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Critique du constructivisme en sciences humaines
 
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De :Michoucou
Objet :Re: Différence entre théories ?
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2003-04-22 23:46:58 PST

Désolé, ma réponse est un peu longue, mais ça contribuera à alimenter la
discussion dur le constructivisme.

Vous avez à peu près saisi l'essentiel de la démarche. Ce qui est bien,
d'ailleurs, avec cela, c'est que, en plus de voir la lumière, cela
fonctionne vraiment.

Mais vous avez raison de souligner le fait que l'enfant ne peut pas être
transformé en "petit chercheur" qui redécouvrirait à lui seul tout ce que
l'humanité a
mis des siècles à concevoir : en effet, cette connaissance est bien trop
vaste pour que l'on puisse tout s'approprier de la sorte. Mais l'enfant,
s'il il redéouvre certaines choses, il ne les redéouvre pas "à lui seul"
(l'enseignant n'est pas là pour les chiens :-) )

C'est vraiment intéressant que vous fassiez la remarque, car il s'agit d'un
point clé du contructivisme. Il s'agit de placer l'enfant en situation de
petit chercheur, car en effet de cette façon ses connaissances sont plus
solidement ancrées, et ont pour lui du sens. Que vous reste-t-il des leçons
d'histoires apprises par coeur en primaire avant même d'avoir été expliquées
?

Bien sûr, l'enfant ne va pas redécouvrir tout ce que l'humanité a découvert
; les conditions d'expérimentations ne sont d'ailleurs pas les mêmes (elles
sont plus favorables, car l'enseignant a déjà créé les conditions de
l'expérience, ce que n'avaient pas les chercheurs de l'époque, qui ont dû
résoudre bp plus de problèmes à la fois), l'objectif n'est pas le même.

Construire ses connaissances ne veut pas dire qu'on ne va pas voir ailleurs
ce que les experts ont fait. Lorsque j'essaie d'écrire un texte de mon
propre chef, je suis confronté avec des difficultés. Une fois que j'ai bien
cerné ces difficultés, même si je ne les ai pas résolues, même si je n'ai
pas trouvé LA solution, même si je n'ai pas réussi à construire MA
connaissance, je suis prêt à aller voir ce que font les pros de l'écriture,
les ECRIVAINS. Je suis prêt, parce que j'ai été confronté au problème, que
j'en connais les difficultés, parce-que JE ME SUIS POSE LA QUESTION.

Une fois que je me suis bien posé la question, je peux aller voir les
réponses apportés par les experts, par la science, la connaissance accumulée
par l'humanité. Je ne vais donc pas tout redécouvrir.

Evidemment, donc, l'enseignant qui fait le choix de ce procédé ne s'arrête
pas là (si vous en connaissez, envoyez-les moi). D'abord, il est illusoire
de penser que l'enfant construit ses connaissances seul. Ou du moins pas
toutes. Il doit être confronté à un milieu qui peut s'analyser en "système
de contraintes" (il doit sûrement y avoir une expression consacrée par les
théoriciens, mais je ne la connais pas).

Ce système de contraintes n'est pas là par hasard : c'est l'enseignant qui
l'a aménagé, en rapport avec la connaissance qu'il veut que l'élève
construise. Je vais prendre un petit exemple : en EPS (j'aime bien citer
l'EPS, c'est parce-que c'est dans cette discipline que j'ai pu observer le
plus de mes propres yeux, mais c'est applicable à toutes les disciplines).

Donc, par exemple, je veux que mes élèves de maternelle apprennent à sauter
en longueur. Ils savent bien sauter, mais je voudrais qu'ils soient capables
d'exploiter au maximum leurs capacités de sauter loin, et de les améliorer.
Je vais donc aménager un mileu qui va les obliger à le faire. Je paux
proposer de traverser une "rivière" (constituée de tapis dans le sens de la
largeur) pour aller porter, par exemple, des carottes à Coco Lapin. On ne
soit pas poser le pied sur le tapis. Il faut porter les carottes et revenir
en prendre pour sauter à nouveau.

Je ne vais pas indiquer à mes élèves la "bonne procédure" de saut, je ne
vais pas leur parler de pied d'appui, je vais les laisser essayer de sauter,
se confronter au problème posé, tenter des procédures de saut (avec élan,
sans élan etc...), être validés ou invalidés par la réussite ou non (suis-je
tombé sur le tapis ?).

Ils vont bien réussir à sauter à un moment ; pour qu'ils puissent
progresser, je vais faire 3 rivières : une mince, une moyenne, une large :
en passant par la petite, chaque carotte apportéefait gagner 1 point, 2
point pour la moyenne, 3 pour la large : ainsi, l'élève est incité à tenter
des sauts plus difficiles, et à onventer des procédures de saut plus
efficaces, en terme de longueur et de vitesse (car je peux aussi faire jouer
la variable temps, en limitant le jeu à 5 minutes - encore une intervention
pour modifier le mileu).

Avec des élèves un peu plus âgés, et en changeant les données (pas de coco
lapin pour les primaires, faut pas les prendre pour des imbéciles !), on
pourra compléter la séance par une observation réfléchie de ce que font les
experts : regarder une vidéo des jeux olympiques de saut en longueur.
Comment s'y prennent les pros pour résoudre le problème qui m'a été posé ?
On ne se contente pas de construire ses propres connaissances, on va aussi
regarder ce que les autres ont inventé.


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Différence entre théories ?
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2003-04-23 02:16:36 PST
 

Michoucou écrivit :

> Pour faire simple (et sûrement incomplet) :
>
> LE CONSTRUCTIVISME : l'apprenant construit des connaissances en
> confrontant ses ressources (savoirs, savoirs faire) à un système de
> contraintes : LE MILIEU (par exemple, un milieu aménagé en EPS pour placer
> l'élève devant les problèmes fondamentaux de tels sports).

Quels liens opères-tu entre le constructivisme de Tatline, Rodchenko et de
l'avant-garde artistique russe du début du siècle qui annonça le
structuralisme de l'entre-deux-guerre, d'avec le label auquel tu te
réfères, importé dans les sciences de l'éducation, avec quelques décennies
de retard ?

Comment peut-on se réferer à un concept qui a fait faillite aussi bien dans
l'espace urbain avec le problème que l'on sait dans les banlieues, dans
l'anthropologie (réfutation de l'anthropologie structurale par
l'ethnométhodologie auquel se réferera,  même Bourdieu, vers la fin de sa
vie en reprenant à son compte le concept de "réflexivité"), en linguistique
(avec la réfutation par Bar Hillel de la grammaire générative de Noam
Chomsky), etc... ?

Lorsque René Lourau, dans les années soixante, adapte un jargon issu de la
linguistique structurale appliqué aux sciences de l'éducation, notamment
dans "l'instituant contre l'institué"  je veux bien, à la limite, admettre
son raisonnement, car dans le rapport enseignant/enseigné perdure, dans son
approche, l'ordre de l'institué (le sujet supposé savoir) que viendra
contester l'instituant.

Mais là, avec ta théorie de l'apprenant - jargon ignoble - face à
l'instituant ne reste plus que de la béance, ce que les situationnistes
qualifiaient par dérision d'insignifiant signifié. On n'est même plus dans
la dialectique de l'instituant et de l'institué, a disparu toute relation
au symbolique indispensable à l'acte d'apprendre.
Qu'on ne vienne pas nous dire après qu'il n'y a plus de repère !

En réalité ton système est bâti sur un chateau de cartes car tout système de
contraintes, pour être opératoire, ne peut être énoncé que localement ; ce
qui n'exclut pas, par ailleurs,  la problématique de l'infinitude des
indexicalités, c'est-à-dire du sens commun et de la nécessité qu'a chaque
discipline de construire un champ lexical qui lui sera propre. Cf. à ce
propos l'article "L'apprentissage et l'enseignement des sciences et des
mathématiques dans une perspective constructiviste".
Ref : http://www.acelf.ca/revue/XXV1/articles/rxxv1-10.html

Alors, après avoir constaté des insuffisances du constructivisme dit
piagétien, de par les "limites dans l'explication de certains types de
résolution de problèmes, structuralisme à ordre total, rôle joué par les
variables sociales dans le développement) pour expliquer le fonctionnement
cognitif de l'enfant en situation de résolution de problèmes et plus
généralement le développement des compétences dans le domaine des
apprentissages", on sort du chapeau le "socio-constructivisme".
Référence: http://recherche.aix-mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/roux/index.html
 
 

> LE SOCIOCONSTRUCTIVISME : idem, mais cette fois, le système de contraintes
> s'enrichit des AUTRES APPRENANTS : l'élève confronte ses ressources
> (savoirs, savoir faire) aux autres élèves.

Et il communique comment ?
Retour à la case langage et à la nécessité de l'instruction.
 
 

> Dans les deux cas, l'élève essaie des réponses à un pb posé, ces réponses
> sont autovalidées, soit par la confrontation au milieu, soit par la
> confrontation aux autres.

Je ne conteste pas, loin de là, l'apprentissage en réseau. J'en suis même
l'un des plus fervents militants. Mais je n'oublie pas que ma discipline,
la technologie, n'est pas une discipline fondamentale.
En réalité, et je ne peux que le déplorer, les classes de Latinistes restent
excellentes en technologie, même si, quelques classes qui posent des
problèmes dans les disciplines fondamentales, dans le contexte spécifique
de l'enseignement de la technologie (par exemple faire une page Web avec un
nombre de contraintes beaucoup plus limité que ceux posés dans l'exercice
d'une rédaction par exemple) se trouvent également en situation de
réussite.

De toutes les manières, pour clore tout débat stérile, le système que tu
prônes est incompatible avec un nombre d'élèves trop élevé et n'est pas
interopérable..

Donc restons si tu veux bien au niveau des paquerettes.

Merci.

Charlie


De : Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Différence entre théories ?
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2003-04-25 12:45:04 PST

R.B. wrote:
> Philippe-Charles Nestel, a écrit :
>
>
>>Mais je n'oublie pas
>>que ma discipline, la technologie, n'est pas une discipline
>>fondamentale.
>
>
> Je sens que tu es bien désabusé...
>
> A force de le dire, certains vont le croire :o) !

Ma remarque n'avait rien de désabusé. C'était juste un constat.
Par discipline fondamentale j'entends en premier lieu, tout bêtement,
une discipline dont les "fondements" sont dotés d'une certaine
permanence ; ce qui n'est pas le cas de l'enseignement de la
technologie, trop fluctuante pour être une discipline fondamentale.

En second lieu, historiquement le mot technologie semble apparaître vers
  la fin du XVIIIème, début du XIXème siècle, pour désigner l'entre
deux, de la science et de la technique. Ainsi la géométrie descriptive
de Monge (fin  XVIIIème) relève des fondamentaux, son application
pratique (dessin technique, industriel, liste de nomenclatures, etc... )
des technologies qualifiées parfois "sciences de l'ingénieur".

Je ne suis donc pas adepte d'un discours démagogique qui considérerait
qu'à l'école toutes les disciplines sont égales. D'ailleurs égales par
rapport à quoi ?

Les contraintes sont-elles les mêmes ?

Peut-on transposer un milieu donné, par exemple l'EPS, pour considérer
que les méthodes pédagogiques seront les mêmes en mathématiques et/ou en
français ? Là est le danger du pégagogisme : tendre vers des universaux.

Cela dit, il peut arriver que certains élèves, malheureusement pas tous,
renouent avec certaines disciplines fondamentales en passant par
d'autres disciplines. C'est le cas cette année pour au moins un élève du
groupe de NTA (Nouvelles technologies appliquées) qui a fourni de gros
efforts en français, selon la collègue de Lettres, pour surmonter ses
difficultés, grace aux Nouvelles Technologies.

Par contre, je suis réellement amer devant les programmes officiels de
technologie. Mais c'est un autre débat.

Cordialement Charlie