La loi sur le Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information [1] du 1er août 2006, prévoyait des peines pouvant aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison pour le contournement des mesures techniques de gestion des droits numériques ou la simple copie d’œuvres numériques, y compris destinées à l’éducation. Ainsi l’Académie en ligne [2], lancée le 19 juin 2009 par le ministère de l’Éducation nationale, rappelle dans les conditions d’utilisation du site [3] : « Vous ne pouvez utiliser ces contenus qu’à des fins strictement personnelles. Toute reproduction, utilisation collective à quelque titre que ce soit, tout usage commercial, ou toute mise à disposition de tiers d’un cours ou d’une œuvre intégrée à ceux-ci sont strictement interdits. Le non respect de ces conditions vous expose à des poursuites judiciaires pour contrefaçon conformément aux articles L 335-2 et suivi du code de la propriété intellectuelle. Ces actes sont punis de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende. ».
Devant l’impossibilité d’appliquer des sanctions pénales très lourdes à des centaines de milliers d’internautes, la loi DADVSI prévoyait également une « riposte graduée », par la mise en place d’une contravention pour les échanges de fichiers protégés sur les réseaux peer-to-peer.
Mais le 27 juillet 2006, les Sages du Conseil Constitutionnel avaient estimé que la qualification en tant que contravention était « contraire au principe d’égalité devant la loi » [4].
En septembre 2007, Denis Olivennes, patron de la Fnac, fut donc
investi d’une mission par la ministre de la Culture, Christine Albanel,
afin de proposer un nouveau mécanisme de « riposte graduée »,
fondé sur des « mesures pédagogiques » dont la proposition phare
fut la création d’une autorité publique baptisée Hadopi.
Présenté en procédure d’urgence, le projet de loi Création et Internet,
instaurant une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la
protection des droits sur Internet fut adopté le 30 octobre 2008 par la
quasi totalité du Sénat qui avait examiné en une seule journée quelques
200 amendements[5].
Principalement visée par ces mesures pédagogiques : les jeunes
générations. « L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles
pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du
téléchargement illicite sur la création artistique. Ainsi, je me
félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans
le cadre de l’éducation nationale », déclara la Mme Catherine Morin-Desailly,
Sénatrice de la Seine-Maritime, Membre du groupe Union Centriste, lors
de séance du 29 octobre 2008[6].
M. Serge Lagauche, Sénateur du Val-de-Marne (Ile-de-France), Membre du
Groupe Socialiste, renchérit : « Je suis satisfait que certains de mes
collègues aient permis, par leurs amendements, l’ajout d’un volet
éducatif en prévoyant la sensibilisation des collégiens aux phénomènes
de téléchargement illicite et de peer to peer. ». M. Michel Thiollière,
rapporteur proposa donc de compléter l’article L. 312-9 du code de
l’éducation, qui prévoit actuellement que « tous les élèves sont
initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique » par
l’article 9 bis du Projet de loi favorisant la diffusion et la
protection de la création sur Internet qui fut votée au Sénat : « Dans
ce cadre, ils reçoivent une information, notamment dans le cadre du
brevet informatique et Internet des collégiens, sur les risques liés aux
usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers
du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres
culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions
encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L.
336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon.
Les enseignants sont également sensibilisés ».
En mars 2009, le texte fut soumis à l’Assemblée nationale. Six amendements[7] à l’Article 9 bis, proposés par des députés de la majorité parlementaire furent présentés, dont celui de Mme Marland-Militello, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, qui proposa dans la foulée de modifier l’article L. 312-6 du code de l’éducation concernant les enseignements artistiques.
Le 26 mars 2009, l’April, Association pour la promotion et la défense des logiciels libres publia un communiqué de presse[8] où l’on put lire : « Alors que le projet de loi Création et Internet est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, l’April tient à souligner combien le contenu de l’article 9 bis constitue un manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l’école. Cet article, qui condamne le téléchargement dans l’absolu, méprise le foisonnement d’œuvres en partage. Il désigne les technologies comme une menace, s’appuyant sur la vision partiale et biaisée d’industries n’ayant pas su s’adapter au numérique. »
Dans ses présupposés idéologiques le projet de loi Hadopi1
présentait, de façon partiale et manichéenne, le droit d’auteur sur
Internet en opposant la mise à disposition illicites d’œuvres
culturelles « nuisible » à la création artistique, à une « offre
légale » accessible sur un « catalogue des œuvres protégées »
permettant de rémunérer cette création.
Ce faisant, les promoteurs de la loi Hadopi occultaient tout simplement
la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres qui
constituent pourtant une offre légale abondante. D’après des estimations
minimales, 250 millions d’œuvres[9]
et documents sous licences Creative Commons étaient recensées en juillet
2009.
Une technologie neutre - le téléchargement - y était diabolisée alors
même que la notion d’échange d’informations via un protocole de
communication sur un canal de transmission constitue une notion
informatique de base qui devrait être intégrée au sein de l’enseignement
technologique en collège, au même titre que le modèle client/serveur sur
lequel s’appuie l’architecture du réseau Internet. De nombreux
adolescents pratiquent ces technologies tous les jours sans en
comprendre les principes sous-jacents.
Dire le droit et informer les jeunes générations des sanctions pénales encourues par le téléchargement illicite, ne doit pas se transformer sous l’égide du ministère de l’éducation nationale en propagande. Il importe que les enseignants soient formés, que de réels contenus soient institués au sein d’un véritable enseignement, expliquant le droit d’auteur, les licences, y compris celles sous copyleft, afin que les adolescents soient informés de ce qui est licite et de ce qui ne l’est pas. Il n’est pas tolérable de présenter les seuls intérêts du lobby de l’industrie du divertissement comme la seule alternative d’une offre légale au téléchargement illicite, au mépris de la neutralité scolaire et commerciale de l’école : « le service public d’enseignement doit en effet répondre à l’intérêt général et aux missions qui lui sont dévolues. Les établissements scolaires n’ont par conséquent pas vocation à effectuer des opérations commerciales »[10].
A l’Assemblée, quelques députés comme Martine Billard ou Jean-Pierre
Brard, déposèrent des sous-amendements, pour défendre la neutralité
scolaire, afin que l’Article 9 bis prenne également en compte
l’existence des licences libres et ouvertes. Ainsi, Mme Martine Billard,
pour soutenir le sous-amendement n° 527, déclara :
« L’article 9 bis prévoit que les élèves recevront une information
sur les dangers du téléchargement pour la création artistique dans le
cadre du brevet informatique et Internet des collégiens. Soit, mais
comme nous ne disposons toujours pas du rapport prévu par la loi DADVSI,
le débat reste ouvert sur le bilan de celle-ci. C’est la raison pour
laquelle ce sous-amendement vise à prévoir que l’information sera
« neutre et pluraliste » - ce n’est pas encore une réalité - et qu’elle
présentera « également la diffusion légale des contenus et œuvres sous
licences ouvertes ou libres ». Si j’insiste sur les licences du type Art
Libre ou Creative Commons, c’est qu’elles sont un excellent moyen de
diffusion légale de la culture et de partage culturel entre
particuliers. »[11]
Ces sous-amendements furent discutés mais rejetés suite à l’avis défavorable du rapporteur Franck Riester (UMP).
Occultées par la loi Hadopi, dans la présentation qui devait être donnée aux collégiens, les œuvres sous licences ouvertes et libres constituent une excellente alternative au téléchargement illégal. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels, ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et la transformation des œuvres.
L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adapté au monde de l’éducation. Inspirées du mouvement pour le logiciel libre, elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, l’album Ghosts I-IV de Trent Reznor, distribué sous licence de libre diffusion sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plate-forme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.
La France n’est pas en reste. Un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons. Plus de 30 000 œuvres musicales sur la plate-forme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, réunis au sein de la coopérative Libre Accès pour fournir un cadre économique assurant une juste rémunération aux artistes.
La création et la diversité sont les fruits de la multiplicité des échanges libres entre populations, ce qui est exactement l‘inverse de ce que tente d’imposer l’Hadopi. L’école a tout intérêt à travailler sur des ressources libres, mais également sur des logiciels libres qui constituent une forme d’éducation à la citoyenneté.
Lors des débats sur Hadopi2, M. Brard et Mne Billard proposèrent
l’amendement 181 qui stipulait
[12] :
« L’article L. 312-6 du code de l’éducation dans sa rédaction issue
de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la
protection de la création sur Internet est complété par un alinéa ainsi
rédigé : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte
également sur l’offre légale d’œuvres culturelles, sur les services de
communication au public en ligne, notamment les avantages pour la
création artistique du téléchargement et de la mise à disposition
licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. ».
Dans sa dernière version, Hadopi 2 ne fait plus aucune référence à la modification du code de l’éducation. Reste posée la question de l’exception pédagogique.