CHRONOPHOBIE ( Mel Vadeker, 1992 )

Le temps peut également être un lieu, on peut s’y perdre comme dans un labyrinthe. Le temps, cette émotion partagée par le grand nombre peut également à lui seul mettre fin à une vie. Le temps est notre pourtant il nous gouverne.

Chronos est un dieu, le dieu du Temps, il existe et je l'ai rencontré. Ce dieu inflexible m'a avoué qu'il n'était pas un dieu, mais plusieurs. Il tire les ficelles de la destinée de ceux qui n’ont pas compris les lois du sablier cosmique.

Chronos est dans l'esprit de chaque individu, il est partout et nulle part. Il tire sa force de l'énergie des consciences qui pénètrent le champ spatial de notre univers collectif. Il faut se faire l'ami du temps sinon il devient un redoutable ennemi, un authentique ennemi qu'il faut craindre !

Nous élisons domicile dans un univers où le temps gouverne, nous sommes dans son espace intérieur. Chronos s'y manifeste, il peut nous infliger peines et joies ou nous guider dans les chemins de l'inexistence. Il fait peur mais sait aussi se faire aimer de tous ceux qui réussissent. Il leur insuffle alors vie et force en leur enseignant le pouvoir d'affecter l'espace.

Ce pouvoir coule en nous depuis toujours, il alimente le feu de l'action dans la rage de survivre. Pourtant la peur du temps existe et s'appelle Chronophobie. La peur du temps est le pire syndrome à craindre chez une conscience. Une conscience quelconque qui se laisse affecter ne peut pas faire grand chose face à cette pathologie. C'est un mal capable de frapper toute chose, il est donc nécessaire de s’en préserver.

Le salut est dans la prévention. Les symptômes de cette maladie sont reconnaissables dans la conscience contaminée :
Un goût prononcé pour l'inactivité, un amour du rien, un désir de néant, voilà une partie du symptôme. Un autre signe est cette frénésie dans l’action pour éviter de penser à son existence, pour se perdre. Dans les deux cas c’est la crainte temporelle qui ouvre l’horreur. Le temps, en avoir ou pas, tel est le leitmotiv que psalmodient ces êtres en peine.

Un désir de mort du temps ou plutôt une volonté de rechercher une cessation de l'écoulement temporel caractérise en partie ces âmes perdues. Pour échapper à la temporalité, ils recherchent mollesse et oubli dans l'oisiveté extrême. Mais un autre mal sommeille, plus sournois, celui de la possession complète par le démon du temps, l’âme n’a plus le temps de vivre, la puissance de vie s’essouffle alors doucement jusqu'à ce que l’être se retrouve à sec, privé de vitalité et d’inspiration. Ce passage d’un extrême à l’autre, ce tiraillement entre l’inaction et le bouillonnement, voilà ce que j’appelle la Chronophobie !

Que ceux qui n’ont jamais perdu leur temps me jette la premier pierre ! J’entends encore les prétentieux dirent qu’ils contrôlent tout, qu’ils savent ce que c’est que la maîtrise. Je me méfie de ceux qui me disent qu’ils ont tout leur temps et encore plus de ceux qui me disent le contraire. En avoir ou pas n’est pas le problème, ce n’est qu’un prétexte pour éviter la confrontation avec soi-même, pour éviter l’action concrète et instinctive.

Errare humanum est ! Ils payent ensuite le prix, le sacrifice d’une part de leur humanité sur l’autel de l’ignorance. En vérité je te le dis, le temps est une illusion propre à cet univers et sa maîtrise est un niveau de compréhension, de conscience. Le contrôle de cette collaboration avec Chronos permet aux âmes de manifester toute une créativité nouvelle dans la spontanéité et de l'exprimer intensément dans l'espace mental d'une réalité collective. La perte de contrôle entraîne dans l’errance innommable des âmes en peine d’action ou d’inaction, dans la pire solitude, enfermées dans l’illusion d’un bonheur perdu ou à prendre.

J'ai vu les grands esprits de ma génération, détruits par l’errance, hystériques, nus, se traînant à l'aube dans les rues de Chronos à la recherche d'une furieuse liberté. Je les ai vus défoncés avec les yeux creux restant debout et fumant dans l’obscurité surnaturelle pour se lamenter. Je les ai vus mettre à nu leurs cerveaux sous le ciel illuminé sur les toits des taudis et prêt à vomir le produit d’une digestion trop lente. Je les ai vus passer à travers des universités avec des yeux radieux froids hallucinant la sagesse et des tragédies à la Homere. Je les ai vus être expulsés des académies pour folie et pour publication d’odes obscènes sur les fenêtres des amphithéâtres. Je les ai vus produire leur propre philosophie pour s’empêcher de penser au destin et se rouler par terre dès la moindre prise de conscience.

Alors écoute bien mon avertissement. Jusqu’où as tu éveillé ta conscience temporelle ? Ta réponse se fait attendre dans le silence de ta phobie !