LES PYRAMIDES
VICTOR HUGO (1802 – 1885)
La légende des siècles, Nouvelle série (1877). Les sept merveilles du monde (X).VII. Les pyramides
Et, comme dans un chœur les strophes s'accélèrent,
Toutes ces voix dans l'ombre obscure se mêlèrent.
Les jardins de Bélus répétèrent : — Les jours
Nous versent les rayons, les parfums, les amours ;
Le printemps immortel, c'est nous, nous seuls ; nous sommes
La joie épanouie en roses sur les hommes. —
Le mausolée altier dit : — Je suis la douleur ;
Je suis le marbre, auguste en sa sainte pâleur ;
Cieux ! je suis le grand trône et le grand mausolée ;
Contemplez-moi. Je pleure une larme étoilée.
— La sagesse, c'est moi, dit le phare marin ;
— Je suis la force, dit le colosse d'airain ;
Et l'olympien dit : — Moi, je suis la puissance.
Et le temple d'Éphèse, autel que l'âme encense,
Fronton qu'adore l'art, dit : — Je suis la beauté.
— Et moi, cria Chéops, je suis l'éternité.
Et je vis, à travers le crépuscule humide,
Apparaître la haute et sombre pyramide.
Superposant au fond des espaces béants
Les mille angles confus de ses degrés géants,
Elle se dressait, blême et terrible, étagée
De plus de plis brumeux que l'âpre mer Égée,
Et sur ses flots, jamais par le vent secoués,
Avait au lieu d'esquifs les siècles échoués.
Elle était là, montagne humaine ; et sa stature,
Monstrueuse, donnait du trouble à la nature ;
Son vaste cône d'ombre éclipsait l'horizon ;
Les troupeaux des vapeurs lui laissaient leur toison ;
Le désert sous sa base était comme une table ;
Elle montait aux cieux, escalier redoutable
D'on ne sait quelle entrée étrange de la nuit ;
Son bloc fatal semblait de ténèbres construit ;
Derrière elle, au milieu des palmiers et des sables,
On en voyait surgir deux autres, formidables ;
Mais, comme les coteaux devant le Pélion,
Comme les lionceaux à côté du lion,
Elles restaient en bas, et ces deux pyramides
Semblaient près de Chéops petites et timides ;
Au-dessus de Chéops planaient, allant, venant,
Jetant parfois de l'ombre à tout un continent,
Des aigles effrayants ayant la forme humaine ;
Et des foules sans nom éparses dans la plaine,
Dans de vagues cités dont on voyait les tours,
S'écriaient, chaque fois qu'un de ces noirs vautours
Passait, hérissé, fauve et sanglant, dans la bise :
— Voilà Cyrus ! Voilà Rhamsès ! Voilà Cambyse !
— Et ces spectres ailés secouaient dans les airs
Des lambeaux flamboyants de lumière et d'éclairs,
Comme si, dans les cieux, faisant à Dieu la guerre,
Ils avaient arraché des haillons au tonnerre.
Chéops les regardait passer sans s'émouvoir.
Un brouillard la cachait tout en la laissant voir ;
L'obscure histoire était sur ses marches gravée ;
Les sphinx dans ses caveaux déposaient leur couvée ;
Les ans fuyaient, les vents soufflaient ; le monument
Méditait, immobile et triste, et, par moment,
Toute l'humanité, comme une fourmilière,
Satrape au sceptre d'or, prêtre au thyrse de lierre,
Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants,
Était subitement visible sur ses flancs
Dans quelque déchirure immense des nuées.
Tout flottait sur sa base en ombres dénouées ;
Et Chéops répéta : — Je suis l'éternité.
Ainsi parlent, le soir, dans la molle clarté,
Ces monuments, les sept étonnements de l'homme.
La nuit vient, et s'étend d'Elinunte à Sodome,
Ouvrant son aile où vont s'endormir tour à tour
L'onde avec son rocher, la ville avec sa tour ;
Elle élargit sa brume où le silence pèse ;
Les voix et les rumeurs expirent ; tout s'apaise,
Tout bruit s'éteint, à Rhode, en Élide, au Delta,
Tout cesse.
Œuvres complètes de Victor Hugo. Poésie VII. La légende des siècles. Ed. J.Hetzel, Paris, 1883
CYPRÈS ET PALMISTES
Cyprès et palmistes, poésies historiques. 1833. De Poirié Saint-Aurèle.
LES PYRAMIDES - SAINT-JEAN-D'ACRE
Omnis Eo terrore Ægyptus, et Indi,
Omnis Arabs, omnes vertebant terga Sabæi.
Virgile.
L'aurore, déployant son prisme magnifique,
Colore par degrés l'horizon arabique,
Et la terre d'Egypte où repose Memnon,
Et la verte oasis, et les sables d'Ammon.
Mourad, dont ce grand jour doit revoir la défaite,
Tourné vers l'Orient, adore le Prophète.
Jadis de Circassie esclaves achetés
Les fameux Mamelucks dont la fortune étonne,
Traversant tour à tour l'échafaud et le trône,
Asservirent enfin des maîtres détestés.
Mais Sélim, subjuguant l'Égypte et la Syrie,
Épuisa dans leur sang sa longe barbarie.
Que peut un joug d'airain contre le désespoir ?
Le Mameluck brisa le roseau du pouvoir.
Dès lors des Ottomans la prudente faiblesse
Redoutant de ce corps l'active hardiesse,
Frémissant du passé, tremblant pour l'avenir,
Dévora mille affronts qu'elle n'osait punir.
D'horribles souvenirs, une antique querelle,
Rendent des Mamelucks la vengeance immortelle.
Les sceptres de l'Égypte en leurs mains sont tombés.
Mourad-Bey dominait sur les Cheicks et les Beys.
Ce vassal des sultans d'un reste de prudence
Voile de ses projets l'altière indépendance.
Mourad a fait ranger ses guerriers au combat.
Son turban rayonnant des perles de l'Asie
Comme un astre enflammé brille d'un vif éclat.
Il monte un coursier d'Arabie
Qui bondissant sous son poids glorieux,
Porte sur son poitrail les noms de ses aïeux.
L'Arabe dédaignant une illustre faiblesse
Abandonne aux coursiers l'orgueil de la noblesse.
Mourad, superbe et confiant,
Parcourt ses milices terribles,
Ces centaures nouveaux jusqu'alors invincibles,
Et dont la renommée a rempli l'Orient.
Effroi des voyageurs, ardent, infatigable,
L'Arabe vient grossir cette troupe indomptable.
Le Croissant réunit dans ce jour solennel
Les tyrans de l'Égypte et les fils d'Ismaël.
Emblème de la force unie à la mollesse,
Leur armure éblouit de luxe et de richesse ;
Les perles de Bahrem, les tissus du Thibet
En turbans onduleux roulés avec souplesse,
Charment l'oeil incertain d'un volage reflet ;
Et les kaftans d'honneur, les flottantes pelisses,
Décorent les héros de ces braves milices.
L'attaque d'Ismaël c'est le vent du désert,
Son sabre c'est la mort, et sa fuite un éclair.
De cet enfant déchu la fidèle mémoire
Luit redit quelquefois les beaux jours de sa gloire,
Son prophète fougueux dont les sanglantes mains
Ont jeté le Coran aux stupides humains,
Cet Haroûn dont le nom grandit avec les âges,
Et les jours de Grenade, et les Abencerrages.
Étranges changements du sort des nations !
O destins des mortels ! ô fortune bizarre !
Un farouche Bédouin foule d'un pied barbare
Les champs de Sésostris, l'urne des Pharaons !
Le Temps, qui brise tout sous ses pas homicides,
Fatigué, s'est assis au pied des Pyramides.
Du vieillard moissonneur la faux a respecté
Ces phares de la mort et de l'éternité,
Ces Babels du désert, ces archives royales
Où l'Égypte a laissé des cercueils pour annales.
De grands rois ont bâti ces funèbres prisons,
Mais les vers du sépulcre ont dévoré leurs noms.
Le soleil, du Sina frappant les flancs arides,
De ses premiers rayons dorait les Pyramides ;
Et déjà du désert triomphateurs heureux
Les soldats de la France
Etonnés, saluaient, sur l'horizon immense,
Ces géants couronnés d'auréoles de feux.
Bonaparte, enivré de gloire et d'espérance,
Rempli de ses destins et des héros passés,
Laissa tomber ses mots rapides :
« Quarante siècles amassés
Vous contemplent, Français, du haut des Pyramides. »
Les sublimes accents de cet homme du sort
Enflamment leurs coeurs intrépides
D'un besoin inquiet de victoire ou de mort.
Frappé d'une terreur subite,
Il fuit, le sauvage Ismaël,
Comme autrefois l'Amalécite
Devant les princes d'Israël.
L'ombre auguste des Ptolémées
A vu ces pompeuses armées
S'évanouir comme l'éclair ;
Ces Mamelucks si redoutables
Furent chassés comme les sables
Devant les sumoûn du désert.
Ouvrez-vous, Thèbes aux cent portes ;
Ouvrez-vous, temples d'Osiris !
Recevez nos jeunes cohortes
Dans la cité de Busiris.
Des cataractes de Nubie
Jusqu'aux rochers de l'Arabie
La France a consacré son nom,
Et Alexandre de notre âge
Dans sa fortune et son courage
Trouva les oracles d'Ammon.
Mezraïm est soumis.
Cette terre classique,
Ce berceau révéré de la sagesse antique,
Des savants de la France attire le regard ;
Des prêtres de Memphis ces héritiers célèbres
Vont chasser les ténèbres
Du temple encor fumant de la torche d'Omar.
L'Égypte tout entière est donnée au génie.
Des temps qui ne sont plus la pompe est rajeunie.
L'obélisque et le sphinx vont livrer désormais
Leurs symboles cachés sous des voiles épais
Le ciel de Mezraïm, son fleuve solitaire,
Ses temples, ses cités, n'auront plus de mystère.
Si le fer a vaincu de jeunes nations,
La science a conquis le temps des Pharaons.
Tandis que le génie en sa noble carrière
Consulte du passé la savante poussière,
Bonaparte a brandi son glaive dévorant.
La fortune est pour lui. Que son destin s'achève !
Que l'Orient croie à son glaive
Ainsi qu'aux versets du Coran !
Il part, et l'Asie alarmée
Qu'il s'ouvrit dans Arsinoé
Le contemple aux champs d'Idumée
Ainsi qu'un autre Josué.
Enorgueilli de ses oracles,
Aux jours de ses anciens miracles
Juda crut se trouver encor
Lorsqu'il vit la troupe intrépide
Des vainqueurs de la Thébaïde
Triompher au pied du Thabor.
Couverts d'une céleste gloire,
Thabor, Nazareth, lieux sacrés,
Par le Christ et par la victoire
Pour nous à jamais consacrés !
Sol de prodige et de mystère !
La France a couvert votre terre
Des prodiges de ses hauts faits,
Et les annales de Solyme
Unissent d'un lien sublime
Le ciel et les héros français.
D'une morne stupeur, l'Asie était frappée.
Mais dans Ptolémaïs, par un jeu du hasard
Un Français* exilé dans le camp de Djezzar
Écarte du vainqueur la foudroyante épée.
Ptolémaïs est libre et ne craint plus les fers.
L'Asie est délivrée ; et le destin fidèle
Ménageant au héros ce fortuné revers
Lui réservait ailleurs sa carrière immortelle.
L'Égypte le revoit, la France le rappelle.
Avant de se jeter dans son vaste avenir
Il laisse aux Osmanlis un dernier souvenir.
A Dessaix, à Kléber il lègue sa conquête ;
Et, grand comme le monde, aux enfants du Prophète
Il fait ses longs adieux dans le champ d'Aboukir.
* Phélippeaux
NEFERTITI
Nefertiti. Poem by John May
Beneath the skies of goddess Nuit
There lies my passion's sole pursuit …
It's her- whose flesh is beauty's claim-
A Nubian of Pharaoh's name:
Beauteous Nefertiti- hail …
Arise, dear love, leave crook and flail,
And let us from this palace flee
So we in silent love can be.
The moon has known our hidden plight,
And we her sacred silver light-
And all in company as one
Our secret keep from Aten's sun.
How joyful though this hidden pledge
That loving wades the water's edge,
That hand in hand reflects the bliss
Of lovers raptured in a kiss.
But now that crimson light and hue
Disperses all our midnight blue,
And soon that sacred god will rise
And cast his cope upon our skies.
So know, before alas we part,
That you, dear queen, are all my heart;
That even now I pine to see
Tomorrow's moon and you with me.