COPYRIGHT ET COPYLEFT SUR SAMIZDAT.NET

PAR SAMIZDAT.NET

Nous sommes, par définition, opposés à tout ce qui pourrait limiter la libre circulation des savoirs et des cultures, et donc à toutes les formes d'appropriation privée des créations intellectuelles. N'est-il pas incroyable, par exemple, que les lois imbéciles qui régissent le copyright et le « droit d'auteur » [1] empêchent pratiquement, en France, des étudiants de travailler sur l'oeuvre de Raymond Queneau, et de publier, même sur le web, leurs travaux s'ils contiennent une trop forte ( !) proportion d'estraits de textes du maîtres, à moins de s'acquittés au passage d'exorbitants « droits » auprès des « ayants droits ».
 
 

 Droit de copie et libre circulation de savoirs

Dans le même temps, le « no-copyright », utopie généreuse de l'abolition immédiate de toute propriété intellectuelle, nous semble aussi une position « un peu courte » dans la mesure où, en autorisant a priori toutes formes de reproduction et de modification des documents, elle autorise aussi implicitement leur éventuelle appropriation privée. Ainsi un texte sous « no-copyright » peut-il être librement repris par un magazine ou un ouvrage commercial, sans autre forme de procés, et pour le plus grand bénéfice d'un éditeur qui se trouve ainsi exempté de toute rémunération de cette production intellectuelle. Pire, le texte pourraît être tronqué, détourné de son propos initial, ou encore récupéré par un auteur peu scrupuleux.
La principale limite du « no-copyright » nous semble être la même que celle de la licence BSD en matière de code informatique : une trop grande permissivité autorise finalement la « captation » (et donc la privatisation) par des intérêts commerciaux d'une production coopérative et communautaire.
De ce point de vue, le principe du copyleft, comme renversement du principe même du copyright, est sans doute la forme la plus appropriée pour guarantir à la fois la libre circulation et coopération des savoirs et une protection des droits de l'auteur, en d'autres termes de garantir de façon effective le liberté des savoirs. En effet, le copyleft - principe qui préside aux diverses licences du logiciel libre du projet GNU - utilise les règles mêmes du copyright pour garantir : la liberté d'utilisation, la liberté de reproduction, la liberté de modification (ce qui suppose l'accès aux sources), et la liberté de diffusion de versions modifiées pour peu qu'elles soient elles-mêmes sous copyleft.

Les licences actuelles du copyleft [2] renvoient avant tout, cela dit, à la production de logiciels (programmes et bibliothèques) et de documentation informatique : il ne s'agit donc pas de procéder à un portage mécaniste de celles-ci de façon inconsidérée. En effet, quel sens cela pourrait-il avoir de diffuser un texte d'opinion sous une licence qui autorise les versions modifiées ? Quel pourrait bien être le « code source » d'une photo à rendre disponible ?

Enfin, le choix du « statut » d'un document nous semble aussi relever avant tout d'un choix personnel de son auteur et renvoyer à un principe de liberté individuelle. Chacun est libre de décider l'usage qu'il entend autoriser ou non de sa propre création [3]. La forme, et en particulier le « statut juridique » d'une production intellectuelle, ne saurait, d'autre part, en aucun cas primer sur son sens et son contenu.
 
 

 De quelques principes pratiques

Partant de cet ensemble de considérations les documents publiés sur samizdat.net peuvent renvoyer à plusieurs type de « licences » (ou de principes) en matière de copyright. Le choix en appartient d'abord aux auteurs, mais renvoit à un certains nombre de considérations politiques que nous voulons rapidement présenter ici :
- La libre copie verbatim. Il s'agit du principe de libre reproduction intégrale, sans modification et avec inclusion de la notice de libre reproduction. C'est cette forme de copyright que beaucoup d'entre nous ont adopté pour les textes d'opinion qui nous semblent ne pas nécessiter de bénéficier (bien au contraire) d'une liberté de modification mais que nous souhaitons affranchir de toute limitation de reproduction. Ce principe pourrait parfaitement s'appliquer aussi à des productions littéraires, soit dit en passant. Une version un peu différente de ce même principe est mis en avant par la Licence de Libre Diffusion de Documents de Bernard Lang qui devrait être prise en considération.
- La Free Documentation License (FDL) du GNU. Il s'agit de la license de « documentation libre » du dispositif mis en place par le projet GNU : elle complète la General Public License (GPL), qui concerne les logiciels, et la Lesser General Public License (LGPL), plus permissive, qui concerne les biblothèques informatiques. La FDL a été conçue pour permettre la production coopérative de documentation pour les logiciels libres [4], mais elle nous semble s'adapter parfaitement à toute production à vocation « pédagogique » ou « technique ».

- La License d'Art Libre (LAL). Créée dans le sillage de l'initiative Copyleft Attitude, elle est une intéressante tentative d'extension du domaine de la lutte par d'application du principe du copyleft aux productions artistiques. A noter que certains artistes choisissent de mettre leurs oeuvres directement sous GNU/GPL (voir GNUart).

- No-copyright, copywrong, copydown, etc. Par-delà les réserves évoquées plus haut, il s'agit de tentatives de forcer une liberté d'accès et d'utilisation des productions intellectuelles. Nombre de textes et documents de l'aire politique et culturelle où nous évoluons (en particulier en Europe) font référence explicitement à l'un de ces principes de liberté totale de reproduction : ils se retrouveront forcement abondamment présents dans ce que nous publions.

- Le copyright. Certains auteurs autorisent la reproduction de leurs productions sur des médias alternatifs, militants et/ou non-commerciaux, mais entendent garder le plein contrôle du « droit de reproduction » (et donc maintenir un bon vieux copyright). Comme nous l'avons dit, c'est une question de choix personnel que nous respectons. Mais celui-ci soulève aussi une vraie question politique : pour diverses raisons quelqu'un peut en effet désirer accorder de façon « conditionnelle » la liberté de reproduction de ses propres productions, pour éviter par exemple les exploitations commerciales ou idéologiques indues [5]. Il y a là, peut-être, un « vide » qu'il faudra sans doute, un jour, combler.

- Le freeware littéraire. Lancé par l'écrivain de science fiction Bruce Sterling, le litterary freeware affirme la libre reproduction des textes tout en limitant celle-ci à un usage non-commercial. Cette position, proche de la libre copie verbatim, a l'avantage pour certains types d'oeuvre (les textes littéraires par exemple) de les protéger de toute exploitation commerciale indue, sans pour autant restreindre la liberté de reproduction. Cela répond en partie à la question pose au point orécédent.

- La copie illicite. Bien que tout à fait respectueux du droit de l'auteur sur son oeuvre, il y a cependant quelques cas où nous pouvons considérer que le droit de copie, même « illicite » ( !), prîme largement sur la « propriété intellectuelle » telle qu'elle s'entend en droit commercial. C'est le cas, par exemple pour les interviews de l'un d'entre nous, ou d'un acteur du mouvement social, où nous ne reconnaissons que le droit moral de la personne qui s'exprime. C'est le cas aussi pour les photos prises au cours de luttes et de mouvements collectifs où nous considérons que l'usage interne à ces mêmes mouvements et luttes se passe de toute notion de droit commercial. Cela n'empêche pas, certes, de créditer « l'auteur » (quand on y pense, il est vrai), mais cela reste un point secondaire.
 
 

 Pour ne pas conclure

Cet ensemble de notes n'entend pas épuiser - loin de là - le débat de fond sur la « propriété intellectuelle » aujourd'hui. Notre propos étant ici plutôt d'expliciter un certain nombre de choix politiques qui sont les notres dans le cadre de la politique éditoriale de samizdat.net [6].
Pour éventuellement compléter l'argumentation sur les questions qui ne sont ici qu'à peine effleurées il est possible de se reporter aux sources ( !) des textes et documents auxquels nous faisons référence explicitement ou implicitement, en particulier :
- Association pour la promotion et la recherche en informatique libre (April). Sur le site de l'April on trouvera un important ensemble d'articles et de document sur les logiciels libres et le copyleft.

http://www.april.org

- Freescape. Le « Portail du libre », créé dans le prolongement de l'anthologie Libres enfants du savoir numérique, publiée aux Editions de l'Eclat, sous la direction d'Olivier Blondeau et Florent Latrive.
http://www.freescape.eu.org

- Copyleft Attitude. Cette initiative à pour objectif de faire connaitre et promouvoir la notion de copyleft dans le domaine de l'art contemporain : « prendre modèle sur les pratiques liées aux logiciels libres pour s'en inspirer et les appliquer pour la création artistique. »
http://artlibre.org

- La biblioweb de samizdat. Une section « Innovations, savoirs, cultures et copyright » rassemble divers documents politiques sur la question de la propriété intellectuelle, en particulier autour du débat no copyright/copyleft.
http://www.samizdat.net/biblioweb
 

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[1] Qui, soit dit en passant, n'ont plus rien à voir avec la défense de l'« auteur » mais renvoient à un système de propriété sur les droits de reproduction et d'exploitation.

[2] Nous considérons comme telles les licenses du projet GNU stricto sensus. Il existe bien sûr d'autres licences libres, en matière de logiciels en particulier, comme la licence BSD ou l'Artistic Licence.

[3] Nous n'entrerons pas ici dans les considérations sur le fait qu'il n'y a probablement pas de création totalement exempte d'influences, donc du mécanisme même du plagiat.

[4] Reprenant en cela les quatres libertés du libre : usage, distribution, modification, liberté des versions modifiées.

[5] Imaginons ainsi un recueil de nouvelles ou d'articles libres, dont l'éditeur encaisserait les bénéfices sans rien verser aux auteurs ; ou encore une publication d'extrême-droite récupérant un texte « gauchiste » à des fins confusionistes dont les fachos raffolent.

[6] Sur les parties du serveur tout du moins gérées directement par l'association, et non pour l'ensemble des sites hébergés, dont chacun a, ou n'a pas, sa propre politique en matière de « droits d'auteurs ».

Copyright © 2001 samizdat.net. Les copies conformes et versions intégrales de cet article sont autorisées sur tout support pour peu que la notice de copyright et cette présente notice soient conservées. Première version, 3 août 2001. Dernière mise à jour 25 septembre 2001.