastes qui demeurent ont pour la plupart été d’immenses
succès. Laurent Delmas revendique le droit de se tromper
en ces termes : “ Parfois je suis en phase ou pas en phase
avec un discours artistique qui me touche ou ne me touche
pas. De ce point de vue-là, le goût des autres, je ne
l’intègre pas. ”
Pour sa part, Olivier de Bruyn évoque des retournements de
situation spectaculaires à partir du moment où un
réalisateur rencontre le succès. Adulés par la critique
lorsqu’ils étaient minoritaires, des réalisateurs tels que
Robert Guédiguian et Ken Loach eurent mauvais presse
lorsque leurs films rencontrèrent la faveur du public.
Olivier de Bruyn s’interroge également sur l’attitude de
la presse qui, dans un premier temps, a porté aux nues Le
fabuleux destin d’Amélie Poulain et qui, devant le succès
du film, s’est montrée d’une grande réticence jusqu’à
provoquer une polémique par la suite.
        Michel Ciment souligne le fait qu’il est
intéressant d’aller revoir un film que l’on n’a pas
apprécié, non pas pour s’interroger sur la pertinence de
son jugement esthétique mais pour prendre en compte
l’aspect sociologique et analyser pourquoi un film a
touché le public.
        Jean-Jacques Bernard, quant à lui, regrette que
certains critiques n’existent que dans la vigueur et dans
la méchanceté pour se faire valoir. Il parle de la cécité
de certains magazines et cite pour exemple le cas de Clint
Eastwood, régulièrement éreinté par Télérama pendant une
dizaine d’années et soudainement encensé par ce même
magazine. Pierre Murat admet que Télérama n’a pas été en
phase avec le cinéma américain des années soixante et il
préfère parler de retard ou d’avance par rapport à un film
plutôt que d’erreur manifeste de la part du critique.

Question posée par l’assistance : certains réalisateurs
sont systématiquement glorifiés, ne peut-on pas voir là
une sorte de complaisance ?

Aldo Tassone fait remarquer que l’accueil fait à un film
diffère d’un pays à l’autre et que cela relève parfois de
l’aveuglement. Christian Viviani attribue ce travers à une
perversion du système dont on peut rendre responsable la
politique des auteurs : “ Très souvent, par facilité, on
se raccroche à ce qu’on connaît et l’on se raccroche à ces
rendez-vous que nous donnent périodiquement des cinéastes
dont on pense bien connaître l’univers et le fait de
reconnaître un certain nombre d’éléments nous rassure.
Donc, c’est vrai, on perd d’une certaine manière la
distance que nous devrions préserver. ” Il termine son
propos par un appel à la diversité : “ la critique est
constituée de critiques au pluriel. ”
        Michel Ciment tient à rappeler que la politique
des auteurs n’est pas née avec Les Cahiers du Cinéma.
Ainsi, dès la fin des années vingt, des numéros spéciaux
étaient consacrés à des réalisateurs tels que King Vidor,
Lubitsch ou René Clair car “ les critiques de cette époque
ont ressenti le besoin d’établir le cinéma comme un art. ”
Par ailleurs, Michel Ciment n’adhère pas au concept du
réalisateur infaillible dont les derniers films sont
supérieurs aux premiers.

Conclusion
        Suite à la nouvelle version d’Apocalypse Now,
sortie sur les écrans et en DVD, Jean Ollé-Laprune
s’interroge sur la nécessité de revisiter son travail de
critique. Jean-Jacques Bernard qualifie le cinéma de “
matière caoutchouteuse dans les mains du réalisateur qui
est omniscient et qui peut changer sa fin, sa vision. ”
Jean Roy reprend cette argumentation et souligne l’aspect
malléable du cinéma qui oblige les critiques à
retravailler leurs critiques en fonction des diverses
sorties des films que ce soit sur les écrans, en DVD ou à
la télévision. L’accès à l’Internet est également
mentionné comme source d’archives immédiates et Anne de
Gaspéri annonce la création d’un journal de cinéma sur
l’Internet qui se fera en quatre langues.