La troisième porte ( Mel Vadeker, 1994 )

Voici le texte que j’ai trouvé lors d’une expédition archéologique dans les cités précolombiennes du haut plateau des Andes. Ceci est un extrait du carnet de recherche que j’ai trouvé sur place.
 

" Je suis un archéologue qui cherche un trésor. Je suis dans le vestige d'un monument ancien, très ancien. Je suis dans une salle fermée. A la suite d'une prospection très profonde je me suis perdu d'abord dans un labyrinthe puis me suis retrouvé pris au piège dans ce corridor clos et long. C'est une sorte de tunnel et une porte s'est refermée derrière moi. Impossible de sortir du piège, le mécanisme qui s'est déclenché est irréversible.

Le trésor me semble hors de portée, tant d'efforts pour rien et je crains que ma vie sois en danger maintenant. C'est le comble, un archéologue qui meurt dans un caveau. C'est la meilleure fin possible, seul dans un lieu rare et convoité, seul dans ce qui devient mon tombeau. L'air y est lourd et odorant, ca sens la mort lente.
Plus j'ouvre les yeux plus les murs se resserrent autour de moi. Je suis pris dans le silence.

J'ai épuisé mes vivres, je vais devoir prendre une décision. J’écris mon histoire pour témoigner, c'est aussi mon réconfort. Je réfléchis mieux par écrit et j'évite ainsi la panique. Je laisse donc ce manuscrit pour que mes confrères le trouvent, pour qu'ils comprennent ce qui m'arrive et racontent ce que j'ai tenté de faire.

J’écris donc mes derrières pensés, je note l'essentiel dans mon journal de bord, l'essentiel ou presque. Dans ce qui est maintenant mon univers, je vois qu’il ne me reste plus que trois perspectives. Je suis contraint de poursuivre mon périple si je veux garder l’espoir de sortir de ce piège. Je dois choisir une route parmi trois autres. Dans la salle obscure, seules les trois portes éclairent cette place en tête du corridor. Je pense que ces portes mènent soit au piège soit à la délivrance ou peut-être au trésor.

D'après mon intuition et la prospection sur place, une seule de ces portes n'est pas mortelle, une seule permet de continuer. Le choix est vital pour la survie immédiate.

Le temps me rattrape, je ne peux m'attarder à réfléchir, il faut choisir vite, le temps coule comme dans un sablier. J'attendrais jusqu'à la dernière limite avant de prendre ma décision. J'ai peur, je panique, je marche, je me parle, je touche les murs de mes mains, je les frappe violemment. L'une des trois portes est mortelle, il faut choisir. Il faut se décider sinon je vais mourir devant les portes sans force, épuisé à l'extrême, sans avoir trouvé la force de réagir. Une chance sur trois, le hasard va-t-il m'aider ? J'ai peur, j'ai l'intime conviction de ne pas avoir de chance dans les jeux de hasard. Mensonges, tout n'est que mensonges.

Absurdités absolues, pourquoi devrais-je choisir ? Ma vie est en jeu dans un pari. Je n'ai pas le choix, il faut choisir. Quelle connerie ! Rien ne sert de parler, de se lamenter car le temps coule. Vais-je y arriver ? J'ai des doutes. Dans l'effroi j'étudie les portes et leur langage. J'ai du mal à décrire ce que je ressens. Ma vue me dit que j'ai à faire à des sortes de monolithes encastrés dans le mur. On a sûrement construit ces cavités pour les abriter, ce sont des monuments rares qui irradient leur éternité. Ce sont des monolithes noirs et lisses, denses et purs, opaques et transparent, ils brillent d'une lumière étrange, une phosphorescence inconnue.

Cela dépasse de très loin tout ce qu'on peut imaginer. Je n'ose pas y mettre la main : je crains d'ouvrir la porte. Je devrais d'un pas ferme me laisser aller et marcher, traverser la porte, me laisser aspirer, me laisser dissoudre et happer pour me retrouver enfin de l'autre coté. Cette pensée m'a été relevée par la roche noire et vivante, révélation métaphysique de cette forme magique. Trois pierres géométriquement identiques, plus haut que large, d'une profondeur agréable. Géométriquement parfaite, aux proportions d'une porte.

Dans le silence et la solitude c'est obligé l'Homme médite. Que fais-je ? Je continue d'écrire pour m'apaiser, je cherche le réconfort. Je réfléchis mieux par écrit.

 Les murs se resserrent autour de moi, ils me disent de choisir sous peine de mort. Je suis sur de ne pas être le premier à vivre ça. Je ne serais pas non plus le dernier à choisir, je crois que je vais choisir au hasard une solution digne de moi, une solution digne de mon état de panique. Je me rappelle du proverbe "parfois le hasard fait bien les choses", mais cela ne me réconforte pas. J'ai peur du hasard, c'est une loi que l'on ne connaît pas, c'est une loi qui vient de l'intérieur et qui peut surprendre quand on l'appelle... Je ne veux plus croire au hasard, je veux croire en moi et pas en mon inconscient, oui je crains qu'il me réserve des surprises... Je sais ce qu'il m'attend, une chance sur trois de vivre si je me décide à foncer ou la certitude de m'avachir à attendre la mort dans l'antichambre.

Je regrette de ne pas être clairvoyant si seulement j'avais prêté attention à toutes les facultés psychiques qui sommeille en l’homme. Seul dans le labyrinthe, je suis aveugle, mes yeux pleurent des larmes de sang depuis que le hasard coule dans mes veines. Vraiment je regrette de ne pas être prescient, j'aurais expérimenté intérieurement la validité du choix pour mon âme. Mais voilà je ne suis pas consciemment prescient, dans l'abîme de ma détresse j'espère que mon intérieur me guidera dans le chemin d'une clairvoyance inespérée. Mon intuition me dit de prendre la porte du milieu et d'éviter les extrêmes. C'est la voie du milieu, cette pensée me réconforte mais l'angoisse reste toujours palpable.

Les murs se resserrent, ils me commandent d'y aller maintenant. Je prie pour que mon choix ne mette pas mon univers en péril. C'est décidé, je vais bientôt prendre mon élan et foncer. J'ai pris ma décision, je vais ouvrir la porte du milieu et marcher sans peur vers l'inconnu. Je suis soudain soulagé. Je n'ai pas peur de la mort seulement de la souffrance. Maintenant je suis prêt à faire le grand saut dans le vide.

Mon âme peut aller où elle veut pourvu que ce soit ailleurs qu'ici. Je laisse en témoignage ces dernières pensées espérant qu'elles aideront tout Homme capable de les comprendre. A mes confrères prospecteurs je dirais une dernière fois que rien ne sert l'attente sans méditation, il faut choisir à point et éviter les affres de l'errance. J'ai fais l'expérience de la solitude et du silence, c'est une expérience qui torture et ouvre l'esprit. Que ceux qui lisent ces lignes me croient, il faut foncer et prendre le risque de tout perdre. Cela vaut mieux que vivre au ras du sol et de s'y décomposer.

Je laisse le journal de bord dans l'antichambre. Je souhaite que le prochain chercheur qui se retrouve ici et qui trouve un moyen certain de survivre, de sortir d'ici vivant recueille tout ce que j'ai écris. J'aimerais qu’il montre mes écrits à mes proches, qu’il explique à ma famille tout ce que j'ai fait, tout ce que j'ai cherché à être. S’il me comprend, il fera cela pour moi. Il est maintenant trop tard pour poursuivre l'écriture la troisième porte m'appelle."
 
 

note sur un témoignage :

J'ai découvert ce texte dans les mêmes circonstances qui ont poussé son auteur à l'écrire mais dans mon cas la porte ne s'est pas refermée derrière moi. Ce témoignage écris m'a affecté à tel point que j'ai renoncé à la poursuite du trésor. Je n'étais pas prêt à tout sacrifier, c'est peut être pour cela que j'ai pu faire demi-tour. J'ai abandonné la prospection du trésor ancien depuis ce jour. J'ai respecté les dernières volontés de l'auteur et médite sur son œuvre.  Je ne sais pas s'il a survécu, s'il a découvert son trésor ou s'il a rejoint l’au-delà. Peut être qu'un jour je retournerais dans l'antichambre pour vivre ce vrai risque.