PARTIE 2

Citations de HERMAN HESSE,


Les névroses peuvent être des maladies et en sont la plupart du temps, mais l'actuelle névrose des poètes pourrait bien, en fin de compte, être une bonne santé, la seule façon de réagir, pour des natures douées d'âme, à une époque qui ne connaît plus l'âme, mais le chiffre et l'argent. (Lettres inédites)

L'avantage de l'artiste [sur le fou], c'est que sa folie n'est pas enfermée, mais qu'elle vaut quelque chose en raison de ce qu'elle produit. (Lettres inédites)

Le génie, c'est la force de l'amour, c'est l'ardente aspiration (Sehnsucht) au don de soi. (Lettres choisies)

Lorsque je parle du génie comme d'une affaire biologique, je veux dire par-là que le génie, l'être humain important dans ses échantillons les plus réussis, a presque toujours une existence tragique, vit dans cette pâle clarté d'une décadence toute proche, ce qui n'a rien à voir avec cette prud'hommesque sentence bourgeoise selon laquelle le génie est toujours parent de la folie. Non, le génie, la vie portée à son intensité la plus grande, bascule si aisément vers son pôle contraire, la mort et la folie, parce que l'existence humaine se reconnaît en lui comme une erreur (Mibgeschick) terrible, comme un essai de la nature qui, pour grand et hardi qu'il soit, n'est pas entièrement réussi. Le génie, reconnu sans conteste comme le fruit le plus souhaitable et le plus noble de l'arbre de l'humanité n'est nullement protégé par le mécanisme biologique ; à plus forte raison n'est-il pas reproductible ; il vient au monde au milieu d'une vie pour laquelle il devient un flambeau, le but de toute aspiration, mais qu'il finira nécessairement par étouffer. (Textes sur la littérature ; vol. II)

Ce que demande l'artiste, ce n'est pas la louange, c'est la compréhension de ce qu'il a cherché, qu'il ait ou non réussi. (Lettres inédites)

Dans notre monde bourgeois moderne, qui tremble, il est vrai sur ses bases en ce moment, l'artiste joue le rôle d'une sorte de remplaçant et le bourgeois lui attribue, lui transfère des fonctions qui devraient être celles de tout homme mais que la  majorité de cette classe bourgeoise néglige par suite d'une décadence aux aspects multiples. L'artiste représente, dans notre société, le seul type d'homme dont on tolère qu'il vive sans souci et pour lui-même, qu'il soit fidèle à sa propre nature et qu'il accomplisse ainsi un voeu que tout homme forme dans son coeur mais qui s’éteint pour la plupart dans le morne combat pour le quotidien. (Proses et feuilletons posthumes)

Il est facile d'aider lorsqu'on en voit le moyen. Mais pour un homme solitaire qui aime ce qui est noble et beau et ressent péniblement ce monde bruyant et brutal au sein duquel il vit, je n'en vois pas la possibilité. Les hommes ne veulent pas de sonnets et surtout pas de ceux dans lesquels leur monde est nié. Il ne reste donc aux solitaires dont on ne veut pas entendre la voix que la consolation du chant lui-même, que l'exercice de leur don, qu'il ait ou non quelqu'un pour écouter. Et ce n'est pas une mince consolation. Combien supportent les mêmes souffrances qui n'ont pas le don du chant, ne savent pas qui est Kleist, ne connaissent pas le plaisir douloureux de faire de la musique pour soi seul ! (Lettres inédites)

Tout notre art n'est qu'une compensation besogneuse et payée dix fois trop cher pour une vie, une animalité, un amour que nous n'avons pas vécus. Mais non, pourtant. C'est surestimer le sensuel que de considérer le spirituel comme un succédané pour sa carence. Le sensuel ne vaut pas un cheveu de plus que l'esprit et vice-versa. Etreindre une femme ou écrire un poème, c'est la même chose. (Les récits)

Je ne voudrais pas vivre seulement à cause de la vie, aimer seulement à cause de la femme ; j'ai besoin du détour de l'art, de cette délectation solitaire et complexe de l'artiste pour pouvoir me satisfaire de la vie, et même pour la supporter. (Lettres inédites)

Toute culture est née de l'introversion. (Proses et feuilletons posthumes)

Un artiste a toujours tendance à se consacrer à sa confession, à en faire l'objet de tous ses travaux et à tourner ainsi en rond dans le cercle enchanté de ses affaires personnelles. C'est que l'artiste est en soi un homme qui doit s’exagérer l'importance de son oeuvre, ayant transféré de la vie dans cette oeuvre tout ce qu'il réalisera, trouvant en elle toute la justification de son existence. (Arbitraire)

Chacun de ces hommes originaux, fins, délicats, d'un tempérament ardent et inquiet comme le sont les artistes représente une tentative de l'humanité pour atteindre de nouveaux possibles ; et plus un artiste le pressent et l'exprime dans ses oeuvres, plus son influence sera grande, même si ce n'est pas, peut-être, dans l’immédiat. (Proses et feuilletons posthumes)

L'art le plus élevé n'a nul besoin d'explication ni de psychologie appliquée ; il propose ses créations et fait confiance à sa magie, sans craindre l’incompréhension. (Critiques posthumes)

L'artiste n'a pas pour tâche de se faire l’écho d'une quelconque générale du monde déjà établie mais d'exprimer son mode personnel et unique de vie, son expérience propre, de la manière la plus vigoureuse, la plus nette possible. On peut être pessimiste ou optimiste, mais c'est seulement lorsque cette pensée aura trouvé son expression la plus tendue, la plus incisive qu'elle comptera pour les autres. Et nous constatons que des oeuvres littéraires ou d'autres créations au contenu très pessimiste peuvent nous ravir et nous devenir chères. (?)

Ils vont ensemble de façon absolue et inséparable l'esprit et l'âme, la raison et le sentiment ; et celui qui estime, qui cultive à l’excès l'un aux dépens de l'autre, ou en les forçant à se combattre, il recherche, il pratique la moitié au lieu du tout... Expérience est amusante : l'homme qui n'est que raison, si beaux que soient ses discours, si fins que soient ses jugements, nous lasse vite. Et nous lassent de même ces nobles enthousiastes  du sentiment, ces spécialistes poétiques et passionnes du coeur. L'esprit raffiné qui ne compte que sur lui-même et le sentiment qui ne se fie qu'a soi ont tous deux une dimension qui leur manque. On l'observe chaque jour dans la vie quotidienne, dans la vie politique, mais de façon plus évidente dans l'art. (Lettres choisies)

De même qu'il n'y a pas de grand chef-d'oeuvre qui ne soit né de l'amour, il n'y a de rapport noble et utile avec les oeuvres d'art que par l'amour. (Textes sur la littérature ; vol II )

Nous autres artistes, pourrions dire en exagérant à peine : la valeur de mon travail correspond à la quantité de plaisir qu'il m'a procurée. Ce qui fait de l'effet et qui reste, ce n'est pas ce qui a été voulu, médité, construit, mais le geste, l'idée soudaine, le petit miracle éphémère. De même que dans un opéra de Mozart, ce n'est pas la fable, la morale de la pièce qui a de la valeur, mais le geste de la mélodie, la fraîcheur et la grâce avec lesquelles un certain nombre de thèmes musicaux se déroulent et se transforment. ( Lettres inédites)

La force de la jouissance et celle du souvenir dépendent l'une de l'autre. Jouir, c'est exprimer la saveur d'un fruit jusqu'à sa dernière goutte. Et se souvenir, c'est l'art non seulement de conserver ce dont a joui, mais de lui donner une forme toujours plus pure. (Livre d'images)