A QUOI SERT LE TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE ?
L'AVIS D'UN EXPERT
" Cerveau disponible. " Le patron de TF1 s’essaie à la séance de rattrapage (09/09/2004)
C’est l’histoire d’une petite phrase qui en dit long sur l’état du PAF et sur la logique de puissance de " la première chaîne française ", privatisée en 1986. Au début juillet, Patrick Le Lay, PDG de TF1, s’apprêtait à faire entrer TF1 dans le capital de la Socpresse, éditeur entre autres du Figaro et de l’Express. À la même période paraissait un petit ouvrage les Dirigeants face au changement dans lequel il définissait son credo : " Le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit... Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible... " La formule cynique et aussi méprisante pour le téléspectateur de TF1 qu’à l’égard de la création, a fait le tour des milieux culturels indignés. La SCAM a édité une affiche reproduisant le propos, suivie d’un NON au mépris et à l’arrogance et d’un cri d’alerte à l’égard de la dégradation. Un producteur Jacques Kirsner a fait une violente et juste analyse dans Libération. Lors du Festival d’Avignon et encore lundi dans l’Humanité, Jack Ralite dénonçait ces formules qui de Seillière à Le Lay " atteignent la dignité humaine, agressent l’irréductible humain consacrent l’hégémonie du moins disant culturel. Lors de la conférence de rentrée, Marc Tessier, le PDG de France Télévisions avait pris le contre-pied en la plaçant sous le signe de " l’appel à l’intelligence ".
" Je reconnais que cette formule était un peu caricaturale ", confie en forme d’excuse, Patrick Le Lay, le patron de TF1 dans le numéro de Télérama paru hier. Mais M. Le Lay, s’il change les mots ne change pas le fond. " Ce n’était pas une interview officielle ", affirme le patron de la chaîne vouée au culte du dieu Audimat. " Le Medef m’avait appelé en me disant : on interroge des dirigeants d’entreprise sur + le changement et le mouvement +. Je ne me souviens plus précisément de cet entretien, mais, comme souvent, j’ai dû parler deux heures à bâtons rompus et tenir ces propos pendant la conversation ". On n’ose penser que le patron d’un grand groupe industriel puisse parler à la légère. Mais c’est sans doute notre cerveau qui défaille. En tout cas, M. Le Lay enfonce le clou. Alors qu’on lui demande s’il avait bien tenu ces propos, il répond : " Oui, sûrement. Je reconnais que cette formule était un peu caricaturale et étroite. Mais, encore une fois, c’était une conversation et j’ai l’habitude de forcer le trait pour faire comprendre les concepts ". " Le métier de TF1, c’est l’information et le programme (fiction divertissement, sport, magazines de découverte). Nous sommes une grande chaîne populaire et familiale dont l’objectif est de plaire à un maximum d’audience ", précise-t-il. " Nous vivons de la publicité, mais ce sont nos clients qui mettent au point les spots que nous diffusons. En réalité, que vendons-nous réellement à nos clients ? Du temps d’antenne ", précise-t-il. " La logique de TF1 est une logique de puissance. Nous vendons à nos clients une audience de masse, un nombre d’individus susceptibles de regarder un spot de publicité ", dit-il encore. " Pour les annonceurs, le temps d’antenne ne représente rien d’autre que des "contacts clients". De l’attention humaine. En particulier celle de la fameuse ménagère de moins de cinquante ans, largement décisionnaire dans les achats de produits alimentaires, entretien ménager et de beauté. "
Il fut un temps où TF1 arguait d’une " quête de sens ", décriait la téléréalité importée par M6 avant de s’y rallier massivement. Ce temps, qui n’a pas duré, est révolu.