UNE AUBE POSSIBLE POUR DE NOUVELLES STRATÉGIES D'ÉDUCATION

 

 

Serait-il possible de dispenser aux générations montantes de nos intelligentsias une éducation d'un autre type ? Une éducation qui les préparerait à des attitudes de bienveillance et de tolérance ? Une éducation qui les mettrait en mesure de ne point surestimer les capacités de raisonnement collectives des sociétés auxquelles elles appartiendraient ? Mais une éducation qui ne les dissuaderait pas pour autant d'étudier, de travailler et d'entreprendre ?

 

On a eu l'occasion d'évoquer plus haut le « mal d'Effendia », un mal qui frappe désormais presque toutes les intelligentsias du monde, et dont on a montré qu'il entretient des relations de corrélation évidentes avec nos systèmes contemporains d'éducation, scolaires et universitaires. On ne saurait donc imaginer que le prix à payer pour une rémission de ce mal n'inclue pas finalement un effort de révision complète et de réorganisation de tous nos systèmes d'éducation.

 

Sans vouloir énoncer immédiatement ici toutes les caractéristiques selon nous assignables à cette « éducation d'un autre type », nous pouvons cependant raisonnablement déjà, sur base de ce qui a été dit à propos du « mal d'Effendia », en énumérer au moins quelques traits particulièrement souhaitables qui seraient les suivants :

 

 

Premier impératif à retenir

Cette éducation devrait autant que possible et partout favoriser l'apparition de trêves sur le front particulièrement agité des affrontements entre idéologies. Et le moyen n'en serait pas, comme la chose a été essayée dans le passé, une entreprise systématiquement négative de dénonciation globale de toutes les idéologies quelles qu'elles soient au nom d'un « savoir » supposé a-idéologique.

 

Il faudrait au contraire faire comprendre aux générations montantes que la condition humaine est toujours un voyage à travers les idéologies ; qu'on ne peut pas entretenir de relations avec un quelconque groupe social sans un minimum de participation aux idéologies portées par ce groupe, idéologies qui sont nécessairement autre chose que du savoir. Vis-à-vis donc de ces idéologies en général, il n'est point d'autre attitude raisonnablement recommandable qu'un mélange d'ouverture bienveillante et de scepticisme. Bienveillance nécessaire en effet, dans la mesure où un refus complet de toute idéologie équivaudrait à un refus complet des autres et à un refus de soi-même. Mais scepticisme nécessaire aussi, dans la mesure où l'on sait que les idéologies auxquelles on est conduit à participer se déterminent essentiellement au gré du hasard des appartenances sociales et des rencontres.

 

Or est-il besoin de rappeler le rôle central que l'idée d'un voyage à travers les idéologies occupe aujourd'hui dans les définitions modernes assignées à la profession d'ethnologue ? Toute perspective d'éducation donc remplissant la première condition que nous venons de poser, finira par s'apparenter d'une manière ou d'une autre à une vision ethnométhodologique (ou ethnologique pour le moins) des relations qui ont lieu de se tisser entre les idéologies et le savoir.

 

 

Second impératif

Il ne devrait être nullement question non plus d'accepter qu'une victoire sur le « mal d'Effendia » s'obtienne au prix d'un quelconque dénigrement ou abaissement de notre culture, ni des cultures des autres peuples, ni des richesses de savoir et de savoir-faire constituant les acquits de ces cultures. Jamais une société humaine digne de ce nom ne devrait renoncer à transmettre aux générations montantes les acquits culturels de son présent et de son passé.

 

Or, est-il besoin de dire qu'un tel impératif de respect des cultures s'inscrit exactement lui aussi dans les définitions modernes que se donnent d'elles-mêmes tant l'ethnométhodologie que l'ethnologie ? Les cultures doivent être respectées  en toutes les dimensions dans lesquelles elles s'étendent, qu'il s'agisse d'ethno-croyances, d'ethno-savoirs, d'ethno-techniques, d'ethno-sciences ; elles doivent l'être pour la raison surtout qu'elles s'incarnent inévitablement aussi dans des personnes ; et que la déontologie de l'ethnologie impose que l'on respecte toute personne et toute ethnie, quelles qu'elles soient et où qu'elles soient.

 

Comment ne pas réclamer qu'a fortiori aussi un système d'éducation mis en place par notre propre société tienne compte à son propre égard cette déontologie, et respecte en les présentant aussi positivement que possible, tous les courants de pensée constitutifs de notre culture, dans son présent comme dans son passé ? Comment ne pas exiger donc que tout système d'éducation nouveau, quel qu'il soit, qui viendrait à être mis en place par notre propre société, respecte nos sciences, respecte les disciplines actuellement enseignées dans nos universités, puisque celles-ci sont les ethno-sciences, les ethno-techniques et les ethno-croyances de notre propre civilisation ?

 

Dans le système d'éducation « d'un autre type » auquel nous pensons, les mêmes matières qu'aujourd'hui devraient donc être enseignées, avec pour l'essentiel les mêmes contenus. On continuerait à apprendre les mêmes sciences, les mêmes techniques. Les bons ouvrages resteraient les bons ouvrages, et l'on ferait en sorte qu'ils soient encore lus. Le même respect devrait continuer à être prodigué à leurs auteurs, ainsi qu'aux nombreux héros historiques dont la mémoire s'est perpétuée à travers les siècles passés. A peu près tout donc, dans le choix des éléments de cette nouvelle éducation, resterait semblable à l'état d'aujourd'hui. Presque tout serait pareil ; mais tout y serait finalement d'une certaine manière aussi différent, grâce à l'éclairage d'un autre regard, inspiré précisément de ceux de l'ethnologie et de l'ethnométhodologie.

 

 

Troisième impératif

Il ne devrait nullement être question qu'une « éducation d'un autre type », telle que celle à laquelle nous songeons, renonce complètement à l'idée d'un « savoir » absolu, c'est-à-dire d'un corps central de connaissances :

—    universellement partageable entre tous les membres des intelligentsias ;

—    complètement inattaquable en tant que savoir, c'est-à-dire complètement insoupçonnable de se situer dans la dépendance d'une quelconque idéologie ;

—    complètement orienté vers une perspective d'ouverture au monde et à tous à travers une démarche d'enrichissement pragmatique permanent ; et non point fermé sur lui-même, à la manière des dogmes de certaines idéologies ou de certaines religions.

Nous ne concevrions pas en effet que les intelligentsias du monde puissent entretenir collectivement un autre projet que celui d'être, de plus en plus brillamment, « porteuses de lumière », et d'être en cela les dignes continuatrices des grandes ambitions héritées de Condorcet, d'Auguste Comte, et des Encyclopédistes.

 

Or nous avons vu précisément que malgré son relativisme apparent, malgré sa bienveillance universelle à l'égard de toutes les ethno-croyances et de toutes les ethno-sciences, l'ethnométhodologie ne propose nullement un programme de démission du « savoir » en tant que tel, i.e. comme entité radicalement et résolument distincte de toute idéologie.

 

Certes, au regard des systèmes d'éducation actuellement en fonctionnement un peu partout dans le monde, ce « savoir ethnométhodologique » fait encore figure d'objet étrange. Ce « savoir » n'est pas constitué en effet, comme par le passé, d'une accumulation de choses sues. Il se compose :

—    au plan de l'universel, d'un ensemble abstrait de procédures, qui sont les procédures cognitives que recommande l'ethnométhodologie ;

—    et au plan du savoir de chacun, d'une accumulation qui prend la forme de la mémorisation d'une histoire cognitive ; chaque personne devant garder le souvenir des situations rencontrées, des choses lues, des choses vues, et du résultat qui a été obtenu en appliquant à ces situations les procédures de connaissance recommandées par l'ethnométhodologie.

 

Certes, le contenu de ce nouveau corps de savoir peut paraître étrange, et pour les générations déjà formées, il sera difficile de s'habituer à l'idée :

—    que le savoir tel qu'il avait été conçu par elles jusqu'alors n'était en réalité qu'un ethno-savoir ; le rôle de « savoir dans l'absolu » ne pouvant désormais être dévolu qu'à une méthodologie abstraite, une manière d'apprendre, bref à ce que l'on considérait auparavant comme étant un méta-savoir, une épistémologie, et non point directement un savoir au sens où ce terme était antérieurement envisagé.

 

Mais par contre, pour des générations montantes, l'apprentissage de cette nouvelle perspective ne devrait pas faire de problème ; s'agissant précisément pour celles-ci d'une première acquisition de la notion de « savoir » et d'un premier regard sur les modalités d'organisation des processus de connaissance. La priorité nouvelle du « comment apprendre » sur l'ancien « que faut-il avoir appris » conduit très naturellement à identifier procéduralement les deux choses ; ce qui ne serait pas possible dans le cadre d'un système de priorités inverses.

 

Et quant à la difficulté inhérente à l'abstraction de l'épistémologie, on ne doit pas la surestimer. Certes, l'épistémologie est à la connaissance commune dans une position un peu comparable à celle du « bourbakisme » d'il y a trois décennies vis-à-vis des mathématiques. Pour les générations qui avaient été formées par un système antérieur d'éducation, les abstractions ensemblistes du bourbakisme (i.e. des mathématiques dites « nouvelles ») faisaient figure de rébus et de casse-tête. Mais on se souvient que, passant outre à ce préjugé commun, les programmes d'enseignement officiels des mathématiques firent une large place aux « mathématiques nouvelles » dès les niveaux les plus modestes de l'enseignement secondaire ; et il se révéla alors que les abstractions bourbakistes pouvaient être assimilées sans peine par des enfants de dix ans.

 

Par référence donc à ce précédent, rien ne s'oppose à notre avis à ce que soient mis en place, dès ces mêmes niveaux modestes du secondaire, des enseignements épistémologiques axés sur la priorité des notions de « Savoir apprendre » et « Comment savoir apprendre ? », de « Quelles procédures utiliser pour apprendre ? » « Comment regarder le monde ? » « Comment observer les mutations incessantes du sens des mots dans le langage ? » Ces enseignements seraient ensuite largement repris, étendus et développés dans les universités.

 

 

Quatrième impératif

L'éducation « d'un autre type » à laquelle nous songeons devrait (à la différence de ce qui se produit aujourd'hui) orienter les générations montantes vers des attitudes de responsabilisation plutôt que de non-responsabilité.

 

Sur le plan conceptuel, cette responsabilisation s'introduit d'abord comme une conséquence évidente de la priorité donnée à l'épistémologie. Le savoir n'est plus présenté comme un immense stock de connaissances toutes préparées sous la surveillance et la responsabilité supposées du corps social, destinées à être simplement enregistrées et reproduites par chacun sans responsabilisation particulière de chacun à l'égard de leur contenu. Dans la nouvelle perspective qui est proposée, chacun est personnellement responsable du contenu de ce qu'il a appris, devant constamment être en mesure de prouver que, pour cette acquisition, les procédures du « bien apprendre » ont convenablement été respectées.

 

Mais cette responsabilisation devrait s'étendre aussi au plan factuel (qui n'est du reste pas en lui-même vraiment distinct de celui du savoir ; car au sens de l'ethnométhodologie, apprendre suppose que l'on porte des jugements sur le monde ; et porter de tels jugements, c'est déjà en une certaine manière contribuer à transformer celui-ci ; c'est déjà donc agir).

 

Lors des grèves et des manifestations étudiantes de décembre 1986 à Paris, beaucoup de banderoles affichaient des slogans très radicaux, concernant une presque gratuité nécessaire des études universitaires. Mais, à notre connaissance, aucune banderole n'est venue réclamer :

que les étudiants soient autorisés à participer directement eux-mêmes à l'entretien des locaux universitaires, par exemple en constituant des équipes de balayage, ou encore des équipes de peinture pour la remise à neuf de ces locaux, ou des équipes d'entretien électrique et d'entretien de plomberie ;

en échange de quoi les étudiants en question seraient par exemple payés par une dispense totale de tous droits universitaires ; par des distributions de livres gratuits ou de matériel scientifique gratuit utilisable par eux pour effectuer des travaux à leur domicile ; ou par des priorités dans l'attribution de bourses d'études.

 

Les budgets consacrés par les universités à l'entretien de leurs locaux sont considérables ; et le sont d'autant plus que les étudiants d'une manière générale s'en déresponsabilisent, acceptant que certains d'entre eux salissent et dégradent impunément ces locaux. Ne serait-il pas souhaitable que l'acquisition d'une attitude de responsabilité commence à s'exercer sur les lieux mêmes où l'enseignement universitaire est dispensé ?

 

 

Cinquième impératif

L'éducation « d'un autre type » à laquelle nous pensons devrait précisément veiller à empêcher les générations montantes de s'enfermer dans des pièges de systèmes fermés de logos :

—    d'une part certes en leur faisant savoir que les langues naturelles ne fournissent que des reflets très imparfaits des réalités du monde (notion ethnométhodologique de « réflexivité ») ;

—    mais surtout en les incitant à compléter la connaissance verbale par toutes formes possibles de connaissance non verbale.

Dans cet esprit, l'acquisition accessoire de techniques manuelles devrait être encouragée. Rappelons à ce sujet une expérience qui avait été réalisée à l'Université Paris VII sur la proposition et l'initiative de l'ethnologue Robert Jaulin : en ethnologie, pendant de longues années, il avait été dispensé à certains étudiants de fort utiles connaissances de menuiserie dans le cadre d'enseignements d' « ethno-menuiserie ».

 

Et pour en revenir à la question des travaux d'entretien mentionnés plus haut, de telles activités ne donneraient-elles pas l'occasion d'organiser, dans les universités, des initiations à des professions manuelles de peintre, d'électricien ou de plombier ; formations annexes fort utiles peut-être dans l'avenir à ceux qui les recevraient, en cas de chômage au niveau des emplois « intellectuels » principalement souhaités par ceux-ci ?

 

 

Sixième impératif

L'éducation d'un autre type à laquelle nous songeons devrait habituer les générations montantes à l'idée d'un monde en situation permanente de création locale continue ; monde au sein duquel les langues naturelles elles-mêmes sont en continuelle mouvance, avec divergence perpétuelle des significations localement assignables à n'importe quel concept.

 

Rappelons qu'une conséquence importante de ce principe met en cause la nature des relations entretenues entre la notion de planification et celle d'innovation. Sa méconnaissance commune dans les systèmes actuels d'éducation est porteuse à notre avis d'immenses dangers ; accréditant dans l'esprit du public l'idée absurde d'une planification qui pourrait fonctionner sans assistance locale constante de fonctions innovatrices.

 

Nous avons souligné plus haut que la « dérive » du langage était un phénomène irrémédiable. C'est là un phénomène à vrai dire bien connu des juristes et depuis longtemps, notamment de ceux qui établissent des contrats entre entreprises. Chacun sait en effet que tout contrat « initial » définit un ensemble de droits et obligations des parties contractantes, et qu'ensuite, il y a ce qu'on appelle la « vie du contrat » : les circonstances ayant changé, telle ou telle fourniture prévue n'ayant pas pu être effectuée comme il fallait, l'on arrive à se mettre d'accord sur autre chose, bref, le sens des mots glisse et avec lui celui du contrat, qui « vit » en effet, qui s'adapte.

 

Cette même problématique se retrouve dans tout effort de planification : le prix du pétrole change, on le remplace par du charbon ou du nucléaire ; du fait de la sécheresse ou des inondations, la production agricole n'est pas au rendez-vous, il faut importer du blé, donc exporter davantage, etc.

 

Il s'ensuit que rien ne peut être planifié in abstracto avec une complète exactitude contrairement à ce que beaucoup de gens pensent et que, bien au contraire, la réalisation apparente de tout plan suppose qu'il soit fait face à des événements imprévus.

 

Or, comment faire face à des événements imprévus sinon en innovant ?

 

On voit bien ainsi qu'un groupe social incapable d'innover est aussi incapable de réaliser aucun plan et c'est bien ce que l'on observe en effet en URSS et dans tous les pays du « bloc de l'Est » où l'innovation est pratiquement interdite par le « système » ; tandis qu'au Japon, pays où l'innovation fait partie intégrante du « système », on est capable de suivre un plan.

 

Surprenant à première vue quand on raisonne en théorie sociologique classique, ce fait apparaît comme une évidence première lorsque l'on raisonne comme nous en termes d'ethnométhodologie ; mais l'on sait, hélas, que des générations entières d'Effendis ont été formées à penser en des termes complètement différents.

 

Pour ces générations, il semblerait que la planification représente pratiquement tout et l'innovation pratiquement rien : perspective anti-scientifique et anti-matérialiste à notre avis (puisque négligeant la dérive du langage) mais qui a été, hélas, prônée trop longtemps comme représentative du nec plus ultra d'une soi-disant science matérialiste pour que l'on s'en défasse aisément.

 

La question du devenir d'une société qui s'interdit l'innovation a hanté l'esprit d'un auteur tel que Prigogine. Les raisonnements que l'on peut conduire en termes d'entropie conduisent à souhaiter que toute société :

innove certes ; mais bénéficie aussi à cet effet d'apports continuels d'informations singulières nouvelles fournies par l'observation du réel.

Pour réaliser des plans quels qu'ils soient, il faut en effet innover ; mais pour innover, il faut avoir au préalable immensément observé (ce que font, comme chacun sait, les employés des firmes japonaises, qui parcourent le monde le Nikon à la main, collectionnant les observations dans le monde entier).

 

De tels impératifs se situent hélas aux antipodes du genre d'éducation dispensée à beaucoup d'Effendis du monde.

 

En de très nombreux pays, l'apprentissage d'un seul et unique catéchisme idéologique passe encore pour un impératif d'éducation essentiel, l'observation du monde et la créativité étant tenues pour des activités accessoires sinon même dangereuses ; alors qu'à l'évidence la restriction de la vision au champ d'un seul ensemble de « présupposés » et « allant de soi » a quelque chose d'étrangement appauvrissant, au sens figuré mais aussi au sens propre, soulignons-le : ces pays qui « for ment » ainsi leurs élites (c'est-à-dire les déforment ainsi) sont tous voués à demeurer des pays pauvres, on le constate du reste ; tandis que les Japonais, eux, ne procèdent pas ainsi, et s'enrichissent... Comment transformer de la matière en richesse, si l'on n'a pas considérablement observé ?

 

On connaît les ravages causés à la science soviétique par les théories grossièrement erronées de Lyssenko. Mais en réalité le phénomène dont nous voulons parler ici va bien au-delà : n'oublions pas que c'est depuis 1917 que l'URSS vit tragiquement le mythe d'une planification centralisée qui, en à peu près soixante-dix ans, n'a réussi finalement qu'à hisser le niveau de vie des citoyens seulement au stade du tiers ou de la moitié du nôtre, alors que les rodomontades des dirigeants, Lénine y compris déjà, ne cessaient d'annoncer triomphalement un dépassement rapide du standard de vie américain, tenu disaient-ils pour certitude « par voie de raisonnement déductif ».

 

L'on sait aussi qu'en URSS la créativité tant attendue « des masses » et l'innovation se sont effondrées à un point tel que seule la création de toutes pièces d'une industrie lourde de l'espionnage a pu éviter le désastre.

 

Ce n'est donc pas de spéculations idéologiques ou philosophiques « pures » qu'il s'agit ici, mais bien de théories aux conséquences les plus concrètes, en termes de niveau de vie et, parfois, aussi, rappelons-le, de millions de morts.

 

Un cas particulièrement extrême est bien entendu celui où l'on recherche une transformation complète de la « réalité » par l'application la plus brutale de l'idéologie la plus sommaire, en vue de créer immédiatement. et tout de suite, une sorte de « surréaliste », « la » réalité devant se plier comme tout naturellement à la volonté de quelques penseurs Effendis. Ce genre de rêve n'a, on le sait, jamais débouché que sur les désastres les plus grands, en Chine, au Cambodge et ailleurs, en dépit de l'enthousiasme suscité initialement ici ou là par les théories qui étaient préconisées.

 

De nouvelles stratégies d'éducation inspirées de l'ethnométhodologie devraient donc, à notre avis, attribuer une importance capitale au développement et au contrôle des facultés d'innovation ; ce qui supposerait notamment :

—    de nombreux exercices intellectuels créatifs ;

—    le développement de réflexions suivies et pertinentes en vue de la compréhension par chacun du rôle du facteur création dans sa culture personnelle ; mais aussi une prise de conscience des limites inhérentes au processus.

La diffusion aujourd'hui croissante des enseignements de l'ethnométhodologie va-t-elle représenter une aube favorable à l'apparition partout dans le monde de nouvelles stratégies d'éducation ? C'est ce que pour notre part, très vivement, nous croyons et désirons, dans l'espoir notamment d'une modération des désastres occasionnés par « l'effet Effendia » un peu partout dans le monde, là où il y a des « éduqués ». Après un e siècle de bas Moyen Age, nous espérons et attendons une « Renaissance ».