Interprétations de 2001: l'odyssée de l'espace
par Margaret Stackhouse
 
Margaret Stackhouse avait quinze ans lorsqu'elle rédigea un essai sur 2001 dans le cadre de son travail scolaire peu après la sortie du film. Son professeur envoya son texte à Kubrick, qui devait confier à Jerome Agel : « Les réflexions de Margaret Stackhouse sur le film sont sans doute les plus intelligentes que j'ai lues à ce jour, et en disant cela, je tiens compte de tous les articles qui sont parus ainsi que des centaines et centaines de lettres que j'ai reçues. Une intelligence de tout premier ordre !» (Jerome Agel, The Making of Kubrick's 2001, New York: Signet, 1970)


I. Le monolithe - source de connaissance et d'intelligence infinies.

A. Sa forme représente la perfection ; sa couleur, le noir, pourrait symboliser :

  1. Le mal et la mort, résultant de la mauvaise utilisation de la connaissance par l'homme ;
  2. L'incompréhensible - l'homme, de par ses sens limités, ne peut comprendre l'absence de couleur et de lumière (le noir parfait).

B. Sa première apparition.

  1. Le film implique que la vie a atteint un stade où elle est prête à être inspirée, par un don divin peut-être. (Il est intéressant de noter que les singes semblent impatients, dans l'attente de quelque chose.)
  2. Les singes deviennent peut-être des hommes quand l'inspiration leur est donnée. [Question : l'homme constitue-t-il une entité séparée, avec un plus (une âme?) par rapport aux autres formes de vie, ou la différence réside-t-elle uniquement dans la quantité (plutôt que la qualité) d'intelligence ? [l'évolution se fait-elle de manière graduelle, continue ou par paliers déterminés ? La différence en quantité devient-elle dans les faits une différence en qualité ?]
  3. L'inspiration est donnée :
    a. Quand les hommes (singes) en ont besoin ; ou
    b. Quand ils la cherchent ; ou
    c. Au gré des caprices de la force qui la donne ; ou
    d. Selon diverses combinaisons des trois précédents.
  4. Le don pourrait avoir pour but de permettre à l'homme de créer des forces vitales. [Dans ce «cycle», il ne créé que la mort ; intéressant : la mort à partir de la mort (des os)]
  5. Sa disparition (après la fabrication de l'arme) - Raisons :
    a. Il est repris à l'homme pour le punir d'avoir mal utilisé la connaissance ; ou
    b. Il n'est plus requis, les singes (hommes) se considèrent désormais les maîtres et, après cette impulsion initiale, tentent de continuer avec leurs propres énergies. Le monolithe a peut-être toujours été là mais invisible à ceux qui ne souhaitent pas le voir ou à ceux par qui il ne souhaite pas être vu ; ou
    c. Il est repris par la force donatrice afin d'éviter que les mortels comprennent tout.

C. Sa seconde apparition (sur la lune).

  1. Les raisons de son apparition :
    a. L'homme le recherche de inconsciemment ; ou
    b. Sa présence est nécessaire pour rappeler à l'homme son insignifiance ; ou
    c. Il est offert comme une nouvelle occasion de donner un sens à l'existence de l'homme.
  2. Les hommes sur la lune touchent le monolithe comme les singes avant eux ; cela indique que, fondamentalement, leur nature est restée la même. Puis, après l'avoir touché, ils ont l'audace de vouloir le photographier : ils sont toujours aussi suffisants, toujours autant incapables de comprendre la nature du don.
  3. Depuis la lune, un puissant champ magnétique est dirigé vers Jupiter (où l'homme ira ensuite). Cela indique que l'homme échouera à nouveau et verra encore le monolithe quand il atteindra la prochaine étape de son exploration. Le monolithe est toujours hors de portée de l'homme, ce dernier est toujours axé sur la mort.
  4. Il est ironique que les hommes sur la lune pensent que le monolithe a été créé par une civilisation plus avancée. Cela représente pour eux le nec plus ultra. Ils ne peuvent comprendre que l'on puisse se situer au-delà du niveau du mortel.

D. Le monolithe et l'infini.

  1. Après avoir conçu HAL, l'homme montre une fois de plus qu'il a refusé, par son ignorance et sa suffisance, de saisir la chance d'accéder à une intelligence surhumaine. Peut-être est-ce le système qui ralentit ou qu'il lui est impossible de progresser au-delà de ses propres énergies.
  2. On lui offre une nouvelle chance - le monolithe lui montre l'infini, la connaissance parfaite et le début de l'univers, mais il ne comprend pas. Les raisons pour les lui montrer :
    a. C'est peut-être vraiment une autre chance pour l'homme ; ou
    b. Il est peut-être déjà déterminé que l'homme doit mourir [peut-être que tout le monde voit la connaissance parfaite au moment de sa mort] ; ou
    c. La connaissance parfaite (représentée par le monolithe) est peut-être toujours présente, mais notre compréhension d'elle sera toujours imparfaite.

 

II. HAL

A. Il est maléfique, mais uniquement parce qu'il reflète la nature humaine.

B. Son malaise face à la mission implique que même l'intelligence humaine la plus développée est imparfaite dans sa capacité à comprendre.

C. L'homme, en tentant de progresser indépendamment de l'aide divine, tente, consciemment ou pas, de créer la vie sous la forme de HAL. Ce n'est pas permis. Il atteint, ou on l'a contraint à atteindre, une limite dans sa capacité à progresser.

D. Les raisons de l'échec de HAL :

  1. Une nouvelle illustration de l'éternelle erreur humaine ; ou
  2. Un châtiment divin ; ou
  3. Dieu ne permettra pas à l'homme de se laisser dominer par ses propres créations irréfléchies.
E. Le fait que l'homme parvienne à surmonter la malfaisance de HAL est optimiste ; toutefois, il doit pour cela détruire HAL, qui est presque un être vivant - une fois de plus, le thème de la mort, de la futilité. [Cela est montré, ainsi que l'insignifiance, par la «chanson» de HAL.]

 

III. La chambre (de la fin)

A. Elle est élégante, peut-être pour montrer les accomplissements culturels de l'homme, mais aussi stérile et silencieuse - rien n'a de sens sans l'esprit du monolithe. On est là dans l'univers de l'homme, qui est censé lui être familier mais qui lui est aussi hostile.

B. La chambre pourrait représenter :

  1. Tout ce que l'homme peut comprendre (le fini) de l'infini. Même dans ce contexte circonscrit, il est perplexe ; ou
  2. L'histoire culturelle de l'homme, à la manière dont les hommes revoient leur passé avant de mourir ; ou
  3. La futilité pour laquelle il a renoncé au monolithe (puis, au moment de mourir, il se rend compte qu'il a besoin de lui) ; ou
  4. Un rappel de l'échec de l'homme à s'inspirer de son passé - il pourrait contenir plus de sagesse que le présent. [Les singes ont mieux réagi au monolithe que l'homme moderne].

C. Dans cette chambre, l'homme doit mourir parce que :

  1. Il a atteint sa limite ; ou
  2. Ses échecs sont trop grands ; ou
  3. On lui a montré l'infini.

D. Question : Sa mort (après sa dégénérescence) est-elle inévitable après qu'on lui a montré toute la connaissance, ou cette expérience est-elle une autre occasion de s'améliorer ? Le point de rupture, la fin de toutes les opportunités, interviendra quand l'homme retournera à sa futilité.

E. Il sait peut-être ce qui lui arrive mais ne peut rien y faire. Les changements physiques sont peut-être une vision montrée à l'homme pour le punir, à moins qu'ils représentent les différentes étapes de la vie d'un homme ou de tous les hommes.


IV. Les thèmes

A. L'animalité et l'échec de l'homme.

  1. Tout au long du film, on voit des gens manger, souvent de manière répugnante ; on voit également des gens faire du sport, luttant.
  2. À la fin, une coupe est brisée. Cela peut impliquer que les échecs de l'homme se poursuivront à jamais.
  3. La nature animale et la vanité humaine restent inchangées tout au long du film. Y aura-t-il jamais un vrai progrès ? Le monolithe est toujours montré avec un lever de soleil et un croissant de lune. Mais le soleil n'est jamais aussi haut que quand l'homme voit l'infini. Ce dernier détail peut symboliser l'espoir qu'en dépit de ses échecs passés, l'homme parviendra à se hisser au-dessus de son animalité ; ou simplement représenter la connaissance parfaite qu'il ne peut comprendre.
  4. Il existe un équilibre délicat en l'homme entre l'animal et le divin. On ne nous laissera jamais aller au-delà d'un certain point (en tant qu'individus et que race).

B. La futilité.

  1. Elle est montrée :
    a. Quand Frank est récupéré puis relâché dans l'espace (après un combat pour le rattraper) ;
    b. Par les blabla - « des gens parlent sans rien dire».
  2. Tout ce que nous entreprenons est-il vain ? Chacun meurt sans avoir tout compris. Notre race (histoire) devra-t-elle, elle aussi, s'éteindre pour renaître, continuellement, sans jamais progresser ?

C. Que le film soit très pessimiste ou optimiste dépend de la réponse à la question : «L'homme à la fin représente-t-il juste notre <cycle> ou tous les <cycles> pour l'éternité ?»

  1. Pessimiste : L'homme n'accédera jamais à plus de «divinité» - toutes ses chances de renaissance pourraient n'être qu'une moquerie. Ironie : l'homme a beau gâcher sa vie, on lui donne toujours des occasions de s'améliorer. Comme il continuera probablement à gâcher sa vie pour l'éternité, il pourrait s'agir du jeu cruel d'un dieu capricieux.
  2. Optimiste : L'interprétation précédente ne tient plus si l'on présume qu'il existe dans l'univers une force vitale et nourricière qui soit la source du bien absolu. Fort de cette croyance, on peut espérer qu'un jour l'homme sera capable d'utiliser l'inspiration divine qui lui est offerte pour propager cette force vitale. Il ne sera probablement jamais capable de comprendre plus avant, mais saura mieux utiliser ce qu'il comprend. Le lever de soleil, le fœtus, etc., illustreraient cet espoir. En outre, il semblerait qu'en dépit de la stupidité de l'homme, on lui donne toujours de nouvelles occasions de se sublimer. Un jour, peut-être, il apprendra qu'il ne peut vraiment «vivre» sans accepter le don, sous la forme du monolithe, qui exige la subjugation de l'homme par la force divine. Alors, il ne sera plus exigé de lui qu'il ne crée, et ne vive, que la mort.