I.7 Les actions pratiques

GOFFMAN marque la pensée de GARFINKEL, de par son intérêt particulier pour les processus sous-jacents à l'action sociale, notamment les processus d'interprétations.

Les actions pratiques se caractérisent, à l'origine, pour GARFINKEL, par une volonté d'étudier les activités les plus communes de la vie quotidienne, comme des processus à ne pas négliger et dignes d'intérêt. En ce sens, l'acteur social est la personne la plus apte à rendre compte de ce qu'il vit au niveau quotidien. Ainsi, on note ici, un désir de ne pas prendre ce dernier pour un idiot culturel. Dans cette optique, ce n'est pas en théorisant de l'extérieur avec des mots savants, que l'on peut appréhender ce qui précisément doit se vivre de l'intérieur. De ce point de vue, les sciences peuvent paraître comme étant une tautologie de ce que chacun peut vivre et analyser.

Par ailleurs, quoi de plus rassurant que de prendre d'emblée une distance par rapport à l'objet étudié. Cela permet d'occulter sa propre personne comme médiateur du compte-rendu. Je compare cela au psychiatre, qui de par son statut et son rôle analyse le monde de la folie, sans s'interroger sur ses propres pathologies éventuelles.

Le danger de ne pas s'immerger et de ne pas prendre en compte les actions pratiques, est le risque de vouloir figer en un modèle immuable ce qui a été constaté à un moment donné. Et cela n'est pas en accord avec la logique sociale et psychologique qui est en perpétuelle mutation. La dynamique d'un processus ne peut être occultée, sous peine de chosifier l'objet d'étude.

Dés lors, il ne s'agit pas de compiler des micro-savoirs pour avoir une théorie générale sur un problème. Les différentes transformations, inhérentes à une indexicalité et réflexivité spécifique, remettent en question les théories affirmant qu'en accumulant des connaissances locales, on peut obtenir un modèle général.

L'ethnométhodologie, en souhaitant étudier ce qui est dénigré par les autres sciences sociales ne s'intéresse pas uniquement aux actions pratiques de l'activité quotidienne, mais également aux différentes matières qui ne sont pas couronnées par un prestige culturel. En cela, il y a un refus de tout snobisme dans sa démarche.

Puisque tout objet est susceptible d'être étudié, ce qui à l'origine est dénigré en raison de certains a priori peut apporter des informations permettant l'ouverture sur d'autre domaines.

La caractéristique paradoxale des actions pratiques est qu'on a beau les vivre et/ou les observer, on se trouve dans une situation d'incomplétude perpétuelle. Plus généralement, quel que soit le sujet que l'on veut aborder, on se trouve projeté dans de nouvelles interrogations. Chaque système clos dans ses tentatives d'appréhension de l'univers est susceptible de se heurter à d'autres points de vue, qui par leurs arguments peuvent remettre en question ce dernier.

Les théories universalistes peuvent ainsi être démontées par des observations faites dans le quotidien de chacun, qui n'avaient pas été abordées auparavant. Et il est trop facile de dire, à mon sens, que l'exception confirme la règle; cela permet à chacun de se reposer sur ses certitudes

La notion d'"actions pratique" implique l'acceptation d'une sociologie profane: celle-ci est celle qui peut être exercé par tout un chacun, sans avoir besoin de posséder le statut de chercheur, d'être auréolé d'une image qui l'accrédite socialement. Cela permet à mon sens de dévoiler ce qui est délibérément tu d'ordinaire. En effet, les centres d'intérêts en vogue permettent de laisser dans l'ombre ce qu'une organisation veut laisser sous silence (l'étude des arts divinatoires, par exemple).

Ou alors, une arme peut être encore plus forte que la précédente, celle de tourner en dérision ce type d'objet d'étude, l'une des conséquences de la dérision étant la prise de distance et le désinvestissement.

Les actions pratiques font partie de l'unité des axiomes ethnométhodologiques. Elles ne sont pas séparables de l'indexicalité individuelle et/ou de groupe, de la réflexivité de chacun, du fait d'être membre. En cela, il peut sembler étonnant que certaines personnes s'acharnent à proclamer des certitudes, derrière un bureau.

De plus, cela remet en question la supériorité du raisonnement scientifique sur le raisonnement de sens commun, alors que ce raisonnement scientifique peut dépendre de ces mêmes raisonnements de sens commun. Le scientifique n'est pas un surhomme et pour savoir quelle méthode il va employer pour ses recherches, il se repose sur son intuition, ou ce qui lui permet d'être le plus efficace pour son objet d'étude. Un autre scientifique, selon sa propre indexicalité, n'utilisera pas forcément la même méthode.

Ainsi, l'approximation s'immerge-t-elle parfois dans la science, contrairement aux revendications de cette dernière.

Il me semble par ailleurs que refuser tout totalitarisme de la pensée réhabilite et est une ouverture sur les démarches mystiques, qui contrairement aux pratiques hyper-rationalistes, cherchent une réalisation intérieure et s'intéressent à une étude du psychisme, loin d'un psychologisme interprétatif forcené.

Yves LECERF note que prendre le parti d'étudier le quotidien, correspond à une énorme économie d'induction.

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