EN QUÊTE DE VÉRITÉ


Adieu à l’enfance. Ondine Valmore

Adieu mes jours enfants, paradis éphémère !
Fleur que brûle déjà le regard du soleil,
Source dormeuse où rit une douce chimère,
Adieu ! L’aurore fuit. C’est l’instant du réveil !
J’ai cherché vainement à retenir tes ailes
Sur mon coeur qui battait, disant :  « Voici le jour ! »
J’ai cherché vainement parmi mes jeux fidèles
A prolonger mon sort dans ton calme séjour ;
L’heure est sonnée, adieu mon printemps, fleur sauvage ;
Demain tant de bonheur sera le souvenir.
Adieu ! Voici l’été ; je redoute l’orage ;
Midi porte l’éclair, et midi va venir.

 


7 extraits "des vieilles et des nouvelles tables", de Ainsi parla Zarathoustra

03
C’est là aussi que j’ai ramassé sur ma route le mot de « Surhumain » et cette doctrine : l’homme est quelque chose qui doit être surmonté,
— l’homme est un pont et non un but : se disant bienheureux de son midi et de son soir, une voie vers de nouvelles aurores :
— la parole de Zarathoustra sur le grand Midi et tout ce que j’ai suspendu au-dessus des hommes, semblable à un second couchant de pourpre.
En vérité, je leur fis voir aussi de nouvelles étoiles et de nouvelles nuits ; et sur les nuages, le jour et la nuit, j’ai étendu le rire, comme une tente multicolore.
Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que fragment et énigme et lugubre hasard, —
— en poète, en devineur d’énigmes, en rédempteur du hasard, je leur ai appris à être créateurs de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui fut.
Sauver le passé dans l’homme et transformer tout « ce qui était » jusqu’à ce que la volonté dise : « Mais c’est ainsi que je voulais que ce fût ! C’est ainsi que je le voudrai — »
— C’est ceci que j’ai appelé salut pour eux, c’est ceci seul que je leur ai enseigné à appeler salut. —
Maintenant j’attends mon salut, — afin de retourner une dernière fois auprès d’eux.
Car encore une fois je veux retourner auprès des hommes : c’est parmi eux que je veux disparaître et, en mourant, je veux leur offrir le plus riche de mes dons !
C’est du soleil que j’ai appris cela, quand il se couche, du soleil trop riche : il répand alors dans la mer l’or de sa richesse inépuisable, —
— en sorte que même les plus pauvres pêcheurs rament alors avec des rames dorées ! Car c’est cela que j’ai vu jadis et, tandis que je regardais, mes larmes coulaient sans cesse. —
Pareil au soleil, Zarathoustra, lui aussi, veut disparaître : maintenant il est assis là à attendre, entouré de vieilles tables brisées et de nouvelles tables, — à demi-écrites.

04
Regardez, voici une nouvelle table : mais où sont mes frères qui la porteront avec moi dans la vallée et dans les cœurs de chair ? —
Ainsi l’exige mon grand amour pour les plus éloignés : ne ménage point ton prochain ! L’homme est quelque chose qui doit être surmonté.
On peut arriver à se surmonter par des chemins et des moyens nombreux : c’est à toi à y parvenir ! Mais le bouffon seul pense : « On peut aussi sauter par-dessus l’homme. »
Surmonte-toi toi-même, même dans ton prochain : il ne faut pas te laisser donner un droit que tu es capable de conquérir !
Ce que tu fais, personne ne peut te le faire à son tour. Voici, il n’y a pas de récompense.
Celui qui ne peut pas se commander à soi-même doit obéir. Et il y en a qui savent se commander, mais il s’en faut encore de beaucoup qu’ils sachent aussi s’obéir !

06
Ô mes frères, le précurseur est toujours sacrifié. Or nous sommes des précurseurs.
Nous saignons tous au secret autel des sacrifices, nous brûlons et nous rôtissons tous en l’honneur des vieilles idoles.
Ce qu’il y a de mieux en nous est encore jeune : c’est ce qui irrite les vieux gosiers. Notre chair est tendre, notre peau n’est qu’une peau d’agneau : — comment ne tenterions-nous pas de vieux prêtres idolâtres !
Il habite encore en nous-mêmes, le vieux prêtre idolâtre qui se prépare à faire un festin de ce qu’il y a de mieux en nous. Hélas ! mes frères, comment des précurseurs ne seraient-ils pas sacrifiés !
Mais ainsi le veut notre qualité ; et j’aime ceux qui ne veulent point se conserver. Ceux qui sombrent, je les aime de tout mon cœur : car ils vont de l’autre côté.

12
Ô mes frères ! je vous investis d’une nouvelle noblesse que je vous révèle : vous devez être pour moi des créateurs et des éducateurs, — des semeurs de l’avenir, —
— en vérité, non d’une noblesse que vous puissiez acheter comme des épiciers avec de l’or d’épicier : car ce qui a son prix a peu de valeur.
Ce n’est pas votre origine qui sera dorénavant votre honneur, mais c’est votre but qui vous fera honneur ! Votre volonté et votre pas en avant qui veut vous dépasser vous-mêmes, — que ceci soit votre nouvel honneur !
En vérité, votre honneur n’est pas d’avoir servi un prince — qu’importent encore les princes ! — ou bien d’être devenu le rempart de ce qui est, afin que ce qui est soit plus solide !
Non que votre race soit devenue courtisane à la cour et que vous ayez appris à être multicolores comme le flamant, debout pendant de longues heures sur les bords plats de l’étang.
Car savoir se tenir debout est un mérite chez les courtisans ; et tous les courtisans croient que la permission d’être assis sera une des félicités dont ils jouiront après la mort ! —
Ce n’est pas non plus qu’un esprit qu’ils appellent saint ait conduit vos ancêtres en des terres promises, que je ne loue pas ; car dans le pays où a poussé le pire de tous les arbres, la croix, — il n’y a rien à louer !
— Et, en vérité, quel que soit le pays où ce « Saint-Esprit » ait conduit ses chevaliers, le cortège de ses chevaliers était toujours — précédé de chèvres, d’oies, de fous et de toqués ! —
Ô mes frères ! ce n’est pas en arrière que votre noblesse doit regarder, mais au dehors ! Vous devez être des expulsés de toutes les patries et de tous les pays de vos ancêtres !
Vous devez aimer le pays de vos enfants : que cet amour soit votre nouvelle noblesse, — le pays inexploré dans les mers lointaines, c’est lui que j’ordonne à vos voiles de chercher et de chercher encore !
Vous devez racheter auprès de vos enfants d’être les enfants de vos pères : c’est ainsi que vous délivrerez tout le passé ! Je place au-dessus de vous cette table nouvelle !

14
« Pour les purs, tout est pur » — ainsi parle le peuple. Mais moi je vous dis : pour les porcs, tout est porc !
C’est pourquoi les exaltés et les humbles, qui inclinent leur cœur, prêchent ainsi : « Le monde lui-même est un monstre fangeux. »
Car tous ceux-là ont l’esprit malpropre ; surtout ceux qui n’ont ni trêve ni repos qu’ils n’aient vu le monde par derrière, — ces hallucinés de l’arrière-monde !
C’est à eux que je le dis en plein visage, quoique cela choque la bienséance : en ceci le monde ressemble à l’homme, il a un derrière, — ceci est vrai !
Il y a dans le monde beaucoup de fange : ceci est vrai ! mais ce n’est pas à cause de cela que le monde est un monstre fangeux !
La sagesse veut qu’il y ait dans le monde beaucoup de choses qui sentent mauvais : le dégoût lui-même crée des ailes et des forces qui pressentent des sources !
Les meilleurs ont quelque chose qui dégoûte ; et le meilleur même est quelque chose qui doit être surmonté ! —
Ô mes frères ! il est sage qu’il y ait beaucoup de fange dans le monde ! —

25
Celui qui a acquis l’expérience des anciennes origines finira par chercher les sources de l’avenir et des origines nouvelles. —
Ô mes frères, il ne se passera plus beaucoup de temps jusqu’à ce que jaillissent de nouveaux peuples, jusqu’à ce que de nouvelles sources mugissent dans leurs profondeurs.
Car le tremblement de terre — c’est lui qui enfouit bien des fontaines et qui crée beaucoup de soif : il élève aussi à la lumière les forces intérieures et les mystères.
Le tremblement de terre révèle des sources nouvelles. Dans le cataclysme de peuples anciens, des sources nouvelles font irruption.

Et celui qui s’écrie : « Regardez donc, voici une fontaine pour beaucoup d’altérés, un cœur pour beaucoup de langoureux, une volonté pour beaucoup d’instruments » : — c’est autour de lui que s’assemble un peuple, c’est-à-dire beaucoup d’hommes qui essayent.
Qui sait commander et qui doit obéir — c’est ce que l’on essaie là. Hélas ! avec combien de recherches, de divinations, de conseils, d’expériences et de tentatives nouvelles !
La société humaine est une tentative, voilà ce que j’enseigne, — une longue recherche ; mais elle cherche celui qui commande !
— une tentative, ô mes frères ! et non un « contrat » ! Brisez, brisez-moi de telles paroles qui sont des paroles de cœurs lâches et des demi-mesures !

28
Vous fuyez devant moi ? Vous êtes effrayés ? Vous tremblez devant cette parole ?
Ô mes frères, ce n’est que lorsque je vous ai dit de briser les bons et les tables des bons, que j’ai embarqué l’homme sur la pleine mer.
Et c’est maintenant seulement que lui vient la grande terreur, le grand regard circulaire, la grande maladie, le grand dégoût, le grand mal de mer.
Les bons vous ont montré des côtes trompeuses et de fausses sécurités ; vous étiez nés dans les mensonges des bons et vous vous y êtes abrités. Les bons ont faussé et dénaturé toutes choses jusqu’à la racine.
Mais celui qui découvrit le pays « homme », découvrit en même temps le pays « l’avenir des hommes ». Maintenant vous devez être pour moi des matelots braves et patients !
Marchez droit, à temps, ô mes frères, apprenez à marcher droit ! La mer est houleuse : il y en a beaucoup qui ont besoin de vous pour se redresser.
La mer est houleuse : tout est dans la mer. Eh bien ! allez, vieux cœurs de matelots !
Qu’importe la patrie ! Nous voulons faire voile vers là-bas, vers le pays de nos enfants ! au large. Là-bas, plus fougueux que la mer, bouillonne notre grand désir.

 


Monologue de fin de la mini-série Chernobyl, Valery Legasov :

Être scientifique c’est être naïf. Nous voulons tellement découvrir la vérité que nous ne voyons pas que peu de gens veulent vraiment que nous la découvrions. Mais elle est toujours là, que nous la voyions ou non, que nous le voulions ou pas. La vérité se moque de nos envies et besoins. Elle se moque de nos gouvernements, de nos idéologies, de nos religions… Elle reste là, pour l’éternité. Et finalement, voilà ce que m’a offert Tchernobyl. Avant, les implications de la vérité m’effrayaient. Maintenant, je me demande seulement : « Qu’y a-t-il de pire que les mensonges ? ».