Paris, le 4 décembre 2002 - Le DMCA (Digital Millennium Copyright Act) défraie la chronique aux États Unis depuis 1998, en créant de nouveaux délits sanctionnant des actes autorisés auparavant. La version française du DMCA arrive [1], discrètement discutée depuis un an par le CSPLA [2] (Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique). Loin d'être plus modéré que le DMCA, le projet de loi qui sera discuté à huis clos jeudi 5 décembre 2002 propose même d'autoriser des associations telles que le BSA à se substituer purement et simplement aux auteurs. Pourquoi un tel durcissement alors qu'il est possible de préserver l'intérêt général ? Pourquoi les associations APRIL et FSF ne sont pas à la table des négociations ?
Le DMCA, comme la directive européenne (du 22 mai 2001 [3]) dont est issue le projet de loi [1], a pour intention déclarée de réprimer la contrefaçon. Afin d'y parvenir le législateur commet l'impardonnable erreur, tant du point de vue du droit que d'un point de vue humaniste, de remplacer la loi par la technique.
Si le projet de loi est approuvé, n'importe quel procédé baptisé "contrôle d'utilisation" (article 14 de l'avant projet) décidera de ce que vous avez le droit de faire ou non, à la discrétion de l'auteur. La toute puissance légale de ce procédé (il peut s'agir d'un appareil aussi bien que d'un logiciel) est stupéfiante: peut être condamnée toute personne qui en parle ou qui le contourne, sans même qu'il soit nécessaire de démontrer que cette personne ait eu l'intention de commettre une contrefaçon.
Les exemples que nous a fourni le DMCA par le passé sont éclairants et montrent jusqu'à quels extrêmes la substitution de la loi par la technique pourrait nous mener en France. Par exemple, un serveur de jeux vidéo sur internet, entièrement issu des efforts originaux d'une équipe de développeurs, s'est vu interdire par la justice américaine. Son seul délit était de ne pas contenir les mêmes procédés de "contrôle d'utilisation" que son concurrent. Ce cas peut se décliner pour tous les services en ligne, mettant de facto en péril l'interopérabilité des programmes.
On constate donc qu'un procédé qualifié arbitrairement de "contrôle d'utilisation" permet à la personne qui le diffuse d'exercer un pouvoir sans précédent, qui déborde de beaucoup la répression de la contrefaçon. Aucun des rédacteurs de l'avant projet de loi ne suggérerait de résoudre le problème de la délinquance et de l'insécurité en emprisonnant toute la population. C'est pourtant ce qu'ils proposent de faire, à l'échelle des droits d'auteur. Tout d'abord il est évident que ces systèmes porteront atteinte à la vie privée de chacun d'entre nous. Mais il reste aussi deux questions d'importance : qui détient les clés des nouveaux verrous techniques, et que devient cet "intérêt général" sur lequel insiste la directive (considérants 3 et 14) ?
Nous croyons parfois que les lois sont immuables et justes et sont surtout conçues en vue de l'intérêt du plus grand nombre. Malheureusement cet avant projet de loi nous rappelle à l'inverse que dans certains cas ce sont des groupes de pression qui les rédigent, au détriment de l'intérêt général. La directive européenne développe un biais en faveur des éditeurs et des majors mais elle s'abrite habilement derrière des statistiques de contrefaçon et ne rencontre pas pour l'instant une opposition efficace. La maladresse stratégique des rédacteurs de l'avant projet de loi français leur a fait dévoiler leurs véritables ambitions.
L'article 27 du projet de loi autorise les organismes de défense professionnels à se substituer aux auteurs. Par exemple le BSA aurait le droit d'agir au nom d'un auteur, comme s'il était lui même l'auteur, sans même le consulter. Le BSA (Business Software Alliance, dont le principal membre est Microsoft) pourrait aussi perquisitionner dans les entreprises. Et cette proposition n'a rien à voir avec la directive européenne du 22 mai 2001.
Mais il n'est pas trop tard pour agir. Sans déroger à la directive, qui doit être transposée en droit national dans chaque pays d'Europe d'ici le 22 décembre 2002, il est possible d'en corriger les effets pervers:
Le CSPLA délibère le 5 décembre 2002, à huis clos. Grâce à la divulgation prématurée de l'avant projet, une réaction a pu avoir lieu. Mais comment se fait-il que le Logiciel Libre ne soit pas représenté au CSPLA et qu'une fuite d'information soit le seul moyen pour nous d'être au courant des choses ? Alors que gouvernements, entreprises et individus sont de plus en plus nombreux à se rassembler autour des idéaux de partage et de liberté du Logiciel Libre, l'absence d'associations telles que l'APRIL ou la Free Software Foundation (FSF) est anormale. Avec une reconnaissance institutionnelle des associations de défense du Logiciel Libre nous pourrons contribuer à défendre l'intérêt général.
[2] http://www.culture.fr/culture/cspla/conseil.htm
[3] http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2001/l_167/l_16720010622fr00100019.pdf
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