courriers des lecteurs :

Les voyages intérieurs et l'exploration du monde.
 

Deux questions posées dans un contexte particulier, je réponds ensuite.
>Date: 10/05/2002
>
> Bonjour
> Je viens de visiter ton parcours sur ton site
> J'ai été surpris par de nombreuses similarités avec des choses que j'ai
> vécues depuis 1990.
> Serait-il intéressant de parler d'un certain sens du perfectionnisme de soi,
> en illimitant son champ de pensée
> Artaud l'avait fait également, réservant ses écrits à la critique d'une
> société par rapport aux rèves qu'il s'en faisait, certainement en vue des
> générations futures à son époque.
> J'aurais juste aimé savoir quelles régions tu as sillonné de 1990 à
> aujourd'hui
> Vois-tu, tu as repris la plume en 1999, au moment où je me suis déplacé sur
> Paris pour bosser, ce qui a progressivement redynamisé beaucoup de choses en
> moi et autour de moi
> Au plaisir
> Florent


De : Mel Vadeker
A : Florent
Date : 12/05/2002
 

Bonjour,

En parlant de l'écriture, mon sentiment est de laisser la possibilité
à un style de sortir des limites de l'autocensure, des routines propres
aux contraintes et préoccupations existentielles. Ma crainte et de
me voir enfermé dans un état de pensées, une rationalité ou un
système culturel qui limite mon champ d'action et d'expression.
Je veux pouvoir sortir de toutes conditions susceptibles de bloquer
ma liberté créatrice. C'est un travail qui me met dans un état de
remise en question continue, c'est une activité d'écoute, une faculté de
perception que je veux absolument préserver.

Pour cela, les voyages intérieurs sont aussi important que les
voyages géographiques. C'est si important d'en prendre conscience
car on peut voyager sans voir, se déplacer sans rien sentir, se mouvoir
sans se joindre aux puissances de la vie.

Qu'est-ce qui me permet de comprendre le monde ? Est-ce que je
me sers de l'émotion dans ma rationalité ? Est-ce que j'utilise une
rationalité technique quand je suis romantique ? Y a t-il une manière
d'utiliser ces deux composantes sans tomber dans les contradictions
logiques et les paradoxes de la représentation ?

Voilà ce qui me stimule, voilà ce qui me pousse à me dépasser, à sortir
de moi pour en revenir en utilisant des voies détournées et à chaques
fois différentes.

En ce qui concerne la disponibilité de mes textes, j'en fais une sélection
selon mon humeur et le degré de mon autocritique. Je n'ai pas repris
l'écriture en 1999 mais plutôt éparpillé la densité de ma production.
Il y a des années fastes et très productives et d'autres où l'inspiration
et la motivation manque. Je donne la possibilité aux lecteurs de vérifier
cet état de fait. Mon site Internet est comme le sommet apparent
d'un iceberg, ce qui apparaît est faible en comparaison du volume caché
sous la surface.

Cordialement.
Mel Vadeker.


De : Florent
Sujet : Bonjour
A : Mel Vadeker
Date : 14/05/2002
 

Bonjour
Ton courrier m'a fait bien plaisir. Voici ce qu'il m'a inspiré en brut.

Je. Qui ça ? Je est un autre, il n'est peut-être qu'un état de synthèse de notre perception et de notre vécu émotionnel.

Qu'est-ce qui pense en moi; est-ce moi qui pense ? Est-ce que je pense directement en français ? Beckett avait fait un bel effort dans ce sens puisqu'il avait délaissé (pour très grande partie) sa langue maternelle afin de sortir de tous les automatismes mentaux liés à la façon dont celle-ci lui avait été transmise.

Artaud de même s'exprimait également par ce que l'on appelle des glossalalies, plus clairement revenant à laisser sortir des émotions claires en soi mais non liées à des mots connus (ce que l'on appelle plus couramment aujourd'hui parler ou chanter en yaourt).

Cette faculté de perception, si importante pour moi aussi, s'acquiert dans la réalité et la crédibilité du dialogue. A l'instant où l'on oublie l'autre pour se raconter, alors que l'on se connaît déjà, si ce n'est pas un jeu clair avec un intention déterminée, on perd son temps, on n'apprend pas; je compare aussi la parole au sonar des chauves-souris ou des dauphins qui détectent leur environnement en lui proposant une présence sensitive (par extension, ce pourrait être une invitation au dialogue). La meilleure stimulation que je connaisse dans cette attitude est la rencontre avec d'autres intellectualités ludiques appréciant cette curiosité qui est une forme d'instinct de survie. Il y a même une devoir de culture et d'intelligence afin que la consistance du dialogue, c-à-d l'échange, soit apprécié par tous les protagonistes.

Les voyages intérieurs dans sa mémoire ou dans ses rêves (de plus en plus dans son virtuel en tant que transposition de la réalité dans un monde idéalisé ou personnalisé). J'ai beaucoup plus de plaisir à les interpréter à présent que j'ai décroché de toute forme de tabac, sans qu'il y ait en moi de tabou à ce sujet. Un concept personnel est cette notion que tout voyage dans la mémoire est peut-être une bonne habitude d'étirer sa mémoire et donc sa pensée, ce qui augmente son amplitude, sa consistance et contribue même à lui donner un sens. Je me passionne sur ce que l'on appelle la mémoire du futur (par exemple, lorsqu'on se dit : « il faudra que je pense à » puis « tiens, je m'étais dit de »). Nietzsche avec son concept d'éternel retour (de même que les saisons). Tiens, un voyage intérieur qui m'a impressionné : j'étais au Japon dans un métro, et deux Japonais parlaient à côté de moi dans leur propre langue que j'apprends depuis quelques mois; rapidement leur conversation a pris un sens en français pour moi, en lui prêtant inconsciemment une interprétation liée à la plausibilité de ce qu'ils pouvaient être en train de se dire; cette écoute est à double tranchant, car il s'agit de déméler le vrai du faux, le concret de
l'abstrait ; mais cela doit certainement être un atout.

Le monde n'a paraît-il de sens que si on lui en donne un. Archimède réclamait un point d'appui pour soulever le monde. Ne peut-on soulever que ce que l'on comprend ? Ceux qui ont un but sont paraît-il protégés par ceux qui n'en ont pas. Comprendre le monde, c'est donc s'intéresser à son évolution, à ses possibles mutations pour ce que nous savons de lui. A ce petit jeu, Nietzsche se demandait si l'histoire du monde était cyclique; Pour me résumer, serait-ce avec sa motivation que l'on comprend le monde, faut-il être soi-même en mouvement pour appréhender ce qui bouge également ? On pourrait sinon dire que c'est dans le dépaysement continuel de soi que l'on reste ouvert sur de nouveaux points de vue du monde et que l'on en acquiert la meilleure perception globale.

L'émotion dans la rationalité; je pratique un art martial dans lequel il n'y a pas de compétition, mais des katas à deux ; l'émotion que l'on se prête améliore les performances que l'on réalise (on appelle cela l'attitude). Je viens de suivre une formation en communication, où un des enseignements a été d'apprendre à repérer en soi l'évolution de ses propres émotions, d'en comprendre les mécanismes et de les réguler par la respiration. Les résultats sont rapides et très surprenants. Je reste pourtant convaincu qu'il n'y a pas de spontanéité sans émotion ; d'autre part des résultats montreraient que chaque catégorie d'émotion stimule le souvenir d'émotions similaires.

La rationalité technique dans le romantisme; j'ai dû y réfléchir un instant avant de vraiment comprendre ta question. La réponse m'est venue clairement sur l'exemple des animaux et de leurs parades amoureuses. Certaines choses sont très belles, d'autres parfois surprenantes et inattendues, et pourtant, cette mécanicité leur a permis de se perpétuer. J'en viens à me poser la question inverse : comment parvient-on à sortir de la rationalité dans le romantisme, ce que l'on appelle être sur un nuage ? je retombe sur ce dont je parlais plus haut : le dialogue émotionnel qui donne un sens à notre inconscient, alors que le rationnel, l'acquis est du domaine du subconscient. Ce point de vue me semble intéressant, mais je ne suis pas sûr d'en percevoir toute la profondeur. Il n'y a donc plus cette contradiction que tu évoquais, à l'instant où le contexte permet d'être ludique et constructif, c'est vrai, cela réclame une certaine liberté intellectuelle et à long terme financière pour continuer à se dépayser ; et à se retrouver.

J'ai l'impression d'avoir beaucoup répondu et peu proposé. En ce qui me concerne, et ce de longue date, je creuse en direction du respect de l'autre en ne lui imposant pas mon point de vue. C'est très efficace d'un point de vue rationnel, à l'aide d'humour, de visions communes et de la maieutique de Socrate (faire deviner à l'autre ce qu'il sait déjà). D'un point de vue affectif, les filles exigent beaucoup d'aplomb, une confiance en l'avenir supérieure à ce qu'il est permis d'exiger (quel est l'avenir des Drooppis happy modernes ?), qui pourra se concrétiser grâce à leur présence et à leur grâce. Il semblerait qu'en ses temps de culpabilisation politique, où chacun individu assume sa part de responsabilité sur les malversations de ces dernières années, on assiste au déclin des utopies modernes. Et pourtant, les 35 heures sont certainement ce qui restaurera les meilleurs idéaux, en fonction des évolutions sociétaires qui seront acclamées.

On assiste actuellement à une évolution du roman qui se veut à la fois (et c'est tant mieux) divertissant et instructif, même en y insérant des idées farfelues à l'ensemble des théories du moment (je pense au Père de nos pères par Werber, qui m'avait déjà personnellement impressionné avec les Thanatonautes). Jean Christophe Grangé (avec son Vol des cigognes et son Concile de pierre) fait également du journalisme romanesque de très bonne qualité.

Je m'arrète là car il faut bien se réguler, surtout à une heure si tardive.
Bonne continuation et peut-être au plaisir.

Florent