L'ignorance, cette étrange désolation


Quel destin inattendu attend celui qui s'incline face aux réalisations de l'humanité, y voyant une preuve de confiance dans l'idéal de progrès et la marche inexorable vers des découvertes bienfaitrices, cette vision d'une évolution des connaissances qui garantirait la fin de l'ignorance !

Quelle peut donc être cette perception qui permet cette espérance, cette confiance en un bouclier salvateur qui préserve la raison de toute déficience, qui éloigne le spectre d'une angoissante réalité qui ne s'incline pas - mettant de côté cette vérité refoulée - afin que la conscience ne succombe pas à sa propre finitude et aux forces de la nature ?

Quelle est donc cette vision enfantine et magique qui consiste à croire que le désir à lui seul permet de capturer l'infini dans le creux d'une main ?

Quel est donc ce fantasme qui consiste à transformer un inconnaissable que l'on ne peut pas saisir par une chimère issue de la contemplation de sa propre vanité ?

Quelle est donc cette anesthésie de la conscience qui permet de fermer les yeux pour éviter la perception de problèmes trop insolubles ?

Quelle est donc cette peur qui fait à la fois oublier un vaste univers qui englobe tout, un monde de plus en plus étroit et fragile, et entre ces deux extrémités de l'infiniment grand à l'infiniment petit, une complexité qui écrase certitudes et fragilités ?

C'est cette croyance en l'infaillibilité qui pousse aux errements inqualifiables et immoraux, arguant que la force de la raison est suffisante, car capable de tous les prodiges, tout en considérant le sous-produit de la cogitation comme une émanation de la vérité.

N'est-ce pas encore une faillite que de croire que les certitudes suffisent pour s'approprier le monde, que le désir de grandeur suffit pour tout surmonter, que l'on peut tout se permettre si cela convient à ses propres divagations, y compris de s'affranchir de cette impérieuse confrontation avec le réel.

Pourtant le réel domine dans bien d'autres lieux, et parmi tous les paradoxes, il donne même cette possibilité à la conscience de se replier, de s'observer et de réfléchir sur le fondement de son origine.

Malheureusement pour le pourfendeur exalté, le réel ne se contraint pas, il défie la raison et pousse à l'humilité même les plus hardis.

Il restera toujours un territoire inconnu, le début d'une obscurité que l'on ne peut éclairer. Hélas, voici le constat amer, l'aveu d'échec des égarés qui tournent en rond : si on ne peut pas réduire l'ignorance, peut-être pouvons-nous la domestiquer et faire comme si elle n'importait pas.

Alors que reste-t-il de l'intelligence devant l'impensable désolation que laisse l'ignorance et le tumulte de ceux qui nient son existence ?

Une impression éphémère que le mystère qui nous entoure se divise peut-être en trois catégories : la vérité que l'on croit découvrir, l'énigme qu'il est difficile de cerner, et la dernière plus cruelle pour la raison, l'inconnu trop difficile à supporter ou que l'on ne pourra jamais comprendre.

Reste ceux qui saisissent qu'il faut sans cesse repousser les limites de la connaissance, afin de se dépasser soi-même et sortir d'une zone de confort : le plus grand savoir est savoir que nous ne savons rien.