On achève bien les chevaux,
un film de Sydney Pollack
Un des chefs d'œuvre de la carrière prolifique de Sydney Pollack."On achève bien les chevaux"(1969) est une adaptation du roman éponyme d’Horace McCoy. Un film saisissant d’une grande force évocatrice et métaphorique.
Le film se déroule dans les années trente aux Etats-Unis, en Californie, pendant la grande dépression. La population, complètement démunie et désespérée, est gravement touchée par la crise économique. Beaucoup de laissés-pour-compte sont en quête d'un travail quelconque, de n’importe quel moyen de subsistance. Ils sont alors nombreux à participer à l'un des nombreux marathons de danse organisés à travers le pays pour gagner les primes importantes qui y sont mises en jeu. Robert et Gloria font parti de ces candidats.
Dans ce marathon, le couple gagnant empochera la somme de 1500 dollars à la condition de danser le plus longtemps possible. Quant aux participants, ils sont assurés de pouvoir manger matin, midi et soir sans rien débourser. En contrepartie, le spectacle doit être assuré. L’offre est plus qu’alléchante et la foule se presse pour pouvoir participer, mais peu savent réellement ce qui leur sera réservé.
Au fur et à mesure du concours, les règles inflexibles ne laissent aucun répit. Danser jour et nuit avec 10 minutes de repos toutes les deux heures, et cela jusqu’à l’épuisement extrême. Au fil des heures, puis des jours, le marathon semble ne pas vouloir s’arrêter, les candidats sont livrés en pâture aux spectateurs. Exhibés tels des bêtes de foire, les plus endurant tentent de résister à ce jeu sans limites pendant que les candidats les plus épuisés abandonnent au fur et à mesure, tandis que d’autres participants en perte de repères, en sont arrivés aux limites de la folie et de leur résistance physique. La piste de danse prend tour à tour des allures d’arène de cirque ou de zoo. Des spectateurs dans les tribunes sont si enthousiastes et fascinés qu'ils encouragent les danseurs à poursuivre la compétition en leur jetant des pièces, d’autres encore prennent des paris et deviennent des supporters.
Les danseurs sont humiliés, poussés à bout si ce n’est pire, lorsqu’ils sont à la frontière entre la vie et la mort : la femme enceinte forcée par son mari à participer malgré le danger pour son enfant, le marin quinquagénaire qui met son corps à rude épreuve, quelques participantes perdent la raison. L’organisateur du marathon est le véritable chef d’orchestre, complètement voué à sa recherche du spectaculaire. Pour attiser encore l’intérêt du spectateur, il organise des derbys de 10 minutes, véritables courses contre la montre, sprints éreintant autour de la piste et qui mènent à l'élimination du dernier couple franchissant la ligne d'arrivée. Epreuves insensées quant on sait déjà que tous les participants sont déjà tous à bout de force. La fin du film est d'une rare intensité, d'une dureté effroyable.
La force du film et du scénario s'articule autour de deux thèmes clés : la souffrance sociale, et le spectacle à tout prix. Sydney Pollack, suit l’évolution physique et morale des protagonistes, malgré un rythme lent, il parvient à créer un univers étouffant. Seules les deux scènes de courses viennent briser ce rythme, apothéose du spectacle, du drame humain, des corps brisés et du désespoir. Le réalisateur jette un regard sans complaisance sur les turpitudes humaines, le tout très bien équilibré par le courage et l’empathie qui se dégagent de certains participants.
Ce terrible marathon qu'endurent les participants donne lieu à bien des paraboles et incitent à la prise de conscience de ce que peut être l'oppression, y compris dans ses manifestations les moins évidentes. En décrivant l’instrumentalisation de la souffrance humaine, Sidney Pollack brosse le tableau critique et visionnaire d’une société perdue dans une dépression morale et économique, une société sans repères qui utilise le voyeurisme et le sensationnalisme pour distraire la foule. Le réalisateur nous révèle tout au long du film qu’en période de crise, le courage, l'enthousiasme, l'espoir et autres vertus libératrices sont annihilés par des forces supérieures écrasantes, évoquant de bien des manières le contrôle et la manipulation du monde par les puissants.