Introduction

J’ai décidé de prendre comme sujet d’étude une expérience d’errance et d’internement que j’ai vécue. Je suis partie vivre dans la rue sans décider d'en faire, a priori, le sujet de mon mémoire. Je n'ai évidement pas, par la suite, décidé d'être considérée comme folle (n'ayant pas eu, a fortiori, le désir d'être internée). J'étais véritablement membre de l'ensemble des personnes avec qui je partageais des actions pratiques, dans un contexte commun, car je n'avais pas choisi d'y être. Aucun recul ne pouvait, ainsi, être délibérément pris. Le désir d'en rendre compte et de l'analyser est venu plus tard, lorsqu'il m'est apparu que cette expérience pouvait être relatée lors d'un travail ethnométhodologique. La difficulté d'être membre d'un milieu informel qu'est celui des S.D.F. n'est pas venu uniquement du désir d'être acceptée comme une des leurs. En effet, être S.D.F. c'est avant tout être seul. Le problème que j'ai du surmonter a consisté à ne pas être considérée comme une proie dans un univers essentiellement masculin, mais au contraire de faire comprendre que je faisais partie de leur milieu, que je n'avais pas à craindre de leur part, une agression éventuelle. C'est en étant perpétuellement sur le "qui vive", en observant, mais paradoxalement ouverte à l'inattendu, que je suis devenue membre d'une indexicalité (avant tout personnelle) qui rencontrais parfois l'indexicalité d'autres S.D.F. Par la suite, ne dormant pas, car toujours en alerte, puis n'arrivant plus à trouver le sommeil, j'ai traversé cette expérience en un état modifié de conscience qui m'a conduit en hôpital psychiatrique.

L'ethnométhodologie m'ouvre alors un champ de possibilités, en acceptant que l'on rende compte de l'ethnie d'une seule personne.

J’ai cependant conscience de certains manques en ce qui concerne la restitution de cette période. Rendre compte de ces cinq mois m’a posé deux problèmes principaux :

- le premier est que je n’avais pas de journal de bord : il ne me reste de cette période que quelques textes. J’avais également noté des équations et associations d‘idées que je me suis mise à détruire peu à peu.

- le second, est la difficulté de restituer l’expérience où je traversais ce que les psychiatres appellent "une bouffée délirante de type maniaque".

Le déroulement des événements durant cette période a un caractère d’étrangeté et n’est pas sans poser certaines interrogations. Certes, cette expérience possède un côté ineffable. Je tenterai pourtant le plus possible d’en faire part, car il me semble que dans l’inracontable se trouve la compréhension de certains phénomènes, ceux-ci se situant dans le domaine de la pensée intuitive et non pas rationnelle.

Si j’ai choisi ce thème, c’est aussi parce que j’étais "membre d’un autre regard sur le monde" qui m’a conduit à rencontrer des personnes percevant les mêmes impressions d’étrangeté.

Ce qui pour une personne seule relève de la pathologie, devient à plusieurs une approche cosmogonique du monde, surtout dans la définition de "qui" nous entoure et l’interrogation sur les relations humaines.

J’ai, depuis ma première année universitaire, suivi des cours de psychologie et d’ethnologie, ces deux filières me paraissant complémentaires. J’étais à la recherche d’une unité, et pourtant, je ne rencontrais que des "querelles de chapelles" dans et entre chacune. Chaque approche suscitait mon intérêt, mais je ne comprenais pas ces "guerres intestines" là où les sciences humaines revendiquent une ouverture d’esprit et non pas l’obscurantisme. Cela jusqu’au moment où j'ai suivis les cours d’ethnopsychiatrie de Monsieur François LAPLANTINE à l’université de Lyon II, en maîtrise de psychologie sociale, après avoir eu la licence à Montpellier et le DEUG à Nice. Lorsque j’arrive à Paris, pour m’inscrire en DESS d’ethnométhodologie, j’ignore l’ouverture de cette discipline et l’associe spontanément à l’ethnologie.

Je suis séduite par la revendication de Monsieur Yves LECERF, de s’intéresser à ce que précisément les autres sciences dédaignent. Par ailleurs, je constate avec joie que des philosophes, des psychanalystes, des linguistes entre autres sont invités à intervenir en cours, qu’il existe ainsi une recherche pluridisciplinaire.