IV - APPLICATIONS
A) Les applications étudiées et mises un œuvre dans le cadre du "laboratoire d'étude de sectes et des mythes du futur on Occident au XXème siècle" de l'Université Paris VII.
Les applications auxquelles s'intéresse le laboratoire d'étude des sectes et des mythes du futur en occident aux XXème siècle concernent des emplois possibles de grammaires génératives de mythes.
- soit en publicité, pour la génération de slogans (mais ces travaux en sont seulement à leurs débuts)
- soit en prévision, pour la manipulation de grandes masses d'hypothèses, dans le cadre de l'étude d'univers très incertains ; ce type d’utilisation ayant donné lieu à des applications concrètes effectives assez nombreuses, en relation avec le secteur privé, dans le domine du calcul des risques liés à certaine investissements se situant dans des contextes politiques incertains.
On donnera plus loin une description détaillée de ces derniers travaux ; et on va d'abord examiner ici certaines de leurs implications au niveau de la définition même du champ de l'ethnologie.
La conduite de tels travaux dans un laboratoire d'ethnologie implique-t-elle une revendication de frontière et de partage de champ d'étude à l'égard des limites séparant en principe la prospective de l'ethnologie ? Signifie-t-elle qu'une prise de position anti-universaliste doit ou peut conduire l'ethnologue à revendiquer l'annexion dans son champ disciplinaire propre d'une partie au moins du champ de la prospective politiques ? Et une revendication de même type sera-t-elle formulée à propos du champ de la publicité ?
B) L'hypothèse minimale : les applications seraient extérieures au champ propre de l'ethnologie, et manifesteraient seulement l'aptitude de cette discipline à fonctionner de manière "récupératrice".
On a déjà évoque plus haut le problème de principe qui se pose à propos des applications : toute science occidentale est comme l'expose fort bien Robert Jaulin "nécrophage" et "récupératrice" de l'autre à des fins de pouvoir et ou de consommation. Une manière pertinente de faire apparaître qu'une démarche épistémologique nouvelle est bien fondée, c'est-à-dire crée une nouvelle science, consiste à faire apparaître que la dite science possède elle aussi des vertus de "nécrophagie" et de "récupération", autrement dit se prête à des "applications".
Sur ce plan particulier, le fait que les grammaires génératives de mythes élaborées avec l'aide du laboratoire sont très largement utilisées pour des prévisions utiles à des firmes industrielles possède déjà un caractère probant.
C) L'hypothèse maximale : c'est de plein droit que le domaine de l'ethnologie inclut la pratique d'activités équivalentes à celles du sorcier, du prophète, du devin ; et aussi d'activités apparentées à celles-ci, ce qui inclut la publicité (laquelle chercherait volontiers à "convertir" le public à des produits) et la prospective (laquelle est une certaine sorte de prédiction du futur).
Dans la "mort sara", Robert Jaulin pose en principe que l'ethnologue qui étudie les populations du Tchad doit payer de sa personne et ne pas hésiter à l'initiation Sara.
On sait que Carlos Castagneda estime, de son coté l'ethnologue, que l’ethnologue, pour bien comprendre ce qu'est un sorcier au Mexique, doit se faire sorcier lui-même.
Lorsque le champ d'étude se transpose de tribus indiennes ou tchadiennes vers les "tribus blanches" de l'Occident, la même thèse se retrouve avec d'autres formes :
Deconchy propose d'étudier les sectes et religions en Occident en procédant à des interventions directes dans leur champ.
Il n'est donc pas a fortiori inconcevable d'imaginer comme située dans ce champ une démarche par laquelle un ethnologue
- étudierait tout particulièrement un micro groupe de notre société occidentale (les cadres dirigeants de l'industrie d'un pays par exemple), micro groupe qui serait considéré en tant que tribu ou en tant que secte ou en tant que micro village...etc
- s'interrogerait en particulier sur les mythes de ce micro groupe : serait éventuellement conduit à considérer certaines formes de l'idéologie de rationalité, ainsi que de l'idéologie de rationalité économique, comme des mythologies particulières à ce groupe.
- poserait la question de l'existence possible d’un rôle typique de devin au sein d'un tel groupe, et identifierait ce rôle à celui de l'expert en prospective.
- s'efforcerait d'assumer effectivement un tel rôle divinatoire, dans le fil direct de la pensée de Jaulin ou de Castagneda, mais en respectant les "mythes de rationalité" qui sont ceux du groupe ethnologique occidental considéré à savoir les dirigeants d'entreprises d'un pays).
Sur la base d'une telle réflexion, l'ethnologie serait conduite à revendiquer d'inclure de plein droit la prévision et la prospective, en tant que modalités normales d'exercice de sa propre démarche cognitive, et non pas simplement en tant que récupération et résidu d'application de celles-ci.
On notera que l'ethnologie inclut alors aussi la science économique, mais l’inclut en tant que simple mythe des sociétés occidentales.
Un tel renversement des rôles de ces diverses disciplines irait (nous l'avons constaté) largement dans le sens de certaines idées de Georges Balandier , ethnologue dont un ouvrage très récent, "le pouvoir sur scènes", met en évidence la survivance, dans toutes sortes de situations politiques même actuelles, de très anciens rôles tels que ceux du bouffon, du devin, du sorcier, du prêtre et d'autres encore, dans des sociétés dont les membres s'y attendraient pour leur part le moins.
D) Possibilités d'utilisation pratique d'apôtres automatiques, prophètes automatiques, devins automatiques.
Ces possibilités peuvent être examinées successivement dans le cadre des deux hypothèses ci-dessus, à savoir :
- applications se situant dans un rôle strictement récupérateur.
- ou bien applications se situant dans l'exercice de plein droit d'un rôle de prophète, sorcier ou devin.
a) le cas du devin automatique est relativement différent des précédents, dans la mesure où il s’agit d’une fonction relativement simple à produire dans le cadre au moins de certains systèmes traditionnels de divination (astrologie occidentale, Yi-Kinq, géomancie etc...)
A première vue, l’automatisation de cette fonction pourrait être considérée comme une sorte de "récupération" mais ici on se heurte à une certaine définition normative de 1a "fonction récupératrice", laquelle serait supposée favoriser le développement des sciences, de 1a raison, et de la production économique, et non pas celui de 1a superstition ; cette dernière notion relevant de critères d'appréciation normatifs qui font par exemple que l'assistance à une messe catholique est un acte de moralité et de civilisation supérieure, l'achat d'un horoscope un acte de superstition.
Les applications récupératrices sont donc immédiates, mais leur valeur de récupération est alors contestable au niveau de l'ethnique récupératrice elle-même.
Si au contraire on réfléchit à ce que peut être le rôle d'un devin automatiques dans l'hypothèse d'un exercice de plein bruit de cette activité, on voit que ce rôle ne se dissocie pas d'une réflexion sur le "tribu blanche" destinatrice des prédictions. On n'est pas devin dans l'absolu, on est devin de quelqu'un. En ce sens les programmes de divination automatique actuellement existants (horoscopes, géomancie, Yi-King) dans la mesure où ils ne comportent pas un réel dialogue automatique avec leurs "clients", n’assument pas réellement la fonction médiatrice traditionnelle du devin. Ce sont de simples grammaires génératives de mythes.
b) apôtres automatiques ; prophètes automatiques. Applications et retombées.
La discussion relative à ces automates est, dans son principe, à peu près 1a même que pour le cas des devins automatiques.
Toutefois, la complexité plus grande des problèmes conduit à des perspectives d'emploi beaucoup plus limitées : les automates que l'on peut construire ou que l'on peut envisager à court terme de construire, sont beaucoup trop imparfaits pour que l'on puisse même parler sérieusement d'utilisation.
Par contre, sur un plan de recherche, la difficulté même des problèmes à aborder pour la construction de tels automates conduit à escompter des retombées d'ordre scientifique certainement utiles dans deux disciplines connexes que sont l'informatique et la linguistique générale.
En informatique, de tels projets
- offrent, sur un plan générale, l'occasion de perfectionner toutes les techniques existantes de dialogues homme-machine.
- conduisent, à terme, à aborder et traiter des problèmes très particuliers en matière de censure de banques de données contenant des données en langues naturelles.
- et, dans une perspective à plus long terme encore, amorcent une première approche de traitement du problème consistant à vouloir donner à des robots des apparences de personnalités humaines ; étant admis que le fait d'une telle apparence de personnalité pourrait éventuellement augmenter la valeur de très nombreux robots.
En linguistique, la réflexion sur de telles machines de type "apôtre automatique" ou "prophète automatique"
- peut conduire à explorer des problèmes inédits de langages partiels propres à certains groupes sectaires
- et ouvre en tout cas la porte à une investigation totalement inusitée sur la problématique d'une linguistique supposée nominaliste et non pas positiviste.
E) Possibilités d'emploi de grammaires génératives de mythes.
Les grammaires génératives de mythes sont des objets relativement plus rustiques que les automates conversationnels ; le travail conduisant à les constituer est toujours d'ordre artisanal, et principalement de type ethnologique classique : il passe par le collationnement de mythes qui sont recueillis in situ. Une élaboration complémentaire conduit à une formalisation et une mathématisation.
Toute grammaire générative de mythes étant en principe constituée sur la base d'une enquête auprès d'un groupe, la question de savoir sur quel groupe ces mythes auront du pouvoir se trouve généralement en grande partie résolue (mais on examinera plus loin la question du pouvoir que les mythes d'un groupe peuvent prendre sur un autre groupe).
Souvent, ce pouvoir des mythes n'est pas négligeable ; et l'avantage des grammaires génératives de mythes, est précisément d'offrir, pour manipuler ce pouvoir, un appareil formel extrêmement condensé.
Les applications imaginables peuvent être beaucoup plus immédiates que pour les automates conversationnels, étant donné qu'on manipule ces grammaires génératives de mythes de manière en partie manuelle et artisanale ; et que l'on peut user d'elles sans devoir attendre la réalisation d'une automatisation totale.
De ce fait, des réalisations à court terme sont envisageables en publicité et en prospective. En publicité, génération de ces mythes particuliers que sont les slogans. En prospective, génération de ces mythes particuliers que sont les scénarios politiques d'avenir.
Ces applications se situent-elles dans la perspective dite plus haut "récupératrice" ou dans la perspective dite "de plein droit" ? En fait, en l'occurrence, les deux plans coïncident. Il est important à ce propos que ces activités soient exercées de façon non complètement automatique, et permettent un contact entre l'ethnologue et les destinataires des objets manipulés, des mythes manipulés, donc une connaissance améliorée de ces destinataires.
F) Description détaillée d'une application particulière en prospective : calcul des risques liés à certains investissements se situant dans des contextes politiques incertain.
a) Pour évaluer la rentabilité possible d’investissements se situant dans des contextes d'avenir très incertain, une firme peut estimer souhaitable de dresser des catalogues incluant des milliers d'avenir possibles, et de calculer ses bénéfices des milliers de fois, une pour chaque éventualité.
L'intérêt d'un tel exercice est multiple : le fait de l’effectuer peut conduire un investisseur à découvrir certains dangers auxquels, sinon, il n'aurait pas pensé (par exemple un tremblement de terre dans une région d'activité sismique) et à prendre des mesures adéquates pour y parer. Quant au reste, il existe des méthodes permettant de mettre en balance des risques multiples non probabilisés.
b) La réalisation d'un tel exercice suppose un collationnement de très nombreuses éventualités d'avenir, qui pourront être formulées en interrogeant des habitants, politiciens etc... de la zone où doit s'effectuer l'investissement, et en leur laissent toutes facilités pour raconter l'avenir dans une forme quelconque de leur choix. Ces différents récits du futur sont des mythes ; leur collationnement revient à la constitution d'une banque de plusieurs milliers de mythes. C'est un travail que l'on peut considérer comme du ressort de l'ethnologie ; et même comme du ressort de son champ le plus traditionnel et le moins discuté.
Il ne fait aucun doute que, si l'on propose pour une même situation des milliers d'éventualités d'avenir toutes contradictoires, une seule d'entre elles pouvant se réaliser, cela signifie qu'au sens commun du terme, elles sont pratiquement toutes des éventualités fausses. L'usager ne sera donc pas surpris d'apprendre que ces éventualités sont des mythes, il le sait déjà ; et faute de disposer d'autres méthodes de prévision, il peut souhaiter acquérir une telle banque de mythes.
Pour traiter de tels problèmes de gestion de scenarios en grande masse, l'ethnologie est paradoxalement la discipline la mieux placée, car la manipulation de mythes que l'on déclare tels est, pour elle, une activité normale.
c) Les mythes rassemblés sont de type Dx (x), c'est-à dire "description de l'univers d'un groupe x par les membres de ce groupe". Il conviendra de passer en mode descriptif Dy Dx (x), pour obtenir des descriptions adaptées aux catégories de l'usager Y. Cet exercice de traduction catégorielle se situe dans la ligne directe de le problématique exposée plus haut, à propos de la référence des significations à des groupes ; problématique issue en particulier des travaux de R. Jaulin.
Le fait de passer dans un autre système catégoriel constitue essentiellement un appauvrissement ; il en résulte l'avantage de réduire le volume de la banque. Certains avenirs même n'auront pas de description possible un mode Dy et seront tout simplement éliminés.
d) L'examen direct de milliers d'éventualités par un comité de direction de firme est une tâche impossible. A raison par exemple de 15 minutes par éventualités, ce comité examine seulement 32 éventualités par jour, il lui faut environ cinq mois et demi de travail ininterrompu pour examiner 3000 éventualités.
On notera qu'un comité de direction peut difficilement renoncer aussi à examiner les dites éventualités : il est de sa compétence d'apprécier si elles représentent des dangers sérieux ou non, et dans l'affirmative de dire comment y parer.
A ce niveau d'élaboration, la méthode semble donc impraticable, et seule l'introduction de la notion de grammaire générative de mythes permet de déboucher vers une solution.
e) Si l'on remplace la banque de mythes par une grammaire générative de mythes, l'examen des éventualités peut être mécanisé. Le contrôle du comité de direction s'exerce simplement au niveau de la description logique du processus, ce qui est très rapide.
La constitution de grammaires génératives de ce genre a donné lieu à plusieurs applications de ce type, auxquelles des chercheurs du laboratoire ont participé.
G) Cohérence existante entre d'une part l'adoption (à la manière par exemple de Robert Jaulin) d'une perspective épistémologique anti-universaliste, et d'autre part la conduite de travaux d'utilisation de grammaires génératives de mythes en vue d'applications pratiques.
Il est important de souligner
- que la notion même de grammaire générative de mythes est issue d'une réflexion épistémologique anti universaliste.
- que l'utilisation d'une grammaire générative de mythes n'a d'efficacité que s'il y a relativisation à un public cible, c'est-à-dire réflexion anti-universaliste complémentaire à propos des mythes en cause.
- que le fait même de l'utilisation effective de telles grammaires, peut être mis en relation avec des finalités de démonstration de validité de thèses anti-universalistes.