courrier des lecteurs :

Ethnométhodologie et expertise du cinéma, la dialectique expert/profane dans la critique de film.

ECHANGES SE DEROULANT SUR PLUSIEURS MOIS
AVEC LAURENT, ETUDIANT EN THESE DE SOCIOLOGIE

pour comprendre les contextes des échanges :
mémoire de recherche : analyse ethnométhodologique d'un film de Godard, Le Mépris
le forum de laurent : http://lk.forum-gratuit.com/

Les échanges se suivent dans une continuité chronologique. Je n'ai conservé que les messages les plus importants, ceux qui éclairent le débat et la confrontation des idées.
 


Expéditeur: Laurent
Sujet : Bonjour, vos travaux... mes travaux...
Destinataire : mel vadeker
Date : 04/04/2003

Bonjour,

Je m'appelle Laurent XXXXXX, je suis en Thèse de sociologie depuis un et demi maintenant.

Le sujet de ma thèse correspond pratiquement au sujet que vous avez développé sur les ethnométhodes du spectateur et sur la défense (en règle) que vous organisez grâce à l'ethnométhodologie de ce spectateur ordinaire peut-être pas si idiot que cela après tout.

Cette défense du spectateur ordinaire pourrait également être traitée du point de vue  de l'expertise puisque le laboratoire auquel j'appartiens, l'ERASE de METZ (Equipe de Recherche en Anthropologie et en Sociologie de L'expertise) s'intéresse aux instruments d'expertise des "publics" de la culture...

Je m'intéresse donc depuis plus de deux ans à présent aux spectateurs de cinéma et notamment aux spectateurs ordinaires tout comme vous. Fraîchement débarqué en sociologie (j'ai une maîtrise d'économie), il m'a fallu beaucoup de temps pour cerner les enjeux de ma thèse et formuler une problématique cohérente. Le corpus
sociologique de ma Thèse est passé d'une sociologie du goût à la Bourdieu au paradigme interactionniste et in fine ethnométhodologiste.

Mon hypothèse de départ est de proposer un modèle du spectateur expert grâce à une étude comparée du comportement (au sens large) des spectateurs ordinaires et des spectateurs cinéphiles.

Actuellement, je suis à l'arrêt, bloqué car je ne sais pas comment procéder d'un point de vue méthodologique.
Au niveau des enquêtes j'ai réalisé 45 entretiens avec des spectateurs de multiplex... les conclusions que j'ai pu en tirer ne sont pas énormes...

J'ai découvert votre site il y a quelques jours... à force de surfer et je constate que vos interrogations sont exactement les mêmes que les miennes... je trouve d'ailleurs votre travail remarquable et "d'un autre niveau" (pour l'instant... j'espère) que le mien.

La tentation est grande d’ «utiliser » votre travail mais je ne sais sur quel support vous avez publié.
J'aimerais également, si c'est possible, travailler en étroite collaboration avec vous et peut-être bénéficier de vos conseils.

Je vous joindrai très prochainement des textes (aucune publication à ce sujet à présent) qui me sont propres ou qui appartiennent à mon directeur de thèse, Mr Leveratto (professeur de sociologie).

Seriez-vous d'accord pour m'aider, me conseiller, approfondir avec moi certains aspects, certaines questions que je me pose sur l'éthnométhodologie et sur les blocages actuels que posent mon sujet de thèse ?

Pourrais-je avec votre autorisation, bénéficier de vos travaux, de vos écrits et les faire figurer éventuellement dans ma Thèse.

Cordialement,

Laurent.


Expéditeur : mel vadeker
Sujet : RE: Bonjour, vos travaux... mes travaux...
Destinataire  Laurent
Date  09/04/2003
 

Bonjour,

Vous pouvez utiliser mes travaux dans l’intérêt de vos recherches à la condition de respecter les consignes de copyright comme indiqué sur mon site.

Je suis d'accord pour collaborer avec vous sur ces problèmes dans la mesure des mes moyens (temps libre disponible) et d'en faire mention dans mon site ou de préciser certains points pour enrichir le débat.

Mes recherches en sciences cognitives s'inscrivent dans la démarche interdisciplinaire initié par Yves Lecerf.
Je reforme ma vision dans une terminologie compatible avec l'ethnométhodologie afin de créer des interfaces de compatibilité entre disciplines.

Cordialement.


Expéditeur : Laurent
Sujet : Re: sites et documents : réponse.
Destinataire : mel vadeker
Date :04/22/2003

Bonjour, désolé de n'avoir pas répondu avant.

je réponds :

merci d'abord pour tous ces précieux renseignements.

La sociologie de l'expertise telle que nous essayons de la faire évoluer avec mon
directeur de thèse, Mr J-M Leveratto et d'autres membres de l'ERASE tient
justement vise à bousculer cette dialectique entre expert et profane.

Les ethnométhodes constituent avec l'éthométhodologie donc un précieux
allié pour notre recherche.

Avez-vous développer davantage la partie ethnométhodes du spectateur ?

Je trouve très intéressant nombre de vos remarques et je suis heureux que vous ayez
insisté sur le corps comme centre de la réflexivité.

que pensez-vous de ma méthode consistant à "faire tenir" un journal de bord du
cinéma un peu à la manière d'un journal intime ?

en fonction du journal intime propre à chacun des spectateurs qui me l'auront
rendu, j'établirai un questionnaire personnalisé.

Qu'en pensez-vous ?

Quel type d'enquête me conseilleriez-vous ?

J'envisage de choisir deux échantillons, un de spectateurs ordinaires et le second
de cinéphiles et de les suivre grâce à cette technique de journal...

Comment faites-vous le lien entre idéaux types de l'éthométhodologie ?
(réflexivité, indexicalité, racontabilité...) et les ethnométhodes et notamment
celles des spectateurs... il me manque un chaînon dans mon raisonnement...

Pour moi, l'éthnométhodologie découle directement de la réflexivité et d'ailleurs
vous en parlez fort bien dans votre texte qui s'intitule : "Sur les ethnométhodes
propres au spectateur d'un film de fiction". Malheureusement pour moi, vous
compliquez ensuite avec un second texte qui s'intitule "les ethnométhodes au
cinéma, les outils du spectateur" et là, je ne vois plus le lien avec le premier
et avec les idéaux-types de l'éthométhodologie...

Pouvez-vous m'éclairer ?

Avez-vous lu les livres de A. Hennion?

Il tente également à l'aide de la sociologie de la médiation de combler le flou
artistique laissé par la sociologie de la croyance sur les pratiques en matière
d'art et notamment dans son cas sur la musique de même que le livre
"experts et faussaires" de Bessy et Chateaureynaud

J’essaie de faire le lien entre tout ça et ce n'est pas facile.

Est-ce que le livre de Garfinkel est disponible en  français ?

merci pour vos conseils, je vais contacter la personne qui tient son cours sur
les ethnométhodes des spectateurs.

Merci.

Laurent.


Expéditeur :  mel vadeker
Sujet :  sites et documents
Destinataire : Laurent
Date : 11/04/2003
 

Bonjour,

Concernant vos recherches, j'ai oublié de vous signaler
qu'il existe depuis la création du DESS ethnométhodologie
et informatique de l'université de Paris 8/ Paris 7 en 1985,
un nombre considérable de mémoires de recherche de DESS
sur l'ethnométhodologie du cinéma, ce sont surtout
des mémoires de DESS. Il y a peut être des thèses de
doctorat sur le sujet, puisqu'il y a également un département
de cinéma dont certains enseignants ont fait des cours
d'ethnométhodologie appliqués à l’étude du cinéma (au sein
du laboratoire d'ethnométhodologie).

Il y a deux périodes à la vie des différents courants
d'ethnométhodologies de Paris 8 / Paris 7,
de 1985 à 1995 puis après la reforme du diplôme jusqu’à
maintenant. La majorité des contributions originales dont
j'ai pu avoir accès sur le cinéma sont de la première
époque qui fut largement pluridisciplinaire.

Il y a donc beaucoup de documentations disponibles (mémoire
de DESS) mais au niveau de la thèse de doctorat, je n'ai pas fait
de recherches particulières. Si vous pouvez avoir un accès
aux bases de données de cette université, je vous conseille
de faire quelques recherches.

Le site du DESS (versant paris 8), http://www.ethnomethodologie.net/
Vous verrez qu'il y a les cours de Guy MAGEN
"Pertinence des images au cinéma" et "Ethnométhodes du spectateur"

En ce qui me concerne, j'ai une expérience de l'analyse comportementale
des cinéphilesprofanes et experts. J'ai participé à la vie de différents
forums de cinéma et je suis moi-même cinéphile. J'ai beaucoup de données
sur ce sujet et j'ai de nombreuses théories de l'acteur-spectateur.

Participer à la vie de certaines communautés de cinéphiles et amateur de
cinéma sur Internet ou lire certaines contributions originales pour croiser les
interprétations ainsi que les critiques peuvent vous faire avancer rapidement.

Cordialement.


Expéditeur : Laurent
Sujet : RE: Re: sites et documents : réponse
Destinataire : mel vadeker
Date : 04/27/2003

J’ai bien reçu votre mail.

Je vais essayer de formuler une réponse qui intègre mes
interrogations de manière assez précise.

J’ai consulté votre site : j'adore ! : un vrai bonheur.
On sent que ça cogite...
Je vous enverrai une réponse d'ici peu...

Merci !

Laurent.


mel vadeker wrote:

Bonjour,

Je tiens à lever une petite erreur d’appréciation, je crois
que vous faites référence dans votre courrier au mémoire
sur les ethnométhodes du spectateur, l'analyse du film
le Mépris de Godard
http://perso.club-internet.fr/vadeker/corpus/marzalec/00.html
Ce mémoire n'est pas de moi, il est de (Marszalek Sylvie. Octobre 1994.)
Il existe un grand nombre de mémoire de DESS de cette nature
au sein du département ethnométhodologie et informatique (versant
Université de Paris 8).

Ensuite il existe un certain écart entre les positions ethnométhodologiques
à la fois de certains courants de recherches et également au niveau
de l'activité anthropologique elle-même. L'ethnométhodologie
étant sa propre métathéorie (par réflexivité et indexicalité) elle
s'applique donc de manière récursive ses propres axiomes.
Je sais que cela ne facilite pas les choses mais il se pourrait que
vous développiez ainsi avec l'aide par exemple des recherches
de Paris 8 une ethnométhodologie du spectateur selon vos
critères ou appréciations. Vous pouvez ensuite comparer vos
analyses avec celles d'autres chercheurs.

Ma position ethnométhologique est de nature assez personnelle
puisque j'ai enrichi ma propre vision épistémologique de concepts
issues de mes recherches transdisciplinaires. Il y a cependant une
filiation avec les lectures nominalistes et informatiques de
l'ethométhodologie enseigné par Yves Lecerf, un des fondateurs
du courant radical de l'ethnométhodologie en France, Université de
Paris 8/Paris 7.

Pour Garfinkel, je ne crois pas qu'il y a de traduction française et même
si c’était le cas, cela ne vous sera pas d'un grand secours pour
la pertinence de vos recherches. L’herméneutique est très forte
chez Garfinkel. J'ai donné quelques références dans ma page
des éléments bibliographiques. Le colloque de Cerisy :
"L'ethnométhodologie, une sociologie radicale Ed La Découverte, 2001"
Dans ce livre, nous avons un tour d'horizon de quelques applications de
l'ethnométhodologie récente avec la participation de Garfinkel.

Pour vos recherches, il y a certaines catégories de films ou la
distinction entre spectateur profane et experts devient problématique.
Car il devient difficile de dire à quel point un spectateur est profane
et faire de même pour l'expert. Il y a là un piège dans la taxonomie qui
révèlent alors les inductions (sous le couvert d'un raisonnement
ethnocentrique sociologique) qu'il convient de définir et de délimiter.

J'ai de nombreuses idées sur la question qu'il serait intéressant
de traduire de manière conceptuelle au niveau de la compatibilité
avec différents courants de recherches ethnométhodologiques.

Cordialement.


Expéditeur : Laurent
Sujet : RE: Re: sites et documents : réponse
Destinataire : mel vadeker
Date : 05/04/2003

Bonjour,

J'ai une question qui me vient à l'esprit :

Pensez-vous que l'on puisse comparer les ethnométhodes des spectateurs
profanes et cinéphiles en les prenant à part... ?

Par exemple, suivre un groupe de cinéphiles et un groupe de spectateurs
ordinaires... et relever leur ethnométhodes respectives
sans pour autant choisir un film commun aux deux groupes ?
C'est ce que je veux faire au niveau local, à Longwy (près de Metz)... et
c'est un peu le sujet de ma thèse...

Cordialement,

Laurent.


Expéditeur :  mel vadeker
Sujet :  RE: RE: Re: sites et documents :
Destinataire  Laurent
Date :  14/05/2003
 

Bonjour

Pour votre question j'ai un problème à vous soumettre.
Comment peuvent réagir des groupes de spectateurs
devant un document qui allie la fiction et la réalité dans
un style limite qui provoque de forts états émotionnels.

Que faire par exemple avec un film comme
Irréversible
Le projet Blair Witch
2001, l’Odyssée de l'espace

Avec les documentaires fictions/réalités célèbres comme
ceux diffusé sur Arté :

1/ "Operation Lune" : une information sur la désinformation
qui s'appuyant sur la vie de Kubrick construit une histoire
alternative de l'exploration de la lune
******
16 octobre 2002 sur Arte
OPERATION LUNE
La face cachée de la Lune.
L'homme n'a jamais posé le pied sur la Lune... Les deux milliards de téléspectateurs qui
ont regardé les images de la mission Apollo 11, le 20 juillet 1969, ont été leurrés. Il
s'agissait d'une supercherie ! ARTE le démontre en diffusant cette semaine un vrai-faux
documentaire dont l'objectif est de prouver qu'il ne faut pas toujours croire les images.
Tout au long de sa délirante enquête, William KAREL avance les hypothèses en
détournant les images. Des témoins de l'époque, Donald RUMSFELD - Actuel Secrétaire
d'État américain à la défense - , Henry KISSINGER - Conseiller du Président pour la
sécurité nationale - , Richard HELMS - CIA, Ancien Directeur - , Crystiane KUBRICK -
Veuve du cinéaste britannique - , ou encore Buzz ALDRIN - le deuxième homme d'Apollo
11 - , reconstituent une étonnante chronologie des faits. En parallèle, des comédiens
endossent le rôle d'un certain nombre d'autres témoins et accréditent la thèse en
question.
-----
La diffusion de ce documentaire est encadrée d'avertissements pour souligner son
caractère fictif ; Alexandre ADLER interpellera notamment les téléspectateurs.
*****

2/ "Les Documents Interdits" de Jean-Teddy Philippe
http://www.cri.ch/di/di-diff.htm
http://www.objectif-cinema.com/interviews/138a.php

Pour votre thèse et dans ces cas limites de films difficiles.
Vous pouvez faire un raisonnement par
l'absurde, ce que permet de faire l'ethnométhodologie pour
dénoncer justement l'incapacité des sociologies positivistes
ou traditionnelles à ne pas prendre en compte leur
propre ethnocentrisme. Car l’état de spectateur
ordinaire/profane/savant fluctue autant que les
niveaux de perception, de compréhension, d'immersion
dans la narration d'un auteur.
On peut même jusqu’à faire une critique de l'univers
de la critique et du statut d'expert en cinéma.

S'il s'agit de construire un modèle reproductible de la conscience
du spectateur ordinaire et savant, il faudra alors dans une
perspective ethnométhodologique donner tous les contextes
afin de construire les différents cheminements dans la construction
du sens par le spectateur. Un genre d'exercice d'ethnologie
appliquée. Il faudra aussi justifier pourquoi vous faites un
groupe de profane et un autre d'expert et comment vous
utiliser vos inductions scientifiques et personnelles pour faire cette
taxinomie.

Le mieux serait de laisser chaque membre du corps social
que vous étudiez (la communauté de cinéphiles profanes
et d'experts) désigner eux-mêmes leur niveau d'expertise et
soumettre ensuite chacun des membres à une dialectique
pour comprendre les mécanismes (ethnométhodes) de
l’interprétation.

Il ne faut pas oublier que votre étude risque d'être
fortement influencé par le contexte socioculturel et la
géographie. J'ai déjà effectué ce genre étude (à titre
personnel car je suis cinéphile) dans les cinémas de Paris
que je fréquente le plus avec l'aide de groupe
de cinéphile avec lesquels je débats sur Internet (dans
certains forums cinéma).

Il est également intéressant dans le cas ou dans votre
terrain étude les cinémas ne sont pas assez nombreux de
vous reportez sur d'autres supports (DVD, K7 vidéo). Car
pour un cinéphile (un spectateur se proclamant comme expert
savoure sans plaisir à domicile et augmente son expertise
en complétant avec la lecture de magazines et l'exploration
des bonus des DVD). Le profane n'allant pas jusque là.
Il y a déjà en amont ou en aval de votre étude, à comprendre
à quel genre de personnes vous allez étudier et si vous
même vous pouvez être membre d'une catégorie ou d'une
autre selon vos propres critères subjectifs.

Dans tous les cas il existe beaucoup d'approches et de choix
de méthodes (les ethnomethodologies des spectateurs et
des sociologies elles-mêmes) pour aborder votre thèse.
Pour éviter de vous disperser, il faut éviter certains pièges
et se recentrer sur la manière dont les spectateurs
se définissent eux-mêmes par rapport au regard des autres
et celui de l'anthropologue. La question fondamentale est :
comment font-il pour comprendre ce qu'ils voient et comment
font-il pour en parler ?

Est-ce que vous avez trouvé les thèses portant sur le même sujet ?
Avez-vous contacté les enseignants de Paris 8 ou consulté par
le biais de votre bibliothèque les thèses et mémoires disponibles
à l'université de Paris 8 ?

Cordialement.

M.V.


Expéditeur : Laurent
Sujet : RE: RE: Re: sites et documents :
Destinataire : mel vadeker
Date : 05/19/2003

Bonjour,

D'abord, merci pour votre courrier...

J'avoue ne pas saisir l'intérêt véritable de choisir des films mêlant adroitement
la réalité et la fiction au point de la confondre... pour rendre compte de la
construction de sens du spectateur... profane ou expert.

Pouvez-vous m'expliquer où vous voulez en venir ?
Je suis désolé mais quelque chose m'échappe... et je soupçonne ce quelque
chose d’être important qui plus est...

J'attends d'un jour à l'autre la thèse de Mr Magen, en fonction de mes
interrogations, je l'interrogerai par courrier.

Merci... mais, j'ai du raté un paragraphe... je n'ai pas saisi toute la pertinence
de votre dernier mail...

Pouvez-vous m'éclairer ?

Laurent.


Expéditeur : Laurent
Sujet : RE: RE: Re: sites et documents : suite (à lire après le précédent...)
Destinataire : mel vadeker
Date 05/19/2003

Je ne comprends pas bien le "breaching" que vous voulez effectuer en fait.

Quel serait le but ?
Faire apparaître les inductions respectives ? les indexicalités de chacun des spectateurs? Leurs croyances respectives ?

Merci... je suis impatient de lire votre réponse...
Laurent.


Expéditeur : mel vadeker
Sujet :  le cinéma, le breaching et étude de terrain
Destinataire :  Laurent
Date  25/05/2003
 

Bonjour,

Je ne donne que des idées générales qui peuvent vous servir.
En fait, votre démarche de recherche s'inscrit dans votre propre
vision du problème en utilisant selon les contraintes du terrain
des outils que proposent l'ethnométhodologie.

J'ai une vision radicale de l'ethnométhodologie, encore plus encore
que celle qui est enseignée en faculté car j'aborde et c'est une
de mes motivations certains domaines limites qui bousculent les
fondements théoriques des disciplines et des stratégies d'analyse.

En faisant cela, je réinterprete selon des normes extrêmes
une ethnométhodologie radicale et transdisciplinaires dans mes
recherches et cela depuis plus d'une décennie. On peut dire que
j'etais ethnométhodologue (j'avais une vision compatible sur
de nombreux concepts) bien avant de connaître l'existence
de ce courant de recherche.

Vous devez maintenant le savoir, l'ethnométhodologie est
la science qui étudie les rationalités locales et les cultures
locales. Il n'existe donc que des définitions locales de
l'ethnomethodologie et cette dernière se développe de façon
transversale tout en étant sa propre métathéorie.
Cette théorie recommande donc, dans toute étude, de
n'utiliser les catégories des gens (le contexte,
le terrain, le corps social, les interactions) dont on prétend
rendre compte. Cela pour des raisons méthodologiques
et pour déjouer les pièges du raisonnement par induction
et les faillites inhérentes à l'ethnocentrisme. Donc l'ethnométhodologie
peut être qualifiée de sociologie sans induction (en tout cas elle
essaye de limiter ou de borner l'influence de l'induction dans
le terrain qu'elle étudie).

Pour les chercheurs expérimentés il y a d'autres paliers de complexité
et de synthèse méthodologique qui interviennent pour améliorer
les analyses de terrain. C'est pour cela que je dis qu'il ne m'est pas
possible de vous expliquer ma propre vision puisqu'elle dépend
grandement des contraintes du terrain et d’expérience
du chercheur. Ce que je vous incite à faire, c’est de discuter de
certaines stratégies compatibles avec les axiomes ethnomethodologiques
afin de rendre compte le plus près possible des ethnométhodes du
spectateur avec l'idée que vous faites partie du système que vous étudiez.

Il existe dans le cas du cinéma des zones d’études limites qui mêlent
adroitement dans une performance artistique ou de réalité-fiction,
les états de conscience du spectateur avec une réalité ordinaire vue
ou vécue comme une réalité alternative. Même si le spectateur
a conscience du spectacle, de son caractère artificiel il peut aisément
se laisser prendre au piège d'une narration qui l'emporte vers
des formes alternatives de représentation du monde (le spectacle) qui
interfèrent entre elles (par indexicalité, réflexivité, pos-analycité, indifférence).

Le but du jeu en quelque sorte serait de comprendre les indices
de corrélations dans l’émergence et la construction des ethnométhodes
du spectateur soit disant profane et celui qui se proclame expert ou que
l'on désigne comme expert.

C'est ici que se déroule le breaching, car le spectateur n'est pas toujours
capable de rendre compte de ses états mentaux dans l’interprétation du
spectacle. Il faut donc collaborer avec lui comme le ferait un psychologue.
Vous serez donc à la fois membre (proche d'eux, en interaction forte) et
ensuite dans la description vous devrez évaluer l'importance de vos propres
routines de pensées dans l'analyse des ethnométhodes des autres.
C'est ici que se déroule la posture indifférence.

Je prends un exemple, dans l'histoire coloniale, des explorateurs ont
emporté avec eux des appareillages pour projeter des séquences
de films d'actualité à des tribus reculées ou des ethnies qui n'ont jamais
connues ou si peu, la civilisation occidentale et son cinéma.
Vous connaissez peut être la suite, l'image devenant vivante était
considérée comme réelle, vraie et revêtait un caractère magique.

Là où je veux en venir c'est que ce genre de comportement se retrouve
partout, rien de plus simple qu’étudier les modes d’interprétation
et d'influence d'une stratégie de propagande par exemple en utilisant
les images de télévision, manipulées de telle sorte que la fiction recrée
devient pour ainsi dire une réalité alternative pour le spectateur.
L'auteur de la propagande ou de la manipulation devenant par
procuration un créateur d'une oeuvre de fiction/réalité.

Je peux ensuite comparer les styles et les modes de création avec ceux
des cinéastes. Qui sont des spécialistes de l'image et de la manipulation
du spectateur par la narration, le montage, la musique, le son.
On peut ensuite se poser la question du rôle du cinéma, de son potentiel
de manipulation ou de déclenchement des affects.

La question la plus importante pour vous et de savoir ce qu'il se passe
dans l'esprit du spectateur avant, pendant et après la projection.
Si on peut modéliser le contexte culturel et une catégorie de spectateur
dans une zone géographique afin de rendre compte d'un mode
de vie. Pour faire cela vous avez toute une panoplie de technique
et d'axiomes ethnométhodologiques qui s'utilisent simultanément ou
en grande interaction.

Il ne faut pas oublier la portée critique et constestaire des outils
ethnométhodologiques. Car le plus souvent, on l'utilise pour
démonter les incohérences de certaines études classiques (ou postures
réputées dogmatiques) ou pour intégrer des corrections
méthodologiques précises.

Cordialement.

M.V.


Expéditeur : Laurent
Sujet : le cinéma, le breaching et l’étude de terrain
Destinataire mel vadeker
Date / Time 06/01/2003

Bonjour, merci pour votre courrier... je n'ose plus vous répondre directement
de peur de poser des questions "bêtes"... je réfléchis pas mal... ce qui explique
la longueur entre mes mails... veuillez m'en excuser.
Le mieux c'est que je réponde ou vous questionne à partir de vos mails.
En caractère gras votre message, en dessous mes commentaires :
 

>Je ne donne que des idées générales qui peuvent vous servir.
>En fait, votre démarche de recherche s'inscrit dans votre propre
>vision du problème en utilisant selon les contraintes du terrain
>des outils que proposent l'ethnométhodologie.

Oui, à ce titre je suis surpris de voir que l'objet de la thèse de
Guy Magen (que j'ai reçue) soit le film de fiction... ne devrait-il pas
être : "Les spectateurs des films de fictions ?"
Au regard des outils justement de l'ethnométhodologie ?

>J'ai une vision radicale de l'ethnométhodologie, encore plus encore que celle qui est
>enseignée en faculté car j'aborde et c'est une de mes motivations certains domaines
>limites qui bousculent les fondements théoriques des disciplines et des stratégies
>d'analyse.

Si j'ai bien compris, pour le cinéma, deux choses dérangent l'ethnométhodologie.

1-Notamment pas rapport à la sociologie de Durkheim et Bourdieu qui envisage
les pratiques culturelles comme socialement distribuées et dont le sens n'a que
peu d'importance ou est cachée par le jeu des champs et de l'habitus notamment ?

2-Les critiques des experts (patentés) du cinéma qui prennent le spectateur
ordinaire pour un idiot culturel... quelqu'un gavé par les films US bêtes et sans
légitimité culturelle ou artistique... (Matrix constituerait l'une des exceptions à
la règle...) Mais d'où viennent ce rabaissement des spectateurs ordinaires dans
les faits ? avez-vous des exemples d'écrits qui prennent le spectateur ordinaire
pour un con...
Je pense relater l'affaire qui il y a eu avec quelques temps (Patrice Leconte
et sa fameuse lettre pour qu'on arrête d'assassiner les films populaires) ou
aux critiques terribles de journaux comme Libé qui assassinent souvent à la
fois les films US et les spectateurs qui vont les voir (Men In Black II)

>En faisant cela, je réinterprete selon des normes extrêmes
>une ethnométhodologie radicale et transdisciplinaires dans mes
>recherches et cela depuis plus d'une décennie. On peut dire que
>j'étais ethnométhodologue (j'avais une vision compatible sur
>de nombreux concepts) bien avant de connaître l'existence
>de ce courant de recherche.

La sociologie de l'expertise culturelle telle que nous la développons à Metz
pourrait vous paraître intéressante... je peux vous envoyer des textes si tel
est votre souhait qui font du spectateur ordinaire un expert
potentiel...(Mr Leveratto et Mr Montebello notamment).

Quant au reste de votre courrier, je continue de réfléchir en même temps que
je lis la thèse de Guy Magen...

Merci beaucoup et à bientôt.

Laurent.


Expéditeur  mel vadeker
Sujet  cinéma et sociologies du spectacle
Destinataire  Laurent
Date  02/06/2003

Bonjour,

Ne vous inquiétez pas pour les emails, les temps de réflexion
ne doivent pas vous inquiéter. Je reçois quelques fois
du courrier de personnes qui mettent plusieurs mois entre les
échanges. En fait, je ne fais que donner des idées pour
faire avancer les recherches ethnométhodologiques, les
études qui ont des concepts communs ou qui arrivent aux mêmes
conclusions.

Je ne connais pas la thèse de Guy Magen, je le connais indirectement
à partir du site de Paris 8 et j'ai quelques souvenirs
de mémoires de DESS sur les ethnométhodes du spectateur dans
l'analyse de films précis. Cela remonte à pas mal d'années.

Pour les documentations, je peux consulter ou lire celles
que vous pensez être utile pour votre thèse. Je peux vous
donner mon avis. Je peux essayer de répondre
à vos questions à partir de quelques points de repères, un résumé
par exemple des thèmes abordés et des conclusions.

Pour le cinéma, l'ethnométhodologie donne des outils théoriques
extrêmement critiques sur les théories esthétiques positivistes
ou à vocation universalistes. Dans le style : pour un contenu
artistique précis tous les spectateurs doivent penser de la
manière décrite par l'expert en cinéma. La critique la plus
simple à poser : comment l'expert fait-il pour auto-analyser
son propre mode de réflexion et comment peut-il être certain
que ce qu'il avance est vraiment pertinent et partagé ?
J'ai assisté à de nombres démonstrations d'expert qui en fin
de compte n'arrivait qu'a faire la démonstration de leur
propres préjugés et ils ne s'en rendaient pas compte eux-mêmes
car ils étaient pris dans leur propre autoréférence culturelle
(les inductions issues et organisées au travers de leurs
sensibilités, i.e. ethnocentrisme).

J'ai également assisté à des joutes verbales et des querelles
sans limites à ce sujet : l'expert et le "profane" se tirant
dessus à boulet rouge pour la préservation des positions
respectives. Pour un anthropologue c'est très
intéressant, j'avais l'impression d'assister à des querelles
religieuses s'appuyant sur les raisonnements de cultures locales
différentes. Pour débloquer la situation, il suffit de trouver
un moyen pour établir une interface à partir
des concepts de l'ethnométhodologie. On peut difficilement remettre
en question les axiomes de l'ethnométhodologie car ils fonctionnent comme des
opérateurs immanents à toutes rationalités. On peut alors essayer
de construire un discours critique acceptable par les deux camps
qui soit en fait un méta-discours sur les ethnométhodes
de chacun. On se sert alors de la posture d’indifférence pour prouver
qu'il faut se sortir de certains raisonnements inductifs autoreferentiels.
J'ai donné sur mon site, un exemple de ma participation à une
dialectique qui a duré des mois et qui a ensanglanté un forum cinéma.
http://perso.club-internet.fr/vadeker/humanite/dialectique/expert_profane.html

Il faut reconnaître que certains experts parviennent à se remettre
en question et à accepter des postures intellectuelles d'ouverture.
Pour arriver à cela il faut trouver un moyen d'atteindre leurs
références culturelles : il faut parler dans leur langage et
avec leur représentation. En psychologie (psychothérapie à temps
courts ou familiale) on appelle cela parler
le langage du patient, c'est le psychologue qui doit se mettre au niveau
du patient et non l'inverse comme en psychanalyse (thérapie longue)
où le patient doit comprendre, décrypter ou vivre dans les
concepts proposés par l'expert.

Je suis d'avis qu'il faut trouver une approche commune
dans ses problèmes psychosociologiques, car ceux qui vivent
ces choses sont les plus à même d'en parler et d'en décrire le
fonctionnement. L'expert qui débarque pour proposer des solutions
toutes faites est souvent prisonnier de son ethnocentrisme.
L'ethnométhodologie permet justement de dénoncer de façon
rationnelle l’élaboration de ces raisonnements totalitaires.
http://perso.club-internet.fr/vadeker/corpus/etude.htm

Le plus difficile c'est de faire dialoguer des rationalités
culturelles franchement opposées par des préjugés esthétiques
ou théoriques et qui ont un fondement flou et variable (ce
qu'on appelle le savoir de sens commun ou le raisonnement
de sens commun). Construire cette interface c'est revenir
aux fondements et analyser ses propres modes de pensées pour
en comprendre les mécanismes et ainsi proposer un discours
sur l’interprétation commune (un meta-discours).

Ce que je peux dire, c'est que ce n'est pas une chose facile
à faire. Par exemple, je peux résumer ma stratégie en 5
points pour le cas du cinéma :

- 1) étudier les mécanismes locaux de l’interprétation, les
ethnométhodes sans intermédiaire. (approche directe avec
le spectateur). C'est ce qu'il se passe dans des forums ou
à la sortir des salles.

- 2) mettre en relation les ethnométhodes entre elles par une
analyse des contextes d’élaboration et des psychologies
(se rapprocher plus du spectateur expert ou profane pour
connaître les a priori et les sensibilités). Qu'est ce
qui se passe, avant, pendant et après le spectacle ?
Ce qui se passe avant est très important, l'influence
"vue et non remarquée" (pratiques de l'action sociale)
des autres spectateurs, des critiques ou du marketing à une
incidence décisive.
On peut faire l’expérience d'aller voir un film
sans rien en connaître pour se laisser aller à une
découverte ou se reposer sur les conseils de proches,
et c'est souvent le cas dans le "bouche à oreille".
Il est intéressant d’étudier les motivations du
spectateur. Pourquoi se déplace t-il au cinéma ?
Est-il influencé ? A t-il des préjugés avant le film
qui risquent de perturber son interprétation. Est-ce qu'il
à des soucis qui risque de l’empêcher de rentrer dans
l'histoire, etc.
Dans mon cas je préfère de beaucoup découvrir
un film car les critiques me privent de certaines
sensations de découvertes (spoilers). Il y a beaucoup
de choses à dire à ce niveau également.

- 3) analyser les interprétations et laisser le
spectateur reconstituer les ethnométhodes. C'est
ce qui se passe la plupart du temps lors d'un
débat contradictoire entre spectateurs partageant
une même sensibilité.

- 4) mettre en relation directe ou indirecte (par l'analyse
de contenu) les interprétations contradictoires.
C'est ici que j'effectue la dialectique expert/profane
pour évaluer la pertinence des analyses.

- 5) posture d’indifférence : construire une étude
psychosociologique en se prenant comme point de référence
et en veillant à borner les pièges de l'ethnocentrisme.
Cela revient à comprendre comment fonctionne un système
que l'on étudie en se décrivant soi même dans le système
que l'on cherche à restituer.
C'est aussi étudier les ethnométhodes des spectateurs ou les
ethnométhodes du cinéma (de l'industrie du spectacle) dans
la constitution des ethnométhodes du spectateur. Nous avons
la triade : spectateur - oeuvre en elle-même - industrie
du spectacle ou le contexte de l'exploitation du spectacle.

Je n'ai pas en tête de documents, pour votre demande
sur les écrits traitant le spectateur ordinaire d'idiot
qui n'est pas digne de donner son avis ou qui n'est
pas capable de participer aux débats des élites.
J'ai plutôt une accumulation de données culturelles,
audiovisuelles et politiques qui vont dans ce sens.
La question que j'ai en tête : jusqu’à quel niveau se
sert-on du spectateur ordinaire pour
le contraindre implicitement ou explicitement à participer
encore plus à une industrie du spectacle qui n'a que pour
seule ambition le profit ? Là on peut critiquer les théories
commerciales ou financières du cinéma, les stratégies
marketing qui influencent la construction d'une oeuvre et
la façon dont cette oeuvre sera reçue par le public. C'est
tout un programme d'analyse qui peut amener très loin.
Car en étudiant les ethnométhodes du spectateur on peut
remonter toute la filière des sociologies du spectacle.

Cordialement.

M.V.


Expéditeur : Laurent
Sujet : Re: cinéma et sociologies du spectacle
Destinataire : mel vadeker
Date : 06/04/2003

Les travaux de Bessy et Chateaureynaud sont pour moi d'un grand secours !

Leur notion de prise (rencontre entre repères et plis des corps) est géniale...

Les querelles d'experts reposent  sur des prises différentes selon eux...

j'ai bien lu vos 5 points stratégiques !

de manière assez limitée et assez humblement, je les ai tous envisager
comme témoignent mes fichiers joints !

je fais une remarque cependant : là où l'ethnométhodologie me semble fragile, c'est qu'elle
s'arrête sur le problème du sens et d’interprétation. elle s'y colle parfaitement
pour certains films il est vrai...

en témoigne mon fichier joint ou des spectateurs de Matrix recherchent la bonne
explication et la bonne interprétation du film...

mais parfois, le modèle de la prise me semble plus pertinent... notamment
quand le problème ne repose pas essentiellement sur le cas d’interprétation
différente (bien qu'elle le soit malgré tout toujours un peu). Parfois, on est
obligé d'en revenir aux goûts... et la prise permet de se sortir de ce dilemme...

Dites-moi si je me trompe : mais il me semble que l'ethnométhodologie prend "le sens" pour
base du problème... or, il me semble que c'est pas l'unique nerf de la guerre
en matière de cinéma comme dans tout autre objet culturel...
 

Pour établir une sociologie de la perception... il faut tenir compte à la fois
des "corps" des objets et des "corps" des sujets (spectateurs) qui tous
deux se rencontrent...

Je m'arrête là au cas où je m'égare... inutilement sur un mauvais sentier
ou sur de trop hâtives conclusions.

cordialement

Laurent.


Expéditeur :  mel vadeker
Sujet  l'interdiscipline et l'expertise
Destinataire  Laurent
Date  04/06/2003

Il y a bien une difficulté avec l'ethnomethodologie,
ce n'est pas aussi facile que ca. En fait c'est une discipline
qui ne fournit que des outils que chacun peut appliquer sur
le terrain. C'est une trousse à outils avec des grands concepts
forts pour encadrer une praxis. En elle-même l'ethnométhodologie
ne dit rien au niveau des axiomes car c'est théorie du
savoir zéro (étude du savoir de sens commun).
C'est au chercheur de lui trouver une application et d'en tirer
les conclusions.

C'est pour cela que dire qu'elle ne s'occupe que du
sens, c'est limiter grandement l'application, et cela d'autant plus
que l'ethnomethodologie fonctionne comme une interdiscipline, c'est
le cas du courant de recherche radical des universités de Paris 8
et Paris 7, on retrouve aussi ce radicalisme transdisciplinaire
dans certaines recherches compatibles.

Certains personnes mettent des années avant de pouvoir passer
de la théorie à la pratique ethnométhodologique, il faut arriver
à découvrir le rationalisme sous-jacent.
Il y a une indexicalité de l'indexicalité, l'ethnométhodologie
peut revêtir différente forme, à vous de le découvrir par
exemple dans le champ de la psychosociologie et de
l'ethnologie.

Vous pouvez avoir une approche ethnométhodologique sans vous en rendre compte,
les axiomes sont des opérateurs qui sont d'un point de vue
épistémologique, le support de l'information dans l’évolution
d'un système évolutif (dans le sens cybernétique en théorie de l'information).
Ces opérateurs fonctionnent aussi bien en
biologie, en physique, en mathématique pour la description
de la complexité. Les liens avec les sciences cognitives se
font également par étude de cette information provenant
de l'environnement est traité au niveau de la neurobiologie,
psychologie et de la spiritualité

L'ethnomethodologie, de mon coté est une praxis souple
qui s'adapte au contexte et aux contraintes d’étude.
Par valider si vous avez bien une démarche ethnomethodologique, vous
devez mettre en correspondance, vos conclusions avec
l'application des axiomes afin de voir si vous êtes dans une optique
compatible ou incomplète. L'indexicalité s'appliquant ici, vous
pouvez reformuler les axiomes dans votre terrain sans entrer dans
une contradiction conceptuelle.

Le plus délicat c'est que cette théorie est également sa propre
métathéorie, elle s'applique par autoréférence ses propres
axiomes. On peut alors la voir comme une théorie unitaire
de l'information qui utilise une mathématique cognitive pour
décrire le fonctionnement de la conscience au sein même
de la théorie.


------- Message d'origine -------
De Laurent
Date 22 Jun 2003
----------------------------------------------
>
>
>que répondez-vous au bémol que je mets quand je dis que l'ethnométhodologie
>ne suffit pas à trancher le débat expert profane
>
>en matière de cinéma car elle ne dit rien du débat qui porte non pas sur le sens mais sur l'esthétique du film ?
>
>Laurent.
>

Comme toujours il faut construire un lexique pour cerner
les dérives de l'indexicalité. Qu'est-ce que l'on peut mettre
derrière le mot esthétique ? Quelle définition ? Il y a de quoi
vivre une infinitude des indexicalités. Le terme lui-même est
ambigu.

Il y a un truc qui permet de déjouer la situation. Si l'esthétique
est une théorie, c'est qu'elle découle d'une rationalité
locale. Si elle découle d'une phénoménologie psychobiologique, elle
entre également dans le champ de l'ethnométhodologie.

En effet l'ethnométhodologie est une théorie du savoir zéro, elle
se focalise sur le sens commun qui peut être, soit un système
de support informationnel logique (générateur de rationalité), soit
un support biogénétique (un corps vivant), soit un système
d'ontologies.

Dans tous les cas, l’esthétique a besoin de ce support pour exister et
l'ethnométhodologie permet étudier le support de l'esthétique, ses
fondements, ses origines historiques.

L'ethnométhodologie est une métathéorie, elle a pour vocation d'être la
métathéorie de toutes théories, elle est également sa propre métathéorie.
Elle s'occupe du fondement des connaissances et jette un regard
diffèrent sur notre manière de décrire les connaissances dans les
variations de référentiels culturels, de dérives des représentations.

Il n'y a donc aucun problème, l'ethnométhodologie s'occupe aussi
bien du sens que de l’esthétique. J'ai d'ailleurs vécu une querelle sans
fin sur l’esthétique de "Eyes Wide Shut" de Kubrick. Une véritable
guerre de religion, et il n'y avait aucun problème pour appliquer
l'ethnométhodologie à ce niveau là.

CITATION DE YVES LECERF :
http://perso.club-internet.fr/vadeker/corpus/ethique.htm
"...6/ LA RECHERCHE AXIOMATIQUE DES FONDEMENTS ; LA QUESTION DE L'INDUCTION ; IL N'EXISTE PAS DE FORMULATION UNIVERSELLE DE L'UNIVERSEL.
C'est une propriété singulière d'une théorie que de pouvoir se prendre elle-même pour objet d'étude : car alors, le raisonnement boucle et la théorie peut s'appliquer un nombre infini de fois à elle-même. Or, étant une métathéorie possible de toute science, l'ethnométhodologie est sa propre métathéorie ce qui fait que ses concepts et axiomes se réappliquent à eux même selon une logique récurrente complètement combinatoire. I1 est à partir de là (et via l'opérateur indexicalité ou via encore l'opérateur réflexivité) facile de démontrer que sa formulation n'est pas et ne peut pas être univoque. Bien au contraire, elle diverge. Un sujet de recherche ouvert est donc celui de la reformulation de ses axiomes, reformulation en principe potentiellement infinie, et productrice d'une richesse de propositions dont beaucoup sont intéressantes et utiles à des fins par exemple de protection des libertés. Pour nous opposer au caractère policier déplaisant d'un interrogatoire par exemple, nous dirons "qu'il n'est pas vrai
qu'à toute question il soit toujours possible de répondre d'une manière et d'une seule". Et c'est là une proposition qu'en effet l'axiomatique de l'ethnométhodologie peut facilement engendrer. Des formulations élégantes sont par ailleurs celles dans laquelle la théorie parvient à prendre appui sur elle-même (ce qui signifie qu'elle, repose alors sur le sens commun de la langue dans laquelle elle est formulée)."

Amicalement.

M.V.


Expéditeur : Laurent
Sujet : esthétique
Destinatairemel vadeker

Merci pour vos deux messages...

Je n'y réponds pas tout de suite... je vais prendre le temps ce soir de les lire comme il faut...
en tout cas : un grand merci...

J'ai une question d'ordre méthodologique...
Cette année, je voudrais suivre deux groupes distincts : les uns réputés naïfs, et les autres experts (cinéphiles)...

Je voudrais également les confronter autour de films de temps à autres... les films étant soit "commerciaux" soit "art et essai" de temps en temps... mais pourquoi pas aussi confronter leurs ethnométhodes sur des films "intermédiaires" susceptibles de plaire à la fois aux uns et aux autres...

Qe pensez-vous de cette méthodologie, de ce procédé d'enquête ?
Quelles erreurs à éviter ?

Merci

Laurent.


Expéditeur :  mel vadeker
Sujet : cinéma et sociologies du spectacle
Destinataire : Laurent
Date  23/06/2003
 

Bonjour,

J'ai pas mal de choses à dire dans la dialectique expert/profane
en particulier par Internet. Le lieu même de confrontation, en
dehors de la régulation des échanges interpersonnels physiques.
L’échange est en fait purement émotionnel c'est ce qui explique
l’accélération des luttes, les rigidités des prises de positions, les
querelles cycliques, les dialectiques polymorphes et parfois
loufoques.

Le forum que je fréquente est sur le point de mourir, il s'agit d'un
forum privé de caramail. Il existe par ailleurs sur caramail, de
très nombreux forums publics sur le cinéma ainsi que des
salons de discussion (chat) sur le cinéma.

Cela fait maintenant presque 3 ans que je suis sur caramail et
que j’étudie les communautés de chateurs, en fait j'ai vécu (en tant
que membre) dans une micro-communauté de cinéphiles experts/profanes.
Participer à un forum et le faire vivre est
particulièrement délicat. J'ai assisté à la mort et la renaissance de
ce forum 3 fois. Il a été repris et transformé et repris par des
réseaux d'amitiés. Le destin d'une communauté est imprévisible
sur Internet, les réseaux se croisent et se décroisent, les uns
se quittent et d'autres se retrouvent ailleurs.

C'est pour cela qu'il est intéressant de voir la progression
de la dialectique sur la critique d'un film au fil des mois. C'est
très instructif car c'est le genre de débats qui reste transposable
dans de nombreux domaines.

Vous avez trouvé des forums non mixtes, soit de profanes, soit
d'experts. C'est ce qui arrive le plus souvent, par contre il
est très rare de voir des forums mixtes expert/profane. J'ai eu
la chance de participer à la vie de l'un d’eux. Et c'est par
le débats et les querelles que se révèlent les ethnométhodes
(par réflexivité). Moi je suis le plus souvent intervenu comme
un médiateur culturel car je savais que le clivage ne pouvait
se résoudre que par une négociation sur les points communs, en
fin de compte sur les variations ethnométhodologiques des
interprétations. J'ai révélé l'utilité d'un travail sur les interfaces
interculturelles entre expert/profane afin de déjouer
les travers de l'ethnocentrisme/égocentrisme. Ce n'est pas
quelque chose de facile à faire, il faut beaucoup de patience et
pas mal de talent de diplomatie car certains experts sont très
susceptibles.

Pour votre question :
L'ethnométhodologie permet de construire une dialectique des
contradictions. De juguler les dérives ethnocentriques et
de dénoncer les raisonnements abusivement inductifs ou
autoritaires.
http://perso.club-internet.fr/vadeker/corpus/ethique.htm

L'ethnométhodologie radicale (ou interdisciplinaire) est avant tout
une praxis de terrain et non une théorie dogmatique que l'on
applique de manière statique. Pour l'expertise elle donne
des instruments pour élaborer une pratique psychosociologique
plus à même de sonder les particularités locales et d'en démêler
les divers rouages et complexités. Il faut toujours avoir en
tête qu'il existe différentes ethnomethodologies, selon la discipline
et selon ses modalités d'applications propres au chercheur. Il y
a le modèle théorique/pratique et son application sur le terrain.
Il y a un piège dans lequel il ne faut pas tomber, bon nombre
d’étudiants se sont perdus avec les procédures sur le
terrain car ils n'arrivaient pas à comprendre l'utilité des axiomes.
Les axiomes servent en fait à décrire le fonctionnement interne
et externe de divers systèmes évolutifs (théorie des systèmes
en cybernétique) qui comprennent les interactions multiples entre
l'observateur et son environnement, l'intentionnalité de
l'observateur, l'objet observé, les contextes des péripéties
d'action dans les phénoménologies de la perception. S’il y a
plusieurs observateurs, il y a autant de référentiel à prendre
en compte dans les diverses relations (en tant que membre) pour
ensuite les restituer le plus fidèlement possible en délimitant
les effets de sa propre subjectivité (posture d’indifférence).
http://perso.club-internet.fr/vadeker/transdisciplinaire/em-radicale.html

J'ai une nouvelle référence bibliographique :
Alexandre Hougron. Science-fiction et société.
Paris, PUF (collection sociologie d'aujourd'hui), 2000
Il est l'auteur d'une thèse sur le cinéma américain de
science-fiction. Je pense que son étude est adaptée
de sa thèse. Il procède à une enquête sur les mécanismes
de l'engouement à la science-fiction. Je ne suis pas tout
à fait d'accord sur la méthodologie d’enquête et les
conclusions qui pour moi révèlent trop d'un certain
positivisme sociologique éloigné des réalités du terrain.
C'est une étude qu'il serait intéressant de
critiquer d'un point de vue ethnométhodologique.

Amicalement.

M.V.


Expéditeur"mel vadeker "
Sujet : méthodes
Destinataire : Laurent
Date  25 juin 2003

>J'ai une question d'ordre méthodologique...
>cette année, je voudrais suivre deux groupes distincts : les uns
>réputés naïfs, et les autres experts (cinéphiles)...
>je voudrais également les confronter autour de films de temps à
>autres... les films étant soit "commerciaux" soit "art et essai" de temps
>en temps... mais pourquoi pas aussi confronter leurs ethnométhodes
>sur des films "intermédiaires" susceptibles de plaire à la fois aux uns et aux autres...
>que pensez-vous de cette méthodologie, de ce procédé d'enquête ?
>Quelles erreurs à éviter ?

C'est une très bonne idée de faire ce genre d’échantillon, cette répartition en
2 groupes. Il faudra bien sur expliquer pourquoi et comment vous faites
cette taxinomie. Cela peut se faire par un travail d'auto-expertise
du spectateur (par réflexivité) et de votre part d'un jugement de valeur sur
cette auto-expertise.

Les naïfs sont-il vraiment naïfs et les experts vraiment bons, cela sera
à voir à la fin de l’enquête lors des confrontations dialectiques si elles ont
lieu. En fait je ne vois pas d'autres moyens pour comparer les
ethnométhodes entre les 2 groupes.

C'est ce que j'ai vécu sur les forums et par les quelques sorties cinémas
avec mes propres groupes de cinéphiles :
- Les débats se font sur le choix du film, c'est une critique sur
la motivation, comment choisir le meilleur film pour satisfaire ses goûts ?
- Les débats se portent sur l'impression générale lors de la vision, les
goûts personnels.
- Les débats se font sur l’interprétation ou l'analyse technique/esthétique
- Les débats se portent sur le contexte du film, l'histoire du réalisateur,
les acteurs, la musique, etc. Ce qui participe à la fois au choix du
film et à la dialectique esthétique.

En fin de compte, il est très difficile de faire cette taxinomie entre groupe car il
s'en trouve toujours qui se réclament d'une certaine compétence et dans
l'autre d'une certaine ignorance. Dans mes études j'ai tout misé sur
la dialectique et la confrontation par les débats avant et après projection.

Il y a une critique que l'on pourra vous faire, comment faites-vous pour
connaître les goûts de ceux que vous classifiez ? Si vous ne les connaissez
pas intimement cela va être difficile à justifier. A part si vous faites une
démonstration inverse, montrer qu'il faut faire émerger les compétences
par l’étude de "l'accountability" des membres.

Je préconise de travailler avec les mêmes personnes qui seront soit
dans le groupe de naïfs, soit dans les experts, soit dans les deux.
Ce que j'ai vu dans le mélange c'est que l'expert peut redevenir profane
si on arrive à construire une bonne dialectique. Dans ce cas il faut
un médiateur, c'est ce que j'ai fait car étant membre et cinéphile, j'avais
une compétence unique pour juger des ethnométhodes de chacun.
Et par l’indifférence j'ai organisé quelques confrontations pour
connaître l'organisation des schémas de pensée esthétique de chacun.
Ce n'est pas facile à faire, il faut de la pratique car on est loin
de la théorie, la réalité du terrain est en quelque sorte plus brutale.

Cordialement.

M.V.


Expéditeur"mel vadeker "
SujetRe: Re: méthodes
Destinataire : Laurent

>Bonjour,
>merci pour vos précisions...
>j'ai ouvert un forum
 >http://lk.forum-gratuit.com/
>Nous pourrions y poursuivre nos discussions ?
>je mettrai également en ligne des textes (les miens) et ceux d'autres chercheurs... ou auteurs...
>A bientôt j'espère sur ce forum ou ici, comme bon vous semble.
>Vous pouvez transmettre également l'adresse de ce forum à d'autres personnes susceptibles d'êtres intéressées
>Laurent.

Bonjour,

Cette idée de forum est intéressante, j'essayerai de participer si
j'ai un peu de temps et l'occasion de poster facilement.
Si j'ai quelques difficultés, il y a toujours mon email pour
échanger.

Amicalement.
M.V.


Expéditeur : "mel vadeker "
Sujet : Re: à propos de mon forum...
Destinataire : Laurent
Date : 30 juin 2003

>Seriez-vous d'accord pour que j'insère quelques-uns uns de nos échanges sur mon forum ?
> à bientôt.
>Laurent,
>p.s. : http://lk.forum-gratuit.com/

Bonjour Laurent,

Pas la peine, j'ai commencé à formater les échanges sous forme
d’échanges dialogués afin de l’insérer sous la rubrique
courrier des lecteurs. Il y a quelques corrections qui s'imposent
dans les tournures de phrases de mes longues démonstrations.
Ainsi je pourrais faire se correspondre un ensemble de thématiques
communes propre à l'analyse herméneutique et l'expertise dans différentes
disciplines. Mon but étant de faire de l'ethnométhodologie
une boite à outils accessibles pour tous.

Je donnerais des liens vers votre forum, ainsi j'espère
que les lecteurs intéressés, des chercheurs pourront
participer à votre forum. J'aime bien faire de la publicité
pour constituer les réseaux de travail et d'entraide. Je
favorise autant que possibles les échanges interdisciplinaires
et les visions transdisciplinaires.

Vous pourrez faire un lien d'ici cette semaine, ce sera en
ligne avant vendredi. Si j'ai le temps je positionnerai
également quelques textes critiques sur Matrix (expert/profane) ainsi
qu'un court article sur l'écriture cinématographique et
le recyclage de la phénoménologie au cinéma : l'art
de la manipulation cognitive et l'immersion dans des
univers transitoires ou parallèles.

J'ai positionné quelques réflexions sur la violence au cinéma,
ainsi que le rapport Kriegel dans son intégralité qui mérite d'être
critiqué. Je n'ai pas encore eu le temps d'en faire une notre critique.


Expediteur : mel vadeker
Destinataire : Laurent
Date : 03 juillet 2003

Bonjour,

J'ai mis en ligne nos échanges dans une continuité
temporelle, cela respecte la mise en forme initiale.
http://perso.club-internet.fr/vadeker/reponses/expertise_cinema.html

J'ai procédé à quelques coupes minimes pour faciliter
la lecture et des corrections pour la ponctuation.
Je peux encore améliorer la page, des corrections
très légères sont encore à venir.

Un autre échange avec un lecteur qui porte sur la
modelisation du spectateur
http://perso.club-internet.fr/vadeker/reponses/modelisation_spectateur.html

Autres pages sur mon site :
débats sur la violence au cinéma et à la télévision
http://perso.club-internet.fr/vadeker/humanite/violence_cine.html

qu'est qu'un film culte ?
http://perso.club-internet.fr/vadeker/articles/cinema/culte/film_culte.html

Amicalement
M.V.