Du fichage préventif sécuritaire à la pénalisation des intentions supposées


France : Le gouvernement Sarkozy met en place des mesures policières répressives

Sur ordre direct du président droitier Nicolas Sarkozy, les services de renseignement ont été refondus de façon significative afin de donner à la police les pleins pouvoirs pour poursuivre tout individu ou organisation politique ou sociale dont l'activité risquerait de perturber l'ordre public. Des enfants de treize ans peuvent à présent être poursuivis sous cette législation.

Par Ajay Prakash, 28 juillet 2008, www.wsws.org


Pour justifier que l'on étende l'existence du casier judiciaire à des jeunes de treize ans, la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie a dit, « Nous avons constaté une recrudescence de la délinquance des mineurs. »

Ces évolutions représentent une attaque majeure sur la liberté d'expression et une menace sur les droits démocratiques. L'intensification de la crise sociale provoquée par le programme d'austérité de Sarkozy a conduit à des protestations répétées de millions de travailleurs et jeunes français. Ces changements ont pour but de contenir la résistance de masse et l'opposition politique.

Un décret publié le 1er juillet 2008 dans le Journal officiel met en place une nouvelle base de données appelée EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale.)

EDVIGE organise le fichage généralisé et systématique de « toutes personnes âgée de 13 ans et plus …ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif. » Sa mission est « [d]e centraliser et d'analyser les informations relatives aux individus, groupes, organisations …qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public. »

EDVIGE va jusqu'à ficher des détails sans importance : « informations ayant trait à l'état civil et à la profession ; adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ; signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ; titres d'identité ; immatriculation des véhicules ; informations fiscales et patrimoniales ; déplacements et antécédents judiciaires ; motif de l'enregistrement des données ; données relatives à l'environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle. »

Ceci donne des pouvoirs à la police pour surveiller toutes les allées et venues ainsi que les relations privées des gens. Ce décret a été critiqué par les organisations de défense des droits civiques, notamment en ce qui concerne les poursuites judiciaires de suspects qui sont encore mineurs.

Voir le gouvernement entreprendre une telle action montre à quel point les adolescents se sont politisés. Les lycéens ont été le fer de lance de manifestations de masse au printemps de cette année contre les réductions de postes d'enseignants. A l'automne 2005, les sections les plus opprimées de la jeunesse s'étaient révoltées, ce qui s'était traduit par des heurts violents avec la police dans toute la France, une poursuite policière avait provoqué la mort de deux jeunes. Le gouvernement avait imposé un état d'urgence et arrêté des milliers de jeunes et menacé d'expulser des jeunes immigrés. Des échauffourées sporadiques entre jeunes et policiers sont endémiques.

La ministre de la Justice Rachida Dati, dans une interview au Journal du Dimanche a annoncé la création d'un « fichier sur les bandes organisées » suite à un incident au Champs de Mars près de la Tour Eiffel en juin dernier où des heurts s'étaient produits entre des jeunes et la police.

Un éditorial du Monde daté du 30 juin posait la question suivante, « Qui serait susceptible d'entrer dans ce fichier des bandes ? Des personnes déjà condamnées – mais cela n'existe-t-il pas déjà ? Ou des personnes présumées coupables de délits qu'elles pourraient commettre en fonction de leur profil ou de leurs fréquentations ? Un Etat de droit ne peut tolérer la pénalisation de supposées intentions. »

La Ligue des droits de l'Homme (LDH) a condamné « une redoutable extension du fichage politico-policier des citoyens…Il ne s'agit plus de ficher les auteurs d'infractions constatées, mais, comme pour la rétention de sûreté, de cibler ceux que l'on étiquette d'avance comme de futurs délinquants hypothétiques. Le soupçon préventif suffit à justifier le fichage. »

Le syndicat de la magistrature appelle à s'opposer à ce dossier « d'inspiration antidémocratique…Il s'agit aujourd'hui d'informer le gouvernement sur des individus engagés et non plus de lui permettre d'apprécier une situation politique, économique ou sociale. »

Réorganisation des services de renseignement

Un corollaire essentiel de cette législation répressive est la création de moyens permettant de l'imposer. Et ceci est fourni par l'actualisation de la Loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI 2) qui sera présentée au parlement à l'automne. LOPSI 2 a pour but de renforcer la surveillance et l'espionnage au moyen d'Internet et la collecte de données à partir d'ordinateurs personnels et de courriels.

L'éditorial du Monde du 24 juin intitulé « Sécurité contre liberté » déclare, «De même, le projet de fichier informatique Périclès, préconisé par cet avant-projet de loi, permettrait d'étendre de manière extrêmement large les pouvoirs d'investigation des forces de police. Si un tel fichier voyait le jour, il permettrait de croiser de nombreuses données sur la vie privée des citoyens (numéro de carte grise, de permis de conduire, de puce de téléphone portable ou factures...) »

Craignant le discrédit de l'Etat français, Le Monde insiste pour dire à propos des inquiétudes concernant la sécurité : « Cela ne suffit pas à justifier que l'on veuille introduire dans le droit commun des dispositions d'exception, ni que l'on porte atteinte, peu ou prou, aux libertés publiques et à la vie privée. En République, la fin ne justifie pas tous les moyens. »

On trouve dans un reportage du Monde du 24 juin une autre indication de la ruée vers des pouvoirs répressifs arbitraires de la part de l'Etat, libéré de tout contrôle judiciaire. Ce reportage déclare que « Le secrétaire général de la défense nationale (SGDN), Francis Delon, milite pour limiter l'accès des juges d'instruction aux lieux de pouvoir tels que les ministères ou les services secrets. »

Le service de renseignement a été complètement réorganisé. Appelé à présent Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), il est le résultat d'une fusion de la DST (Direction de la surveillance du territoire) et des RG (Renseignements généraux). Six mille employés sont affectés au terrorisme et aux menaces sur la sécurité. Le budget 2008 alloué à la DCRI s'élève à 41 millions d'euros. Un ami proche du président Nicolas Sarkozy et fils de policier, Bernard Squarcini, a été nommé à la tête de ce service de renseignement.

Selon le site Internet du ministère de l'Intérieur, le DCRI a pour but de devenir un FBI à la française. Pour les autres missions – comptage des manifestants, violences urbaines, conflits sociaux –, une sous-direction de l'information générale (SDIG) de mille policiers est créée à la direction de la sécurité publique (DCSP).

Il y a aussi plusieurs autres mesures à venir permettant à l'Etat de censurer Internet.

La ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie a déclaré le 10 juin 2008 que l'Etat s'était mis d'accord avec les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) pour bloquer les sites affichant des contenus entretenant des liens avec le terrorisme, la pédophilie, la haine raciale ainsi que d'autres sites illégaux. Alliot-Marie a annoncé : « Depuis mon intervention du 14 février, nous avons travaillé avec les Fournisseurs d'accès à Internet sur la protection des plus faibles – Ce dispositif sera simple : la plateforme, par le biais d'une liste noire, transmettra aux FAI la liste des sites à bloquer. »

ZDNet.fr a cité le 11 juin dernier Daniel Fava de l'AFA (Association des fournisseurs d'accès). Affirmant qu'aucun accord n'avait encore été signé il a dit : « Nous ne voulons pas devenir des big brothers, ni que les internautes se sentent espionnés par leur FAI. »

Etats-Unis : Surveillance permanente des populations, par Jean-Claude Paye

solidarités, 28 mars 2007.

Dans un article précédent, paru le 20 décembre 2006, et intitulé « Etats-Unis : la légalisation des tribunaux spéciaux », nous avons mis en avant une première caractéristique des lois antiterroristes américaines : la possibilité pour le gouvernement d’incarcérer, sans procès, ni inculpation, pour une durée indéterminée, des étrangers-ères simplement soupçonnés de terrorisme. Ces dispositions sont aussi conçues pour être étendues à l’ensemble de la population. L’objectif de pouvoir se saisir arbitrairement de tout citoyen américain en le désignant comme « ennemi combattant » est un objectif du Military Commissions Act. Pourtant, ce n’est qu’un aspect des lois antiterroristes. Suppression de l’Habeas Corpus des individus et surveillance des populations constituent les deux faces de la même pièce.

Le Patriot Act [1], voté immédiatement après les attentats du 11 septembre, permet un contrôle généralisé (surveillance téléphonique, du courrier, du Net, des emprunts auprès des bibliothèques...). Certaines de ces mesures ont été de suite permanentes, mais la plupart d’entre elles ont été installées pour une période de quatre ans. Ces dernières, contenues dans 16 articles, venaient à expiration fin 2005. Lors de la procédure de renouvellement, « The Patriot Act Improvement and Reauthorization Act » [2] signé le 9 mars 2006, le gouvernement a fait transformer la plupart des mesures temporaires, adoptées en 2001, comme procédures d’urgence, en dispositions permanentes.

De l’état d’urgence à l’état d’exception permanent.

Parmi les mesures qui étaient temporaires et qui sont devenues permanentes : celle qui autorise les compagnies de téléphone et les fournisseurs d’accès internet à divulguer au gouvernement le contenu et l’enregistrement des communications, si ces compagnies estiment qu’elles présentent un danger de mort ou qu’elles constituent une « injure grave. » Il n’y a pas de contrôle judiciaire. Il n’y a pas non plus de notification de cette transmission à la personne concernée. Le Patriot Act facilite l’obtention par le FBI des données de connexions électroniques entrantes et sortantes. Cette saisie ne nécessite pas de mandat judiciaire. Avant, le gouvernement devait prouver que la personne surveillée était un agent d’une puissance étrangère. Maintenant, il doit simplement signifier que l’information saisie est en « relation » avec une enquête relative au terrorisme. Le caractère vague de cette qualification permet de justifier n’importe quelle recherche. L’article 218, devenu également permanent, autorise des recherches secrètes dans un domicile ou un bureau, si il y a une « présomption raisonnable » que le lieu contient des informations relatives à l’activité d’un agent d’une puissance étrangère, sans qu’il y ait nécessairement la preuve ou l’indice d’un délit. Les agents obtiennent un mandat d’une cour secrète, mise en place par le FISA de 1978, la loi relative aux services secrets. Avant le Patriot Act, les agents fédéraux devaient certifier que l’objectif premier de la recherche portait sur l’obtention de renseignements en rapport avec l’étranger. Maintenant, les agents doivent seulement déclarer que la saisie d’informations en connexion avec l’étranger est un « objectif significatif » de la recherche. Est aussi devenue permanente, la mesure qui permet à un juge fédéral ou à un magistrat d’une autre juridiction de délivrer un mandat permettant d’enregistrer les données entrantes et sortantes d’une connexion électronique, mandat qui ne précise pas le n° IP concerné et qui peut être délivré partout sur le territoire américain. Dans les faits, il permet au service de police de choisir son juge et ainsi d’obtenir un mandat qui corresponde à ses attentes. Cette disposition consacre l’impossibilité pour le pouvoir judiciaire d’avoir un quelconque contrôle sur le travail de la police.

Il s’agit d’un véritable chèque en blanc donné aux agents fédéraux. L’agent doit simplement certifier que l’information recherchée est « pertinente dans la recherche d’un crime en exécution ». Le juge doit délivrer l’autorisation, dès réception de l’attestation, même s’il n’est pas d’accord avec la procédure engagée.

Identité entre travail de renseignement et enquête criminelle.

Le Patriot Act estompe la différence entre enquête criminelle et travail de renseignement en permettant au FBI de conduire des recherches en matière criminelle et d’obtenir les autorisations nécessaires sous les procédures et avec les garanties réduites de la loi relative au contre-espionnage.

Ainsi, sont prolongées pour une nouvelle période de quatre ans, les mesures contenues dans les articles 215 et 206 du Patriot Act. La section 215 permet au FBI, moyennant une autorisation secrète d’un tribunal, d’avoir accès aux données médicales, aux comptes bancaires, aux données d’emprunt des bibliothèques ou de « toute chose tangible », sans qu’il soit nécessaire pour les enquêteurs de montrer que cette recherche porte sur des faits en connexion avec le terrorisme ou avec une puissance extérieure.

Quant à l’article 206, il autorise l’utilisation de connexions « nomades ». Les agents du FBI n’ont pas besoin d’identifier le suspect pour obtenir l’autorisation d’installer leur dispositif. Est installée une connexion « sous couverture » à l’ensemble des téléphones installés dans le voisinage de la personne ciblée ou à ses relations, sans qu’il soit nécessaire de montrer que l’individu surveillé utilise ces appareils. Cela explique pourquoi, un tel dispositif est appelé connexion « John Doe ». Ne devant pas nommer la personne devant être surveillée, le gouvernement peut surveiller le téléphone de n’importe quel individu, sans avoir à montrer que ce dernier est en relation, d’une manière ou d’une autre, avec une puissance étrangère, avec le terrorisme, ou même avec une quelconque activité criminelle.

Est prolongé une procédure qui autorise le FBI à pénétrer dans un domicile ou un bureau en l’absence de l’occupant. Durant cette enquête secrète, les agents fédéraux sont autorisés à prendre des photos, à examiner le disque dur d’un ordinateur et à y insérer un dispositif digital d’espionnage, dénommé « lanterne magique ». Une fois installé, ce système enregistre toute activité informatique

Une autre procédure permanente est prorogée, celle qui élargit les possibilités, accordées au FBI et à des administrations, d’obtenir des « lettres de sécurité nationale » (NSL) une forme de citation administrative donnant accès à des données personnelles, médicales, financières, aux données des agences de voyage, de location de voitures, ainsi qu’aux fichiers de bibliothèques. Avant le Patriot Act, les NSL étaient limités aux cas de personnes « en liaison avec un pouvoir étranger ». Cette loi étend la capacité du FBI d’obtenir une telle autorisation en dehors de ce cadre. Lors des débats parlementaires, il est apparu que le gouvernement a utilisé 30000 NSL chaque année depuis les attentats du 11 septembre. [3]

Le Patriot Act a aussi créé des autorisations permanentes pour l’échange d’informations entre agences de renseignement et services de police. L’article 905 autorise le ministre de la Justice à saisir des preuves obtenues par des procédures de renseignement et à les introduire dans une procédure judiciaire. Quant à l’article 504, il autorise le transfert de renseignements FISA (loi codifiant les dispositions d’espionnage) vers les divisions criminelles. Le département de la Justice a admis avoir envoyé environ 4500 dossiers FISA vers la division criminelle. [4]

Changement de régime politique.

Ainsi, le Patriot Act généralise à l’ensemble des matières criminelles des dispositions établies en matière d’espionnage qui donnent des pouvoirs exceptionnels, des prérogatives de magistrat à l’administration, et soustrait ses actes à un véritable contrôle judiciaire autre, que l’autorisation préalable et sans suivi de tribunaux d’exception, souvent secrets. La « guerre contre le terrorisme » permet de confondre les procédures de guerre contre un ennemi extérieur et le contrôle interne des populations. Il n’y a plus de distinction intérieur/extérieur. Tout individu devient un terroriste potentiel, dont la surveillance s’inscrit dans le cadre d’un état d’exception. Ces mesures ont été d’abord justifiées par une situation d’urgence. Le renouvellement du Patriot Act permet d’inscrire celles-ci dans la durée. En devenant permanentes, ces dispositions de contrôle des populations induisent une modification de la forme de l’Etat. L’état d’exception permanent, qui concentre durablement l’ensemble des pouvoirs, dont les prérogatives judiciaires, aux mains de l’administration, désigne une forme de gouvernement que la théorie du droit désigne comme dictature.

Jean-Claude Paye

Jean-Claude Paye, auteur de La fin de l’Etat de droit. La lutte antiterroriste : de l’état d’exception à la dictature, La Dispute, Paris, 2004. Deux articles du même auteur dans les n° 95 et 99 de solidaritéS, disponibles en ligne : www.solidarites.ch

[1] Texte de loi disponible sur http://politechbot.com.

[2] H.R. 3199, version finale, http://thomas.loc.gov.

[3] « Senators Question Terrorism Inquiries », Associated Press, Washington Post, November, 7 2005, p. A 10, www.washingtonpost.com.

[4] Oversight answers, submitted by Jamie E. Brown, Acting Assistant Attorney General, May 13, 2003, on file with the House Judiciary Committee


Surveillance totale

Ignacio Ramonet, Le Monde Diplomatique, aout 2003

« Dans le passé, aucun gouvernement n’avait eu le pouvoir de maintenir ses citoyens sous une surveillance constante. Maintenant, la Police de la pensée surveillait tout le monde, constamment. » George Orwell, 1984.

Ceux qui, cet été, comptent aller aux Etats-Unis doivent savoir que, en vertu d’un accord entre la Commission européenne et les autorités fédérales, certaines informations personnelles seront livrées, sans leur consentement, aux douanes américaines par la compagnie aérienne avec laquelle ils s’apprêtent à voyager. Avant même qu’ils entrent dans l’avion, les autorités américaines connaîtront leurs nom, prénom, âge, adresse, numéros de passeport et de carte de crédit, état de santé, préférences alimentaires (qui peuvent traduire leur religion), voyages précédents, etc.

Ces renseignements seront livrés à un dispositif de filtrage baptisé CAPPS (Computer Assisted Passenger Pre-Screening ou Système assisté par ordinateur de contrôle préventif) pour détecter d’éventuels suspects. En contrôlant l’identité de chaque voyageur et en la croisant avec les informations des services policiers, du département d’Etat, du ministère de la justice et des banques, CAPPS évaluera le degré de dangerosité du passager et lui attribuera un code couleur : vert pour les inoffensifs, jaune pour les cas douteux, et rouge pour ceux qui seront empêchés d’accéder à l’avion. Si le visiteur est musulman ou originaire du Proche-Orient, le code jaune de suspect lui sera attribué d’office. Et le Programme de sécurité aux frontières autorise les agents des douanes à le photographier et à relever ses empreintes digitales.

Les Latino-Américains aussi sont dans le collimateur. On a découvert que 65 millions de Mexicains, 31 millions de Colombiens et 18 millions de Centre-Américains étaient fichés aux Etats-Unis à leur insu. Sur chaque fiche figurent la date et le lieu de naissance, le sexe, l’identité des parents, une description physique, la situation matrimoniale, le numéro de passeport et la profession déclarée. Souvent, ces dossiers enregistrent d’autres informations confidentielles comme les adresses personnelles, les numéros de téléphone, de compte bancaire et d’immatriculation des voitures, ainsi que les empreintes digitales. Peu à peu, tous les Latino-Américains seront ainsi étiquetés par Washington.

« Le but est d’instaurer un monde plus sûr. Il faut être informé sur le risque que représentent les personnes qui entrent dans notre pays », a affirmé M. James Lee, un responsable de ChoicePoint, l’entreprise qui achète ces fichiers pour les revendre à l’administration des Etats-Unis (1). Car la loi américaine interdit de stocker des informations personnelles. Mais pas de commander à une société privée de le faire pour le gouvernement. Installée près d’Atlanta, ChoicePoint n’est pas une entreprise inconnue. Lors du scrutin présidentiel en Floride en 2000, sa filiale Database Technologies (DBT) avait été engagée par l’Etat pour réorganiser ses listes électorales. Résultat : des milliers de personnes furent privées de leur droit de vote. Ce qui modifia l’issue du scrutin, remporté par M. Bush avec seulement 537 voix d’avance... On se souvient que cette victoire lui permit d’accéder à la présidence (2).

Les étrangers ne sont pas les seuls à faire l’objet d’une surveillance accrue. Les citoyens américains n’échappent pas à l’actuelle paranoïa. De nouveaux contrôles, autorisés par la loi Patriot Act, remettent en question la vie privée et le secret des correspondances. L’autorisation de mise sur écoute téléphonique n’est plus requise. Les enquêteurs peuvent accéder aux informations personnelles des citoyens sans mandat de perquisition. Ainsi, le FBI demande aux bibliothèques de lui fournir les listes des livres et des sites Internet consultés par leurs abonnés (3) pour tracer un « profil intellectuel » de chaque lecteur...

Mais le plus délirant de tous les projets d’espionnage illégal est celui qu’élabore le Pentagone sous le nom de Total Information Awareness (TIA), système de surveillance totale des informations(4), confié au général John Poindexter, condamné dans les années 1980 pour avoir été l’instigateur de l’affaire Iran-Contra. Le projet consiste à collecter une moyenne de 40 pages d’informations sur chacun des 6 milliards d’habitants de la planète et à confier leur traitement à un hyperordinateur. En traitant toutes les données personnelles disponibles - paiements par carte, abonnements aux médias, mouvements bancaires, appels téléphoniques, consultations de sites web, courriers électroniques, fichiers policiers, dossiers des assureurs, informations médicales et de la sécurité sociale -, le Pentagone compte établir la traçabilité complète de chaque individu.

Comme dans le film de Steven Spielberg Minority Report, les autorités pensent pouvoir prévenir les crimes avant même qu’ils soient commis. « Il y aura moins de vie privée mais plus de sécurité, estime M. John L. Petersen, président du Arlington Institute, nous pourrons anticiper le futur grâce à l’interconnexion de toutes les informations vous concernant. Demain, nous saurons tout de vous (5). » Big Brother est dépassé...


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