Tu seras-as été sur une colline, roi de rien, accompagné d'un chien, et tenant d'une main un bâton et de l'autre une lampe. Tu seras-as déjà été en chemin pour chercher une femme que tu ne connais pas-connais déjà. Tu crois-ne le crois pas qu'elle devait-a déjà consenti à te révéler le futur-passé. Le chien est-a toujours été ton ami toi-même.Ton peuple-toi-même compte-te fait confiance sur toi, pour leur ramener-rappeler une prédiction-fait accompli sur le dénouement-déjà écrit d'une guerre-amour entre une autre peuplade-autre toi et la tienne-toi.
Atarxias la Grec était en chemin pour rencontrer la pythie. Il avait une mission, celle de ramener à son peuple le nom de la divinité tutélaire de la ville des Mèdes, histoire de pouvoir influencer magiquement la prochaine bataille contre les ennemis qui devaient traverser sous peu la langue de mer séparant les deux continents.
Deux continents, deux mondes différents et pourtant, l'herbe pousse de chaque côté de la même façon, et de chaque côté, il y a des hommes qui mangent à peu près la même chose, boivent de l'eau, c'est certain, rotent, pètent, font l'amour de la même façon -à quelques nuances près -indécelables, il est vrai pour qui n'est pas né dans la contrée.
" Comme toujours, il fallait que cela tombe sur moi! pensa le Grec. Et qui se promène à présent dans la nuit avec une lampe pour y voir clair, et un bâton dans l'autre pour ne pas se casser la figure dans les montagnes -parce que la pythie n'est pas fichue de vivre dans un endroit plus commode- et aussi pour ne pas se faire casser la figure si quoi que ce soit décidait de faire moi son plat de résistance, accompagné d'un chien bâtard qui ne s'enfuira pas, je l'espère, au premier coup dur venu? Hein? dis-moi, le chien!"
Tout à sa diatribe qu'il estimait juste, Atarxias crapahutait sur le flanc d'une montagne couverte d'une
garrigue épineuse qui prenait un malin plaisir à enfoncer ses aiguilles dans la peau coriace de ses jambes musclées.Puis, il se dit avec un repentir soudain qu'il ferait mieux de faire attention à ce qu'il pense -surtout de la pythie- s'il ne veut pas s'attirer le mauvais oeil ni la malédiction des dieux, ni surtout celle de la pythie. La façon dont il avait été choisi était déjà suspecte: au moment où il avait été annoncé que quelqu'un devait se rendre chez le pythie, il avait eu une impression étrange.
Elle s'était confirmée avec le tirage au sort, vu le nombre époustouflant de volontaires, et losrque son nom fut nommé...
"Flûte, se dit-il, j'y vais, je prend le message et je retourne à la maison!" Il espérait en son for intérieur
qu'Elle l'écoutait d'une oreille surnaturelle distraite. Sans savoir pourquoi, il se couvrit la tête de son
capuchon. Le chien se mit à grogner, et Atarxias sut qu'il était arrivé à la grotte du futur révélé.
"Couché, abruti! C'est pas le moment de faire tes vocalises!"L'homme se rendit compte qu'il avait une lanterne à la main, non pas qu'il faisait franchement noir, mais parce que la grotte était encore plus sombre que la nuit la plus noire.
"Nom de Zeus de nom de Zeus!" jura-t-il en espérant que le Maître des Dieux lui pardonnerait de prononcer son nom, non pas en vain, mais pour se donner du courage. On a beau être Grec et avoir peur du noir! Il se rappela soudain les racontars qu'il avait entendu au sujet de la caverne de la pythie: n'était-ce pas Polyxyle le menuisier qui avait fait allusion à des bêtes sauvages y nichant dedans qui disposeraient des curieux non invités par elle?
Et le vieux Mnémandre, qui aimait à raconter le soir à qui voulait bien l'entendre dans la taverne, qu'Elle était capable d'appeler des démons et de se les attacher à son service? Sans parler de Micranthe le jeune pâtre, qui prétendait avoir entendu un soir, de retour des pâturages, une série de gémissements à fendre l'âme, alors qu'il contournait le rocher en bas de la grotte? Assailli par ces souvenirs, Atarxias sentit que le peu de courage qu'il avait rassemblé fondre comme neige au soleil...
La pluie se mit à tomber, ce qui le força à pénétrer davantage. Le clapotis discret suintant des murs
l'accueillit, et au fur et à mesure de sa descente, tous les autres bruits, ceux de la forêt, de la pluie, des animaux, de la vie en général, s'effacèrent au profit du silence sépulcral ponctué par les gouttes d'eau s'abîmant sur les roches à moitié pourries. Le poil se dressa sur le dos du chien s'étant remis à gronder."Paix, stupide bâtard!" La voix d'Atarxias était tendue comme la corde d'un arc ne sachant où tirer. La lampe en avant, il étreignit son bâton de sa main la plus forte, espérant qu'il ne lui ferait pas défaut le moment venu. Le chien gronda encore, le nez au ras du sol. Il avança lentement, les épaules jouant sur le dos décharné.
Un chuintement feutré vint de la droite, puis un de la gauche, puis d'un peu partout à la fois. Un chapelet de jurons filtra d'entre les dents jaunis de l'homme, comme il tentait de percer du regard les ténèbres environnantes. Il s'immobilisa un long moment, les sens aux aguets, en intimant de nouveau l'ordre au chien de bien vouloir la mettre en veilleuse, nom de Zeus. Rien ne se passa.
Un long, long moment, où la respiration sifflante se le disputait au halètement inquiet. encouragé par son imagination galvanisée par l'écran noir du tunnel et repue de la nourriture des souvenirs ressurgissant à nouveau, des ombres se coulaient dans l'ombre des replis de roche
éclairés par la lampe tremblotante. Des crissements semblaient les accompagner. Soudain, ses nerfs lachèrent tout à coup:- Qui est là! cria-t-il. Qui est là! Répondez, quoi que vous soyez!
L'effet de cette injonction fut qu'il se sentit complètement misérable dans le noir. Encore une chance
qu'il ne fût pas seul! Pas rassuré du tout, il poursuivit sa progression. Soudain, sans prévenir, apparut un mur devant lui. Il le suivit, en prenant une des deux directions au hasard.La paroi se troua en un couloir aussi sombre que les boyaux de Polyphème ou du Sphinx, ou des deux réunis en un seul monstre! Atarxias maudit avec une virulence trop hâtive sa trop fertile imagination.
Respirant profondément et poussant un soupir rauque, il continua. D'épaisses toiles d'araignées formaient autant de barrages impalpables, renforçant sa crainte de ne jamais revenir dans le monde des vivants, ainsi que sa crasse. Hé, c'était quoi, ce bruit? Et ça? Pendant qu'il avançait en regardant de toutes parts anxieusement, s'attendant à ce que on ne savait quelle monstruosité lui bondît dessus, quelque chose lui effleura le visage.
Il poussa un cri de dément, et le chien se mit à courir vers l'avant en aboyant sauvagement. L'homme le suivit en couinant de terreur. Il perdit son compagnon de vue, puis il entendit un hurlement suivi du bruit d'une chute. Une voix hulula de douleur.
- Hé, le chien! Où es-tu?" lança-t-il en courant.
Atarxias s'arrêta net au bord d'un gouffre. La plainte du quadrupède s'en éleva un instant, déchirant coeur et tripes. De sa lampe, il tenta d'explorer le trou, sans succès. Il appela de nouveau. Des geignements lui répondirent en s'affaiblissant.Un silence profond s'en suivit. L'homme appela encore une fois, mais il n'y eut plus de réponse. Atarxias se mit à pleurer en se mordant les lèvres. S'il avait su que ce dernier mourrait aussi soudainement, il s'en serait occupé avec plus de tendresse.
Un cruel vide le traversa. Encore bouleversé, il se redressa et entreprit se contourner la fosse, en la fixant, elle qui avait pris son ami. Passé de l'autre côté, il eut un dernier sanglot, et une dernière prière, et il reprit sa route. En marchant, la douleur fit place à la colère: oh, elle allait l'entendre, foi d'Atarxias! et elle en prendra pour son grade, pythie ou non!
Soudain insensible à ce théâtre d'ombres, il s'engouffra vivement dans un couloir, bifurquant à droite, bifurquant à gauche, évitant les trous perfides, contournant les débris de piliers et les ruines de pilastres. Tout à coup il se figea: une apparition, une lampe à la main le fixait d'un oeil sombre. Déglutissant de surprise, Atarxias se mit à trembler de tous ses membres. Un de ces esprits malfaisants au moins existait vraiment! Il inspira profondément avant de lancer:
" Qui êtes-vous?"
Pas de réponse.
" Qui êtes-vous, nom de Zeus!" Puis, se rendant compte de son juron, il se tassa sur lui-même. L'apparition en fit autant." Dites quekchose!" hacha-t-il sous le coup de la peur. Les gouttes suintant des stalactites plicploquaient, indifférentes. Toujours rien de la part de l'apparition.
" on peut rester longtemps comme ça! N'attendez pas de moi que je bouge le premier!"
Il lui sembla que, dans sa crauté perverse, elle le laissait tout simplement cuire dans son jus, se délectant des accords dysharmonieux de sa voix étranglée, observant avec une passion toute clinique les subtiles variations de son teint. La tension fit bouillir rapidement le sang d'Atarxias, portant au rouge sa patience. Il céda brusquement, en balançant sa lampe d'impuissance:
" Et bien, vous avez gagné!" s'écria-t-il. L'apparition en fit autant. En poussant un halètement de surprise, il bondit sur place.
L'apparition en fit autant. Il agita les bras en donnant des effets de lampe. L'apparition en fit autant.
" Un stupide miroir! Ce n'est qu'un maudit stupide miroir à la con! Par les fesses de Méduse!" geigna-t-il en poussant force jurons tous plus colorés les uns que les autres -en effet il a une imagination très fertile!...Il s'approcha du miroir sus-cité, contemplant son visage ravagé de tensions. "Effectivement cela aurait pu durer longtemps, espèce de bougre d'abruti de tête de Minautore à la jus d'écurie d'Augias!" Il frappa de son Bâton la surface lisse, ce qui eut pour effet de libérer quelque peu son âme de sa peur par ce geste inutile.
Le miroir, parfaitement indifférent à ce traitement, continua à réfléchir avec obstination tout ce qui se trouvait devant lui. S'en rendant compte, Atarxias se ressaisit, et se demanda s'il trouverait jamais cette pythie de... Il censura prudemment la suite...
Sur sa gauche, s'ouvrait un passage, au fond duquel une phosphorescence jaunâtre brillait faiblement, découpée d'une ombre chinoise de fauteuil ou de trône. Il s'avança avec crainte. C'était effectivement un fauteuil en piteux état, couvert de toiles d'araignée, et lui montrant le dos. Sur la droite, se tenait une table aux pattes griffues sur laquelle se reposait une main à portée de tablettes de cire empilées.
Devant le fauteuil, pour autant qu'il pouvait l'apprécier s'ouvrait un puits entouré d'une margelle basse de pierres moussues. Des tomettes de terre cuite recouvraient le sol, et les murs avaient été laissés au naturel. Sur le parterre, quelques lambeaux de tissus se disputaient mollement avec des reliefs de repas désséchés.
Le Grec, ne sachant trop comment commencer, se racla timidement la gorge. Il ouvrit, ferma puis ouvrit à nouveau la bouche, dans la gêne que lui causait la situation, dansa d'un pied sur l'autre. Puis il se jeta à l'eau et prononça d'une voix qu'il voulait ferme et emplie de respect mais qui ne sortit que faible et pitoyable:
" O Pythie, pardonne mon impudence! Si je suis venu te déranger en ta retraite, c'est pour te demander conseil au nom de notre peuple, ô puissance clairvoyante!" Pas terrible, se fustigea-t-il en son for intérieur, pas vraiment le genre de discours qui convient à une pythie.
Mais la pythie fit la sourde oreille. Après un long moment, il reprit un peu plus fort:
" O Pythie, -il se racla la gorge- permets à l'ignoble vermisseau que je suis de te supplier de l'écouter, o Sagesse parmi les sagesses!" Il s'inclina en se disant qu'après tout, elle avait peut-être des yeux dans le dos. Mais la pythie fit la sourde oreille." Je vais me présenter à ta Face, pour quémander ta bienveillante Attention, bien que je sois indigne de cette faveur!" Il contourna obséquieusement le fauteuil, face contre terre, comme il convenait lui sembla-t-il, et se prosterna le plus plat possible sur le sol. Il était trop impressionné pour trouver les effets de style qui eussent pu se conformer à l'étiquette, aussi laissa-t-il échapper un petit "o Pythie!..." implorant.
Mais la pythie fit la sourde oreille. A court de qualificatifs pompeux, il se surprit à penser
qu'il regrettait tout ce qu'il avait pu penser ou dire depuis son entrée dans la grotte sacrée, non en fait depuis son départ du village, non c'est pas ça, depuis qu'il était en vie sur la terre, et que lui et son peuple cette fois avaient vraiment besoin d'elle et que c'était pas du pipeau, et...Et il se risqua à un coup d'oeil, lui révélant les pieds de celle assise devant lui. Puis le visage grave, il se releva très lentement, observant ce qu'il y avait devant lui. Ce qu'il voyait expliquait beaucoup de choses, tout en en laissant la plupart dans l'ombre. Comment un cadavre desséché pouvait-il répondre?...
La mort remontait à des années, pour autant qu'il pût en juger. Il prit tout son temps pour l'examiner. Une tête bien faite, sur laquelle pendouillait grotesquement une breloque ternie, des habits en lambeaux montraient sans pudeur une peau parcheminée; une main sur le giron, l'autre sur le rebord de la table, désignant d'un index recroquevillé les tablettes de cire.
Atarxias prit la première avec respect, regarda droit dans les orbites de ce qui avait été la pythie, ravalant sa colère au sujet de la mort stupide de son compagnon le chien, car que reprocher à un mort, sinon qu'il soit mort?... Il lut les premières lignes du texte, sans vraiment s'attendre à trouver ce qu'il était venu chercher ni d'ailleurs à pouvoir le comprendre.
" A Toi, homme, qui viendra trouver mon cadavre..." Il s'arrêta immédiatement de lire. Avait-elle prévu sa venue? Un dernier coup d'oeil empli de crainte et de respect mélés d'amertume à la macabre prophéteresse, et il continua sa lecture.