QUESTION 10 (Indexicalité, et objet de la discipline ethnologique)

On ne trouve  point de statistiques dans les extraits qui ont été cités plus haut, en provenance des "Chroniques des Guayaqui" de pierre Clastres (question 4, question 3). Or il est de fait que le reste de l'ouvrage n'en contient guère non plus. Point de dénombrement d'indiens, d'évaluation de revenu
point par tète. Point de décompte global sur une semaine, un mois, une année, des animaux ramenés de la chasse, ou bien de fruits cueillis dans la forêt. Point de bilan de fabrication des paniers issus de l'artisanat indien guayaki. Point de quantité d'arcs et de quantité de flèches. Point de statistique de mariages, de divorces, de suicides. Lorsqu'il y a des choses semblables, Clastres n'a donc pas le réflexe de les additionner. Mais il s'étend beaucoup sur les différences : Aché qui ne sont plus des Aché ; nourritures qui ne sont pas des nourritures ; causalités qui ne sont pas des causalités. Ses sujets sont donc des paradoxes du type "X =/= X"
 

On demande:

1) de dire si votre expérience de lecture d'écrits ethnologiques en général recoupe l'observation faite ci-dessus : pratiquement point de statistiques, mais beaucoup de constats de différences et beaucoup d'exotismes paradoxaux ;

2) d'en déduire que l'indexicalité pourrait servir de base à une définition du champ de l 'ethnologie ; de montrer qu'un avantage d'une telle présentation de la discipline serait d'exclure d'emblée la prise en considération de "faits sociaux", tout en assignant clairement un champ à l'ethnologie du quotidien" ; et en fixant des impératifs de méthode.
 

REPONSE à la question 10

1) Il est de fait que la littérature occidentale est très pauvre en évaluation quantitatives et très riche en descriptions de comportements exotiques paradoxaux ; ces derniers étant présentés à travers des éclairages qui les font apparaître comme à la fois semblables à et différents de ceux de notre civilisation, donc comme de type "X == X".

2) La prise en compte d'effets d'indexicalité joue donc en ethnologie un rôle essentiel. L'indexicalité pourrait-elle donc servir de base à une définition de l'ethnologie et de son champ ? Nous pensons pour notre part qu'il s'agit non seulement d'une option possible, mais de la meilleure que l'on puisse actuellement proposer.

Cette définition devrait faire intervenir le concept intermédiaire d' "accountabilité", déjà évoqué dans la question 8. Le travail de l'ethnologue consisterai. principalement à produire des

            Ai,m(Aj,n (U))

c'est à dire des "racontabilités" de "racontabilités" de l'Univers.

Dans les exemples de la question 9, on avait pu voir Pierre Clastres aller en effet bien au-delà de simples descriptions factuelles. La question n'était pas seulement de rendre compte de repas cannibales, mais de raconter la "racontabilité" du cannibalisme, en ternes d'investigations effectuées "du dedans", c'est à dire en termes de bonne morale cannibale et de civilités cannibales puériles et honnêtes. Autrement dit donc en termes de :

        Ai,m (Aj,n (U)).

ce formalisme pourrait également servir à définir les tâches de l'ethnologie de l'imaginaire, et bien entendu celles aussi de l'ethnologie du quotidien.