I.5 L’indifférence

Le fait social n’étant pas uniquement un phénomène sociologique mais un phénomène psychique, l’indifférence paraît nécessaire pour en rendre compte. Elle est le frein nécessaire aux débordements d’une pensée intuitive pour la replacer dans un autre type de pensée plus rationnelle (ne serait-ce que dans le classement de ce qui a été vécu, alors que différents événements et/ou discours se vivent et/ou se disent en même temps).

L’aspect paradoxal de l’indifférence, de par sa situation par rapport aux autres axiomes, n’est qu’apparent.

- Déjà, l'indifférence permet au contexte du compte rendu de s’opposer.

- Elle ne se situe pas dans le même mécanisme de la pensée.

Il s’agit de vivre, me semble-t-il, un dédoublement schizoïde permettant d’appréhender en deux temps différents une même situation qui devient autre par la singularité de chaque regard.

D’un point de vue psychanalytique nous pourrons comparer l’indifférence à une expérience de deuil.

Elle est rendue possible par un travail psychique effectué sur l’événement auquel on a pris part, et qui est en partie constitué de notre propre présence.

Cependant, l’indifférence peut se situer dans l’action, cela permettant de se soumettre à toute tentative d’induction. Elle permettrait à l’acteur de vivre dans plusieurs processus "psychosociaux", au cours d’une même situation :

- en tant que membre

- en tant qu’être à part entière dans le groupe, ayant sa place spécifique dans cette configuration

- en tant qu’observateur par rapport au contexte.

Cette triade s’articule, d’un point de vue théorique, mais ne me semble pas aussi simple dans la pratique.

Nous aurions affaire à une pensée, à mon sens, idéalement syncrétique. Elle a, cependant, l’énorme mérite de faire disparaître toute impasse paradoxale de par les possibilités circulaires de ce mécanisme triadique.

Surtout, elle permet de ne pas sombrer dans ce que Robert JAULIN nommait "le terrorisme de la vérité". Elle condamne ainsi tout jugement de valeur, toute morale, quelle que soit la position de l’acteur social et du contexte.

Cette indifférence, même si elle est difficile à exercer, est le meilleur rempart contre les discours totalitaires ou persuasifs d’une manière pernicieuse.

Elle occupe une place aussi importante chez les acteurs sociaux que chez les personnes à qui ces derniers rendent compte de leur expérience.

Elle n’empêche pas la perméabilité à tout discours, ou impressions autres, mais elle freine l’immersion totale d’une individualité dans un processus aliénant. Elle est la sauvegarde d’une certaine liberté individuelle.

En revanche, il est souhaitable qu’elle ne phagocyte pas les autres processus perceptifs afin de laisser un "champ ouvert" sur l’interrogation, et sur d’autres possibilités de l’esprit.

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