Interview / Août 1999.

RICHARD STALLMAN, président de la Free Software Foundation
Free Software Foundation : Activité : groupement de développeurs et de promoteurs du logiciel libre. - Effectif : Variable. La FSF fonctionne en rapport étroit avec la communauté des développeurs de logiciels libres. Ses revenus proviennent de la vente de manuels et de logiciels. Ceux-ci sont également disponibles gratuitement en téléchargement.

Le logiciel libre rend le marché des services plus compétitif

Depuis 1984, la FSF se bat pour le logiciel libre. Sa stratégie consiste à offrir une alternative crédible aux logiciels propriétaires, mais aussi à proposer un nouveau modèle économique fondé sur le service.
 

Vous parlez de GNU/Linux et non pas de Linux. Pourquoi?

Richard Stallman : Linux est un noyau, et un noyau ne suffit pas à constituer un système d'exploitation.
Les éditeurs comme Red Hat. SuSE et Caldera proposent des systèmes d'exploitation basés sur les outils du projet GNU (1) et sur le noyau Linux. De notre côté, nous travaillons sur un autre noyau nommé Hurd. On aura donc deux systèmes d'exploitation GNU/Hurd et GNU/Linux basés sur les mêmes outils, mais utilisant des noyaux différents.

Les entreprises qui vendent GNU/Linux se multiplient .et gagnent beaucoup d'argent. Qu'en pensez-vous?

Il est tout à fait normal de gagner de l'argent en vendant des logiciels libres. Le logiciel libre n'est pas forcément un logiciel gratuit, même si vous pouvez aussi vous le procurer gratuitement. Les entreprises qui commercialisent GNU/Linux tirent profit de la popularité de ce système d'exploitation. Elles sont perçues comme des soutiens par la communauté des développeurs de logiciels libres. Cependant, il reste un problème: à quoi sert un système d'exploitation libre si on l'utilise pour faire tourner des applications propriétaires ? En ce sens, les éditeurs nous aident, mais ils n'expliquent pas aux gens notre véritable but, qui est d'éviter totalement l'utilisation de logiciels propriétaires.

Aujourd'hui, de quels logiciels libres avons-nous besoin en priorité?

Il nous faut une suite bureautique avec un outil de conversion de tous les formats de Microsoft Office en formats standards. Nous travaillons également sur les protocoles réseau et sur les outils de cryptage. Pour Inter net, nous analysons les protocoles propriétaires afin de créer des logiciels compatibles, mais nous voulons aussi développer des protocoles que personne ne pourra s'approprier.

Comment analysez-vous le comportement d'Apple et de Sun envers le logiciel libre?

Apple va vraiment vers le logiciel libre, mais de façon trop protectionniste. Cette société s'arroge le droit d'utiliser le code des développeurs, alors que, de son côté, elle ne leur donne qu'une autorisation temporaire d'utiliser le sien. En fait, les développeurs bénévoles n'ont aucun droit de regard sur ce qui est fait de leur code. Par ailleurs, seules quelques parties de son système d'exploitation ont été rendues publiques. Le cas de Sun est différent. Sa licence comporte des restrictions totalement inacceptables. Sun cherche à se faire bien voir en donnant l'impression de coopérer, mais ce n'est pas le cas. À l'opposé, Netscape fait vraiment du logiciel libre, avec Mozilla. Ces entreprises doivent comprendre que l'on peut gagner de l'argent avec le logiciel libre.

Comment est-ce possible?

En développant des services de bonne qualité. Le logiciel libre rend le marché des services bien plus compétitif. Avec les applications propriétaires, le service est souvent très mauvais, car il est presque entièrement contrôlé par les éditeurs. Avec le logiciel libre vous pouvez choisir votre fournisseur de services. Prenons l'exemple d'IBM. Cette société fait du chiffre d'affaires avec des solutions complètes et elle n'a aucun mal à vendre des solutions comportant du logiciel libre, comme Apache, qui est intégré dans WebSphere. Si, demain, tous les logiciels publiés étaient libres, IBM n'aurait aucun problème. Qu'est-ce qui a fait le succès historique d'IBM, si ce n'est la qualité de ses services ? Et si on prend l'exemple de Sun, on constate que sa vraie source de revenus est la vente de matériel: Sun peut vivre en donnant le logiciel.

Savez-vous que l'Europe est en train de réviser sa politique, qui consistait à ne pas accepter de brevets pour les logiciels?

Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas de breveter les logiciels. En fait vous brevetez une fonction, un algorithme, une suite d'instructions, même si, finalement, vous ne commercialisez pas de logiciel. Les brevets sont dangereux. Si vous developpez un programme comportant une certaine série d'instructions, vous risquez de vous retrouver poursuivi en justice pour avoir violé un brevet, sans même le savoir. Tous les développeurs doivent avoir peur des brevets. Il y a là un véritable danger pour leur créativité et pour la création de logiciels en général.

Propos recueillis par GUILLAUME GIRARD et RENAUD BONNET
 

(1) Depuis ses débuts, l'un des objectifs de la FSF est la création d'un système d'exploitation de type Unix entièrement libre. Ce projet se nomme Gnu's Not Unit, donc GNU. Le noyau Linux est sous GPL (GNU Public Licence), une licence élaborée par Richard Stallman qui défend une conception stricte du logiciel libre.
Voir www.fsf.org et www.gnu.org
 

ANALYSE` Depuis le succès de GNU/Linux, le logiciel libre a le vent en poupe. Certes, sa généralisation réglerait bien des problèmes rencontrés par les utilisateurs : produits non finis, multiplication des formats propriétaires, services insuffisants... Mais Richard Stallman oublie un peu vite que de nombreux éditeurs n'ont que la vente de leurs licences comme source de revenus et qu'il faut du temps pour mettre en place des activités de service adéquates. Tout le monde ne s'appelle pas IBM ou Sun.


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