Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens
Robert-Vincent Joule
Jean-Léon Beauvois
notes de lecture, site effendi.info (archive)
Un petit livre formidable sur la manipulation, abordée sous le point de vue de la psychologie sociale. des expériences excellentes qui illustrent le fonctionnement de la manipulation. Apprendre à obtenir ce que vous désirez des autres, et éviter les pièges. Depuis avoir lu ce livre, si on me demande l'heure, je réponds: " Non désolé mais je ne tiens pas à être victime d'un effet de gel avec un double-pied-dans-la-porte !"
Expérience N°1: L'obole.
Le but de l'expérience est de demander une obole (20 centime d'euros) à un passant. Si avant de demander l'argent, on demande l'heure à cette personne, il y a 4 fois plus de chances pour qu'elle accepte de donner une pièce.Expérience N°2: Le sac à main
L'expérimentateur s'installe sur une plage avec son transistor. Avant de s'éloigner abandonnant sa radio à même le sable, il disait à son voisin l'une des deux phrases suivantes. Dans un cas (condition d'engagement): "Excusez-moi, je dois m'absenter quelques minutes, pourriez vous surveiller mes affaires ?" Tout le monde répondit oui à cette question. Dans l'autre cas (condition de contrôle) il disait: " Excusez-moi je suis seul et je n'ai pas d'allumettes.. auriez-vous l'amabilité de me donner du feu ?".
L'expérimentateur à peine partit, un compère venait voler le transistor. Dans la condition d'engagement, 95% des baigneurs intervinrent pour arrêter le voleur, et à peine 20% dans la condition de contrôle. Dans une expérience similaire réalisée dans un restaurant, 100% des personnes engagées intervinrent contre seulement 12,5% dans la condition de contrôle.On peut noter que TOUTES les personnes interrogées ont accepté de surveiller les affaires. C'est donc un choix forcé.
Expérience N°3: Amorçage
On demande à des étudiants de choisir entre 2 expériences à réaliser, en sachant que l'expérience A est beaucoup plus pénible que la B, et leur rapportera donc 2 heures de crédits, au lieu d'une pour l'expérience B . (NB: ces étudiants sont obligés de participer à des expériences au cours de l'année, pour un certain crédit d'heure. Ils ont donc intérêt à choisir celle qui rapporte le plus d'heures de crédit). Une fois qu'ils ont pri leur décision on leur dit que en fait, les 2 expériences valent 1 heure de crédit chacune. On leur demande alors d'effectuer un choix définitif. 81% des étudiants avaient choisi l'expérience A, et 61% ont persistés dans ce choix. (Contre à peine 31% pour le groupe contrôle, a qui on avait expliqué directement que les 2 expériences valaient le même crédit d'heure).
Les étudiants qui avaient été fortement orientés vers le test A par le chercheur (en lui expliquant qu'il préfèrerait qu'il fasse ce test la) changent totalement d'avis quand on leur dit que les deux expériences valent le même nombre d'heures (seulement 31% restent à l'expérience A, exactement comme le groupe de contrôle))C'est l'amorçage, une technique qui consiste à ne donner une partie des informations qu'après la décision, tout en laissant la possibilité de revenir sur cette décision.
On remarque que les personnes les plus manipulées sont celles non orientées par l'expérimentateur. En effet, elles s'identifient à leur décision de faire le test A (sentiment de liberté) et en change difficilement. Alors que les personnes orientés par l'expérimentateur, leur décision ayant été "forcée", elles ne se l'approprie pas, et n'ont aucune difficulté à revenir dessus. Un sentiment de liberté dans une décision, conduit à persister dans cette décision. C'est l'effet de gel."Les gens ont tendance à adhérer à ce qui leur parait être leurs décisions et à se comporter conformément à elles".
"Nous définirons le phénomène de la dépense gâchée comme un phénomène qui apparait chaque fois qu'un individu reste sur une stratégie, ou une ligne de conduite, dans laquelle il a préalablement investi (en argent, en temps, en énergie) et ceci au détriment d'autres stratégies plus avantageuses."
Expérience N°4: Le leurre.
On convoque des étudiants au laboratoire, en leur proposant une recherche passionnante et très bien payée. C'est le leurre. Là, on leur dit que la recherche à été déprogrammée, qu'ils peuvent rentrer chez eux. Dans le hall, un second expérimentateur leur propose une étude chiante à mourir, et pour pas un sou. Et bien les étudiants sont 2 fois plus nombreux que le groupe de contrôle à accepter.Expérience N°5: Le pied dans la porte.
Le pied dans la porte est une technique consistant à demander une requête peu couteuse (acte préparatoire) afin de préparer une requête plus couteuse .
Exemple: On demander (par téléphone) à des ménagères de faire la liste de toutes les denrées se trouvant dans leur placards. Requête couteuse, 22% des personnes interrogées acceptèrent. En faisant précéder cette requête d'un acte préparatoire (enquête de 8 questions sur leurs habitudes de consommation), le % de personnes acceptant passe à 53%.
Exemple: Même procédé afin d'amener des personnes à mettre un énorme panneau prônant la sécurité routière dans leur jardin.(Acte préparatoire: accepter de mettre un tout petit autocollant). Les résultats sont impressionnants, on passe de 17% d'acceptation (condition de contrôle) à 76% d'acceptation (pied dans la porte).Expérience N°6: pied dans la porte avec demande implicite.
Dans un supermarché, on demande à une personne de garder nos provisions, car:
Groupe 1 (faible justification): on a perdu un billet de 1$
Groupe 2 (justification forte): on a perdu un portefeuille avec beaucoup d'argent dedans.
Quelques secondes plus tard, un objet tombe du sac d'un second expérimentateur. Dans la condition de contrôle, 35% des personnes alertèrent le second expérimentateur. Pour les personnes du groupe 1, 80% alertèrent le second expérimentateur.(On note l'efficacité du pied dans la porte) Quant au groupe 2 (forte justification), seulement 45%. Tout ce passe comme si une forte justification équivalait à une pression. On ne peut pas refuser son aide a une personne ayant perdu son portefeuille plein d'argent. Ainsi, les sujets sont peu engagés par leur décision. C'est la théorie de l'engagement. Néanmoins, il faut remarquer que tous les sujets (faible ou forte justification) ont acceptés de garder les provisions. L'engagement dépend du sentiment de liberté qu'on a eu en prenant la décision.Expérience N°7: La porte au nez.
Cette technique consiste à demander un service très couteux, dont on est sur que la personne refusera, pour ensuite demander ce que l'on souhaite voir faire la personne.
Expérience N°8: Le toucher.
Il suffit de toucher une seconde une personne à l'avant-bras pour voir ses % de chance d'accéder à la requête demandée augmenter en flèche.
Exemple: "Auriez vous une pièce pour me dépanner ??" Condition de contrôle: 28% d'acceptation. Avec toucher de l'avant bras, 48%.
Autre exemple: Un premier expérimentateur demande une direction à un passant, et plus loin, un second expérimentateur demande de répondre à un long questionnaire. Groupe contrôle, 5% d'acceptation, groupe "touché", 40% d'acceptation.
Expérience N°9: Le pied dans la bouche.
Il suffit de faire précéder sa requête d'un formule de politesse.
Exemple: En faisant précéder une demande de don de la phrase "Comment allez vous ?", on fait passer le taux des donneurs de 10%, à 25%.Expérience N°10: Crainte puis soulagement.
Le nom de cette technique explique tout. On fait peur, puis on dit que c'est non finalement, rien de vilain ne va arriver.
Exemple: On mettait sur le pare-brise de voitures, une publicité ressemblant trait pour trait (à quelques mètres) à un procès-verbal. Quand la personne revenait à sa voiture, après avoir vu que ce n'était pas un PV, on lui demandait de répondre à un assez long questionnaire. Taux d'acceptation: 62 % contre 32% pour le groupe de contrôle.Expérience N°11: L'étiquetage
L'étiquetage consiste à dire à une personne qu'elle possède tel ou tel trait de caractère (généreuse, etc...) , et elle aura alors tendance à valider ce trait de caractère par ses actes.Expérience N°12: mais vous êtes libre de...
Cette technique consiste tout simplement à expliquer à la personne qu'elle est libre ou non de faire ce qu'on lui demande. Que c'est son choix.
Exemple: On demande de la monnaie. Taux d'acceptation 10%. Accompagné d'un mais vous êtes libre de.., le taux passe à 47.5%Expérience N°12: Un peu c'est mieux que rien
Exemple: Toujours pareil, on demande un peu d'argent, et on rajoute simplement, "Un centime c'est mieux que rien". Le taux d'acceptation passe de 28% à 50% , et de 32% à 64% dans une autre expérience similaire.Expérience N°13: Et ce n'est pas tout..
Consiste à rajouter une objet, ou un service à une offre dans le but de la faire plus facilement accepter.Expérience 14: Le pied dans la mémoire.
Consiste à faire se rappeler au sujets des actes qu'on veut lui voir reproduire.Expérience 15: Les pizzas
Cette expérience combine pied dans la porte et toucher. On fait gouter des bouts de pizzas dans des supermarchés, et touchant la moitié des cobayes à l'avant bras. Bien sur, les personnes ayant gouté la pizza en achète plus que le groupe contrôle, et moins que le groupe qui a gouté ET été touché par l'expérimentateur. Par contre, on pourrait s'attendre à ce que le groupe "touché" trouve la pizza meilleure, puisqu'il l'achète plus, mais ce n'est pas le cas. Le groupe qui a gouté et celui qui a gouté et été touché donnent la même qualité gustative au bout de pizza. Ils ne l'achètent donc pas parce qu'ils la trouve bonne !!!Expérience 16: Les enfants.
On laisse des enfants dans une salle avec un super robot.
Groupe A: "Ne jouez pas avec le robot, ce n'est pas bien".
Groupe B: "Si vous jouez avec ce robot je serais très en colère, et je serais obligé d'agir en conséquence".
Puis 3 semaines plus tard, on laisse les enfants dans une salle avec plein de jouets dont le robot. Groupe A:29% des enfants jouent avec le robot, contre 67% dans le groupe B.En conclusion , manipulez. Et si un peu de manipulation c'est bien, beaucoup c'est mieux. Combiner plusieurs technique assure un plus grand taux de réussite.
Une dernière petite expérience sur la dissonance cognitive.
On demande à des étudiants de faire un travail chiant à mourir durant toute une journée. Un groupe est payé 2$, et l'autre, 20$. Ensuite, on leur demande ce qu'ils ont pensé de leur journée. Ceux ayant été payés 20$ disent s'être ennuyés toute la journée, alors que ceux ayant été payés 2$, trouvent des intérêts à leur travail. Inconsciemment, on refuse d'avoir perdu toute sa journée à s'ennuyer pour 2$. Donc, si on a fait tout ça pour 2$, c'est que c'était pas si chiant que ça.
Enfin, un dernier petit sondage:
"Pensez vous que les guignols influencent les élections ?? Oui: 86%
Pensez-vous que les guignols ont influencés votre vote ?? Oui: 6%"Voui. Tout est dit. Je n'ai qu'un conseil à vous donner. Un gars vous demande de répondre à un questionnaire ?? Ca ne prendra qu'une minute ??
Ne perdez pas de temps à lui expliquer ce qu'est un pied dans la porte ou un effet de gel, contentez-vous d'un: "Va te faire enculer...." et ainsi, vous éviterez de vous faire manipuler. (bon , par contre vous passerez pour un gros con, mais tout est une question de choix)