Extraits de "Les enfants de Dune" de Frank Herbert
« A cause de cette conscience unidirectionnelle du Temps dans laquelle reste immergé l’esprit conventionnel, les humains tendent à considérer toute chose selon un schéma continu défini par les mots. Ce piège mental produit des concepts d’efficacité et de conséquences à très court terme, et engendre une condition de réactions invariables et non préparées à toute crise. »« L’hypothèse selon laquelle le fonctionnement d’un système peut être amélioré par une intervention brutale sur ses éléments conscients traduit une dangereuse ignorance. Cette attitude fut trop souvent celle des esprits qui se qualifient des épithètes de « scientifiques » et de « technologues. »
« Dans toutes les forces socialisantes majeures vous trouverez un mouvement sous-jacent visant à gagner et à conserver le pouvoir par l’usage des mots. C’est le même phénomène, du docteur-miracle au bureaucrate en passant par le prêtre. La masse gouvernée doit être conditionnée afin d’accepter les mots-pouvoir comme des choses réelles, afin de confondre le système symbolisé avec l’univers tangible. Dans le maintien d’une telle structure de pouvoir, certains symboles sont tenus à l’écart de la commune compréhension, tels ceux qui ont trait à la manipulation économique ou encore ceux qui définissent l’interprétation locale de la santé mentale. De tels secrets quant aux symboles conduisent au développement de sous-langages fragmentaires, chacun signalant que ses utilisateurs accumulent une certaine forme de puissance. »
« Dans la prochaine phase de votre éducation mentat, vous apprendrez les méthodes de communication intégrée. Il s’agit d’une fonction gestalt qui recouvrira les canaux d’information dans votre conscience, afin de traiter les questions complexes et les masses de données provenant des techniques de l’index-catalogue mentat que vous avez déjà maîtrisées. Les tensions de rupture introduites par l’assemblage divergent d’informations sur des détails, et des sujets spécialisés seront votre problème initial. Soyez-en avertis. Sans l’intégration mentat surjacente, vous risquez d’être submergés par le Problème de Babel, qui est le nom que nous donnons au danger omniprésent de parvenir à des combinaisons erronées à partir d’une information exacte. »
« Avant toute chose, le mentat doit être un généraliste, et non un spécialiste. Il est sage que, dans les moments importants, les décisions soient supervisées par des généralistes. Les experts et les spécialistes vous conduisent rapidement au chaos. Chasseurs de poux vétilleux, ils sont une source intarissable de chicaneries inutiles. Le mentat-généraliste, d’un autre côté, doit apporter un solide bon sens à ses décisions. Il ne doit pas se couper du courant principal des événements de l’univers. Il doit demeurer capable de déclarer : « Pour le moment, il n’y a pas de vrai mystère. Ceci est ce que nous voulons maintenant. Cela peut apparaître faux plus tard, mais nous ferons les corrections nécessaires quand le moment sera venu. » Le mentat-généraliste doit comprendre que tout ce que nous pouvons identifier comme étant notre univers fait simplement partie de phénomènes plus vastes. L’expert, au contraire, regarde en arrière, dans les catégories étroites de sa propre spécialité. Le généraliste, lui, regarde au loin ; il cherche des principes vivants, sachant pertinemment que de tels principes changent, qu’ils se développent. Le mentat-généraliste regarde les caractéristiques du changement lui-même. Il ne peut exister de catalogue permanent pour de tels changements, aucun traité ou manuel. C’est sans préconception qu’il faut les regarder, tout en se demandant : « Que fait cette chose ? »
« Ce n’est que dans le domaine des mathématiques que vous comprendrez la vision précise du futur de Muad’Dib. Ainsi : postulons un nombre quelconque de dimensions du point dans l’espace. (C’est le classique agrégat étendu à n-plis, un agrégat à n-dimensions.) Partant de cette structure, le Temps que nous concevons communément devient un agrégat de propriétés unidimensionnelles. Si l’on applique cette conception au phénomène Muad’Dib, soit on se trouve confronté à de nouvelles propriétés du Temps, soit encore (à l’aide d’une réduction par le calcul infinitésimal) nous avons affaire à des systèmes distincts qui comprennent n-propriétés d’objet. Nous retiendrons cette dernière hypothèse pour ce qui est de Muad’Dib. Comme la réduction le démontre, les dimensions de l’espace à n-plis ont nécessairement une existence distincte dans différentes structures de Temps. On démontre ainsi la coexistence de dimensions distinctes du Temps. Cela constituant une conclusion inévitable, les prédictions de Muad’Dib impliquaient qu’il perçoive l’espace à n-plis non comme un agrégat étendu, mais comme une opération à l’intérieur d’une seule structure. Par suite, il a figé son univers dans cette structure particulière qui correspondait à sa vision du Temps. »
« Près de la colline où court le renard
Le soleil éparpille ses miroirs
Sur mon unique amour silencieux.
Près de la colline dans le fenouil caché
Je regarde mon amour qui ne peut s’éveiller
Il repose dans la terre
Près de la colline sous les cieux. »
« Un humain sophistiqué peut devenir primitif. Cela signifie en réalité que l’existence humaine change. Les anciennes valeurs changent, sont reliées au paysage avec ses plantes et ses animaux. Cette forme de vie nouvelle exige une connaissance pratique de ce réseau complexe d’événements simultanés que l’on désigne sous le nom de nature. Elle exige une dose de respect pour la puissance d’inertie de tels systèmes naturels. Lorsqu’un humain acquiert cette connaissance pratique et ce respect, c’est alors qu’on le dit « primitif ». Le contraire, bien sûr, est également vrai : le primitif peut devenir sophistiqué, mais non sans subir d’effroyables dommages psychiques. » Frank Herbert, Les enfants de Dune
« O, Docteur des Bêtes,
Vers cette coquille d’escargot verte
Et son timide miracle,
Cachée dans l’attente de la fin,
Tu viens comme le divin !
Les escargots eux-mêmes n’ignorent point
Que les dieux oblitèrent
Et que les remèdes sont sévères,
Que le paradis n’est entrevu
Qu’à travers une porte de flamme
O, Docteur des Bêtes,
Je suis l’homme-escargot,
Et je vois ton oeil unique
Qui transperce ma coquille !
Pourquoi, Muad’Dib ? Pourquoi ? »
« Je suis sur le sable, dans la chaude clarté du jour, et pourtant il n’y a pas de soleil. C’est à ce moment que je comprends que je suis le soleil. Ma lumière se déploie en un Sentier d’Or. Au moment où je comprends cela, je sors de moi-même. Je me retourne, m’attendant à me voir devenir soleil. Mais je vois autre chose : je ne suis qu’un dessin d’enfant. Mes yeux sont des éclairs et mes bras et mes jambes de simples bâtons. Pourtant, je tiens un sceptre dans la main gauche, un vrai sceptre, qui n’a rien à voir avec cette espèce de gribouillis que je suis. Alors, le sceptre bouge et je suis terrifié. Et cela m’éveille ; pourtant, je sais que je continue de rêver. C’est à ce moment que je prends conscience d’être enfermé dans quelque chose une armure qui suit les mouvements de ma peau. Je ne peux voir vraiment cette armure, mais je la sens. C’est alors que la terreur me quitte, car je sens que cette armure me donne la puissance de dix mille hommes. » Frank Herbert, Les enfants de Dune
« Par son bec écarlate et bariolé
Le petit oiseau t’a chanté.
Sur le Sietch Tabr il a pleuré
Et sur la Plaine Funèbre tu t’es avancé. »
« Exister, c’est se dresser, se détacher de l’arrière-plan. Vous ne pensez pas, vous n’existez pas vraiment si vous n’êtes pas prêts à risquer jusqu’à votre équilibre dans le jugement de votre existence. » Frank Herbert, Les enfants de Dune