Par Ajay Prakash, 28 juillet 2008, www.wsws.org
Pour justifier que l'on
étende l'existence du casier judiciaire à des jeunes de treize ans, la ministre
de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie a dit, « Nous avons constaté une
recrudescence de la délinquance des mineurs. »
Ces évolutions
représentent une attaque majeure sur la liberté d'expression et une menace sur
les droits démocratiques. L'intensification de la crise sociale provoquée par le
programme d'austérité de Sarkozy a conduit à des protestations répétées de
millions de travailleurs et jeunes français. Ces changements ont pour but de
contenir la résistance de masse et l'opposition politique.
Un décret
publié le 1er juillet 2008 dans le Journal officiel met en place une nouvelle
base de données appelée EDVIGE (Exploitation documentaire et valorisation de
l'information générale.)
EDVIGE organise le fichage généralisé et
systématique de « toutes personnes âgée de 13 ans et plus …ayant sollicité,
exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un
rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif. » Sa mission
est « [d]e centraliser et d'analyser les informations relatives aux individus,
groupes, organisations …qui, en raison de leur activité individuelle ou
collective, sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public. »
EDVIGE va jusqu'à ficher des détails sans importance : « informations
ayant trait à l'état civil et à la profession ; adresses physiques, numéros de
téléphone et adresses électroniques ; signes physiques particuliers et
objectifs, photographies et comportement ; titres d'identité ; immatriculation
des véhicules ; informations fiscales et patrimoniales ; déplacements et
antécédents judiciaires ; motif de l'enregistrement des données ; données
relatives à l'environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou
ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle. »
Ceci donne des pouvoirs à la police pour surveiller toutes les allées et
venues ainsi que les relations privées des gens. Ce décret a été critiqué par
les organisations de défense des droits civiques, notamment en ce qui concerne
les poursuites judiciaires de suspects qui sont encore mineurs.
Voir le
gouvernement entreprendre une telle action montre à quel point les adolescents
se sont politisés. Les lycéens ont été le fer de lance de manifestations de
masse au printemps de cette année contre les réductions de postes d'enseignants.
A l'automne 2005, les sections les plus opprimées de la jeunesse s'étaient
révoltées, ce qui s'était traduit par des heurts violents avec la police dans
toute la France, une poursuite policière avait provoqué la mort de deux jeunes.
Le gouvernement avait imposé un état d'urgence et arrêté des milliers de jeunes
et menacé d'expulser des jeunes immigrés. Des échauffourées sporadiques entre
jeunes et policiers sont endémiques.
La ministre de la Justice Rachida
Dati, dans une interview au Journal du Dimanche a annoncé la création d'un «
fichier sur les bandes organisées » suite à un incident au Champs de Mars près
de la Tour Eiffel en juin dernier où des heurts s'étaient produits entre des
jeunes et la police.
Un éditorial du Monde daté du 30 juin posait la
question suivante, « Qui serait susceptible d'entrer dans ce fichier des bandes
? Des personnes déjà condamnées – mais cela n'existe-t-il pas déjà ? Ou des
personnes présumées coupables de délits qu'elles pourraient commettre en
fonction de leur profil ou de leurs fréquentations ? Un Etat de droit ne peut
tolérer la pénalisation de supposées intentions. »
La Ligue des droits
de l'Homme (LDH) a condamné « une redoutable extension du fichage
politico-policier des citoyens…Il ne s'agit plus de ficher les auteurs
d'infractions constatées, mais, comme pour la rétention de sûreté, de cibler
ceux que l'on étiquette d'avance comme de futurs délinquants hypothétiques. Le
soupçon préventif suffit à justifier le fichage. »
Le syndicat de la
magistrature appelle à s'opposer à ce dossier « d'inspiration
antidémocratique…Il s'agit aujourd'hui d'informer le gouvernement sur des
individus engagés et non plus de lui permettre d'apprécier une situation
politique, économique ou sociale. »
Réorganisation des services de
renseignement
Un corollaire essentiel de cette législation répressive
est la création de moyens permettant de l'imposer. Et ceci est fourni par
l'actualisation de la Loi d'orientation et de programmation pour la sécurité
intérieure (LOPSI 2) qui sera présentée au parlement à l'automne. LOPSI 2 a pour
but de renforcer la surveillance et l'espionnage au moyen d'Internet et la
collecte de données à partir d'ordinateurs personnels et de courriels.
L'éditorial du Monde du 24 juin intitulé « Sécurité contre liberté »
déclare, «De même, le projet de fichier informatique Périclès, préconisé par cet
avant-projet de loi, permettrait d'étendre de manière extrêmement large les
pouvoirs d'investigation des forces de police. Si un tel fichier voyait le jour,
il permettrait de croiser de nombreuses données sur la vie privée des citoyens
(numéro de carte grise, de permis de conduire, de puce de téléphone portable ou
factures...) »
Craignant le discrédit de l'Etat français, Le Monde
insiste pour dire à propos des inquiétudes concernant la sécurité : « Cela ne
suffit pas à justifier que l'on veuille introduire dans le droit commun des
dispositions d'exception, ni que l'on porte atteinte, peu ou prou, aux libertés
publiques et à la vie privée. En République, la fin ne justifie pas tous les
moyens. »
On trouve dans un reportage du Monde du 24 juin une autre
indication de la ruée vers des pouvoirs répressifs arbitraires de la part de
l'Etat, libéré de tout contrôle judiciaire. Ce reportage déclare que « Le
secrétaire général de la défense nationale (SGDN), Francis Delon, milite pour
limiter l'accès des juges d'instruction aux lieux de pouvoir tels que les
ministères ou les services secrets. »
Le service de renseignement a été
complètement réorganisé. Appelé à présent Direction centrale du renseignement
intérieur (DCRI), il est le résultat d'une fusion de la DST (Direction de la
surveillance du territoire) et des RG (Renseignements généraux). Six mille
employés sont affectés au terrorisme et aux menaces sur la sécurité. Le budget
2008 alloué à la DCRI s'élève à 41 millions d'euros. Un ami proche du président
Nicolas Sarkozy et fils de policier, Bernard Squarcini, a été nommé à la tête de
ce service de renseignement.
Selon le site Internet du ministère de
l'Intérieur, le DCRI a pour but de devenir un FBI à la française. Pour les
autres missions – comptage des manifestants, violences urbaines, conflits
sociaux –, une sous-direction de l'information générale (SDIG) de mille
policiers est créée à la direction de la sécurité publique (DCSP).
Il y
a aussi plusieurs autres mesures à venir permettant à l'Etat de censurer
Internet.
La ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie a déclaré le
10 juin 2008 que l'Etat s'était mis d'accord avec les fournisseurs d'accès à
Internet (FAI) pour bloquer les sites affichant des contenus entretenant des
liens avec le terrorisme, la pédophilie, la haine raciale ainsi que d'autres
sites illégaux. Alliot-Marie a annoncé : « Depuis mon intervention du 14
février, nous avons travaillé avec les Fournisseurs d'accès à Internet sur la
protection des plus faibles – Ce dispositif sera simple : la plateforme, par le
biais d'une liste noire, transmettra aux FAI la liste des sites à bloquer. »
ZDNet.fr a cité le 11 juin dernier Daniel Fava de l'AFA (Association des
fournisseurs d'accès). Affirmant qu'aucun accord n'avait encore été signé il a
dit : « Nous ne voulons pas devenir des big brothers, ni que les internautes se
sentent espionnés par leur FAI. »
Etats-Unis : Surveillance permanente des
populations, par Jean-Claude Paye
solidarités,
28 mars 2007.
Dans un article précédent, paru le 20
décembre 2006, et intitulé « Etats-Unis : la légalisation des tribunaux
spéciaux », nous avons mis en avant une première caractéristique des lois
antiterroristes américaines : la possibilité pour le gouvernement
d’incarcérer, sans procès, ni inculpation, pour une durée indéterminée, des
étrangers-ères simplement soupçonnés de terrorisme. Ces dispositions sont
aussi conçues pour être étendues à l’ensemble de la population.
L’objectif de pouvoir se saisir arbitrairement de tout citoyen américain
en le désignant comme « ennemi combattant » est un objectif du Military
Commissions Act. Pourtant, ce n’est qu’un aspect des lois antiterroristes.
Suppression de l’Habeas Corpus des individus et surveillance des populations
constituent les deux faces de la même pièce.
Le Patriot Act [1],
voté immédiatement après les attentats du 11 septembre, permet un contrôle
généralisé (surveillance téléphonique, du courrier, du Net, des emprunts
auprès des bibliothèques...). Certaines de ces mesures ont été de suite
permanentes, mais la plupart d’entre elles ont été installées pour une
période de quatre ans. Ces dernières, contenues dans 16 articles, venaient à
expiration fin 2005. Lors de la procédure de renouvellement, « The Patriot
Act Improvement and Reauthorization Act » [2]
signé le 9 mars 2006, le gouvernement a fait transformer la plupart des
mesures temporaires, adoptées en 2001, comme procédures d’urgence, en
dispositions permanentes.
De l’état d’urgence à l’état
d’exception permanent.
Parmi les mesures qui étaient
temporaires et qui sont devenues permanentes : celle qui autorise les
compagnies de téléphone et les fournisseurs d’accès internet à divulguer au
gouvernement le contenu et l’enregistrement des communications, si ces
compagnies estiment qu’elles présentent un danger de mort ou qu’elles
constituent une « injure grave. » Il n’y a pas de contrôle judiciaire. Il
n’y a pas non plus de notification de cette transmission à la personne
concernée. Le Patriot Act facilite l’obtention par le FBI des données de
connexions électroniques entrantes et sortantes. Cette saisie ne nécessite
pas de mandat judiciaire. Avant, le gouvernement devait prouver que la
personne surveillée était un agent d’une puissance étrangère. Maintenant, il
doit simplement signifier que l’information saisie est en « relation » avec
une enquête relative au terrorisme. Le caractère vague de cette
qualification permet de justifier n’importe quelle recherche. L’article 218,
devenu également permanent, autorise des recherches secrètes dans un
domicile ou un bureau, si il y a une « présomption raisonnable » que le lieu
contient des informations relatives à l’activité d’un agent d’une puissance
étrangère, sans qu’il y ait nécessairement la preuve ou l’indice d’un délit.
Les agents obtiennent un mandat d’une cour secrète, mise en place par le
FISA de 1978, la loi relative aux services secrets. Avant le Patriot Act,
les agents fédéraux devaient certifier que l’objectif premier de la
recherche portait sur l’obtention de renseignements en rapport avec
l’étranger. Maintenant, les agents doivent seulement déclarer que la saisie
d’informations en connexion avec l’étranger est un « objectif significatif »
de la recherche. Est aussi devenue permanente, la mesure qui permet à un
juge fédéral ou à un magistrat d’une autre juridiction de délivrer un mandat
permettant d’enregistrer les données entrantes et sortantes d’une connexion
électronique, mandat qui ne précise pas le n° IP concerné et qui peut être
délivré partout sur le territoire américain. Dans les faits, il permet au
service de police de choisir son juge et ainsi d’obtenir un mandat qui
corresponde à ses attentes. Cette disposition consacre l’impossibilité pour
le pouvoir judiciaire d’avoir un quelconque contrôle sur le travail de la
police.
Il s’agit d’un véritable
chèque en blanc donné aux agents fédéraux. L’agent doit simplement certifier
que l’information recherchée est « pertinente dans la recherche d’un crime
en exécution ». Le juge doit délivrer l’autorisation, dès réception de
l’attestation, même s’il n’est pas d’accord avec la procédure engagée.
Identité entre travail de renseignement
et enquête criminelle.
Le Patriot Act estompe la
différence entre enquête criminelle et travail de renseignement en
permettant au FBI de conduire des recherches en matière criminelle et
d’obtenir les autorisations nécessaires sous les procédures et avec les
garanties réduites de la loi relative au contre-espionnage.
Ainsi, sont prolongées pour
une nouvelle période de quatre ans, les mesures contenues dans les articles
215 et 206 du Patriot Act. La section 215 permet au FBI, moyennant une
autorisation secrète d’un tribunal, d’avoir accès aux données médicales, aux
comptes bancaires, aux données d’emprunt des bibliothèques ou de « toute
chose tangible », sans qu’il soit nécessaire pour les enquêteurs de montrer
que cette recherche porte sur des faits en connexion avec le terrorisme ou
avec une puissance extérieure.
Quant à l’article 206, il
autorise l’utilisation de connexions « nomades ». Les agents du FBI n’ont
pas besoin d’identifier le suspect pour obtenir l’autorisation d’installer
leur dispositif. Est installée une connexion « sous couverture » à
l’ensemble des téléphones installés dans le voisinage de la personne ciblée
ou à ses relations, sans qu’il soit nécessaire de montrer que l’individu
surveillé utilise ces appareils. Cela explique pourquoi, un tel dispositif
est appelé connexion « John Doe ». Ne devant pas nommer la personne devant
être surveillée, le gouvernement peut surveiller le téléphone de n’importe
quel individu, sans avoir à montrer que ce dernier est en relation, d’une
manière ou d’une autre, avec une puissance étrangère, avec le terrorisme, ou
même avec une quelconque activité criminelle.
Est prolongé une procédure qui
autorise le FBI à pénétrer dans un domicile ou un bureau en l’absence de
l’occupant. Durant cette enquête secrète, les agents fédéraux sont autorisés
à prendre des photos, à examiner le disque dur d’un ordinateur et à y
insérer un dispositif digital d’espionnage, dénommé « lanterne magique ».
Une fois installé, ce système enregistre toute activité informatique
Une autre procédure permanente
est prorogée, celle qui élargit les possibilités, accordées au FBI et à des
administrations, d’obtenir des « lettres de sécurité nationale » (NSL) une
forme de citation administrative donnant accès à des données personnelles,
médicales, financières, aux données des agences de voyage, de location de
voitures, ainsi qu’aux fichiers de bibliothèques. Avant le Patriot Act, les
NSL étaient limités aux cas de personnes « en liaison avec un pouvoir
étranger ». Cette loi étend la capacité du FBI d’obtenir une telle
autorisation en dehors de ce cadre. Lors des débats parlementaires, il est
apparu que le gouvernement a utilisé 30000 NSL chaque année depuis les
attentats du 11 septembre. [3]
Le Patriot Act a aussi créé
des autorisations permanentes pour l’échange d’informations entre agences de
renseignement et services de police. L’article 905 autorise le ministre de
la Justice à saisir des preuves obtenues par des procédures de renseignement
et à les introduire dans une procédure judiciaire. Quant à l’article 504, il
autorise le transfert de renseignements FISA (loi codifiant les dispositions
d’espionnage) vers les divisions criminelles. Le département de la Justice a
admis avoir envoyé environ 4500 dossiers FISA vers la division criminelle. [4]
Changement de régime politique.
Ainsi, le Patriot Act
généralise à l’ensemble des matières criminelles des dispositions établies
en matière d’espionnage qui donnent des pouvoirs exceptionnels, des
prérogatives de magistrat à l’administration, et soustrait ses actes à un
véritable contrôle judiciaire autre, que l’autorisation préalable et sans
suivi de tribunaux d’exception, souvent secrets. La « guerre contre le
terrorisme » permet de confondre les procédures de guerre contre un ennemi
extérieur et le contrôle interne des populations. Il n’y a plus de
distinction intérieur/extérieur. Tout individu devient un terroriste
potentiel, dont la surveillance s’inscrit dans le cadre d’un état
d’exception. Ces mesures ont été d’abord justifiées par une situation
d’urgence. Le renouvellement du Patriot Act permet d’inscrire celles-ci dans
la durée. En devenant permanentes, ces dispositions de contrôle des
populations induisent une modification de la forme de l’Etat. L’état
d’exception permanent, qui concentre durablement l’ensemble des pouvoirs,
dont les prérogatives judiciaires, aux mains de l’administration, désigne
une forme de gouvernement que la théorie du droit désigne comme dictature.
Jean-Claude Paye
Jean-Claude Paye, auteur de La
fin de l’Etat de droit. La lutte antiterroriste : de l’état d’exception à la
dictature, La Dispute, Paris, 2004. Deux articles du même auteur dans les
n° 95 et 99 de solidaritéS, disponibles en ligne :
www.solidarites.ch
[1]
Texte de loi disponible sur
http://politechbot.com.
[2]
H.R. 3199, version finale,
http://thomas.loc.gov.
[3]
« Senators Question Terrorism Inquiries », Associated Press, Washington
Post, November, 7 2005, p. A 10,
www.washingtonpost.com.
[4]
Oversight answers, submitted by Jamie E. Brown, Acting Assistant Attorney
General, May 13, 2003, on file with the House Judiciary Committee
Surveillance totale
Ignacio Ramonet, Le Monde Diplomatique, aout 2003
« Dans le passé, aucun gouvernement n’avait eu le pouvoir
de maintenir ses citoyens sous une surveillance constante.
Maintenant, la Police de la pensée surveillait tout le monde,
constamment. » George Orwell, 1984.
Ceux qui, cet été, comptent aller aux Etats-Unis doivent savoir que,
en vertu d’un accord entre la Commission européenne et les autorités
fédérales, certaines informations personnelles seront livrées, sans leur
consentement, aux douanes américaines par la compagnie aérienne avec
laquelle ils s’apprêtent à voyager. Avant même qu’ils entrent dans
l’avion, les autorités américaines connaîtront leurs nom, prénom, âge,
adresse, numéros de passeport et de carte de crédit, état de santé,
préférences alimentaires (qui peuvent traduire leur religion), voyages
précédents, etc.
Ces renseignements seront livrés à un dispositif de filtrage baptisé
CAPPS (Computer Assisted Passenger Pre-Screening ou Système
assisté par ordinateur de contrôle préventif) pour détecter d’éventuels
suspects. En contrôlant l’identité de chaque voyageur et en la croisant
avec les informations des services policiers, du département d’Etat, du
ministère de la justice et des banques, CAPPS évaluera le degré de
dangerosité du passager et lui attribuera un code couleur : vert pour
les inoffensifs, jaune pour les cas douteux, et rouge pour ceux qui
seront empêchés d’accéder à l’avion. Si le visiteur est musulman ou
originaire du Proche-Orient, le code jaune de suspect lui sera attribué
d’office. Et le Programme de sécurité aux frontières autorise les agents
des douanes à le photographier et à relever ses empreintes digitales.
Les Latino-Américains aussi sont dans le collimateur. On a découvert
que 65 millions de Mexicains, 31 millions de Colombiens et 18 millions
de Centre-Américains étaient fichés aux Etats-Unis à leur insu. Sur
chaque fiche figurent la date et le lieu de naissance, le sexe,
l’identité des parents, une description physique, la situation
matrimoniale, le numéro de passeport et la profession déclarée. Souvent,
ces dossiers enregistrent d’autres informations confidentielles comme
les adresses personnelles, les numéros de téléphone, de compte bancaire
et d’immatriculation des voitures, ainsi que les empreintes digitales.
Peu à peu, tous les Latino-Américains seront ainsi étiquetés par
Washington.
« Le but est d’instaurer un monde plus sûr. Il faut être informé
sur le risque que représentent les personnes qui entrent dans notre
pays », a affirmé M. James Lee, un responsable de ChoicePoint,
l’entreprise qui achète ces fichiers pour les revendre à
l’administration des Etats-Unis (1). Car la loi américaine interdit de
stocker des informations personnelles. Mais pas de commander à une
société privée de le faire pour le gouvernement. Installée près
d’Atlanta, ChoicePoint n’est pas une entreprise inconnue. Lors du
scrutin présidentiel en Floride en 2000, sa filiale Database
Technologies (DBT) avait été engagée par l’Etat pour réorganiser ses
listes électorales. Résultat : des milliers de personnes furent privées
de leur droit de vote. Ce qui modifia l’issue du scrutin, remporté par
M. Bush avec seulement 537 voix d’avance... On se souvient que cette
victoire lui permit d’accéder à la présidence (2).
Les étrangers ne sont pas les seuls à faire l’objet d’une
surveillance accrue. Les citoyens américains n’échappent pas à
l’actuelle paranoïa. De nouveaux contrôles, autorisés par la loi Patriot
Act, remettent en question la vie privée et le secret des
correspondances. L’autorisation de mise sur écoute téléphonique n’est
plus requise. Les enquêteurs peuvent accéder aux informations
personnelles des citoyens sans mandat de perquisition. Ainsi, le FBI
demande aux bibliothèques de lui fournir les listes des livres et des
sites Internet consultés par leurs abonnés (3) pour tracer un « profil
intellectuel » de chaque lecteur...
Mais le plus délirant de tous les projets d’espionnage illégal est
celui qu’élabore le Pentagone sous le nom de Total Information Awareness
(TIA), système de surveillance totale des informations(4), confié au
général John Poindexter, condamné dans les années 1980 pour avoir été
l’instigateur de l’affaire Iran-Contra. Le projet consiste à collecter
une moyenne de 40 pages d’informations sur chacun des 6 milliards
d’habitants de la planète et à confier leur traitement à un
hyperordinateur. En traitant toutes les données personnelles disponibles
- paiements par carte, abonnements aux médias, mouvements bancaires,
appels téléphoniques, consultations de sites web, courriers
électroniques, fichiers policiers, dossiers des assureurs, informations
médicales et de la sécurité sociale -, le Pentagone compte établir la
traçabilité complète de chaque individu.
Comme dans le film de Steven Spielberg Minority Report, les
autorités pensent pouvoir prévenir les crimes avant même qu’ils soient
commis. « Il y aura moins de vie privée mais plus de sécurité,
estime M. John L. Petersen, président du Arlington Institute, nous
pourrons anticiper le futur grâce à l’interconnexion de toutes les
informations vous concernant. Demain, nous saurons tout de vous
(5). » Big Brother est dépassé...
Ressources internet :