La finalité des études de cas dans le Protocole MOE : forger l'analyste, pas seulement résoudre le cas
Une critique fréquente adressée au Protocole MOE est son apparente complexité. Pourquoi ne pas simplement appliquer une méthode pour "résoudre" un cas ? La réponse réside dans une inversion fondamentale de l'objectif : le cas n'est pas une fin en soi, mais un moyen. C'est un terrain d'entraînement, un miroir, un établi sur lequel l'analyste forge ses propres outils et met à l'épreuve sa propre posture.
1. Le protocole comme "boîte à outils" à assembler soi-même
Le Protocole MOE n'est pas une procédure standardisée à appliquer mécaniquement. C'est une boîte à outils conceptuelle. L'idée fondamentale est que l'enquêteur, face à un cas, ne doit pas chercher la "bonne méthode", mais doit réaliser lui-même son propre cas d'étude. Cela signifie qu'il doit activement :
- Poser ses propres limites : L'analyste doit définir explicitement le périmètre de son enquête. Va-t-il se concentrer sur l'analyse des témoignages, sur la trajectoire médiatique du cas, ou sur les rapports institutionnels ? Cette délimitation n'est pas une faiblesse, mais un acte de rigueur.
- Documenter son processus : Chaque choix, chaque hypothèse abandonnée, chaque biais identifié doit être consigné. L'enquête devient une enquête sur l'enquête elle-même.
C'est ici que la partie théorique du protocole doit s'aligner avec l'intervention sur le terrain. Les concepts d'énaction, de rationalité locale ou de réflexivité ne sont pas des ornements académiques ; ce sont des outils pratiques qui guident l'analyste dans la construction de son objet.
2. Le compte rendu ethnométhodologique : le ciment du processus
Comment s'assurer que cette liberté laissée à l'analyste ne mène pas à l'arbitraire ? La réponse est le compte rendu ethnométhodologique. Ce n'est pas un simple rapport de conclusion. C'est le ciment qui lie l'ensemble du processus.
- Il intègre les connaissances théoriques mobilisées.
- Il retrace le déroulé de l'enquête, avec ses difficultés et ses découvertes.
- Il sert de base à l'analyse à posteriori, en rendant le raisonnement de l'analyste entièrement transparent et, par conséquent, critiquable.
C'est ce compte rendu qui transforme la subjectivité inévitable de l'enquêteur en une subjectivité assumée et rigoureuse. Il répond à la critique potentielle du "biais de l'enquêteur" en faisant de ce biais un objet d'étude central.
3. Le choix des cas controversés : mettre la rationalité à l'épreuve
Ce qui m'intéressait dans ce projet n'était pas de faire juste une démarche ethnométhodologique appliquée à un sujet anodin. Je voulais traiter les limites des disciplines pour introduire les cas complexes et hors normes. Pourquoi ? Parce que ces cas (comme Voronej ou le Skinwalker Ranch) mettent à l'épreuve à la fois la rationalité savante et le savoir profane.
Dans notre vie quotidienne, il y a ce va-et-vient incessant dans le savoir de sens commun, quel que soit notre niveau d'éducation. Nous mobilisons constamment des logiques multiples pour naviguer dans le monde. Un cas OVNI hautement controversé agit comme un révélateur chimique : il fait apparaître de manière spectaculaire ces différentes logiques et leurs points de rupture.
C'est pour cela que j'ai cherché des cas d'école controversés. Ils ne sont pas intéressants parce qu'ils sont "mystérieux", mais parce qu'ils sont des laboratoires parfaits pour observer :
- Comment un scientifique tente de maintenir sa rationalité physicaliste face à un témoignage qui la défie.
- Comment un militaire gère la tension entre la procédure et une observation qui sort du cadre.
- Comment un témoin "ordinaire" accomplit le travail remarquable de construire un récit crédible à partir d'une expérience ineffable.
En étudiant ces cas-limites, l'analyste MOE n'apprend pas des choses sur les OVNIs. Il apprend des choses fondamentales sur la nature fragile, négociée et constamment reconstruite de notre réalité partagée. C'est là toute la portée pédagogique et stratégique de ce protocole.