III - CONSTRUCTION  D'AUTOMATES GENERATEURS DE MYTHES

 

Parallèlement à ces travaux d'exploration de terrain, le laboratoire d'études des sectes et mythes du futur en Occident au XXème siècle en favorise d'autres, centrés sur des axes de recherche en apparence complètement différents : il s'agit de travaux de construction d'automates qui sont les suivants :

 

- construction d'apôtres automatiques conversationnels ; c'est à dire de programmes tendant à simuler sur ordinateur des comportements verbaux d'adeptes de sectes

 

- à cet effet, construction du "grammaires génératives de mythes de sectes "

 

- collationnements particuliers de mythes du futur (apocalyptiques ou autres) en Occident  au XXème siècle, et construction de grammaires génératives permettant de les manipuler commodément par grandes masses.

 

En fait, le choix de ces axes de recherche s'inspire de préoccupations épistémologiques extrêmement convergentes (avec celles ayant inspiré les choix d'axes de recherche pour les travaux de terrain. Il s'agit, ici encore, d'énumérer les taches ouvertes à la science ethnologique lorsque l'on pose en principe que cette discipline doit exclure l'existence d'universaux.

 

 

A) Refus des universaux, et recours à des objets de remplacement qui sont des procédures et que l'on peut chercher à simuler par des automates.

 

On verra que toute une série d'opportunités épistémologiques viennent justifier l'irruption de techniques informatiques en ethnologie, en relation avec le refus des universaux. Et tout d'abord l'observation que le refus des universaux conduit souvent l'ethnologue qui assume cette attitude (comme le fait R. Jaulin) à raisonner sur des objets de remplacement, qui sont des procédures. Des significations universelles n'existent pas dans l'absolu ; mais en usant de la procédure consistant à subir " l'initiation Sara " ou en participant aux " danses du soleil " des indiens, on fait surgir des significations locales. Le sens (i.e ce qui en reste en l'absence d'universaux)  apparait ainsi comme le résultat d'une procédure. Or, il se trouve qu'en informatique une des difficultés essentielles de la construction et de l'emploi de banques de données tient au fait que celles-ci ne permettent jamais de manipuler des significations absolues, mais simplement des procédures.

 

L'ethnologie sans universaux de R. Jaulin constitue donc un univers de référence privilégié pour informatique.

 

Et inversement, on peut dire que le recours à des automates comme instruments de recherche s'introduit naturellement en ethnologie dans toute réflexion ouverte à partir de le suppression des universaux.

 

 

B) Refus des universaux, et recours à des grammaires génératives.

 

La stratégie du remplacement du sens pur des procédures n'est pas la seule que l’on puisse utiliser afin de refuser les universaux. Une autre manière d'exercer ce refus consiste à s'abstenir de référer des significations.

 

Cette abstention est de toute manière tôt ou tard nécessaire, si l'on veut éviter la régression infinie d'une procédure renvoyant à une autre procédure, qui renvoie elle-même à une autre procédure, et ainsi de suite;

 

Or, la linguistique générale propose d'associer à toute famille (finie ou infinie) des phrases quelconques, considérées sans référence à une signification, des "grammaires génératives".

 

Avec les grammaires génératives, nous prenons donc possession d'instruments permettant de manipuler des êtres linguistiques en laissant de coté leur sens, ce qui est une certaine manière de refuser les universaux.

 

Certes, en attirant les grammaires génératives vers des emplois de ce type, nous les détournons certainement des modes d'utilisation normalement proposés pour elles en linguistique générale ; car on sait que cette dernière discipline s'inspire, à peu près unanimement, de points de vue positivistes. Les linguistes vivent d'habitude dans la croyance que le monde existe, que le monde contient des objets, et que la vocation principale ou langage est de désigner les dits objet. Mais le fait que l'univers philosophique de la plupart des linguistes soit souvent plutôt limité ne nous interdit pas d'utiliser une grammaires génératives à des fins non imaginées par eux, et notamment avec l'intention :

 

- d'éviter de référer des significations.

- ceci pour la raison que l'on conteste un principe l'universalité des significations ; c'est-à-dire parce que l'on conteste les universaux.

 

 

C) Refus des universaux, et recours à des extensions de la notion de mythe.

 

Une troisième stratégie, pour contester les universaux, et pour refuser donc d'accorder normalement un sens au langage, est celle qui consiste à poser en principe que toute signification est subjective et relève du domaine de l'illusion. Les phrases n'ont jamais un "vrai sens" ;

 

Considérée du point de vue d'une ethnologie sans universaux, les objets linguistiques ne sont pas véritablement associés à des significations. Rien n'a vraiment de sens (universel), et il devient nécessaire de trouver de nouveaux termes permettant de désigner des objets linguistiques tout en rappelant qu'on ne leur reconnaît pas d'aptitude à référer un sens véritable.

 

Les vocables de "phrase" ou de "discours" sont mal adaptés, car la coutume est de leur associer un sens. Par contre l'acception habituelle du terme "mythe" se rapproche assez bien de la désignation d'un élément du discours

 

- qui possède une certain importance au yeux de son locuteur, de ses auditeurs, cette importance pouvant être par exemple affective, ou liée à un plaisir d'entendre ou de dire

 

- mais qui ne fait cependant pas référence à une signification pertinente et réelle.

 

En fait, dans le sens conventionnel où nous utilisons ici le vocable de "mythe", toute phrase écrite ou prononcée par une créature humaine est un mythe, puisque les universaux (et donc les significations) n'existent pas. Bien que n'ayant pas de sens, ces phrases (que nous disons "mythes" pour souligner l'absence de signification) ne sont pas interchangeables ; elles se groupent par familles qui sont spécifiquement relatives à différents critères.

 

En prenant cette convention de vocabulaire, on est en outre conduit à considérer que les groupes humains, et les personnes qui les composent sont des générateurs de mythes (et ne génèrent d'ailleurs rien d'autre du point de vue linguistique).

 

 

D) Rôle central de la notion de "grammaires génératives de mythes" en ethnologie anti-universaliste.

 

Conceptuellement, la notion de "grammaires génératives de mythes" réalise la synthèse des trois stratégies anti-universalistes que l'on vient de décrire. De tels objets

 

- annoncent dès l'abord que s'ils viennent à référer des significations, celles-ci seront biaisées et irréelles, s'agissant de mythes.

 

- mais sont par ailleurs conçus de manières à éviter précisément de référer des significations, biaisées au non.

- et sont par ailleurs enfin des automates formels, ce qui apporte une ultime protection vis à vis du sens (les automates peuvent faire référence à des procédures, mais non à des significations).

 

Sur un plan plus concret, un peut dire que les "grammaires génératives de mythes" jouent un rôle central au niveau de la plupart des applications ou expériences développées au "laboratoire d'étude des sectes et mythes du futur" de l'U.E.R (l'ethnologie de Paris VII ; ceci

 

- soit à titre principal : certains travaux ont directement pour objet le construction de telles grammaires génératives.

 

- soit à titre auxiliaires : certains automates que le laboratoire essaye de construire doivent, pour être fonctionnels, incorporer en eux-mêmes une ou plusieurs de ces grammaires génératives de mythes.

 

 

E) Travaux de collationnement de mythes du futur en Occident eu XXème siècle, et construction de grammaires génératives permettant de les manipuler commodément par grandes masses.

 

Ces travaux seront décrits plus loin, à propos d'applications à la prévision.

Un notera que le terme de prévision désigne ici un certain genre de prévision du futur, à l'attention d'une clientèle rationalisante ; processus dont l'exercice envisagé dans l'application que nous décrirons est de nature semi-automatique seulement (activité artisanale, mais faisant emploi de certaines grammaires génératives qui sont par elles-mêmes des automates).

 

 

F) Construction de "grammaires génératives du mythes de sectes".

Ces grammaires sont des rouages auxiliaires des "apôtres automatiques", projet de recherche décrit ci-après.

 

 

G) Construction d'apôtres automatiques.

 

1. On veut évoquer ici des travaux conduits au laboratoire et mettant en jeu :

- d'une part, des objets informatiques imparfaits qui sont des programmes de dialogue automatique par le moyen desquels un ordinateur soutient des conversations en langage naturel avec des personnes quelconques en simulant un conditionnement religieux sectaire, voire même un conditionnement idéologique (témoin de Jéhovah automatique ; enfant de

Dieu automatique, maoïste automatique, etc...)

 

- et d'autre part, une méthodologie de recherche et d'investigation ethnologiques prenant appui sur le travail même d'élaboration et de mise au point puis de perfectionnement de ces artefacts informatiques imparfaits, méthodologie dont nous nous proposons de montrer que son support informatique contribue à la rigueur, à l'exhaustivité, et nu caractère théoriquement innovateur dans le secteur ethnologique considéré.

 

2. La méthode de travail consiste à construire un premier programme informatique, même grossier, de simulation du "type" ethnologique étudié, c'est-à-dire par exemple d'un sectaire illuministe, ou d'un fanatique de Mao... puis à faire fonctionner cet artefact en présence de personnes connaissant bien le discours habituel caractéristique du modèle ethnologique en cause, ce qui conduit à dresser : d'une part une liste d'insuffisances évidentes, et d'autre part une liste d'informations ethnologiques complémentaires dont on aurait besoin pour améliorer l'automate ; suite à quoi il est procédé à une enquête ethnologique permettant de rassembler les informations requises ; puis à un travail d'ajustement de fichiers de données informatiques pour y intégrer ces informations nouvelles ; puis éventuellement un travail logiciel complémentaire ; le tout conduisant à une nouvelle version améliorée du "témoin de Jehovah" ,ou "maoïste", de l'apôtre...etc

 

3. L'intérêt ethnologique de cette procédure d'investigation ne tient pas directement à la perfection ou à l'imperfection absolue des objets informatiques construits ; il tient à la nature des questions ethnologiques que ce travail de fabrication d'artefacts oblige à se poser ; il tient par ailleurs à la précision et à la rigueur que l'on est obligé d'apporter dans la constitution des fichiers de données (faute de quoi, l'artefact ne fonctionne pas du tout) ; l'avantage de rigueur résultant de l'emploi d'artefacts étant celui de toute analyse sanctionnée par une tentative de synthèse, par rapport à une analyse simple.

 

4. Les catégories et définitions que cette procédure d'investigation conduit à introduire, à propos de sectes religieuses, prennent dans un premier stade leur appui sur des éléments linguistiques concrets : est-il exact que le vocabulaire des membres d'une secte soit différent de celui de la population environnante ? La structure même du langage utilisé est-elle différente ? ... etc. Or, il est important de voir que la notion de langage propre à une secte est une notion cernable, précise, pouvant même faire l'objet de descriptions formelles génératives relativement exactes si l'on y apporte le soin nécessaire ; alors que les systèmes catégoriels mis à la disposition de chercheurs par l'ethnologie des religions pour définir la notion même de secte ne présentent pas du tout, en l'état actuel des choses, les mêmes qualités de rigueur logique ; à tel point que l'on ne peut pas vraiment dire qu'il existe jusqu'a présent de réelles définitions opératoires de ces objets ethnologiques que l'on appelle usuellement des sectes. La notion de langage spécifique d'une secte fournit au contraire une définition indirecte certes, partielle certes, mais précise et procédurale.

 

5. Une étape immédiatement consécutive ne peut manquer de concerner la construction de dictionnaires d'associations d'idées. La constitution de dialogues fait apparaître par exemple que pour tel ou tel admirateur de Mao, la notion de révisionnisme engendre des réflexions d'un type bien déterminé. Pour un enfant de Dieu ou un témoin de Jehovah, cette notion n'engendre rien, mais par contre le nom de Jésus déclenchera quelque chose. De tels dictionnaires d'associations d'idées peuvent fournir une seconde sorte de définitions indirectes de l'objet "secte religieuse" ou "groupe idéologique". Les réseaux d'associations d'idées découverts ne sont du reste pas nécessairement ceux qu'une connaissance immédiate de chaque idéologie pourrait faire à priori imaginer.

Il faut noter que les réseaux ici envisagés prennent la notion d'idée dans une acceptation non universaliste : les "idées" en cause ne sont que des symboles dans une mémoire d'ordinateur.

 

6. A plus long terme, cette procédure de recherche devra conduire à examiner le problème de principe de l'institution d'une censure sur une banque de données, lorsque l'on en viendra à définir une secte, non pas comme un langage, non pas comme on système d'associations de notions, mais comme une culture représentable soit par une banque de données "biaisée", soit comme le résultat de censures et d'additifs portent sur une banque de données moins spécifique.

 

 

H) Construction de devins complètement automatiques.

 

Des automates de ce type ne sont pas actuellement étudiés ni développés au "laboratoire d'étude des sectes et mythes du futur" de l'U.E.R d'ethnologie de Paris VII ; mais on sait qu'ils font, ailleurs souvent, l'objet d'une élaboration et d'une exploitation commerciale.

 

Lorsqu'il s'agit de méthodes de divination reposant sur des principes relativement "simples et mathématiques" (astrologie occidentale ; géomancie; Yi-King ...etc), de tels automates sont à peine davantage que des simples grammaires génératives de mythes, relativement figées dans une formulation folklorique traditionnelle. Leur construction dans de telles formes brutes n'implique que peu ou pas d'études de chaque groupe humain destinataire des prédictions ; ce qui laisse à de tels projets un intérêt beaucoup moins grand que dans le cas de la construction d'apôtres automatiques.