« Toute
interprétation donnée portant sur une certaine portion d’un texte peut être
acceptée si elle est confirmée par, et doit être rejetée si elle est
contestée par, une autre portion du même texte. En ce sens, la cohérence
textuelle interne contrôle les parcours du lecteur, lesquels resteraient
sans cela incontrôlables. » Umberto Eco, Interprétation et
surinterprétation, Puf, Paris, 1996, p. 59
Traduction de Jeanne Schut
Quelques mois après son Éveil, le Bouddha s’adressa à un groupe de mille ascètes adorateurs du feu. Le Bouddha utilisa la métaphore du feu pour illustrer la nature de l’attachement. En entendant ses paroles, les mille ascètes connurent l’Éveil.
Ainsi l'ai-je entendu. Un jour, alors que le Bouddha résidait à Gayasisa,
près de Gaya, entouré de mille ascètes, il s'adressa à eux ainsi :
« Moines, tout brûle. Et quel est ce tout qui brûle ?
« Les yeux brûlent. Les formes matérielles brûlent. La conscience visuelle
brûle. Le contact visuel brûle. Et toutes les sensations ayant pour cause et
condition le contact visuel – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – brûlent également. Et qu’est-ce qui a allumé cet
incendie ? C’est le feu du désir, le feu de l’aversion et le feu de
l’ignorance. Je vous le dis, c’est le feu de la naissance, du vieillissement
et de la mort ; le feu du chagrin, des lamentations, de la douleur, de la
détresse et du désespoir.
« Les oreilles brûlent. Les sons brûlent. La conscience auditive brûle. Le
contact auditif brûle. Et toutes les sensations ayant pour cause et
condition le contact auditif – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – brûlent également. Et qu’est-ce qui a allumé cet
incendie ? C’est le feu du désir, le feu de l’aversion et le feu de
l’ignorance. Je vous le dis, c’est le feu de la naissance, du vieillissement
et de la mort ; le feu du chagrin, des lamentations, de la douleur, de la
détresse et du désespoir.
« Le nez brûle. Les odeurs brûlent. La conscience olfactive brûle. Le
contact olfactif brûle. Et toutes les sensations ayant pour cause et
condition le contact olfactif – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – brûlent également. Et qu’est-ce qui a allumé cet
incendie ? C’est le feu du désir, le feu de l’aversion et le feu de
l’ignorance. Je vous le dis, c’est le feu de la naissance, du vieillissement
et de la mort ; le feu du chagrin, des lamentations, de la douleur, de la
détresse et du désespoir.
« La langue brûle. Les saveurs brûlent. La conscience gustative brûle. Le
contact gustatif brûle. Et toutes les sensations ayant pour cause et
condition le contact gustatif – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – brûlent également. Et qu’est-ce qui a allumé cet
incendie ? C’est le feu du désir, le feu de l’aversion et le feu de
l’ignorance. Je vous le dis, c’est le feu de la naissance, du vieillissement
et de la mort ; le feu du chagrin, des lamentations, de la douleur, de la
détresse et du désespoir.
« Le corps brûle. Les choses tangibles brûlent. La conscience tactile brûle.
Le contact physique brûle. Et toutes les sensations ayant pour cause et
condition le contact physique – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – brûlent également. Et qu’est-ce qui a allumé cet
incendie ? C’est le feu du désir, le feu de l’aversion et le feu de
l’ignorance. Je vous le dis, c’est le feu de la naissance, du vieillissement
et de la mort ; le feu du chagrin, des lamentations, de la douleur, de la
détresse et du désespoir.
« Le mental brûle. Les idées brûlent. La conscience mentale brûle. Le
contact mental brûle. Et toutes les sensations ayant pour cause et condition
le contact mental – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le plaisir ni
la douleur – brûlent également. Et qu’est-ce qui a allumé cet incendie ?
C’est le feu du désir, le feu de l’aversion et le feu de l’ignorance. Je
vous le dis, c’est le feu de la naissance, du vieillissement et de la mort ;
le feu du chagrin, des lamentations, de la douleur, de la détresse et du
désespoir.
« Ayant entendu et compris cet enseignement, le noble disciple perd toute
attirance pour les yeux, perd toute attirance pour les formes matérielles,
perd toute attirance pour la conscience visuelle, perd toute attirance pour
les contacts visuels. Et, envers les sensations ayant pour cause et
condition le contact visuel – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – il perd aussi toute attirance
« Il perd toute attirance pour les oreilles, perd toute attirance pour les
sons, perd toute attirance pour la conscience auditive, perd toute attirance
pour les contacts auditifs. Et, envers les sensations ayant pour cause et
condition le contact auditif – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – il perd aussi toute attirance
« Il perd toute attirance pour le nez, perd toute attirance pour les odeurs,
perd toute attirance pour la conscience olfactive, perd toute attirance pour
les contacts olfactifs. Et envers les sensations ayant pour cause et
condition le contact olfactif – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – il perd aussi toute attirance
« Il perd toute attirance pour la langue, perd toute attirance pour les
saveurs, perd toute attirance pour la conscience gustative, perd toute
attirance pour les contacts gustatifs. Et, envers les sensations ayant pour
cause et condition le contact gustatif – que ce soit le plaisir, la douleur,
ou ni le plaisir ni la douleur – il perd aussi toute attirance
« Il perd toute attirance pour le corps, perd toute attirance pour les
choses tangibles, perd toute attirance pour la conscience du toucher, perd
toute attirance pour les contacts physiques. Et, envers les sensations ayant
pour cause et condition le contact physique – que ce soit le plaisir, la
douleur, ou ni le plaisir ni la douleur – il perd aussi toute attirance
« Il perd toute attirance pour le mental, perd toute attirance pour les
idées, perd toute attirance pour la conscience mentale, perd toute attirance
pour les contacts mentaux. Et, envers les sensations ayant pour cause et
condition le contact mental – que ce soit le plaisir, la douleur, ou ni le
plaisir ni la douleur – il perd aussi toute attirance
« Ayant perdu toute forme d’attirance, il abandonne toute forme de passion.
Libre de toute passion, il est totalement libéré. Avec la libération totale
vient la connaissance de sa propre libération. Il comprend : « La naissance
a pris fin, la vie sainte a été vécue jusqu’au bout, la tâche a été
accomplie. Il n’y a plus rien au-delà en ce monde. »
Ainsi parla le Bouddha. Les moines se réjouirent de ses paroles et lui en
furent reconnaissants.
Et, tandis que ce sermon était donné, le cœur des mille ascètes, lâchant
tout attachement, fut pleinement libéré et purifié.