Vladimir Poutine dénonce l'unilatéralisme américain
13 février 2007
Le Monde (France), mardi 13 février 2007, p. 4
Laurent Zecchini
Le président russe estime que ” le monde est moins fiable ” depuis la fin de la guerre froide. Un vent froid, rappelant le climat de la guerre froide, a soufflé sur Munich, samedi 10 et dimanche 11 février, à l’occasion de la 43e Conférence sur la politique de sécurité. Pour sa première visite à ce rendez-vous international annuel connu comme le ” Davos de la sécurité “, le président russe, Vladimir Poutine, a choisi de se livrer à une critique tous azimuts de la politique des Etats-Unis, coupables, selon lui, d’unilatéralisme dans la gestion des affaires du monde.
Le ton parfois vindicatif employé par le président russe a surpris cet auditoire de quelque 300 spécialistes des questions stratégiques (dont une quarantaine de ministres), mais le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, dont c’était aussi la première visite à ce forum de la sécurité, n’a pas voulu jeter de l’huile sur le feu, sans pour autant dissimuler l’inquiétude que lui inspire une politique russe qui ” semble aller à l’encontre de la stabilité internationale “. ” Une guerre froide, cela a été largement suffisant “, a-t-il souligné, tout en indiquant son intention d’accepter l’invitation de M. Poutine à se rendre à Moscou.
L’élargissement continu de l’Alliance atlantique à des pays qui étaient naguère intégrés dans l’ex-URSS, ainsi que le projet de Washington d’étendre son bouclier antimissile à l’Europe en installant des radars en République tchèque et des missiles en Pologne, alimentent depuis longtemps l’exaspération de Moscou. En tirant la conclusion que ” la guerre froide a laissé derrière elle des munitions qui n’ont pas encore explosé “, Vladimir Poutine a choisi un registre de la menace voilée plutôt anachronique (mais sans doute à consommation intérieure), qui cadre mal avec le climat relativement décrispé des relations russo-américaines.
” Un pays, les Etats-Unis, sort de ses frontières nationales dans tous les domaines. C’est très dangereux : plus personne ne se sent en sécurité, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international “, a déclaré le président russe. ” Ceci alimente une course aux armements, avec le souhait de pays de se doter d’armes nucléaires “, a-t-il assuré dans une allusion indirecte à l’Iran.
Le chef du Kremlin qui, comme Robert Gates (ancien directeur de la CIA), s’est présenté comme un ” ancien espion ” de la guerre froide, a donné sa définition du ” monde unipolaire ” voulu, selon lui, par Washington : ” Cela signifie un centre de pouvoir, un centre de décision agissant comme un maître unique, un souverain unique, qui s’effondrera de l’intérieur. Cela n’a rien à voir avec la démocratie. “
Si la guerre froide n’a pas dégénéré en conflit Est-Ouest, a insisté M. Poutine, c’est parce qu’il y avait un ” équilibre ” : ” C’était une paix effrayante et fragile mais assez fiable. Aujourd’hui, la situation est moins fiable. Je pense que les Etats-Unis développent des armes offensives “, a-t-il affirmé. Il en veut pour preuve le bouclier antimissile qui, estime-t-il, pourrait constituer à l’avenir une menace pour les armes stratégiques russes : ” Ainsi, l’équilibre n’existera plus du tout. Ce qui veut dire que l’une des parties aura les mains libres pour des conflits locaux, et probablement globaux “, a ajouté le président russe. Robert Gates s’est efforcé de dédramatiser l’impression d’une quelconque escalade avec Moscou. ” Personne ne souhaite une nouvelle guerre froide avec la Russie “, a-t-il insisté. Le bouclier antimissile américain ” n’est pas orienté ” contre Moscou et ne fournira d’ailleurs aucune protection contre les missiles stratégiques russes, a-t-il indiqué.
Le secrétaire américain à la défense, qui s’est montré soucieux de présenter de lui-même une image moins provocante que celle de son prédécesseur Donald Rumsfeld, a souligné que les oppositions entre la ” vieille ” et la ” nouvelle ” Europe, entre l’” Est ” et l’” Ouest “, ” appartiennent au passé “. Il a néanmoins dénoncé la politique de transferts d’armements de la Russie (une référence aux missiles russes Tor M-1 livrés à Téhéran) et la propension de Moscou d’utiliser ses ressources énergétiques pour ” la coercition politique “.
Ce cheval de bataille a été enfourché par le sénateur américain John McCain, pour qui la Russie utilise ses ressources énergétiques ” à des fins d’intimidation “. ” Le monde est multipolaire et il n’y a pas de place pour les confrontations inutiles “, a-t-il souligné. La plupart des responsables américains présents à Munich ont choisi de répondre avec modération à Vladimir Poutine, et la chancelière allemande, Angela Merkel, s’est voulue rassurante : ” La Russie est un partenaire énergétique fiable, qui souhaite l’être et le sera “, a-t-elle affirmé.
Sergueï Ivanov lui-même, en vieux briscard de la conférence de Munich (il était présent pour la 7e année consécutive) a, lui aussi, voulu atténuer l’impact des propos du président russe. Il ne faut pas y voir ” le moindre esprit agressif et de confrontation de type guerre froide ” envers les Etats-Unis, a plaidé le ministre russe des affaires étrangères.