Courrier des lecteurs :

Sur mes recherches et la modélisation du spectateur du film de fiction.
 
 

Expéditeur : mel vadeker
Destinataire : Mike
Date : 12/05/2003

Bonjour,
 

Vous avez dit :
"In fine, y a t-il un sens global concerné par vos recherches ? Quelles sont les perspectives que vous vous donnez ? Je comprends bien la progression de vos études telle qu'elle est exprimée sur votre site à cet endroit
(http://perso.club-internet.fr/vadeker/transdisciplinaire/travaux.html),
car elle fait montre d'une certaine cohérence dans le niveau d'abstraction de vos recherches. Cela étant je trouve que "modéliser la dialectique expert-profane dans la critique de film de fiction" me paraît être un sujet possédant au champ fonctionnel (plus) étroit. J'avoue que je ne m'attendais pas à cela. "
En fait, mes travaux sont complexes et difficiles à expliquer et si j'ai abordé le thème du film de fiction c'est que c'est un sujet fédérateur mais aussi très difficile à saisir. Je connais même des étudiants en thèse qui travaillent sur ce sujet et que je conseille. La diversité des sociologies cognitives et des modélisation du spectateur participe à une vision plus profonde du champ d'étude d'une anthropologie des mass-média. De là interviennent des stratégies de conceptions, de gestion commerciale et d'interventions psychosociologiques très intéressantes pour la compréhension de l'industrie du cinéma et des télécommunications. Vous mêmes vous portez déjà un jugement de valeur sans saisir la portée de ce genre d'analyse qui peuvent toucher la manipulation mentale, la propagande et la désinformation, et dans une autre extrémité le contrôle cérébral par tous les moyens technologiques disponibles.

Il faut également savoir, et c'est le cas de recherches des différentes ethnométhodologies que l'accès aux publications et applications finales ne sont pas vraiment accessibles pour le grand public, ni même pour l'amateur éclairé. Il existe des tentatives réussies dans l'enseignement universitaire avec toutefois des grandes disparités dans les visions ou les approches transdisciplinaires. En fait cela dépend de certaines personnalités remarquables et compétentes dans la transmission d'un savoir. C'était le cas de Yves Lecerf qui avait une vision intégrant l'épistémologie et la logique. Moi même j'ai une approche très personnelle et qui dépasse de très loin le cadre générale de l'enseignement universitaire pour se consacrer à certain sujets difficiles.

Maintenant je travaille pour rendre accessible certaines paradigmes et concepts car j'estime que le décalage devient important entre ceux qui maîtrisent une ingénierie cognitive performante et ceux qui en usent n'importent comment pour satisfaire leur carrière scientifique ou intérêts personnels au détriment du progrès social. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas le monde de l'anthropologie et des modélisations théoriques du comportement humain. C'est un ensemble de préoccupations que j'ai partagé avec des chercheurs émérites et que je poursuis en parallèle d'autres activités de recherches.

L'erreur que font beaucoup de gens concernant mes travaux vient d'une vision fragmentée et disciplinaire qu'ils entretiennent. Il faut à chaque fois que j'explique que je ne pense pas, ni fonctionne de cette façon. Par exemple, pour chaque sujet que je traite il existe un faisceau de préoccupations sous-jacentes qui se superposent comme lors d'une navigation dans un hypertexte ou les notions sont toutes jointes entre elles par affinités lexicales et sémantiques.

Il devient des lors impossible pour moi de parler de mes travaux et de ma vision scientifique d'une manière simple et accessible. Ce que je peux faire c'est de construire des liens sur des recherches que je connais et maîtrise ou vers d'autres qui m'intéressent mais que je n'ai pas le temps de développer moi même.

Cela peut expliquer pourquoi certains personnages peuvent se revendiquer de mes travaux, s'ils parviennent à les comprendre ou s'ils entretiennent des liens avec des groupes de recherches proches ou assimilés aux recherches ethnomethodologiques dans le monde. De toute manière, la complexité des relations humaines est telle qu'il faut pour avancer dans ce monde opaque trouver un interlocuteur qui accepte de partager ses idées, ce qui n'est pas toujours le cas. De plus il faut avouer que même entre spécialistes la communication est difficile, ce qui ne facilite pas la vulgarisation de certaines avancées scientifiques.

Cordialement.



Expéditeur : Mike
Destinataire :  "mel vadeker"
Date : 05/14/2003

Bonsoir Mel Vadeker,
Merci pour ces précisions. Je me permets de reboucler car ça me semble intéressant.

Avez vous vu ce reportage très intéressant sur Arte "On a 'pas' marché sur la lune", passé il y a quelques mois. Il n'était pas évident de construire un tel film, à la frontière entre l'information et la désinformation, qui soit capable de tromper un spectateur qui pouvait avoir une certain "niveau culturel". Le fait d'avoir impliqué kubrick avec son film "2001 l'odyssée de l'espace" m'a également beaucoup amusé.

Vous semblez sous-entendre que votre étude témoigne d'une analyse déjà réalisée par certains groupes de personnes, à priori pour leurs fins propres. Si le cinéma fait appel à de tels mécanismes, ils ne doivent pas être si difficiles que cela à deviner/perçevoir ou saisir. Evidemment, je peux me tromper, mais signifier le contraire, ce serait implicitement signifier (au choix), que les producteurs de films de fiction:

- sont des génies en herbe, (ils ont tout compris de la relation d'ascendance et du pouvoir qu'ils pouvaient avoir sur les spectateurs),
- sont manipulés, (par des personnes qui ont compris elles aussi, par ricochet, ce qu'elles pouvaient en tirer. propagande, etc.),
- usent de ces mécanismes inconsciemment,
- etc.

Bref, "modéliser la dialectique expert profane" serait la porte ouverte à la compréhension des mécanismes de manipulation et de désinformation, porte poussée par des experts ?
En l'occurrence vous sous-entendez que les "recettes existent". Ainsi, je serais curieux de connaître certains des mécanismes et des exemples que vous avez pu identifier.

>Vous mêmes vous portez déjà un jugement de valeur sans saisir la portée
>de ce genre d'analyse qui peuvent toucher la manipulation mentale, la propagande
>et la désinformation, et dans une autre extrémité le contrôle cérébral par tous
>les moyens technologiques disponibles.

Il s'agissait plus d'incompréhension et d'étonnement de ma part qu'autre chose. Il m'est impossible de saisir d'emblée l'ensemble des pensées que vous pouvez associer à des mots. Il y a forcément un "fossé conceptuel" entre nous.

Ce que je comprenais mal, c'est que pour étudier la manipulation mentale : pourquoi ne pas choisir plutôt des films de propagande, (du moins avérés comme tels), ou simplement l'actualité courante ? Pourquoi pas non plus, choisir un ensemble de modèles de communications au sein desquels des déséquilibres flagrants en matière d'analyse et de maîtrise de l'information sont manifestes, puis s'attacher à les comparer et les confronter, (l'éducation des enfants ou les rapports chef d'entreprise/employé). Aborder votre problématique, doit je suppose conduire à s'appuyer sur des schémas repris dans plusieurs domaines, et à les superposer/croiser pour essayer d'en dégager les caractéristiques communes; en faire émerger les lignes directrices.

Je pense aussi au fait de devoir étayer votre étude par des faits qui prennent leurs racines dans notre réseau social actuel, et à la possibilité de rencontrer les acteurs propres aux cas étudiés, de remonter les filières. Bref, réaliser un travail de terrain "pratique", passant par la confrontation des faits évoqués et des faits "réels", chose peut-être moins facilement envisageable sur un film de fiction.
Je reformulerais ainsi mon étonnement précédent: "pourquoi essentiellement sur les films de fiction ?"
Je comprends qu'ils soient intéressants, surtout s'ils peuvent être fédérateurs et passionner les gens.
Je suppose par ailleurs, que cela implique d'analyser ce qui pousse les spectateurs à être "absorbé" par la fiction, à faire en sorte qu'ils éprouvent de l'empathie pour le film (mais pas n'importe laquelle) au point que cela altère durablement leur jugement personnel. C'est à dire, au delà de la fin du film, car, il y a bien une frontière "symbolique", entre la fin du film et la réalité, qui nous aide à prendre du recul.
Mais "j'imagine" (et bien sûr, ma vision peut évoluer) un écueil "majeur" : leur l'aspect fantasmagorique et "poétique" qui aura peut-être tendance à prendre le pas sur l'analyse, et qui risque de "polluer" une lecture d'informations déjà difficiles à tracer (entre informations consciemment projetées et d'autres inconsciemment).

Autre chose: un spectateur est seul face à l'image pendant la projection, et n'étudier que le champ de cette relation (même socio-cognitive) serait réducteur, (je trouve).
En effet, il existe aujourd'hui un certain nombre de "détrompeurs" nous permettant d'être plus critiques face à ce que l'on perçoit. En quelque sorte qui nous extraient de nos réflexions unilatérales et "hypnotiques", dont certains médias nous empoisonnent. Je pense à la diversité et au nombre des nouveaux réseaux d'informations, qui (heureusement) nous permettant d'accéder à des sources pluridisciplinaires et pluriculturelles de connaissances.

Ces nouveaux réseaux (pour peu qu'ils soient pro-actifs) sont constructeurs de "sens nouveaux", et nous aident à préserver notre capacité à choisir de façon "libre"; c'est sans commune mesure avec ce qui pouvait exister au début ou au milieu de ce siècle, période auxquelles l'exercice de la propagande devait être facilité par le nombre restreint de canaux de diffusion de l'information.
Enfin, je suis conscient que s'il n'y avait que cela, ça ne suffirait pas. Il y a aussi une nécessaire volonté personnelle d'indépendance, de prise de recul, de curiosité ou encore de réflexion philosophique.Notre désir délibéré de positionner nos raisonnements dans des contextes plus abstraits, de nous détacher de nos ressentis immédiats, doivent nous aider à limiter la portée de ces manipulations dont vous nous parlez.

C'est vrai que malgré tout, (et curieusement), les gens ne semblent pas vouloir en faire l'effort. Il n'y a qu'à observer à quel point les courants d'opinions se sont montré particulièrement manichéens lors du conflit en Irak qui vient de s'achever, (enfin, en apparence), faisant apparaître de profondes nuances dans les cultures cognitives.

Il s'agit probablement aussi d'un problème d'éducation. On apprend aux gens à apprendre, mais pour faire "quoi" de leurs connaissances ? Il faudrait leur apprendre également à cultiver un goût pour la curiosité, "l'éveil", des valeurs malheureusement assez inconsidérées.
Je pense aussi que le rôle des médias ne s'est pas encore assez internationalisé, et que nous sommes encore trop largement influencés par les informations de proximité que l'ont peut nous fournir (quelles soient d'ordre temporelles, physiques ou culturelles). C'est "humain", mais les déséquilibres restent profonds (me semble t-il) entre ce que les différents peuple de terre peuvent percevoir les uns des autres, et plus largement chacun des sous-groupes sociaux. Bref, apprendre aux gens à accepter de croiser leurs regards pour mieux se comprendre mutuellement. C'est la prise de recul nécessaire, qui (à mon sens) constitue la meilleur "défense".

>Il faut egalement savoir, et c'est le cas de recherches en ethnométhodologies que l'acces
>aux publications et applications finales ne sont pas vraiment accessibles pour le grand
>public, ni meme pour l'amateur eclairé. Il existe des tentatives réussies dans
>l'enseignement universitaire avec toutefois des grandes disparités dans les visions ou les
>appr oches transdisciplinaires. En fait cela depend de certaines personnalités
>remarquables et competente dans la transmission d'un savoir. C'etait le cas de Yves
>Lecerf qui avait une vision integrant l'epistemologie et la logique. Moi même j'ai une
>approche tres personnelle et qui depasse de tres loin le cadre generale de
>l'enseignement universitaire pour se consacrer à certain sujets difficiles.

Oui, je pense qu'il faut aider à faire sortir "l'ethnomethodologie" de sa "tour d'ivoire". Tout cela n'a guère de sens sinon. "la vulgarisation, n'est pas vulgaire" ou "l'information n'a de valeur que si elle est partagée par tous" pourrait-on dire de façon simpliste. Ne pourrait-on choisir un autre terme, quant l'on connaît déjà le contre-sens que ce mot porte en lui ?
De même, cette science en perdrait sa nature si elle choisissait un langage moins complexe, aujourd'hui réservé à une élite ? Je sais que "simplifier" c'est aussi amplifier le verbiage nécessaire pour atteindre le même pouvoir d'expression, mais ça peut en valoir la peine.

Nos langages terrestres sont sources d'incompréhensions et de souffrances. J'ai du mal à évaluer jusqu'à quel point, mais cela me semble largement envisageable; La réalité veut que ce que nous nommons réside dans un "champ de possibles" étendu, et que les mots que nous utilisons créent parfois entre eux des combinaisons inattendues pour l'émetteur.

Cette ambiguïté lattente, qui nous permet de faire de la poésie, de l'art, ou des choses pleines de relativité et d'imprécision, pousse aussi les hommes aux jugements de valeurs; C'est ce qui les arme de ressentiments et contribue à la création de "fossés ethnomethodologiques". J'avoue que je serais presque prêt à abandonner mon langage pour un autre plus "fonctionnel" quitte à tout redéfinir, si certains de ces maux spécifiques au jeu de l'échange et du langage pouvaient être gommés. Bien sûr, ce serait utopiste et irréaliste, mais bon.

à bientôt,



Expéditeur : mel vadeker
Destinataire :  Mike
Date  14/05/2003

Bonjour,

J'aimerais répondre à vos questions en détail mais cela peut nous amener très loin d'autant plus qu'il faut traduire et c'est un des objectifs de mon approche ethnométhodologique des conceptions entre diverses rationalités locales (ethnométhodes propres à des cultures ou individus). En quelques sorte la théorie bouclant sur elle-même et devenant sa propre métathéorie, elle permet d'étudier les  rationalités locales dans leurs contextes d'élaboration et d'évolution. On peut difficilement faire mieux surtout que la théorie prend comme référentiel invariant le sens commun voir les détails en épistémologie des sciences cognitive, des neurosciences cognitives, des sciences sociales. (sens commun : le degré zéro de la connaissance, le support de l'information, le support biogenetique du vivant, la phénoménologie de la physique, etc.).

Une des interrogations que l'on peut se poser sur mes recherches comme celle s'apparentant à l'ethnométhodologie est de savoir si vous pouvez vous plongez dans ce genre de recherche en suivant votre intuition et en vous reposant sur votre parcours (expérience psychologique et professionnelle) dans ce cas là vous prenez un raccourci. Ou bien, vous vous reposez sur un corpus de données et d'études pour vous familiarisez avec ces problèmes et leur résolution.

Pour l'émission de Arte, je la connais très bien puisque j'en ai fait une étude et je l'ai même donné à étudier à d'autres comme exemple de manipulation du spectateur ayant pour cadre une information qui est elle-même une désinformation. Ce genre de technique est très familière et parfaitement modelisable d'une manière ethnomethodologique.

Il y a également "Les Documents Interdits" par Jean-Teddy Filippe diffusés sur Arte et dans d'autres chaînes, qui dans une collection de documents vidéos réalistes ayant pour thème le paranormal, réussi à créer chez le spectateur des émois et des questionnement profonds. http://www.cri.ch/di/di-diff.htm

Ces documents sont tellement bien fait que l'on peut difficilement dire s'il s'agit de vrais documents ou de faux documents et c'est justement là que ce produit l'effet principal : agir sur le fondement inconscient de nos croyances de sens commun (le savoir profane et le savoir savant).

Pour mon approche sur le thème du film de fiction, il s'agit d'une étiquette commode pour simplifier la présentation d'un thème de recherche à la frontière entre plusieures disciplines (psychologie, sémiotique, cinéma, linguistique, musique, etc.)

C'est à la fois facile et difficile d'expliquer ce qu'il se cache derrière le terme "ethnométhodologie". Le plus difficile c'est d'arriver à aborder soi-même ce rationalisme d'une manière fonctionnelle dans sa propre vie pour la résolution de problèmes concrets. Ensuite viennent des considérations de niveaux d'expertise en ethnométhodologie, chacun étant plus ou moins avancé et même parmi les experts il existe une grande variété d'approches. Cela enrichi le corpus de connaissances et la théorie bouclant sur elle-même se démultiplie comme une fractale. ( par le concept de réflexivité et d'indexicalité).

Il y a beaucoup d’études que je peux mettre en ligne mais je n'ai simplement pas le temps, je ne fais que résumer le résumé et condenser le mieux possible des notions difficiles. Il ne faut pas oublier que ce genre de recherches découlent de plusieurs courants de recherches qui se croisent et s'imbriquent, les unes ayant débuté dans les années 60 et les autres prenant racine dans plusieurs courants philosophiques liés à la phénoménologie.