Pluie de vie…Mars 1996
" Pleure va, ça te fera du bien ; là, là, voilà, oui, chut, chut… "
Faire du bien ?
Mais dans quel sens ?
Ce soulagement moral bénéfique ne peut, en aucun cas, effacer les meurtrissures tatouées sur notre âme, même si nos échecs tiennent souvent de beaux rôles dans les scénarios improvisés que représentent nos vies.
Hélas, mille fois hélas, les souvenirs douloureux remontant à la surface de notre vie sont sans cesse accompagnés de magnifiques souvenirs précédant les mauvais.
Ce qui nous rend encore plus mélancolique et d’autant plus anxieux…
Le passé nous laisse ce goût amer au fond de la gorge qui nous fait nous replier sur nous même.
Tout devient alors incertitude et solitude…
Pourquoi pleurer ?
A quoi bon ? Comment ça se déclenche ?
Pourquoi " ça fait du bien " ?
C’est un moyen d’extraire ses sentiments par le biais d’un conduit naturel (les yeux), un moyen d’évacuer toute une accumulation de peines, de chagrins divers, de " ras-le-bol " général, de " trop gros sur la patate ", du " plein le dos "…
Les pleurs, ça émeut, ça gêne, ça perturbe, ça intrigue…
Face à cela, on se sent désemparé, en prise avec " l’agir " physique et le flot de paroles réconfortantes.
Il et difficile, voire complexe et incompréhensible, de déployer l’affection adéquate nécessaire qui sied le mieux à ces situations délicates. Et pourtant…
C’est ce réconfort moral apporté qui est le seul assécheur de larmes.
Mais pourquoi se plaît t-on à laisser croire qu’il n’y a que le sexe faible qui est habilité à pleurer ?
Les hommes ont cette retenue machiste qui leur fait penser qu’être un homme pleurant, ça n’est plus être un homme.
Au contraire, je ne connais rien de plus déchirant qu’un homme qui sait pleurer. J’emploie volontairement le verbe savoir. C’est l’ouverture au monde, la déclaration morale, l’esprit enfin dévoilé. Ca n’a rien de pathétique, au contraire, c’est rare, puissant et sincère.
L’homme qui pleure existe, moins répandu car plus grave…
Cette pluie de vie constitue un état de débordement de nos " petits tracas " mais aussi de nos " grandes angoisses " et de nos " traumatismes perso liés à l’enfance ".
Il m’en souvient de cette journée du 23 décembre 1994, où, en proie à un sentiment soudain d’abandon psychique, je m’en suis venue à doucement sangloter, puis, prise par une montée d’angoisse de la solitude et une hausse de mon taux d’adrénaline, je vis ma respiration s’amplifier d’un ton au dessus de la normale, devenant vite perceptible aux oreilles traînant, pour lors, dans cette cage de fer et de plastique amenant, tour à tour les hommes d’un point à un autre, étrange véhicule appelé " RER de banlieue ".
Un homme interpellé par cette respiration saccadée suivie de petits gémissements d’effroi que j’opérais jusqu’alors, vint à ma rencontre.
Son geste, pour le moins anodin, visant à consoler le cœur endommagé, qui ne me servait alors que de moyen de vivre humainement, demeurera pour moi le plus bel acte de courage et de noblesse d’âme jamais opéré devant ma condition de femme.
Qui aurait pu imaginer qu’un homme que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam (c’est qui ceux là déjà ?) puisse s’intéresser à vous, sinistre mortelle inconnue d’un jour ?
C’est beau, ça m’émeut encore aujourd’hui profondément et à jamais je pense…
Depuis ce jour, j’ai compris que cette " pluie de vie " était un des moyens de s’ouvrir au monde ; qui que nous soyons, la sensibilité ne peut se cacher éternellement et j’ajouterai de dire " ça fait drôlement du bien de pleurer ", ouaich…