Les Rencontres mondiales du logiciel libre (lsm.abul.org/) de Bordeaux, France, ont pour objectif de favoriser la réunion du maximum de participants possible pour :
Les thèmes retenus cette année reprennent à peu de chose près la liste des deux premières éditions. Il s’agissait de :
La nouveauté du programme a consisté cette année en :
La question d’actualité n’est plus celle de l’importance, de l’utilité ou de l’inéluctabilité du recours au logiciel libre pour l’Afrique. Pour bonne qu’elle soit, cette question ne s’adresse pas spécifiquement à la seule Afrique ; elle concerne tous les continents, tous les pays et toutes les entités socio-économiques. Il n’y a pas lieu de trop insister sur son lien avec l’Afrique, de peur de la marginaliser une fois encore ou de la confiner dans un certain particularisme qui s’est jusqu’à maintenant révélé contreproductif.
Le rapport sera charpenté autour de clefs de voûte favorisant le passage massif, intégral et durable de l’Afrique, des pays africains et de leurs systèmes d’information aux logiciels libres dans des conditions optimales. Au-delà de l’utilisation, il s’agit d’une véritable appropriation et d’une implication beaucoup plus déterminante et significative tant dans la démarche du libre et de l’" open source " que dans le développement et l’industrie du logiciel libre.
La théorie et la pratique du logiciel libre ou ouvert s’étant révélées productives et efficaces à maints points de vue, au regard des engagements massifs sur le logiciel libre intervenus en Amérique (Mexique, Pérou, USA, etc.), en Asie (Chine, Inde, etc.) et en Europe (Allemagne, Finlande, France, etc.), il n’y a pas de raison que l’Afrique n’exerce pas son droit souverain et son libre arbitre pour s’engager résolument dans la création des bases solides et propres de la société de l’information qu’elle ambitionne, assumant ainsi sa part de fardeau dans la conquête de son autonomie cybernétique et la préservation de son identité numérique dans un monde multipolaire interconnecté et interdépendant. Ce virage du choix numérique décisif ne doit pas être éludé ni raté par l’Afrique au risque de compromettre sa constitution en tant que partenaire majeur et responsable, maître de ses ressources informationnelles et communicationnelles, ressources en passe de devenir la principale ressource de ce siècle et des siècles à venir. N’ayant pas d’éditeurs majeurs dans le domaine du logiciel, propriétaire ou libre, l’Afrique se doit d’investir plus que tout autre continent dans le logiciel libre, en adoptant sinon en utilisant la philosophie émancipatrice, la culture et l’éthique du libre ainsi que son modèle économique dont la viabilité préfigure l’économie nouvelle, cette économie à base de connaissance, de services avancés.
Contribuer à l’émergence d’éditeurs de logiciels libres, à l’essor d’une véritable armée de développeurs de logiciels libres aptes à assurer une présence numérique de l’Afrique dans un monde qui se dématérialise de plus en plus au gré de l’avancée de l’ère informationnelle est un choix stratégique de premier plan pour l’Afrique. La maîtrise d’ouvrage et d’œuvre des ressources numériques en tant qu’outil et facteur clés de développement est placée depuis les années 80 au cœur de la stratégie nationale et planétaire en matière d’information des principaux pays développés : l’information est une denrée stratégique au même titre sinon plus que le pétrole, l’uranium, etc. L’Afrique ne peut se permettre d’y déroger.
Les thèmes techniques et publics des 3èmes RMLL ainsi que des précédentes sessions offrent, individuellement comme pris en ensemble, un cadre suffisamment large et inspiré de concertation et de veille technologique devant permettre à l’Afrique de bâtir les éléments de réponse au défi des logiciels libres au service de son développement. C’est dire l’importance de tous les thèmes du programme des RMLL’2002.
Amené à choisir pour raison de commodité les thèmes les plus saillants, nous pourrions privilégier l’étude des logiciels libres selon les 4 thèmes suivants :
Au titre des grands domaines d’activités dont la pénétration massive constitue un objectif prioritaire de la stratégie des logiciels libres nous retiendrons les cinq thèmes délimités plus haut.
Aboutissement des efforts déployés par la communauté des chercheurs et du milieu académique en général, les logiciels libres ont historiquement très tôt profité à ce milieu. C’est réellement avec les logiciels libres que la liberté académique peut s’exercer dans toute sa plénitude, le travail collaboratif, les échanges et la mutualisation des contributions s’accomplir dans leur variété, la démocratie numérique à l’école comme dans la famille se réaliser au niveau des élèves, toutes vertus dont la valeur pédagogique est éminente.
La liberté d’utiliser et de distribuer les logiciels libres, naturellement vécue par les bénéficiaires que sont les apprenants, les enseignants et les chercheurs, à défaut d’être une panacée est une véritable alternative face aux deux maux endémiques des logiciels propriétaires qui hantent les milieux académiques défavorisés, à savoir la tentation du piratage (www.globenet.org/csdptt/rapports/logiciel_libre.php) et la hantise de la famine ou de l’exclusion logicielle.
L’accès aux codes sources permet aux étudiants et aux chercheurs d’étudier et de comprendre les programmes ainsi que les techniques et méthodologies de programmation dans la logique du progrès continu tant au niveau disciplinaire qu’à celui des pratiques et des usages. Il leur permet, à chacun et à tous, de passer rapidement du statut d’utilisateur à celui d’utilisateur avancé puis à celui de contributeur ou de développeur pouvant partager ses apports avec la communauté qui l’a lui-même aidé.
La pérennité des ressources actuelles et à venir, tributaire des formats de données stables, communs et partagés du fait de la non dépendance de la volonté et de la politique des grands éditeurs propriétaires, favorise une gestion plus pérenne et moins onéreuse du patrimoine informationnel, des technologies mises en œuvre ainsi que des pratiques comme celles liées aux grands gisements de données (data mining, cf. www.codata.org/).
Lorsque de surcroît l’on intègre l’impératif économique dans le modèle des ressources informatiques académiques, l’on comprend toutes les promesses des logiciels libres pour " une école citoyenne et républicaine ", telle qu’envisagée aux RMLL ainsi que pour l’érection d’un système de recherche efficace, particulièrement dans les pays en développement.
Les ateliers thématiques, les manifestations grand public (présentations de produits, solutions, etc.) de ce thème (lsm.abul.org/program/topic14/topic14.php3) ainsi que les acteurs particulièrement dynamiques et productifs ont une importance de tout premier plan pour l’école, l’EPT, la société de l’information et les divers programmes de revitalisation de l’éducation, de la formation, de la recherche et de la documentation en Afrique et dans les pays en développement, allant ainsi dans la direction des objectifs déclarés du NPDA (www.un.org/esa/africa/NEPADfrenchtext.pdf) visant à combler l’écart dans le domaine de l’éducation et de la recherche.
Concrètement, ce thème a enregistré des présentations techniques sur des solutions ou produits comme :
Les contributeurs au niveau de ce thème ont présenté plusieurs expériences concrètes et études de cas qui ont permis de s’informer sur les enjeux, les stratégies mises en œuvre, les résultats obtenus, les difficultés rencontrées.
Parmi les solutions éducatives présentées, il mérite de citer la solution AbulEdu pour les écoles primaires (www.abuledu.org/) : dans une école de 200 élèves à Gradignan dans la banlieue de Bordeaux, une solution informatique a été mise en place avec un serveur Gnu/Linux à 5 000 FF et un parc de PC allant du 486 au Pentium donnés par des entreprises ou des associations. AbulEdu est le produit modulable issu de la généralisation de cette solution. Il comprend (i) une interface de gestion destinée aux instituteurs n’exigeant aucune compétence informatique, (ii) un ensemble d’applications avec un seul choix de logiciel pour chaque catégorie (1 seul traitement de texte, 1 seul éditeur graphique, etc.), (iii) un outil de partage des ressources (imprimante, Internet) avec un lecteur de carte à puce pour permettre aux élèves de se loguer avec nom d’utilisateur et mot de passe, (iv) un serveur sans clavier ni écran, localisé dans une zone sécurisée. Deux CD-ROM comprenant le système ABULEDU GNU/Linux sont diffusés pour les écoles depuis deux ans environ.
Concernant les entreprises, elles ont tout à gagner en passant à Gnu/Linux et aux LL, telle est la recommandation principale de ce thème. Longtemps plébiscité pour ses prouesses techniques, Gnu/Linux et les LL sont aujourd’hui sortis des campus universitaires et des ateliers de développeurs pour rentrer de plain pied dans les entreprises. Leurs atouts techniques (multi-plates-formes, multi-tâches, multi-utilisateurs, facilité de portage grâce à leur conformité à la norme POSIX, riches fonctionnalités de sécurité, fiabilité, disponibilité des sources, libre distribution, coût quasi-nul, maintenance solide, …) ne sont pas étrangers à cette percée dans le monde de l’entreprise.
Le thème a confirmé la viabilité du modèle économique du LL et indiqué les conditions à remplir pour passer à un modèle économique soutenable. En effet, le mécanisme de diffusion des LL privilégiant le téléchargement tant pour le logiciel que pour sa documentation n’est pas pour faciliter la réalisation des profits : les sociétés qui opèrent dans le libre et l’OpenSource se doivent donc, à la différence des sociétés vendant les licences de logiciels propriétaires, de fournir une vraie valeur ajoutée à leurs offres et services. Elles créent de la richesse moins à travers la vente des logiciels que par le service, le conseil, le travail à façon et le développement adapté comme indiqué au point 3.4 sur la viabilité du modèle de développement lire et ouvert.
Le marché du logiciel voit se profiler trois types
d’acteurs professionnels spécialisés en LL et OpenSource
: éditeurs de logiciels, sociétés de services et d’ingénierie
informatique (SSII) et constructeurs dont les parts ne cessent d’augmenter
de jour en jour.
Ce thème était l’un des plus prisés des RMLL tant il aborde des problèmes qui se trouvent au cœur de la bataille du logiciel : protection logicielle, économie du logiciel libre, politique du libre. Les enjeux sont de taille et intéressent l’Afrique au plus haut point.
Le logiciel informatique y compris le logiciel libre relève légalement de la propriété intellectuelle. L’inclination actuelle vers une extension du champ de la propriété intellectuelle entraîne une recrudescence des velléités de brevetabilité des technologies informatiques, souvent aux dépens de l’innovation. Il est connu la double fragilité de la communauté du logiciel libre face au verrou du brevet (au niveau de ses développements qu’elle ne peut aisément protéger du fait de l’accessibilité du code source et au niveau des logiciels propriétaires qu’elle ne peut acquérir par insuffisance de ressources financières requises). Le brevet est l'ennemi public numéro un des acteurs économiques du logiciel libre. Reconnu aux Etats-Unis et au Japon, le brevet sur le logiciel n'est pour l'instant pas entièrement accepté en Europe qui protège le logiciel par le droit d'auteur.
Si le brevet logiciel venait à être légalisé en Europe, les entreprises européennes seraient durement atteintes : MandrakeSoft, distributeur du système d'exploitation Mandrake Linux violerait ainsi près de 2 000 brevets selon son PDG, Jacques Le Marois ! (http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3234--256047-,00.html). L’on comprend dès lors le sort de l’Afrique qui paye, toutes proportions gardées, un fort tribut aux éditeurs propriétaires malgré la prolifération de la piraterie : tribut inégal et piraterie devraient pousser l’Afrique à proposer d’autres règles de régulation plus équitables.
Jusqu’à récemment, l’usage était de voir l’économie du LL à travers les oeillères de l’ancienne économie en tant que contrepoids à l’hégémonie de Microsoft et des grands éditeurs propriétaires et non en tant que modèle économique alternatif et original viable par lui-même. Le LL induit de nouvelles formes de production et de distribution de la marchandise qui tout en revendiquant leur essence libérale restent profondément critiques à l’égard du monopole, d’une certaine privatisation du savoir et de la logique centralisatrice des grands éditeurs commerciaux. Son modèle de travail s’apparente plutôt au " bazar " qu’à la " cathédrale " selon l’imagerie d’Eric S. Raymond, un des pionniers du source ouvert. Son paradigme marchand est proche du " troc ", de l’échange fondé sur le partage caractéristique à l’économie de l’immatériel et à la création scientifique à travers les âges. La rentabilité financière n’est pas cependant éliminée dans ce modèle, mais seulement reléguée à un plan correspondant à sa véritable valeur excluant tout fétichisme marchand et intégrant les considérations éthiques et d’équité : c’est le statut citoyen de la propriété, de la marchandise, de la production et du marché à l’ère de l’immatériel qui est en définitive interrogé sur le fond. Ce modèle préconise la création de richesse non à travers la seule vente de logiciels mais davantage par le truchement du service, à savoir du conseil, du support système, de l’audit, de la formation et du développement logiciel de solutions adaptées ou customizées aux besoins de l’entreprise selon un néologisme franglais.
Du côté des entreprises elles-mêmes, elles acceptent de plus en plus le logiciel libre parce qu’elles veulent reprendre le contrôle de leur système informatique face aux grands éditeurs propriétaires.
Ce thème a culminé avec la conférence prononcée par R. M. Stallman (RMS) sur " Copyright vs Community in the Age of Computer Networks ", http://www.gnu.org/philosophy/copyright-and-globalization.html, (dont le texte français à peu de choses près est déjà publié, sous l’excellente traduction de Sébastien Blondeel,blondeel@april.orgdans Flash informatique, Spécial été 2001, EPFL sous le titre " Copyright et Mondialisation à l’âge des réseaux informatiques " pp. 63-72, sawww.epfl.ch/SIC/SA/publications/FI01/fi-sp-1/sp-1-page63.html). RMS passe en revue l’évolution du copyright et du droit d’auteur qui à l’origine étaient conçus non pas pour limiter les droits des lecteurs mais plutôt pour contenir les pouvoirs des éditeurs et des auteurs dans des limites acceptables par la société. Ils sont devenus aujourd’hui un instrument par lequel les lecteurs et les auteurs, et par conséquent toute la société, sont spoliés des oeuvres de la création scientifique, littéraire, culturelle et artistique. Il a stigmatisé l’utilisation d’agents logiciels pour limiter les droits des utilisateurs, des lecteurs et des bénéficiaires des œuvres de création intellectuelle (comme aux Etats-Unis le Digital Millennium Copyright Act – DMCA et le Sonny Bono Copyright Act, étendant rétroactivement de 20 ans la durée du copyright des œuvres produites depuis 1920. Il a analysé le mécanisme inique actuel de la rémunération des créateurs dont certains, les musiciens notamment ne récolteraient que 4% du fruit de leurs productions, les majors de la chanson accaparant tout le reste. Les coûts marginaux de production et de distribution des œuvres intellectuelles ayant significativement baissé, il importe selon RMS de conformer les règles et procédures actuelles, tributaires de l’âge industriel, à la réalité de l’ère de l’immatériel, des réseaux d’information et de communication de masse, comme Internet. Il en va également de la juste rémunération des auteurs et de la minimisation des prélèvements des intermédiaires entre auteurs et lecteurs, producteurs et utilisateurs.
L’ouverture d'esprit de ce thème a permis de le renommer de "Libre CPU" qu’il était initialement en "Libre hardware" à présent. Ce thème a permis la rencontre entre deux communautés liées par leur destin, mais qui se croisent rarement, les informaticiens logiciels et les informaticiens matériels ou électroniciens.
L’intérêt méthodologique de ce thème est important pour l’informatique matérielle africaine, de telles initiatives pouvant conduire à réactiver pour l’Afrique la Déclaration de Bangalore, Inde, Bangalore Declaration on Information technology for developing countries , qui a favorisé l’éclosion d’un projet comme celui du Simputer en Inde (www.simputer.org), un ordinateur à coût réduit pour pays en développement. Toutefois, il y a encore beaucoup de scepticisme l’égard de ce projet notamment en ce qui concerne son objet même, sa faisabilité ou la fragmentation des efforts sur différentes architectures ou approches. Malgré tout, la tendance est de donner la chance aux spécialistes qui s’y sont impliqués.
Pour terminer, nous remercions sincèrement la Division de la Société de l’Information de l’UNESCO sans l’appui de laquelle cette étude n’aurait pu se réaliser.
Les prochaines RMLL seront organisées du 8 au 12
juillet 2003.