III.3 L'institution psychiatrique.

Dans ces institutions, on ne s'occupe pas du milieu d'origine de l'individu, on le change. Pour un temps, le statut de chacun est mis entre parenthèses. Quelle que soit la catégorie socio-professionnelle, tout le monde est logé à la même enseigne. Médicaments et pyjamas pour tous. Le statut de malade supplante tous les autres.

A la différence d'un hôpital général, où l'on peut sortir guéri d'une maladie physiologique, l'institution psychiatrique imprègne aussi bien chez le patient que chez son entourage, un passage qui est de l'ordre d'un rituel dans l'univers des fous. Rituel, dans le sens où socialement, le fait de vivre dans cette institution suppose, dans l'imaginaire de plusieurs personnes, une possibilité de "replonger" à n'importe quel moment dans la maladie mentale et le fait qu'une personne ayant plongé dans l'univers de la folie, n'est plus forcément crédible, au regard d'autrui. Le pacte avec la norme est rompu.

Le discours médical parle de guérison sur le plan physique, mais rarement d'un point de vue psychique. Dans ce cas, il parle plutôt, d'amélioration. Même si le mot "guérison" est parfois employé, il est toujours possible qu'une rechute survienne. C'est surtout en ce sens là que l'hôpital psychiatrique peut être comparé à un passage ritualisé dans l'univers de la folie. Puisqu'on a déjà côtoyé cette institution, il est toujours possible d'y retourner. On est "autre" puisqu'on est passé par ce lieu souvent caché même s'il a été plus d'une fois décrié, surtout par les antipsychiatres.

Le regard des personnes extérieures à ce type d'institution diverge selon la proximité de chacun avec ce lieu.

Dans une étude faite sur les représentations sociales des lieux de soin en santé mentale, il a été constaté deux courants d'opinions.

- l'un pour faire des traitements plus doux, pour éviter d'enfermer le patient dans une "camisole chimique."

- l'autre pour protéger, éloigner toute information concernant ce type de lieu, occulter toute possibilité de représentation de ces endroits.

Dans cette étude, ces deux courants révèlent la manière dont chacun peut se voir ou non comme potentiellement "internable", ou selon son parcours, ayant côtoyé de prés, de loin, ou pas du tout le milieu psychiatrique.

Cette étude révélait que les personnes sensibilisées à l'univers psychiatrique avaient une demande plus forte des pratiques mises en place sur ce lieux, et sur les psychiatres.

Au demeurant, il semble difficile de pouvoir analyser vraiment, les représentations sociales sur le milieu asilaire.

"Assumer la notion de maladie, se définir comme malade, implique pour le patient, un recentrage des codes : il doit reconnaître que sa vision du monde était biaisée par un élément interne et s'était de ce fait, désaxée." (Monique PLAZA)

J'ajouterai, que l'hôpital fait tout pour s'y employer. Déjà, se retrouver dans une telle institution, de par sa représentation sociale, a un impact psychologique sur la personne internée.

Tout est fait pour que l'on prenne de la distance par rapport à notre manière de voir le monde, qui nous y a conduit. C'est le prix à payer de la déviance mentale. On nous apprend, sans mot dire à nous restructurer d'une manière plus commune afin de pouvoir quitter ce lieu.

Déjà, ce qui est proposé aux patients, sont des structures de soins. Nous sommes là pour être traités. Cela conditionne notre attitude qui est immergée dans une représentation codifiée, de ce que l'on est. Cela est facilité par l'absorption massive de neuroleptiques qui entraîne une perte d'autonomie, et une difficulté à penser, à rester critique par rapport à ce qui nous entoure. Par ailleurs, nous soupçonnions tous que du bromure était inséré à notre alimentation.

Un des effets pervers de ce lieu est qu'il entraîne dans beaucoup de cas un non désir de retourner à la vie sociale. J'ai rencontré plusieurs personnes que les psychiatres voulaient faire sortir, et qui tenaient à rester coûte que coûte. L'hôpital psychiatrique est un lieu qui crée de tels conditionnements, de telles servitudes, qu'au bout d'un certain temps, on peut se sentir incapable de se réaccoutumer à une vie plus fréquemment sujette aux imprévus.

Dans l'hôpital de Perray-Vaucluse, il y a une absence de miroir quasi-systématique. Il en existe de très petits dans les pièces de douches. Ils sont assez grands pour qu'une personne puisse se coiffer, mais en aucun cas ils ne peuvent renvoyer l'image du corps en entier. Cela permet aux patients de ne pas voir la transformation de l'image de leur corps par les médicaments. Le miroir, si important pour les lacaniens est ici absent dans son rôle de renvoi de l'image de soi, dans sa fonction d'intégration de notre représentation. Il n'y a pas de miroirs pour atténuer les angoisses de morcellements, de distorsion, pour tenter de retrouver sa personnalité, déjà à travers son corps.

A Epinay-sur-Seine, tout le long de mon séjour, j'ai vu un grand nombre de personnes qui sortaient, puis qui finalement revenaient de leur plein gré dans l'institution, sentant qu'ils recommençaient à ne "pas bien aller."

Pour l'ethnopsychiatre F.LAPLANTINE, la folie est une caractéristique de toutes les sociétés, même si ses formes divergent selon chacune.

"On ne devient pas fou comme on le désire, la culture a tout prévu. Au coeur même de l'élaboration de la névrose et de la psychose par laquelle nous tentons de lui échapper, la culture vient encore nous rejoindre pour nous dire quelle personnalité de rechange nous devons adopter."

La frontière entre le normal et le pathologique est-elle aussi évidente ? N'est-ce pas renier toute possibilité de remise en question sur les idées reçues concernant la maladie mentale. Le "fou", dans l'imaginaire collectif est perçu comme ayant un manque par rapport à l'être dit normal, alors qu'il peut posséder une sensibilité supérieure, lui permettant d'appréhender des phénomènes qui échappent dans la vie courante.

Peut-être est-ce pour contrebalancer le mythe du fou génial, artiste, qui effectivement ne correspond pas forcément à la réalité de la maladie mentale. Celle-ci étant un "autre état", est admirée ou décriée selon les époques et les idéaux de chacun.

Si il y a une représentation mythique de l'asile et du fou, du moins cela permet-il à la société de distinguer le pathologique du normal, l'étranger du familier, afin que le plus grand nombre puisse se rassurer sur son intégrité psychique.

Dans "L'exil intérieur", Roland JACQUARD dépeint au contraire la schizoïdie collective qui est de plus en plus manifeste dans nos types de sociétés.

Erving GOFFMAN notait dans "Asiles" que "le malade est toujours moins fou qu'il n'apparaît des raisons médicales". Il précisait également que "le comportement anormal attribué au malade résulte pour une grande part, non de sa maladie mais de la distance sociale qui sépare ce malade de ceux qui le déclarent tel."

En effet, quoi de plus rassurant pour un psychiatre que de se persuader de sa propre normalité, en élaborant des modèles de pathologies, et en prescrivant une pharmacopée spécialisée dans les troubles psychiques.

Georges OSTAPTZEFF compare la fonction du psychiatre au chaman des sociétés traditionnelles.

"Ses manières de faire cachées, ses remèdes dont la composition chimique est si peu en cause lors des descriptions, ses rituels se référant si intensément à la spécificité de celui qui ordonne la prescription, nous le fait apparaître comme peu différent de son collègue sorcier agissant sa magie au nom d'autres croyances que celles de la science."

L'auteur les associe également en considérant la magie comme étant l'art de la métaphore, par laquelle une partie représente la totalité de l'être, les psychiatres dés lors se révéleraient magiciens en se référent à la tête comme étant la représentation de l'être. OSTAPTZEFF ajoute qu'il existe un phénomène magique dans la passation du médicament, comme acte rituel.

"C'est le psychiatre qui devient le chaman. Il est parfaitement pris dans son rôle sur le plan inconscient qui est de l'ordre d'une "folie communicante" mais rationalisée, freinée par la croyance en une science absolue."

Il est vrai aussi, que le médicament a une charge symbolique quasi-magique de pouvoir changer radicalement le comportement du sujet. Il a été constaté lors d'une étude en médecine générale, que les médecins persuadés que les placebos qu'ils administraient à leurs patients étaient de vrais médicaments, de surcroît efficaces, obtenaient plus d'amélioration chez les malades, que les médecins sachant qu'ils distribuaient des placebos, en faisant croire aux malades qu'il étaient une véritable pharmacopée.

Je me demande dans quelle mesure ce n'est pas également valable en psychiatrie. Je pense aux différentes modes concernant certains médicaments (le lithium, par exemple) qui après avoir été adulés puis décriés, revenaient " à la mode".

La médecine a également ses engouements, ses modes, ses espoirs de médicaments miracles (comme le Prozac, actuellement, pour soigner les dépressions, médiatiquement appelée "pilule du bonheur). Comment expliquer que telle pharmacopée est plus ou moins efficace selon les époques, s'il n'y a pas de changements dans les croyances ?

La psychiatrie, par rapport à la médecine générale, est beaucoup plus ambiguë, du fait qu'elle ne peut aussi facilement cerner une pathologie, étant donné la diversité psychique de chaque patient. Poser un diagnostic de grippe ou de cancer ne fait pas sens de la même façon, que de poser un diagnostic de schizophrénie, par exemple. Cela d'autant plus que les représentations de ce qu'a chaque patient comme pathologie est plus complexe que la nosographie psychiatrique de Henry EY et BERGERET. Chaque psychiatre fait alors sa "cuisine" diagnostique : "Sur un fond de délire maniaque, une touche de délire de persécution paranoïaque, et un brin de schizophrénie, due à des hallucinations cénesthésique." Voilà, approximativement le rapport qui a été fait sur moi. Si l'on a décidé d'accepter le diagnostic comme une réalité en soi, on a des chances de se maintenir dans un état peu propice à l'ouverture des grilles de l'hôpital.

F.LAPLANTINE affirme qu'il y a infiniment moins de différences entre les différents malades mentaux sous toutes les latitudes qu'entre les gens bien portants. Sans doute, cela doit être compris comme le fait qu'il y a un refus d'introjecter toutes les représentations sociales, chez le malade mental, et qu'il y a une répétition des symptômes chez divers patients. Je ne sais pas si l'on peut se permettre une telle affirmation, si l'on a pas plongé soi même dans l'univers de la folie, ou plutôt des folies diverses pour pouvoir en parler.

III.3.1 Ce qui m'a frappé en institution psychiatrique

Une constatation de ce qui me parait être une aberration, est la non administration d'antiparkinsonien avec les neuroleptiques, à Perray- Vaucluse. J'ai relaté ce fait dans le terrain. J'en fais mention, une deuxième fois, car il me semble que c'est un aspect à dénoncer dans cette institution. Qu'un grand nombre de patients soient atteints de maladie de Parkinson, alors qu'ils n'ont même pas quarante ans, me semble déjà révéler la non compétence de cet hôpital.

Mon propos n'est pas de condamner en bloc les institutions psychiatriques en général, mais de mettre en avant ce qui a retenu mon attention, dans les deux centres où j'ai effectué des séjours. En aucun cas, je me permettrais d'élaborer une théorie générale à partir de ce que j'ai pu remarquer. Je rends compte de mon expérience, et des hypothèses que celle-ci a pu me soumettre.

Que ce soit à l'hôpital ou à la clinique, la pathologie dont chacun est étiqueté est tue, aussi bien par le personnel soignant (ce qui est la moindre des choses, si une certaine discrétion veut être respectée), que par les patients.

Ainsi, une femme à Epinay m'affirmait qu'elle venait tous les ans dans cette clinique "pour s'occuper de son corps". Elle me décrivait tous les soins qu'elle se prodiguait, comme si nous étions dans une station thermale. D'autres affirmaient être là "pour se reposer un peu."

En revanche, deux personnes n'ont pas hésité à me dire assez rapidement qu'elles étaient ici parce qu'elles venaient de s'extraire depuis peu de la secte de scientologie. Elles disaient se sentir "vidées", avoir subi un lavage de cerveau qui leur avait fait perdre tous leurs repères. En faisant part de leur expérience, en refusant de la taire par pudeur, elles voulaient dénoncer l'aspect dangereux de cette secte. En revanche, lorsque je leur ai demandé des précisions, les deux patients (qui apparemment ne se connaissaient pas) sont restés très évasifs.

Après avoir séjourné quelques temps en pavillon mixte, certains phénomènes m’ont frappée :

- Les tentatives de suicides se font "par période". Au même moment, plusieurs personnes décident (de faire semblant) de se suicider, ceci parfois par mimétisme, mais pas toujours (il arrive que deux tentatives se produisent exactement au même moment). Le plus souvent, cela s’apparente à une réaction "en chaîne".

- Les femmes sont pratiquement toutes réglées en même temps (information due à l’absence quasi-générale de tabous, concernant n’importe quel sujet). Cette situation se rapproche de celle d’un psychodrame auquel je participais quelques années auparavant. Lors de cette dynamique de groupe, les femmes étaient, également, presque toutes réglées au même moment (même une femme n’ayant plus eu de menstruations depuis dix ans).

Dans ces deux cas nous pourrions parler de "corps groupal", tel que le traite ANZIEU, dans "La dynamique des groupes restreints".

Plusieurs éléments interviennent dans cette manifestation :

- Ce pavillon regroupe essentiellement des personnes dites maniaco-dépressives (l’autre bâtiment mixte étant surtout destiné au cures de désintoxications).

- On peut supposer qu’il y un réajustement de chacun dans les périodes de manie et de mélancolie du groupe.

- Les périodes dépressives sont propices aux tentatives de suicide.

Cette symbiose dans l’apparition des symptômes m’apparaît comme la répartition d’un même mal partagé.

Il semble se dégager une solidarité inconsciente, une unité dans le groupe. Cela n’empêche pas l’éclosion et la formation de nouveaux clans, entraînant parfois de violents conflits. Ceux-ci sont très mobiles : essentiellement, les personnes dépressives à tel moment, s’opposeront à celles traversant des accès maniaques.

Chacun retrouve son image passée dans l’autre, ce qui n’est pas sans nous déstabiliser (ce qui ne me paraît pas négatif, dans la mesure où cela permet une prise de recul par rapport à notre état précédent).

J’ai été frappée par les changements rapides et fréquents dans les variations d’humeurs, chez nous tous. Cela comme si la réunion de plusieurs personnes maniaco-dépressives accélérait le passage d’une phase à une autre.

Une situation entraînant des réactions paradoxales se met en place:

Il y a une potentialisation des symptômes d’euphorie, d’agitation, d’excitabilité de même que des sensations de marasme, de fatigue, d’abattement (selon l’état dans lequel chacun se trouve).

Il y a un renvoi de l’image de soi que l’on occulte, et qui à plus long terme amène une réflexion sur ce que l’on paraît, qui n’est pas forcément en adéquation avec ce que l’on est.

III.3.2 Le langage en institution psychiatrique.

A l'hôpital de Perray-Vaucluse, le mot piqûre désigne pour le personnel soignant plus que ce qu'il est sensé représenté usuellement. Il matérialise le pouvoir des infirmiers qui sont en possession d'une arme pouvant anéantir les tentatives de rébellion des personnes internée. Elle est aussi une menace contre le moindre écart de langage pouvant troubler leur semi-tranquillité.

La cigarette est la première tractation s'effectuant entre patients. Il n'y a pas de "bonjours", de "s'il te plaît", ou d'autres formules communément usitées. Tout ce qui est inutile par rapport à l'obtention de l'objet est évincé. Chacun se contente de demander: "T'as une cigarette ?" Les discussions étaient rarement mises en place avant que cette demande ne fut effectuée.

Hormis ces deux caractéristiques, je n'ai pu remarquer ce qui spécifiait cette communauté par rapport à une autre, en ce qui concerne son langage, les échanges verbaux étant réduits à leur plus stricte nécessité. En fait, les "allant de soi" étaient tellement implicites, codifiés en un rituel immuable, que le langage n'avait pas de raison d'être.

A la clinique d'Epinay sur Seine, tout ce qui concerne la maladie mentale est occulté. Le plus souvent, en groupe on tente de garder l'illusion que nous sommes dans ce lieu, mais que nous pourrions ne pas y être.

- Soit par refus de s'immerger dans l'idée que nous sommes malades.

- Soit pour ne pas renvoyer aux autres, l'image d'une pathologie éventuelle.

Il n'est pas rare que chacun considère que si les autres ont besoin de soins, eux en revanche sont là, presque "par hasard". La maladie est minimisée dans le discours (comme je minimise moi-même, ma maladie dans cette seconde partie en écrivant par exemple "...que les psychiatres considèrent comme étant une maladie mentale" ou "...ce qui pour d'autres est un délire").

Cette réaction peut paraître saine dans la mesure ou l'on refuse de se définir à travers un modèle psychiatrique. Mais même si consciemment, on la refuse, il n'en demeure pas moins vrai, qu'intérieurement voire inconsciemment on est marqué par ce diagnostic.

Ce refus de parler des troubles de la santé mentale est favorisé par le fait que dans la clinique, tout est fait pour que nous n'ayons pas la sensation d'être imprégnés dans une institution psychiatrique. Bien sur, l'inévitable batterie de médicaments est présente, mais pour une même pathologie, les doses sont plus faibles et la pharmacopée utilisée n'est souvent pas la même que dans l'hôpital public.

Cette constatation provient d'une part des comparaisons que j'ai pu faire entre Perray-Vaucluse et Epinay-sur-Seine mais également de la confirmation de cet état de fait par un infirmier ayant travaillé dans les deux types d'institutions.

Le langage dans la clinique tente d'être le plus approchant possible de celui usité à l'extérieur. Je retiens cependant le témoignage d'un patient ayant subi des électrodialyses quelques années auparavant. Je fus étonnée, persuadée que les électrochocs n'étaient plus administrés en France. (Depuis les succès de la camisole chimique portant le joyeux nom de neuroleptiques.)

Je relaterai à présent, deux épisodes qui se sont déroulés avec deux personnes différentes.

- La première est une femme de vingt quatre ans qui marchait avec difficulté, cela étant du, selon ses dires, à un nerf coincé au bas de la colonne vertébrale. Ayant fait un peu de magnétisme auparavant (depuis que j'avais appris que mon grand-père maternel était magnétiseur, à l'occasion), je lui proposais d'essayer de la soulager par l'imposition des mains. Elle accepta. Effectivement, elle n'eut plus de difficulté à marcher. Je ne m'attendais pas à un tel résultat, pensant au départ la soulager uniquement de ses douleurs.

- Encouragée par cette expérience, je me retrouve plus tard à improviser encore le rôle de magnétiseuse. Il s'agit d'un homme d'une quarantaine d'année, Jean-Luc, qui ne pouvait marcher sans être soutenu par deux infirmiers. Il avait paraît-il un problème de genoux qui l'empêchait de tenir seul debout. Un soir, je me retrouvais avec lui et d'autres patients avec qui j'avais sympathisé, à discuter dans une chambre. A un moment j'aperçois l'aura de Jean-Luc qui est d'une intense couleur orangée, tout le long de son dos. Je le signale à une femme qui se tient assise à côté de moi. Elle me dit que la couleur que je lui décris signifie la maladie. J'ignore tout du symbolisme des teintes de l'aura, ne m'étant jamais plongée dans ces significations.

Je propose à Jean-Luc, qui ne pouvait toujours pas marcher, de le magnétiser, "pour voir." Après une passe magnétique effectuée tout le long de la colonne vertébrale (ayant remarqué à ce niveau, la couleur de son aura). il put se mettre debout, et marcher normalement.

Tout le monde est surpris par le phénomène, moi la première. J'essayais, plus tard, de me l'expliquer. J'émettais l'hypothèse que s'il ne pouvait tenir debout avant, cela était peut-être dû à une somatisation. Celle-ci pouvait être résolue par un procédé ayant un caractère magique.

L'imagination peut participer à ce processus car elle produit des changements dans l'esprit, ce dernier est alors amené à surmonter la maladie. La confiance que pouvait avoir Jean-Luc en moi était certainement amplifiée par un rejet des médecins, après des séances d'électrodyalises qui lui avaient été imposées auparavant.

En ce qui concerne d'autres éventuelles attitudes psychosomatiques, je constatais à Epinay-sur-Seine, que plusieurs personnes avaient des pathologies aux genoux. Le fait qu'un grand nombre de personnes soit dans ce même cas de figure m'a interrogée. Je décomposais alors le mot genoux.

On peut l'entendre de deux manières différentes :

- Je-nous.

- Je noue.

S'il y a un problème de genoux, cela est peut-être dû au fait qu'il y ait aussi un problème entre je et nous, entendu autrement comme étant :

- Je noue mal (genoux mal) avec les autres.

Il est toujours délicat de tenter d'expliquer des phénomènes se trouvant à l'interface de l'esprit et du corps. Une telle dissociation entre ces deux instances ayant déjà été marquée par la pensée moderne, il parait souvent hasardeux de s'aventurer dans de telles explications. Cependant, n'est-ce pas le néo-cortex qui est à la direction du cortex limbique, et des commandes motrices ? Cela permettrait de comprendre que l'esprit ait un tel impact et pouvoir sur le corps. Sans doute, si des recherches plus pointues sont effectuées dans ce domaine, pourrons-nous enfin expliquer certains phénomènes paraissant aberrants à l'esprit radicalement rationnel. Ils sont occultés, le plus souvent, parce que les scientifiques, à défaut de pouvoir expliquer les choses importantes de manière satisfaisante, préfèrent souvent les taire.

Il est fréquent que des couples se forment à Epinay, quel que soit le type de pavillon dans lequel chacun se trouve. Les relations sont aussi intenses qu'elles sont brèves, arrêtées dans la majorité des cas par le départ de la clinique d'un des deux protagonistes. Cette micro-société développe souvent une relation symbiotique aussi bien au niveau amical qu'affectif. Finalement, avec le départ de l'institution, c'est une parenthèse que l'on cherche à oublier. Renouer avec une personne après est synonyme d'un plongeon dans un passé trop proche pour être désaffectivisé, avec tout le bagage d'angoisse qui l'accompagne. Car il ne faut pas se faire d'illusion. L'apparente quiétude et "normalité" des patients cache souvent une perturbation profonde et l'abcès est rarement crevé, "pour préserver les apparences."

Cela pourrait expliquer les rechutes fréquentes, et les retours à la clinique, dans un état de plus visible déstabilisation ou d'abattement.

A l'hôpital de Perray-Vaucluse, je n'ai pas rencontré ce cas de figure et cela pour plusieurs raisons.

- Pour une pathologie identique, on est sûr d'y rester plus longtemps

- Ici, il n'est laissé aucune illusion, quant à notre santé d'esprit.

- Le service dans lequel j'étais était concernait la psychiatrie "lourde", c'est à dire où la majorité des patients étaient condamnés à rester "à vie".

- L'hôpital est également un lieu qui accueille des personnes dans un état de perturbation plus important, les urgences.

J'ai été surprise de voir des personnes auparavant S.D.F se retrouver dans la clinique d'Epinay-sur-Seine. En fait elles étaient S.D.F, certes, mais comme moi avaient encore un lien avec leur ancien passé (rarement la famille, plus souvent des amis). Ceux-ci les avaient inscrits à la sécurité sociale, afin d'être remboursés intégralement.

S.D.F d'accord, mais lorsque la santé mentale est en jeu, le passé avec sa famille ou ses amis en rattrape certains, afin qu'ils soient "mieux soignés et guéris plus vites".

III.4 Un langage ésotérique personnel || Retour TM