Réponse de l'AFUL à la lettre ouverte de Microsoft
Dans une lettre ouverte datée du 19 octobre 1998, Marc Chardon,
directeur général de Microsoft France, se livre à
une assez surprenante étude
sur le système d'exploitation libre Linux.
Surprenante, car il y a à peine quelques mois, Linux était
``absent des écrans radar de Microsoft''.
Surprenante aussi parce que, après un préambule qui critique
l'abus des rumeurs et des assertions non étayées par des
études, elle est truffée d'erreurs factuelles et d'approximations
peu judicieuses. C'est d'autant plus troublant quand on sait que Monsieur
Chardon était encore il y a peu cadre chez Digital Equipment, une
société dont le soutien actif au développement de
Linux remonte à 1994.
Surprenante enfin, et c'est le plus malheureux, parce qu'elle relève
d'une profonde méconnaissance à la fois des possibilités
actuelles du système et de son mode de développement.
Il nous apparaît donc utile de faire les mises aux points suivantes:
-
Le développement de Linux ne s'est pas, comme il l'affirme, ``considérablement
ralenti'' depuis deux ans. Linus Torvalds joue plus que jamais son
rôle de ``chef de projet'' pour l'équipe de développement
de Linux, dont le noyau a vu sa taille (en nombre de lignes de code) doubler
en deux ans, et qui supporte maintenant 8 familles différentes de
microprocesseurs. Le soutien direct de constructeurs comme Apple, Digital/Compaq,
Sun, Corel Computer ou Intel est une garantie parmi d'autres que ce travail
ne va pas s'arrêter du jour au lendemain. Un travail considérable
a également été consacré aux procédures
d'installation, qui ne prennent plus qu'une dizaine de minutes sur
les machines récentes, et aux interfaces graphiques utilisateurs
qui rivalisent avec celles de systèmes commerciaux comme MacOS,
NeXTStep ou Windows.
-
Contrairement à ce qu'affirme Monsieur Chardon, les meilleurs
logiciels de bureautique sous Linux sont comparables à (et compatibles
avec) leurs équivalents sous Windows, et non à ``Microsoft
Write de 1985''. On peut citer par exemple les suites bureautiques complètes
StarOffice et Applix, ou le système de traitement de texte WordPerfect
de Corel. On peut aussi citer la suite de communication Communicator de
Netscape. Ces suites ont en outre, à la différence de MS
Office, l'avantage d'être disponibles, et compatibles, sur de multiples
plateformes et de laisser ainsi aux utilisateurs le libre choix de leur
environnement informatique.
-
La ``transparence'' des logiciels libres est un critère pertinent
pour la majorité des utilisateurs. Le respect des standards
ouverts permet l'interopérabilité de Linux avec les autres
systèmes d'exploitation et avec les réseaux, notamment le
réseau Internet. La disponibilité des sources est quant à
elle le coeur du modèle de développement des logiciels libres.
Bien qu'elle ne concerne directement que les utilisateurs qui sont aussi
programmeurs, elle bénéficie finalement à toute la
communauté des utilisateurs car les logiciels produits selon ce
modèle sont, c'est maintenant un fait acquis, stables, sécurisés,
performants, ouverts (notamment à la concurrence) et conformes à
des standards pérennes.
-
La gratuité du système est pertinente pour un grand nombre
d'utilisateurs. Elle concerne particulièrement les ordinateurs
multimédia personnels d'entrée de gamme, où le prix
d'un système d'exploitation commercial peut représenter de
10 à 40 % du prix du matériel, et les systèmes embarqués
dans les produits électroniques grand public. Elle concerne également
les pays émergents et les institutions (écoles, associations)
qui souhaitent tirer le meilleur parti de matériels relativement
anciens.
-
Contrairement à l'opinion de Monsieur Chardon, nous maintenons que
la
mise à disposition permanente des codes sources des logiciels est,
pour tous les usagers, la garantie absolue d'indépendance vis-à-vis
des éditeurs. Citons Monsieur Desvignes, chef du Service Central
de la Sécurité des Systèmes d'Information (SCSSI):
``On ne peut écarter l'hypothèse d'une tentation d'hégémonie:
certaines "curiosités" techniques découvertes récemment
dans les logiciels d'un grand fournisseur laissent à penser que
l'heure est plus que jamais à la vigilance. (...) En matière
de logiciels, nous sommes confrontés au problème de l'accès
au code source de ces produits.'' (Informatiques Magazine, 15 octobre
1998).
Monsieur Chardon reconnaît à un système comme Linux
des mérites certains en tant qu'outil de travail pour chercheurs
et universitaires, mais le juge inapte à conquérir les entreprises
et les particuliers. Or, dans le domaine des sociétés de
services liées à Internet, un secteur que l'on peut classer
parmi les plus innovants, Linux représente déjà, selon
plusieurs études, entre 25 et 30 % du marché des serveurs.
Il est avéré que Microsoft exerce des pressions économiques
considérables sur les distributeurs de PC pour imposer l'achat de
Windows à tous leurs clients: ``(...) il est impossible aujourd'hui,
pour une PME et à plus forte raison pour un particulier, d'acheter
un PC sans Windows chez les grands constructeurs.'' (Laurent Sounack,
Décision Micro et Réseaux, 19 octobre 1998, page 7). En dépit
de ce verouillage, et avec le soutien de tous les principaux éditeurs
de systèmes de bases de données (à l'exception de
Microsoft), Linux est en passe de s'imposer à moyen terme sur
le marché des petits et moyens serveurs d'entreprises.
Le grand public sera sans doute plus long à conquérir.
Il lui est déjà possible de se faire une opinion en installant
Linux en ``double amorçage'', c'est-à-dire avec le choix
entre Linux et un système commercial (Windows ou MacOS pour n'en
citer que deux) au démarrage. Après une certaine période
de transition, le temps que les éditeurs de logiciels, notamment
multimédia, se décident à proposer des produits qui
soient indépendants des plates-formes, nous sommes convaincus que
le
système Linux finira par convaincre par ses performances, sa stabilité
et la qualité des logiciels libres qui lui sont généralement
associés.
Stéfane Fermigier, pour l'
AFUL,
association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres.