Un écho après le silence, la poussière


L’écho de plomb et l’écho d’or

Gerard Manley HOPKINS.
Traduit par Roger Asselineau.
Recueilli dans La poésie anglaise, par Georges-Albert Astre,
Seghers, 1964.


L’écho de plomb :


Comment retenir – n’y a-t-il pas quelque chose, quelque chose, n’y a-t-il pas une telle chose, quelque part connue, nœud ou broche, lacet ou lien, loquet, cliquet on clé pour retenir

La beauté, l’empêcher, la beauté, la beauté, la beauté, de s’évader, s’évanouir ?

Oh, n’y a-t-il pas de froncement possible de ces rides, de ces profondes rides rangées

Pour les effacer ? Pas moyen de renvoyer ces très lugubres messagers, ces silencieux messagers, ces messagers tristes et furtifs du gris ?

Non, il n’y en a pas, il n’y en a pas, oh non, il n’y en a pas,

Et tu ne peux pas être longtemps, comme tu l’es maintenant, appelée belle,

Quoi que tu fasses, oui, quoi que tu fasses,

Et la sagesse est de désespérer vite,

Commence, puisque rien, non, rien ne peut être fait

Pour tenir en échec

La vieillesse et les maux de la vieillesse, les cheveux blancs,

Les fronces et les rides, l’affaiblissement, l’agonie, les affres de la mort, les linceuls, les tombes et les vers et la pourriture où l’on tombe ;

Aussi, commence, commence à désespérer.

Oh, il n’y en a pas ; non, non, il n’y en a pas :

Commence à désespérer, à désespérer,

Désespère, désespère, désespère, désespère.




L’écho d’or :


Espère !

Il y a un moyen, oui, j’en connais un (Chut !) :

Mais il n’est pas sous le regard du soleil,

Il n’est pas sous la brûlure du puissant soleil,

Sous le hâle du haut soleil, ou sous l’haleine corruptrice, traîtresse de la terre,

Quelque part, ailleurs, il y en a un, oui, mais où ? Il y en a un, un.

Oui, je peux indiquer une telle clé, je connais un tel endroit

Où tout ce qui de nous est prisé, tout ce qui est jeune et vite s’enfuit loin de nous, tout ce qui nous semble doux en nous, mais est vite effacé de nous, détruit, défait,

Défait, détruit, bientôt détruit, et pourtant chèrement et dangereusement doux

Et nous, le visage marqué de fossettes, comme l’eau sous le vent, et par le matin inégalé,

La fleur de la beauté, la toison de la beauté, tout cela qui est trop, trop prompt, hélas, à passer,

Plus ne passe, noué par la plus tendre vérité

A son essence même et à la grâce de sa jeunesse, c’est une éternité de jeunesse, oh, c’est une totale jeunesse !

Viens donc – tes façons et tes airs, ta mine, tes boucles, tes atours de jeune fille, ton élégance, ta gaîté et ta grâce,

Tes manières charmantes, tes airs innocents, tes façons de jeune fille, ton doux visage, tes cheveux dénoués, tes longs cheveux, tes accroche-cœur, tes atours aux gaies couleurs, ton élégance, ta grâce juvénile,

Il faut se résigner à y renoncer, les signer, les sceller, les envoyer, les repousser du souffle,

Et avec des soupirs qui montent, montent, les

Abandonner ; cette beauté essentielle abandonne-la, vite, maintenant, longtemps avant la mort,

Rends la beauté, la beauté, rends la beauté à Dieu, qui est la beauté même et le donateur de la beauté,

Vois ; il n’y a pas un cheveu, pas un cil, pas le moindre cil qui soit perdu ; chaque cheveu,

Chaque cheveu de la tête est compté.

Bien plus, ce que nous avions, pour nous alléger, laissé maussade dans le simple humus,

Se sera éveillé, et aura évolué et avancé dans le vent cependant que nous dormions,

Et projeté son centuple à la tête lourde,

Cependant, cependant que nous dormions.

Oh, alors, pourquoi alors cheminerions-nous accablés ? Oh, pourquoi sommes-nous si pâles de cœur, si enserrés de soucis, si tués de soucis, si éreintés, si énervés, si égarés, si encombrés,

Quand ce à quoi nous avons de notre plein gré renoncé est pour nous conservé avec plus de soin et d’amour,

Avec plus de soin et d’amour conservé (et quant à nous, nous l’aurions égaré), avec bien plus, bien plus d’amour

Et de soin conservé ? – Où cela conservé ? Oh, dis-nous seulement où, où –

Là-bas – Quoi si haut que cela ! Nous y allons, nous y allons de ce pas –

Là-bas, oui là-bas, là-bas,

Là-bas.

 


Le gouffre, Charles Baudelaire. Recueil Les fleurs du mal

Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
— Hélas ! tout est abîme, — action, désir, rêve,
Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève
Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,
Le silence, l’espace affreux et captivant…
Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ;
Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres,

Et mon esprit, toujours du vertige hanté,
Jalouse du néant l’insensibilité.
— Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres !


 


Genèse 3:19


C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.