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Comment enseigner les mathématiques (et le reste...)
 
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De :Francois MALTEY
Objet :Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/11
 

"Philippe Leménager"  écrit:

> Au collège puis au lycée : Approfondissement des savoirs essentiels en les
> reliant à la vie concrète.  [...]
> Les maths sont utilisées pour la gestion, pour
> l'informatique, pour les études économiques et scientifiques.
[...]

Je ne suis pas d'accord sur un point de vue si tranché, je m'explique :

Les maths sont aussi une ouverture vers l'abstraction.

Que je sache, cette capacité d'abstraction sert quotidiennement dans
une société technique.

Par exemple tu conceptualises l'utilisation d'une télécommande TV (et
non te réfères à la magie) avant de comprendre le principe de la diode
infra-rouge et suivre le fonctionnement des ampli-ops. et autres
composants électroniques qu'il y a dedans.

Par exemple n'importe quel technicien ou ingénieur dessine de façon
abstraite (sur du papier ou un système de CAO) ce qu'il va construire.
Il est hors de propos de faire tous les essais possibles et imaginables
(construire 50 ponts avant qu'un tienne, 50 avions avant qu'un décolle,
 50 médicaments avant qu'un soigne...)

Pour permettre cette abstraction les outils mathématiques sont
indispensables : cela va de la loi d'ohm (une "simple" règle de trois)
aux théories les plus abstraites de l'algèbre et l'analyse.

Un enseignement de math. ne peut alors se réduire à utiliser un formulaire
car il est impossible d'avoir un formulaire de toutes les formules.
De même qu'il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner un poisson
il vaut mieux comprendre (une partie des) théories mathématiques
que d'utiliser un formulaire.

Dans le même ordre d'idée apprendre une langue ne consiste pas uniquement
à communiquer mais à savoir comment les gens vivent... Je doute que
savoir dire steak-frites en japonnais soit d'une très grande utilité
pour se nourrir. A moins que tu ne te contentes d'apprendre
à dire coca-cola en toute langue !

> On a besoin de rédiger ou de s'exprimer clairement dans maints
> domaines professionnels, mais pas d'analyser des oeuvres littéraires ;
> ceci peut faire partie des disciplines d'éveil qui sont toujours
> proposées sans bourrage de crâne de connaissances plus jamais
> utilisées sauf par les spécialistes par la suite.

Je ne suis encore là pas d'accord :

Une doc technique bien écrite ne se réduit pas
à un texte qui aligne les phrases : sujet_verbe_complément.
Elle contient aussi plein d'averbes comme
   "Mais, Et, Au contraire, Si, De plus, Plus généralement..."
et le bon choix de ces mots s'apprend aussi au contact des oeuvres
classiques.

Enfin bien connaître sa langue maternelle aide aussi à exprimer
ses sentiments et là aussi les oeuvres classiques sont d'une grande
aide :

J'affirme que telle ou telle oeuvre (ou morceau) de Pascal,
Voltaire, Diderot, Balzac, Hugo, Peguy, Sand, Zola (en vrac)...
apporte des images neuves sur l'homme. Le fait que cette oeuvre
se passe à une autre époque est MOINS important que ce qu'ils disent
sur l'homme d'aujourd'hui.

Au contraire si l'école ne montre aucune perspective
il apparait alors un malaise : celui-ci risque d'être
comblée par n'importe quel système sectaire et génère
une violence brute car non canalisée.

Pourquoi pas éviter le brouhaha à l'école par des cours de
réthorique, la violence par l'apprentissage de la diplomatie ?

Sur un autre point tu parles de diminuer l'histoire/géo, mais alors
comment comprendre la société actuelle si l'on ne connait pas
les effets de telle ou telle politique et l'enchaînement des faits
qui apportent révolutions, prospérité, guerre...

Enfin, des articles précédents ont fait remarquer que diminuer
les exigences en biologies peut entraîner des polémiques
(et non une discussion étayée) sur des thèmes aussi variés
que les OGM ou les théories raciales.

L'enseignement est alors un rempart contre les manipulations plus
ou moins intéressées (idéologiquement ou financièrement)

Cordialement.


De :Philippe Leménager
Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/11
 

Je suis globalement d'accord avec ce que tu avances. Le problème est que
lorsqu'on enseigne quelque chose à un élève, on oublie la plupart du temps
de lui dire à quoi cela pourra lui servir, à moins que l'école ait vraiment
beaucoup changé depuis les années 70. C'est d'ailleurs la grosse différence
qui existe avec la formation professionnelle. Un salarié qui part en stage,
il sait pourquoi il y va et la formation est souvent accentuée sur la mise
en pratique future dans son travail.
 

>Francois MALTEY m'a répondu :
>>"Philippe Leménager". J'avais écrit auparavant :
>> Au collège puis au lycée : Approfondissement des savoirs essentiels en les
>> reliant à la vie concrète. [...]
>> Les maths sont utilisées pour la gestion, pour
>> l'informatique, pour les études économiques et scientifiques.
>[...]
>
>Je ne suis pas d'accord sur un point de vue si tranché, je m'explique :
>
>Les maths sont aussi une ouverture vers l'abstraction.

Ok. Mais trop d'abstraction nuit au goût d'apprendre. Un exemple : J'avais
un à priori contre les nombres complexes qui sont nés d'une idée folle (un
nombre élevé au carré pourrait être négatif alors que - x - = + !!).
Heureusement, le prof de math et le prof de physique ayant coordonné leurs
programmes, le profs de maths nous avertit que n=les nombres complexes
étaient utilisés en électrotechnique, ce qui fut vérifié la semaine suivante
en cours de physique. Du coup, vive les nombre complexes et on se régale à
les apprendre. Si on en était resté à l'abstraction mathématique, la soupe
aurait eu un goût beaucoup plus amer.
>
>Que je sache, cette capacité d'abstraction sert quotidiennement dans
>une société technique.
>
>Par exemple tu conceptualises l'utilisation d'une télécommande TV (et
>non te réfères à la magie) avant de comprendre le principe de la diode
>infra-rouge et suivre le fonctionnement des ampli-ops. et autres
>composants électroniques qu'il y a dedans.

Quelle proportion de téléspectateurs utilise la télécommande sans en
connaître le fonctionnement ? Rien que chez moi, 3 sur 4 ! Ils ne pensent
pas pour autant que c'est de la magie et mes 2 enfants n'ont pas encore un
niveau de maths suffisant pour apréhender ce qu'est une abstraction.
>
>Par exemple n'importe quel technicien ou ingénieur dessine de façon
>abstraite (sur du papier ou un système de CAO) ce qu'il va construire.

Pour la première conception abstraite, càd l'idée de départ, point n'est
besoin de connaissances mathématiques. En fait, elles n'interviennent même
que relativement tard à mon avis. Quand on dessine une armoire électrique,
on commence par tracer des départs pour les différentes alimentations
(éclairage, prises de courants, moteurs, chauffages...). Le calcul des
calibres de disjonteurs et des sections de câbles vient après, et il ya des
logiciels pour cela. À la limite, un électrotechnicien pourrait être nul en
maths et faire des armoires aux normes !

>Il est hors de propos de faire tous les essais possibles et imaginables
>(construire 50 ponts avant qu'un tienne, 50 avions avant qu'un décolle,
> 50 médicaments avant qu'un soigne...)
>
>Pour permettre cette abstraction les outils mathématiques sont
>indispensables : cela va de la loi d'ohm (une "simple" règle de trois)
>aux théories les plus abstraites de l'algèbre et l'analyse.
>
Je ne nie pas l'importance des maths, mais dans combien de professions a
t-on besoin de calcul intégral, de nombres complexes, d'analyse probabiliste
et autres outils mathématiques enseignés dès le lycée (donc à 80% des jeunes
puisqu'on approche des 80% d'une classe d'âge au Bac) ?

>Un enseignement de math. ne peut alors se réduire à utiliser un formulaire
>car il est impossible d'avoir un formulaire de toutes les formules.
>De même qu'il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner un poisson
>il vaut mieux comprendre (une partie des) théories mathématiques
>que d'utiliser un formulaire.

J'arrète là ma réponse sur les maths car contrairement à ce que l'on
pourrait penser, j'aime les maths, mais pas la façon dont elles étaient
enseignées à l'époque de ma scolarité.
>
>Dans le même ordre d'idée apprendre une langue ne consiste pas uniquement
>à communiquer mais à savoir comment les gens vivent...

!!! Jamais en cours d'anglais ou de russe, je n'ai eu l'impression
d'apprendre comment vivaient les anglais ou les russes !!! C'est déjà bien
assez compliqué d'apprendre une langue étrangère, si en plus il faut
apprendre les moeurs de ceux qui la parle !!!

>Je doute que
>savoir dire steak-frites en japonnais soit d'une très grande utilité
>pour se nourrir.

"BigMac Menu" çà devrait suffire ! C'est désolant mais c'est la réalité de
l'hégémonie du fast-food sur tous les continents !

A moins que tu ne te contentes d'apprendre
>à dire coca-cola en toute langue !

Idem. "Coca-cola" doit se dire pareil dans toutes les langues.
Plus sérieusement, ou bien on a l'occasion de parler avec des étrangers ou
de devoir comprendre des textes étrangers et la connaissance de la langue
suffit ; ou bien on doit vendre à des étrangers et là il peut être utile de
connaître ce qui ne se fait pas et ce qui est apprécié par l'interlocuteur
étranger.
>
>> On a besoin de rédiger ou de s'exprimer clairement dans maints
>> domaines professionnels, mais pas d'analyser des oeuvres littéraires ;
>> ceci peut faire partie des disciplines d'éveil qui sont toujours
>> proposées sans bourrage de crâne de connaissances plus jamais
>> utilisées sauf par les spécialistes par la suite.
>
>Je ne suis encore là pas d'accord :
>
>Une doc technique bien écrite ne se réduit pas
>à un texte qui aligne les phrases : sujet_verbe_complément.
>Elle contient aussi plein d'averbes comme
>   "Mais, Et, Au contraire, Si, De plus, Plus généralement..."
>et le bon choix de ces mots s'apprend aussi au contact des oeuvres
>classiques.

Des milliers de gens discutent sur internet de sujets très divers comme nous
le faisons actuellement mais sans se demander s'ils sont plus proche de la
pensée de Pascal ou de celle d'Aristote, et sans vérifier s'ils ont le style
de Victor Hugo ou Marcel Pagnol.
La maîtrise de l'orthographe et de la grammaire est très importante et fait
partie selon moi des savoirs fondamentaux à perfectionner tout au long de la
scolarité et même au delà ; mais l'étude du style ou du signifiant du
signifié de la thèse et de l'antithèse et autres gymnastiques
intellectuelles relève plus de l'étude artistique, donc des disciplines
d'éveil. Ensuite ce que je critique, ce sont les exercices qui sont imposés
en français et que l'on n'utilise encore une fois que très rarement dans la
vie courante, professionnelle ou non. Pourquoi doit-on faire des rédaction,
et des dissertations, des résumés et discussions, des synthèses et des
développements ; pourquoi n'apprend-on pas à rédiger une lettre, un
compte-rendu de réunion ou un rapport d'activité ?
>
>Enfin bien connaître sa langue maternelle aide aussi à exprimer
>ses sentiments et là aussi les oeuvres classiques sont d'une grande
>aide :
>
>J'affirme que telle ou telle oeuvre (ou morceau) de Pascal,
>Voltaire, Diderot, Balzac, Hugo, Peguy, Sand, Zola (en vrac)...
>apporte des images neuves sur l'homme. Le fait que cette oeuvre
>se passe à une autre époque est MOINS important que ce qu'ils disent
>sur l'homme d'aujourd'hui.

Encore une fois, c'est de l'étude artistique donc de la discipline d'éveil,
pas des connaissances fondamentales à acquérir. Personnellement, je n'ai lu
que "Le père Goriot" de Balzac, quelques poêmes de Victor Hugo, et rien des
autres auteurs que tu cites. Cà ne m'empèche pas de vivre et de travailler
et d'aimer quand même la littérature.
>
>Au contraire si l'école ne montre aucune perspective
>il apparait alors un malaise : celui-ci risque d'être
>comblée par n'importe quel système sectaire et génère
>une violence brute car non canalisée.

Justement, quelles perspectives montre l'école ? Le chômage à la sortie car
les entreprises rechignent à embaucher au prix fort des jeunes pas
immédiatement opérationnels. Elles sont donc avides de stagiaires qu'elles
peuvent tester, sur plusieurs années parfois, et les recrutent sous contrats
de qualification qui permettent de parfaire leur formation à moindre coût.
Résultat, comme les places sont chères, les meilleurs les emportent et les
autres ont une belle jambe avec leur Diderot sous le bras ; ils découvrent
Marx et veulent faire la révolution.
>
>Pourquoi pas éviter le brouhaha à l'école par des cours de
>réthorique, la violence par l'apprentissage de la diplomatie ?

OK. Mais combien d'enseignants disent qu'ils ne sont pas là pour pallier les
défaillances de l'éducation donnée par les parents et se refusent à ce genre
de "cours intelligents" ; le programme, le programme et rien que le
programme !!!
>
>Sur un autre point tu parles de diminuer l'histoire/géo, mais alors
>comment comprendre la société actuelle si l'on ne connait pas
>les effets de telle ou telle politique et l'enchaînement des faits
>qui apportent révolutions, prospérité, guerre...

J'ai dit diminuer, pas supprimer. Histoire/géo discipline d'éveil.
Personnellement, je me souviens avoir passer les deux derniers millénaires
en revue au moins 3 fois au cours de ma scolarité.
Les gamins de primaire peuvent difficilement faire le rapprochement entre la
guerre de cent ans et les conflits actuels. Il serait nettement préférable
de ne commencer qu'en CM1 ou au collège en balayant l'histoire européenne et
même mondiale une seule fois jusqu'à la terminale. Quitte à faire des sauts
en fonction de l'actualité (Menaces de guerre en Irak, quels sont les
enjeux, comment le pays en est-il arrivé à son régime actuel, évolution
géopolitique...). Il serait peut-être bon de s'attacher à l'histoire de
l'homme plus qu'à l'histoire de ce petit bout de planète qu'est la France.
La seule période où j'ai apprécié les cours d'histoire, c'était en sixième
parce que le programme démarrait dans la préhistoire, puis l'Égypte, la
Grèce et Rome, bref les grandes civilisations fondatrices.
>
>Enfin, des articles précédents ont fait remarquer que diminuer
>les exigences en biologies peut entraîner des polémiques
>(et non une discussion étayée) sur des thèmes aussi variés
>que les OGM ou les théories raciales.

Voilà l'exemple même de ce qu'il faudrait garder car cela se rattache à du
concret directement palpable par les élève et en pleine prise avec
l'actualité. Savoir comment on est fait, ce que l'on mange, boit et respire,
voilà des sujets passionnants pour chacun. Au passage, se connaitre mieux
permettrait peut-être de se porter mieux et donc de diminuer le trou de la
sécu plus sûrement que le livret de santé !
>
>L'enseignement est alors un rempart contre les manipulations plus
>ou moins intéressées (idéologiquement ou financièrement).

L'enseignement scolaire n'a pas empéché la montée des extrémismes. Il y a de
plus en plus de violence, de racket et autres formes de délinquance alors
que tous les enfants vont à l'école. Je me souviens que l'instruction
civique était au programme mais qu'elle était systématiquement délaissée par
les profs au profit de l'histoire et de la géo. Voilà peut-être une grave
erreur de l'éducation nationale qui peut aussi expliquer la désafection des
citoyens aux élections et l'incivisme que l'on constate tous les jours.
>
>Cordialement.
>
Ravi de discuter avec vous, tout aussi cordialement.


De :René Chiche
Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/14
 

Philippe Leménager a écrit dans l'article

[cf. le message précédent, auquel le présent répond]

RC:

J'ai lu avec un certain intérêt cet échange. Bien entendu, je ne suis pas
d'accord avec toi sur un point essentiel : le savoir (la culture) que
l'école a pour fonction de transmettre (et c'est là -ou ce devrait être là
- sa seule fonction) vaut par lui-même, et n'a pas à être "utile" dans la
vie dite "active". Si les choses étaient réglées sur un tel discours, nous
serions déjà en barbarie depuis longtemps.

Voici un texte d'Alain, qui dit mieux que je ne saurais faire quelle est la
véritable valeur (j'allais dire "nature") de la culture :

 " Quand je lis Homère, je fais société avec le poète, société avec Ulysse
et avec Achille, société aussi avec la foule de ceux qui ont lu ces poèmes,
avec la foule encore de ceux qui ont seulement entendu le nom du poète. En
eux tous et en moi je fais sonner l'humain, j'entends le pas de l'homme. Le
commun langage désigne par le beau nom d'Humanités cette quête de l'homme,
cette recherche et cette contemplation des signes de l'homme. Devant ces
signes, poèmes, musiques, peintures, monuments, la réconciliation n'est pas
à faire, elle est faite. Cependant on feint de croire que la société
humaine est bien loin d'être un fait; la France, l'Angleterre, l'Allemagne,
voilà des faits.
 Occupez déjà cette position; fortifiez là. Si vous rencontrez quelque
colonel de pensée, demandez lui s'il est d'usage d'adorer ou seulement de
respecter les faits. Non. Les faits, il faut en tenir compte; il faut même
y faire grande attention. Et, au contraire, le respect et le culte vont,
comme d'eux-mêmes, à des idées qui n'existent peut-être point, mais qui
devraient exister, comme le courage, la justice, la tempérance, la sagesse,
et si nous laissons ces colonels d'opinion faire paraître leurs tristes
nécessités de police comme des articles de morale, c'est que nous sommes
bien peu attentifs à nos propres pensées. Je dirais même que nous sommes
trop peu attentifs aux pensées de notre contradicteur; car tout homme, à
toute minute, se règle sur ce qui devrait être, et n'accorde valeur à rien
d'autre.
 Mais il y a mieux à dire. L'humanité existe ; l'humanité est un fait.
Comte, considérant les choses en naturaliste, a enfin aperçu ce grand être,
trop grand même pour nos vues ; et il nous jette au visage cette étonnante
découverte, disant que l 'humanité est le plus réel, le plus vivant des
êtres connus. Ces paroles éveilleraient de grands échos; mais quelle
secrète police a capitonné les murs ? Il ne manque pas de sociologues, et
qui se disent les disciples de Comte. Je n'en connais pas un qui expose
seulement cette grande idée; tous l'écartent, tous la balaient d'un geste.
L'étudiant qui la voudrait ressusciter apercevrait aussitôt, sur le visage
de son maître à penser, les signes de l'impatience, et bientôt de la
colère. Laissez-moi admirer au passage cette noble espèce, qui ne se
pardonne pas d'avoir trahi.
 Voici la doctrine en raccourci. Comte a aperçu d'abord que la coopération
dans le présent ne suffit point à définir une société. C'est le lien du
passé au présent qui fait une société. Mais non pas encore le lien de fait,
le lien animal ; ce n'est pas parce que l'homme hérite de l'homme qu'il
fait société avec l'homme ; c'est parce qu'il commémore l'homme. Commémorer
c'est faire revivre ce qu'il y a de grand dans les morts, et les plus
grands morts. C'est se conformer autant qu'on peut à ces images purifiées.
C'est adorer ce que les morts auraient voulu être, ce qu'ils ont été à de
rares moments. Les grandes oeuvres, poèmes, monuments, statues, sont les
objets de ce culte. L'hymne aux grands morts ne cesse point. Il n'est pas
d'écrivain ni d'orateur qui ne cherche abri sous ces grandes ombres ; à
chaque ligne il les évoque, et même sans le vouloir, par ces marques du
génie humain qui sont imprimées dans toutes les langues. Et c'est par ce
culte que l'homme est homme. Supposez qu'il oublie ces grands souvenirs,
ces poèmes, cette langue ornée ; supposez qu'il se borne à sa propre garde,
et à la garde du camp, aux cris d'alarme et de colère, à ce que le corps
produit sous la pression des choses qui l'entourent, le voilà animal,
cherchant pâtée, et bourdonnant à l'obstacle, comme font les mouches.
 L'homme pense l'humanité, ou bien il ne pense rien. "  Le poids croissant
des morts, dit à peu près Comte, ne cesse de régler de mieux en mieux notre
instable existence. " Entendez - le bien. Notre pensée n'est qu'une
continuelle commémoration. Esope, Socrate, Jésus sont dans toutes nos
pensées ; d'autres montent peu à peu dans le ciel des hommes. Le moindre
débris de pensée est mis sur l'autel. Poèmes, paraboles, images, fragments
d'images, griffes de l'homme, toutes ces énigmes sont l'objet de nos
pensées. Il n'y a point de pensée nationale ; nous pensons en plus grande
compagnie. Directement ou indirectement nous ne cessons point de nous
entretenir avec les ombres éminentes, dont les oeuvres, comme dit le poète,
sont plus résistantes que l'airain. Cette société n'est point à faire ;
elle se fait ; elle accroît le trésor de sagesse. Et les empires passent. "

ALAIN, Propos, 20 janvier 1928.


De :Francois MALTEY
Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/18
 

"Philippe Leménager" a écrit:

> Je suis globalement d'accord avec ce que tu avances. Le problème est que
> lorsqu'on enseigne quelque chose à un élève, on oublie la plupart du temps
> de lui dire à quoi cela pourra lui servir, à moins que l'école ait vraiment
> beaucoup changé depuis les années 70.
> C'est d'ailleurs la grosse différence
> qui existe avec la formation professionnelle. Un salarié qui part en stage,
> il sait pourquoi il y va et la formation est souvent accentuée sur la mise
> en pratique future dans son travail.
> >Les maths sont aussi une ouverture vers l'abstraction.
> Ok. Mais trop d'abstraction nuit au goût d'apprendre. Un exemple : J'avais
> un à priori contre les nombres complexes qui sont nés d'une idée folle (un
> nombre élevé au carré pourrait être négatif alors que - x - = + !!).
> Heureusement, le prof de math et le prof de physique ayant coordonné leurs
> programmes, le profs de maths nous avertit que n=les nombres complexes
> étaient utilisés en électrotechnique, ce qui fut vérifié la semaine suivante
> en cours de physique. Du coup, vive les nombre complexes et on se régale à
> les apprendre. Si on en était resté à l'abstraction mathématique, la soupe
> aurait eu un goût beaucoup plus amer.
 

> >Par exemple tu conceptualises l'utilisation d'une télécommande TV (et
> >non te réfères à la magie) avant de comprendre le principe de la diode
> >infra-rouge et suivre le fonctionnement des ampli-ops. et autres
> >composants électroniques qu'il y a dedans.
> Quelle proportion de téléspectateurs utilise la télécommande sans en
> connaître le fonctionnement ? Rien que chez moi, 3 sur 4 ! Ils ne pensent
> pas pour autant que c'est de la magie et mes 2 enfants n'ont pas encore un
> niveau de maths suffisant pour apréhender ce qu'est une abstraction.

C'est ce que je dis (du moins ce que je veux dire)
il n'y a pas beson de comprendre comment ça marche pour s'en servir,
par contre il y a une notion de conceptualisation par derrière
sinon il y a un côté magique dessus.

Dans le même ordre d'idée combien de personnes deviennent-elles (presque)
superstitieuses devant leur écran windows (d'un reset-bleu) en se
culpabilisant : j'ai fait ceci/ceci/cela et ça a planté (et j'ai perdu
3 heures de travail). Ca existe : j'en ai rencontré.

Je parle ici de "magie" et de "superstitions" car les causes invoquées
n'ont aucun lien rationnel avec le plantage du programme.

Que l'on parle de la télécommande de la TV ou du plantage d'un PC
le principe est le même :

il est nécessaire de dominer non pas le pourquoi mais le principe de
fonctionnement. C'est la base de la vie dans société technologique.

J'affirme ensuite que les maths sont une bonne porte d'entrée pour
dominer la compréhension de ces systèmes : bien sur qu'un gamin apprend
à utiliser une télécommande avant de résoudre une équation du second
degré. Ce que je veux dire c'est que les mécanismes intellectuels sont
assez similaires et que les maths cultivent ces capacités.

> >Par exemple n'importe quel technicien ou ingénieur dessine de façon
> >abstraite (sur du papier ou un système de CAO) ce qu'il va construire.
>
> Pour la première conception abstraite, càd l'idée de départ, point n'est
> besoin de connaissances mathématiques. En fait, elles n'interviennent même
> que relativement tard à mon avis. Quand on dessine une armoire électrique,
> on commence par tracer des départs pour les différentes alimentations
> (éclairage, prises de courants, moteurs, chauffages...). Le calcul des
> calibres de disjonteurs et des sections de câbles vient après, et il ya des
> logiciels pour cela. À la limite, un électrotechnicien pourrait être nul en
> maths et faire des armoires aux normes !

Nos points de vue diffèrent en théorie :
Je suis plutot tenté de dire que l'électrotechnicien doit savoir
_additionner_ les intensités pour calculer les bon circuits, les bons
diamètres de fils et co... et cela c'est des maths, simples certes, mais
des maths. De même pour les règles de trois...

> Je ne nie pas l'importance des maths, mais dans combien de professions a
> t-on besoin de calcul intégral, de nombres complexes, d'analyse probabiliste
> et autres outils mathématiques enseignés dès le lycée (donc à 80% des jeunes
> puisqu'on approche des 80% d'une classe d'âge au Bac) ?

Une façon de cultiver cette logique, c'est de faire des maths...
même sans rapport avec le métier fait ensuite.

Je répond à côté de ta question :

Je préfère que mon médecin est un raisonnement logique sans (trop) de faille
pour pouvoir, à partir des symptomes, trouver la maladie le plus vite
possible. Ceci n'est certes pas des maths "exactes" car des causes
différentes peuvent aboutir au même résultat, mais ça n'en est pas loin.

> J'arrète là ma réponse sur les maths car contrairement à ce que l'on
> pourrait penser, j'aime les maths, mais pas la façon dont elles étaient
> enseignées à l'époque de ma scolarité.
Le monde est comme il est, malheureusement pas comme il devrait être

Enfin je coupe la réponse sur
  les langues (et leur utilité), le français (et son utilité)
  l'histoire géo (et son utilité).
pour te dire que simplement je suis d'accord avec l'article voisin de
RC qui cite Alain. Cette citation est sans concession mais montre les
tenants et aboutissements de la culture... en grande partie acquise
à l'école.

Tu dis que l'école n'assure pas un métier pour tous... c'est vrai et faux.
L'école donne une formation pour tous mais ce n'est pas l'école qui donne
le travail... et s'il y a moins de besoins que de personne le chômage
est inévitable. Même avec des personnes bien formées.

Aujourd'hui l'école n'est pas crédible si elle dit : suivez les cours
et vous aurez tous un boulôt (correct de préférence)
Ce n'est pas pour cela que l'école est inutile car les formation de
l'école donne des références à une culture et force à réfléchir
(par des exercices que tu trouves peut etre trop scolaire ou inutile)
Dans ce cas, avec cette richesse culturelle, il est plus facile de
réagir aux difficultés de la vie (économique par exemple) que sans
ce bagage.

[pris par ci par la dans ton post]

> Des milliers de gens discutent sur internet de sujets très divers comme nous
> le faisons actuellement mais sans se demander s'ils sont plus proche de la
> pensée de Pascal ou de celle d'Aristote,

bin si : quand je lis tel ou tel forum non technique (ici par exemple)
je suis tenté de rechercher les idées fortes de tel ou tel article
et de les raccrocher (tant bien que mal) à tel ou tel penseur.

Le fait que des mots comme Rousseauiste, Voltairien, Pascalien
sont entré dans le vocabulaire de commun signifie qu'au delà de la
caricature ils veulent bien dire quelque chose !

> La maîtrise de l'orthographe et de la grammaire est très importante et fait
> partie selon moi des savoirs fondamentaux à perfectionner tout au long de la
> scolarité et même au delà ;
OK

> mais l'étude du style ou du signifiant du
> signifié de la thèse et de l'antithèse et autres gymnastiques
> intellectuelles relève plus de l'étude artistique, donc des disciplines
> d'éveil.

Justement c'est la gymnastique de l'esprit qui permet à chacun de
s'exprimer pleinement... l'homme est plus qu'une machine à imiter
et à tous les niveaux l'élève peut faire mieux que le maitre.

> pourquoi n'apprend-on pas à rédiger une lettre, un
> compte-rendu de réunion ou un rapport d'activité ?

Les mémoires de stage et de fin d'étude ressemble à un rapport d'activité.
Ce que tu nommais au dessus activité d'éveil ou il faut trouver les
mots clefs, les articulations d'un texte est la première étape
d'un compte rendu (fidèle) de réunion.
Mais il est vrai que l'école ne s'appesantit pas sur ces activité.
[et retour à la case départ de la discussion :
 quelle utilité pour l'école...]

> >Au contraire si l'école ne montre aucune perspective
> >il apparait alors un malaise : celui-ci risque d'être
> >comblée par n'importe quel système sectaire et génère
> >une violence brute car non canalisée.
>
> Justement, quelles perspectives montre l'école ?
> Le chômage à la sortie car
> les entreprises rechignent à embaucher au prix fort des jeunes pas
> immédiatement opérationnels.

Argument pipeau : les entreprises ont les deux discours suivant leur intérêt
Elles demandent des personnes immédiatement disponnibles pour le travail
ET AUSSI des personnes bien formées (sur l'abstraction) pouvant s'adapter
à plusieurs sortes de travail...

> Elles sont donc avides de stagiaires qu'elles peuvent tester,
> sur plusieurs années parfois, et les recrutent sous contrats
> de qualification qui permettent de parfaire leur formation à moindre coût.

Et surtout la recherche du profit :
Le stagiaire 2 x moins efficace et est payé 10 x moins !

Mais le problème ici n'est pas celui de l'école ! mais de l'organisaition
de la société.

> Résultat, comme les places sont chères, les meilleurs les emportent et les
> autres ont une belle jambe avec leur Diderot sous le bras ; ils découvrent
> Marx et veulent faire la révolution.

Le fait que les places sont rares n'est pas du à l'école...

A défaut de lire Marx je pense que ce problème :
  "chacun doit avoir une place dans la société" est une question de
politique

> je me souviens avoir passer les deux derniers millénaires
> en revue au moins 3 fois au cours de ma scolarité.
la répétition ne fait pas de mal pour mieux assimiler...

Ensuite tu montres que ton point de vue n'es pas si éloigné du mien :

En résumé tu ci-dessous dis que comprendre l'actualité (par
ex. l'Irak) c'est avoir des clefs universelles ; et tu ajoutes que la
compréhension de cette compréhension est d'autant plus captivante
qu'elle parle des grandes civilisations... c'est-à-dire de l'humaine
condition.

C'est ici le point de vue général de la culture :
  comprendre l'aujourd'hui en l'expliquant à l'aide de réaction
  qui sont valables pour tout les hommes, de tout temps.

> Quitte à faire des sauts
> en fonction de l'actualité (Menaces de guerre en Irak, quels sont les
> enjeux, comment le pays en est-il arrivé à son régime actuel, évolution
> géopolitique...). Il serait peut-être bon de s'attacher à l'histoire de
> l'homme plus qu'à l'histoire de ce petit bout de planète qu'est la France.
> La seule période où j'ai apprécié les cours d'histoire, c'était en sixième
> parce que le programme démarrait dans la préhistoire, puis l'Égypte, la
> Grèce et Rome, bref les grandes civilisations fondatrices.

Notre différence est sur un point
  Tu dis que l'école doit partir de l'actualité pour faire cette explication
  Je dis plutôt que l'école doit d'abord expliquer l'histoire et, si
    les occasions s'y prêtent analyser l'actualité. Mais pour moi
    l'École ne doit pas être prisonnière de l'actualité.

Bien cordialement...

Francois


De :charlie nestel
Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/29
 

Philippe Leménager wrote:
>
> Je suis globalement d'accord avec ce que tu avances. Le problème est que
> lorsqu'on enseigne quelque chose à un élève, on oublie la plupart du temps
> de lui dire à quoi cela pourra lui servir, à moins que l'école ait vraiment
> beaucoup changé depuis les années 70.

La première partie de ta proposition contredit la seconde.

Le "ce à quoi cela pourra servir" relève d'un pari hasardeux sur le
temps, contrairement à l'exemple cité dans la deuxième partie, plus bas,
où le "salarié qui part en stage sait pourquoi... ".

Et toi aussi, d'ailleurs, tu sais pourquoi la seconde partie de ton
raisonnement a de fortes probabilités d'etre vraie quand tu écris :
"c'est d'ailleurs la grosse différence qui existe avec la formation
professionnelle".

Voilà, tout est dit : l'école, excepté l'enseignement professionnel, n'a
pas les memes finalités, ne s'inscrit pas dans les mêmes contextes, n'a
pas les mêmes objectifs que les stages dédiés au monde du travail.
 

> C'est d'ailleurs la grosse différence
> qui existe avec la formation professionnelle. Un salarié qui part en stage,
> il sait pourquoi il y va et la formation est souvent accentuée sur la mise
> en pratique future dans son travail.

De ce fait, la motivation du salarié sera déterminée, surtout le
contexte économique actuel, par le "à quoi ça sert", immédiat.

D'où, l'impossibilité logique, il me semble, de comparer une situation
scolaire, d'étude avec un stage professionnel, directement et
immédiatement opératoire.

Pour ma part, j'opère une distinction entre "savoirs" et "formations".

C'est la raison pour laquelle on peut encore, aujourd'hui, parler
d'Aristote ou enseigner les mathématiques. Par contre, dans une société
à mutation rapide, les formations ne sont valides que dans leur contexte
opératoire et deviennent tres vite obsoletes.

Cela dit, la question que tu soulèves, celle de la motivation, souvent
reelle dans les stages de formation, reste totalement ouverte. Meme si
l'école a des failles, de ce coté là, il n'en demeure pas moins que la
pire des solutions consisterait à détruire l'enseignement des
disciplines et des savoirs fondamentaux, au seul profit d'objectifs de
formation.

Non seulement le savoir-faire transmis deviendrait tres vite obsolète,
mais l'école perdrait sa finalité de sens. De ce fait, plus personne ne
pourrait même plus formuler "pourquoi faire"... :-)

>
> >Francois MALTEY m'a répondu :
> >>"Philippe Leménager". J'avais écrit auparavant :
> >> Au collège puis au lycée : Approfondissement des savoirs essentiels en les
> >> reliant à la vie concrète. [...]
> >> Les maths sont utilisées pour la gestion, pour
> >> l'informatique, pour les études économiques et scientifiques.
> >[...]
> >
> >Je ne suis pas d'accord sur un point de vue si tranché, je m'explique :
> >
> >Les maths sont aussi une ouverture vers l'abstraction.
>
> Ok. Mais trop d'abstraction nuit au goût d'apprendre.

Meme si la question que tu souleves est fondamentale, et même plus que
le goût d'apprendre, je dirais le "désir" d'apprendre, je ne vois pas
comment on pourra résoudre la contradiction déjà formulée, en son temps,
par Hannah Arendt dans "La crise de la culture". Comment rendre, par
exemple, phénoménologiquement perceptible par les sens, un environnement
contemporain, en grande partie virtuel, en occultant les modélisations,
les raisonnements formels qui l'ont fait advenir ?

L'école doit-elle former des consommateurs passifs, directement
opératoires en tant que force de travail pour une tache ponctuelle, sans
transmettre les outils formels qui ont permis la construction de notre
environnement matériel ?

Et en dernière analyse, est-ce réellement "l'abstraction" ou le mode de
fonctionnement de l'institution qui nuit au désir d'apprendre ?

Quand les profs demandent des moyens, bien souvent, il faut aussi
entendre en filigrane, des moyens matériels permettant les conditions
nécessaire à l'exercice de leur métier, pour que les élèves puissent
retrouver le goût d'apprendre.

J'anime une emission sur une radio associative. Durant le mouvement du
93, j'en ai profité pour ouvrir une surface d'expression aux acteurs de
ce mouvement : lycéens, collégiens, parents, enseignants. Une fois, un
prof de physique d'un lycée professionnel de Saint-Ouen fut invité.
Durant le premier quart d'heure, je dus me farcir de "la langue de bois
syndicale", puis je réussis à déplacer l'interview sur la pratique même,
au quotidien, de son enseignement. Ce fut un grand moment d'émotion.
Quand il aborda les conditions matérielles réelles de son exercice :
l'espace, les élèves serrés comme des sardines, la table directement
sous le tableau, l'impossibilité matérielle de manipuler, le degré
d'abstraction supplémentaire qu'il était demandé aux élèves de Seine
Saint-Denis pour aborder des notions de physique, etc... ; il se mit à
pleurer.

La question que tu soulèves, relève bien souvent, de conditions
matérielles.

Le gout d'apprendre est personnel mais il nécessite des conditions
matérielles minimales qui font défaut, aujourd'hui, à l'école dans bien
des cas.
 
 

> Un exemple : J'avais
> un à priori contre les nombres complexes qui sont nés d'une idée folle (un
> nombre élevé au carré pourrait être négatif alors que - x - = + !!).
> Heureusement, le prof de math et le prof de physique ayant coordonné leurs
> programmes, le profs de maths nous avertit que n=les nombres complexes
> étaient utilisés en électrotechnique, ce qui fut vérifié la semaine suivante
> en cours de physique. Du coup, vive les nombre complexes et on se régale à
> les apprendre. Si on en était resté à l'abstraction mathématique, la soupe
> aurait eu un goût beaucoup plus amer.

J'approuve totalement. Cela dit, là encore, sans moyens de concertation,
il n'est pas toujours possible de relier les connaissances dans
l'enseignement des disciplines. Je pense que l'Internet et
l'informatique pourraient être le support d'une hyperdisciplinarité, à
condition de ne pas sombrer dans les gadgets du multimerdia, des
"cédéroms éducatifs", des logiques purement formatrices.
 

> >
> >Que je sache, cette capacité d'abstraction sert quotidiennement dans
> >une société technique.
> >
> >Par exemple tu conceptualises l'utilisation d'une télécommande TV (et
> >non te réfères à la magie) avant de comprendre le principe de la diode
> >infra-rouge et suivre le fonctionnement des ampli-ops. et autres
> >composants électroniques qu'il y a dedans.
>
> Quelle proportion de téléspectateurs utilise la télécommande sans en
> connaître le fonctionnement ? Rien que chez moi, 3 sur 4 ! Ils ne pensent
> pas pour autant que c'est de la magie et mes 2 enfants n'ont pas encore un
> niveau de maths suffisant pour apréhender ce qu'est une abstraction.

Pour ma part je ne partage pas la théorie des stades de Piaget qui
oppose de manière trop catégorique, à mon goût, "l'intelligence
abstraite" de "l'intelligence concrete". Sans entrer dans ce débat, il
me semble, que l'une des finalités de l'école est de rendre
intelligible, en fonction du contexte culturel de l'apprenant (âge,
cultures, conditions matérielles, localité, etc...), le savoir.

Pour ce faire, il existe ce que l'on appelle des paradigmes, des
modèles, des grilles d'analyse, des méthodologies d'approche. C'est la
raison pour laquelle, Condorcet, véritable fondateur des principes de
l'école de la République, fut l'un des premiers à condamner "le
pédagogisme" au profit de la "didactique des disciplines" et de
l'épistémologie des sciences.

La semaine dernière, je crois, il y avait une émission à la télévision
consacrée à l'histoire des sciences, animée par Michel Serres. Ce qu'il
transmit, ce fut sa grille d'interprétation basée sur les grandes
coupures épistémologiques (naissance des protocoles, nomenclatures,
écriture, décomposition de la lumière,  etc... ).  Et bien que n'étant
pas scientifique, j'eus le sentiment de partager un éclairage qui, sans
la lumière de la Raison, aurait pu me rendre les sciences obscures.
Cette émission, entrecoupée de belles images sur une musique planante,
pouvait s'adresser à tous les publics. Elle recadrait les sciences dans
l'histoire.

> >
> >Par exemple n'importe quel technicien ou ingénieur dessine de façon
> >abstraite (sur du papier ou un système de CAO) ce qu'il va construire.
>
> Pour la première conception abstraite, càd l'idée de départ, point n'est
> besoin de connaissances mathématiques. En fait, elles n'interviennent même
> que relativement tard à mon avis. Quand on dessine une armoire électrique,
> on commence par tracer des départs pour les différentes alimentations
> (éclairage, prises de courants, moteurs, chauffages...). Le calcul des
> calibres de disjonteurs et des sections de câbles vient après, et il ya des
> logiciels pour cela. À la limite, un électrotechnicien pourrait être nul en
> maths et faire des armoires aux normes !

Absolument. J'ai fait des études d'architecture sans chercher, à
l'époque, à m'intéresser aux sciences de l'ingénieur que nous
méprisions. Aujourd'hui, je le regrette, bien sûr. Nous étions capables
de calculer des "descentes de charge" en appliquant deux ou trois
recettes, issues de la Statique et de la Résistance des Matériaux, sans
maîtriser ces savoirs.

Mais aujourd'hui, quand je discute avec des potes mathématiciens,
physiciens, j'ai les boules. Nous parvenons à nous comprendre, tout
simplement parce que je raisonne par intuition, en partant du sensible,
mais tu ne peux pas savoir combien me manquent les outils qui me
permettraient de formuler des raisonnements formels qui me permettraient
d'aller beaucoup plus loin.
 

>
> >Il est hors de propos de faire tous les essais possibles et imaginables
> >(construire 50 ponts avant qu'un tienne, 50 avions avant qu'un décolle,
> > 50 médicaments avant qu'un soigne...)
> >
> >Pour permettre cette abstraction les outils mathématiques sont
> >indispensables : cela va de la loi d'ohm (une "simple" règle de trois)
> >aux théories les plus abstraites de l'algèbre et l'analyse.
> >
> Je ne nie pas l'importance des maths, mais dans combien de professions a
> t-on besoin de calcul intégral, de nombres complexes, d'analyse probabiliste
> et autres outils mathématiques enseignés dès le lycée (donc à 80% des jeunes
> puisqu'on approche des 80% d'une classe d'âge au Bac) ?

Oui mais combien de gens ne raisonnent que par induction ?
Ce qui nous amène à des situations sociales, politiques, économiques
totalement désastreuses.
Sans l'analyse probaliste, aurions nous pu formuler la théorie du chaos
déterminsite ?
Comment anticiper, sans outils mathématiques ?

Je suis prof de collège et chargé de cours à l'université de Paris 8. Je
pense que ma seule raison d'étre enseignant au département informatique,
compte tenu du fait que je ne suis meme pas informaticien, tient à la
spécificité de l'université Vincennes à Saint-Denis. Il faut au moins un
mec dans le département que l'on puisse qualifier d'anarchiste
(personnellement, je ne sais pas même pas si je le suis). Je suis là
pour garder une dynamique contestataire.
Mais lorsque je côtoie certains étudiants et les autres enseignants, qui
sont aussi bien capables de citer Wittgenstein que de s'intéresser à des
modèles mathématiques, à la sociologie interactionniste, aux structures
morphogénétiques de la biologie, à la linguistique, au traitement du
signal, des langues naturelles, à la logique formelle... sans oublier
leurs compétences en art, en musique, etc... je me dis que j'ai de la
chance de bénéficier, dans mes rapports humains, de tant de lumières.

Et quand je retourne dans mon collège, ce que je voudrais transmettre à
mes élèves dans mes cours de technologie, ce n'est pas des recettes, ni
du seul savoir-faire opératoire. Il n'y a pas de plus grand bonheur que
d'étudier.

C'est la raison pour laquelle tu te trompes en opposant le savoir-faire
ouvrier au savoir prétendu abstrait. Tous les savoirs sont nobles et
respectables. Le savoir-faire ouvrier est indispensable à la
compréhension du monde, si l'on adopte un point de vue matérialiste (en
fait je suis un marxiste libertaire).

Quand j'étais étudiant en architecture à UP6, j'ai passé toutes mes
Unités de Valeur de Construction à bosser comme manoeuvre sur les
chantiers.

Mes professeurs de construction étaient à tour de rôle incarcérés
(Olive, Le Dantec, etc...).. Ils partaient du postulat que "l'oeil du
paysan voit juste", qu'il fallait se "mettre à l'école des masses". Tous
les étudiants en architecture devaient travailler comme ouvriers sur les
chantiers pour apprendre des ouvriers les principes pratiques de
construction (3 morts par jour dans le bâtiment, à l'époque).

Depuis cette époque j'ai toujours gardé un respect pour la culture
ouvrière que j'ai retrouvée durant l'occupation du collège Travail de
Bagnolet, par les parents, durant le mouvement du 93. Et je peux te
garantir que le soir, autour des verres de champagne et du méchoui, ça
discutait "sens de la vie", "ecole", "éducation", "philo"... Ce que j'ai
appris des ouvriers sur les chantiers, c'est le respect du savoir et la
nécessité des études.

On ne peut pas opposer le concret à l'abstrait de manière abstraite..
:-)))

Pas de théorie sans pratique en actes de la théorie de la pratique de la
théorie etc... :-))
 

>
> >Un enseignement de math. ne peut alors se réduire à utiliser un formulaire
> >car il est impossible d'avoir un formulaire de toutes les formules.
> >De même qu'il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner un poisson
> >il vaut mieux comprendre (une partie des) théories mathématiques
> >que d'utiliser un formulaire.
>
> J'arrète là ma réponse sur les maths car contrairement à ce que l'on
> pourrait penser, j'aime les maths, mais pas la façon dont elles étaient
> enseignées à l'époque de ma scolarité.

Moi aussi j'ai pas aimé à l'époque. Mais maintenant je le paye.
 
 

> >Dans le même ordre d'idée apprendre une langue ne consiste pas uniquement
> >à communiquer mais à savoir comment les gens vivent...
>
> !!! Jamais en cours d'anglais ou de russe, je n'ai eu l'impression
> d'apprendre comment vivaient les anglais ou les russes !!! C'est déjà bien
> assez compliqué d'apprendre une langue étrangère, si en plus il faut
> apprendre les moeurs de ceux qui la parle !!!

Ma belle fille est d'origine russe. Elle parle un français impeccable.
On peut critiquer l'enseignement soviétique sur beaucoup de points, mais
en ce qui concerne l'enseignement des Langues, je pense que nous aurions
des leçons à prendre.

Elle n'a appris le français qu'en interaction avec les moeurs, y compris
les expressions populaires.
(...)
 

> >> On a besoin de rédiger ou de s'exprimer clairement dans maints
> >> domaines professionnels, mais pas d'analyser des oeuvres littéraires ;
> >> ceci peut faire partie des disciplines d'éveil qui sont toujours
> >> proposées sans bourrage de crâne de connaissances plus jamais
> >> utilisées sauf par les spécialistes par la suite.
> >
> >Je ne suis encore là pas d'accord :
> >
> >Une doc technique bien écrite ne se réduit pas
> >à un texte qui aligne les phrases : sujet_verbe_complément.
> >Elle contient aussi plein d'averbes comme
> >   "Mais, Et, Au contraire, Si, De plus, Plus généralement..."
> >et le bon choix de ces mots s'apprend aussi au contact des oeuvres
> >classiques.
>
> Des milliers de gens discutent sur internet de sujets très divers comme nous
> le faisons actuellement mais sans se demander s'ils sont plus proche de la
> pensée de Pascal ou de celle d'Aristote, et sans vérifier s'ils ont le style
> de Victor Hugo ou Marcel Pagnol.
 

Lorsque fut fondé le département Hypermedia/Hyperdocuments de
l'université de Paris VIII, les cédéroms n'existaient pas encore et le
HTML inconnu. Tous les étudiants qui devaient soutenir un mémoire
étaient fortement conseillés de critiquer Aristote ainsi que les règles
du récit narratif basées sur la linéarité, dans leur introduction, afin
de se prémunir contre les attaques éventuelles d'un membre du jury
extérieur au département.

Ce faisant, ils se référaient à la tradition universitaire, démontraient
qu'ils étaient capables de faire l'état des lieux des règles de l'art,
pour valider une nouvelle approche, basée sur les hypertextes. De ce
fait, ils prolongeaient la tradition universitaire en inscrivant leurs
propres travaux dans son histoire.

De la même manière, pour éviter une guerre avec les profs du département
cinéma, il n'était pas déconseillé de citer Marcel Pagnol qui avait dit
"contrairement au théâtre où il y a autant de points de vue que de
spectateurs, chacun voit au cinéma avec le même regard que l'objectif de
la caméra" ; et ceci, pour nouer des alliances avec les cinéastes se
sentant menacés dans leur discipline par l'arrivée des hypermedias.

La connaissance de la culture de l'Autre, te permet d'intégrer dans une
Nouvelle Technologie une problématique multiple.

Ainsi une culture du cinéma permet de traduire en images le concept
informatique de parallélisme à une personne venant du cadrage
audio-visuel, problématique des architectures distribuées et du
parallélisme qui trouve sa genèse dans une déchirure intérieure, chez
Von Neumann portant sur la manière de concilier la connaissance du
théorème de Gödel avec le pari impossible de construire une machine
universelle -l'ordinateur-, basée sur la machine de Turing.

Dans certaines universités en train de dépérir, au Conseil Scientifique,
quand un département veut un nouvel appeiraillage, il se met à parler un
jargon que personne ne comprend, puis le groupe adverse se met à faire
de même. Yves Lecerf qui enseignait l'ethnométhodologie et
l'informatique avait coutume de dire : dans un groupe, quand le sens
commun n'est plus partagé, le fil de la communication se rompt.

En France, il existe des universités, des lycées, des écoles où Pascal,
Aristote, Victor Hugo ou Pagnol sont enseignés. Pas plus tard que la
semaine dernière, mes élèves de collège ont dû rechercher la biographie
de Victor Hugo sur AltaVista. Ils l'ont trouvée sur le site de
l'Ambassade de France d'Ottawa.
 
 
 

> La maîtrise de l'orthographe et de la grammaire est très importante et fait
> partie selon moi des savoirs fondamentaux à perfectionner tout au long de la
> scolarité et même au delà ; mais l'étude du style ou du signifiant du
> signifié de la thèse et de l'antithèse et autres gymnastiques
> intellectuelles relève plus de l'étude artistique, donc des disciplines
> d'éveil.

En parlant d'éveil, j'avais bombé sur les murs du cours de sémiologie
des Beaux Arts : SIGNIFIANT/SIGNIFIE MEME COMBAT ! Et le seul film que
j'allais voir s'appelait "la dialectique casse-t-elle des briques ?"..
:-)))

Le concept de maîtrise de l'orthographe peut trouver aussi à s'éclairer
à la lumière de livre de Michel Foucault : Surveiller et punir. Quant à
l'étude du signifiant et du signifié, ce paradigme a traversé tout au
long du XXème siècle des courants aussi différents et variés, pourtant
en interaction, tels que :
- le supématisme et le constructivisme du peintre russe Malévitch (carré
blanc sur fond blanc)
- du linguiste Roman Jakobson proche de l'avant-garde artistique russe
- de Saussure, bien sûr, fondateur des concepts proche du mouvement de
Jakobson
- de l'anthropologie structuraliste et de ses avatars
- de la psychanalyse lacanienne (coupure épistémologique
signifiant=corps anatomique/signifié=corps érogène, permettant l'accès
au désir par l'accès au langage qui en nommant inter-dit)
- du design et du fonctionnalisme industriels, via le Bauhaus
(signifiant=forme, signifié=fonction)
etc...

Baudrillard a lui-meme ecrit une critique de l'économie politique du
signe.

J'estime que nier l'histoire de la pensée du XXème siècle ne permettra
pas de comprendre la pensée du XXIème siècle.

Je suis membre du courant radical de l'ethnométhodologique tres critique
à l'encontre du structuralisme. Notre approche de la langue passe par
celle du linguiste-mathématicien Bar Hillel qui s'opposa à Noam Chomsky
en mettant en avant le concept "d'indexicalité". La science progresse et
se développe en réseaux.
L'approche lexicale que nous mettons en oeuvre dans l'usage des moteurs
de recherche en est l'une des conséquences pratiques.

Comment pourrais-je apprendre à mes élèves à utiliser correctement un
moteur de recherches si je ne leur apprenais pas, au préalable, à
circonscrire des contextes à partir de champs lexicaux, afin de mieux
cibler leurs requetes sur Internet ?

Sans une critique radicale de la théorie du Signe je ne comprendrais pas
aujourd'hui l'ethnométhodologie. Mais pour pouvoir la critiquer, il faut
la connaitre. La théorie de l'intertexte de Julia Kristeva ne
préfigure-t-elle pas l'hypertexte ?
 
 

> Ensuite ce que je critique, ce sont les exercices qui sont imposés
> en français et que l'on n'utilise encore une fois que très rarement dans la
> vie courante, professionnelle ou non. Pourquoi doit-on faire des rédaction,
> et des dissertations, des résumés et discussions, des synthèses et des
> développements ;

Pourquoi ?
Parce qu'à l'ère d'Internet il faut être capable de maîtriser tous ces
aspects afin de pouvoir se servir efficacement de l'outil. Savoir faire
une synthèse ou un résumé peuvent être tres utiles pour comparer
différentes sources, se doter de méthodes permettant de distinguer le
vrai du faux, de sélectionner l'information utile dans un corpus de
données infini.
 

> pourquoi n'apprend-on pas à rédiger une lettre, un
> compte-rendu de réunion ou un rapport d'activité ?

Mais en quoi est-ce antinomique avec ce qui précède ?
 
 

> >Enfin bien connaître sa langue maternelle aide aussi à exprimer
> >ses sentiments et là aussi les oeuvres classiques sont d'une grande
> >aide :
> >
> >J'affirme que telle ou telle oeuvre (ou morceau) de Pascal,
> >Voltaire, Diderot, Balzac, Hugo, Peguy, Sand, Zola (en vrac)...
> >apporte des images neuves sur l'homme. Le fait que cette oeuvre
> >se passe à une autre époque est MOINS important que ce qu'ils disent
> >sur l'homme d'aujourd'hui.
>
> Encore une fois, c'est de l'étude artistique donc de la discipline d'éveil,
> pas des connaissances fondamentales à acquérir. Personnellement, je n'ai lu
> que "Le père Goriot" de Balzac, quelques poêmes de Victor Hugo, et rien des
> autres auteurs que tu cites. Cà ne m'empèche pas de vivre et de travailler
> et d'aimer quand même la littérature.

Arrete de catégoriser trop les choses avec d'un côté l'abstrait, de
l'autre le concret ; avec d'un côté ce que tu qualifies arbitrairement
de discipline d'éveil et de l'autre connaissances fondamentales à
acquérir. Je t'assure, ce que tu présentes comme discipline
fondamentale, ça n'a rien de fondamental !
 

> >Au contraire si l'école ne montre aucune perspective
> >il apparait alors un malaise : celui-ci risque d'être
> >comblée par n'importe quel système sectaire et génère
> >une violence brute car non canalisée.
>
> Justement, quelles perspectives montre l'école ? Le chômage à la sortie car
> les entreprises rechignent à embaucher au prix fort des jeunes pas
> immédiatement opérationnels.

En informatique, les étudiants reçoivent des offres d'emploi à la pelle.
Tu ne peux pas prendre une conjoncture et généraliser, surtout quand le
modele d'entreprises que tu cites est loin d'etre universel.
 

> Elles sont donc avides de stagiaires qu'elles
> peuvent tester, sur plusieurs années parfois, et les recrutent sous contrats
> de qualification qui permettent de parfaire leur formation à moindre coût.
> Résultat, comme les places sont chères, les meilleurs les emportent et les
> autres ont une belle jambe avec leur Diderot sous le bras ; ils découvrent
> Marx et veulent faire la révolution.

Tu te trompes de film et d'époque.
 
 

> >
> >Pourquoi pas éviter le brouhaha à l'école par des cours de
> >réthorique, la violence par l'apprentissage de la diplomatie ?
>
> OK. Mais combien d'enseignants disent qu'ils ne sont pas là pour pallier les
> défaillances de l'éducation donnée par les parents et se refusent à ce genre
> de "cours intelligents" ; le programme, le programme et rien que le
> programme !!!
> >
> >Sur un autre point tu parles de diminuer l'histoire/géo, mais alors
> >comment comprendre la société actuelle si l'on ne connait pas
> >les effets de telle ou telle politique et l'enchaînement des faits
> >qui apportent révolutions, prospérité, guerre...
>
> J'ai dit diminuer, pas supprimer. Histoire/géo discipline d'éveil.
> Personnellement, je me souviens avoir passer les deux derniers millénaires
> en revue au moins 3 fois au cours de ma scolarité.
> Les gamins de primaire peuvent difficilement faire le rapprochement entre la
> guerre de cent ans et les conflits actuels.

Et heureusement... !
Quand, dans mon collège, on voulait se foutre de la gueule des pédagos
qui pratiquaient de manière artificielle l'interdiscipline on leur
disait qu'ils faisaient 'Jeanne d'Arc et la Combustion'...
Et quand on regarde du côté du FN, on peut voir que notre boutade est
devenue, malheureusement, réalité.

(...)

> L'enseignement scolaire n'a pas empéché la montée des extrémismes. Il y a de
> plus en plus de violence, de racket et autres formes de délinquance alors
> que tous les enfants vont à l'école.

A première vue, on eut pensé que vous évoquiez le FN. Mais non, il ne
s'agissait pas de ces extremismes là !

La violence à l'école est un phénomène réel. Mais elle est,
malheureusement, bien moins virulante que dans les cités. Ce qui
témoigne, malgré tout, de l'importance sociale de l'école. Ceux qui
s'amusent à foutre le feu aux poudres, à mépriser les savoirs, à la
transformer en garderie éducative ne font qu'aggraver la situation.
 

> Je me souviens que l'instruction
> civique était au programme mais qu'elle était systématiquement délaissée par
> les profs au profit de l'histoire et de la géo. Voilà peut-être une grave
> erreur de l'éducation nationale qui peut aussi expliquer la désafection des
> citoyens aux élections et l'incivisme que l'on constate tous les jours.

Vous ne vous rendez pas compte de l'importance de l'école là où elle est
menacée et lui prêtez, ailleurs, une influence sur la société qu'elle
n'a jamais renvendiquée et n'a, de toutes les manières, aucun moyen de
traiter.
 

Charlie


De :Philippe Leménager
Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/11
 

Je suis globalement d'accord avec ce que tu avances. Le problème est que
lorsqu'on enseigne quelque chose à un élève, on oublie la plupart du temps
de lui dire à quoi cela pourra lui servir, à moins que l'école ait vraiment
beaucoup changé depuis les années 70. C'est d'ailleurs la grosse différence
qui existe avec la formation professionnelle. Un salarié qui part en stage,
il sait pourquoi il y va et la formation est souvent accentuée sur la mise
en pratique future dans son travail.
 

>Francois MALTEY m'a répondu :
>>"Philippe Leménager". J'avais écrit auparavant :
>> Au collège puis au lycée : Approfondissement des savoirs essentiels en les
>> reliant à la vie concrète. [...]
>> Les maths sont utilisées pour la gestion, pour
>> l'informatique, pour les études économiques et scientifiques.
>[...]
>
>Je ne suis pas d'accord sur un point de vue si tranché, je m'explique :
>
>Les maths sont aussi une ouverture vers l'abstraction.

Ok. Mais trop d'abstraction nuit au goût d'apprendre. Un exemple : J'avais
un à priori contre les nombres complexes qui sont nés d'une idée folle (un
nombre élevé au carré pourrait être négatif alors que - x - = + !!).
Heureusement, le prof de math et le prof de physique ayant coordonné leurs
programmes, le profs de maths nous avertit que n=les nombres complexes
étaient utilisés en électrotechnique, ce qui fut vérifié la semaine suivante
en cours de physique. Du coup, vive les nombre complexes et on se régale à
les apprendre. Si on en était resté à l'abstraction mathématique, la soupe
aurait eu un goût beaucoup plus amer.
>
>Que je sache, cette capacité d'abstraction sert quotidiennement dans
>une société technique.
>
>Par exemple tu conceptualises l'utilisation d'une télécommande TV (et
>non te réfères à la magie) avant de comprendre le principe de la diode
>infra-rouge et suivre le fonctionnement des ampli-ops. et autres
>composants électroniques qu'il y a dedans.

Quelle proportion de téléspectateurs utilise la télécommande sans en
connaître le fonctionnement ? Rien que chez moi, 3 sur 4 ! Ils ne pensent
pas pour autant que c'est de la magie et mes 2 enfants n'ont pas encore un
niveau de maths suffisant pour apréhender ce qu'est une abstraction.
>
>Par exemple n'importe quel technicien ou ingénieur dessine de façon
>abstraite (sur du papier ou un système de CAO) ce qu'il va construire.

Pour la première conception abstraite, càd l'idée de départ, point n'est
besoin de connaissances mathématiques. En fait, elles n'interviennent même
que relativement tard à mon avis. Quand on dessine une armoire électrique,
on commence par tracer des départs pour les différentes alimentations
(éclairage, prises de courants, moteurs, chauffages...). Le calcul des
calibres de disjonteurs et des sections de câbles vient après, et il ya des
logiciels pour cela. À la limite, un électrotechnicien pourrait être nul en
maths et faire des armoires aux normes !

>Il est hors de propos de faire tous les essais possibles et imaginables
>(construire 50 ponts avant qu'un tienne, 50 avions avant qu'un décolle,
> 50 médicaments avant qu'un soigne...)
>
>Pour permettre cette abstraction les outils mathématiques sont
>indispensables : cela va de la loi d'ohm (une "simple" règle de trois)
>aux théories les plus abstraites de l'algèbre et l'analyse.
>
Je ne nie pas l'importance des maths, mais dans combien de professions a
t-on besoin de calcul intégral, de nombres complexes, d'analyse probabiliste
et autres outils mathématiques enseignés dès le lycée (donc à 80% des jeunes
puisqu'on approche des 80% d'une classe d'âge au Bac) ?

>Un enseignement de math. ne peut alors se réduire à utiliser un formulaire
>car il est impossible d'avoir un formulaire de toutes les formules.
>De même qu'il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner un poisson
>il vaut mieux comprendre (une partie des) théories mathématiques
>que d'utiliser un formulaire.

J'arrète là ma réponse sur les maths car contrairement à ce que l'on
pourrait penser, j'aime les maths, mais pas la façon dont elles étaient
enseignées à l'époque de ma scolarité.
>
>Dans le même ordre d'idée apprendre une langue ne consiste pas uniquement
>à communiquer mais à savoir comment les gens vivent...

!!! Jamais en cours d'anglais ou de russe, je n'ai eu l'impression
d'apprendre comment vivaient les anglais ou les russes !!! C'est déjà bien
assez compliqué d'apprendre une langue étrangère, si en plus il faut
apprendre les moeurs de ceux qui la parle !!!

>Je doute que
>savoir dire steak-frites en japonnais soit d'une très grande utilité
>pour se nourrir.

"BigMac Menu" çà devrait suffire ! C'est désolant mais c'est la réalité de
l'hégémonie du fast-food sur tous les continents !

A moins que tu ne te contentes d'apprendre
>à dire coca-cola en toute langue !

Idem. "Coca-cola" doit se dire pareil dans toutes les langues.
Plus sérieusement, ou bien on a l'occasion de parler avec des étrangers ou
de devoir comprendre des textes étrangers et la connaissance de la langue
suffit ; ou bien on doit vendre à des étrangers et là il peut être utile de
connaître ce qui ne se fait pas et ce qui est apprécié par l'interlocuteur
étranger.
>
>> On a besoin de rédiger ou de s'exprimer clairement dans maints
>> domaines professionnels, mais pas d'analyser des oeuvres littéraires ;
>> ceci peut faire partie des disciplines d'éveil qui sont toujours
>> proposées sans bourrage de crâne de connaissances plus jamais
>> utilisées sauf par les spécialistes par la suite.
>
>Je ne suis encore là pas d'accord :
>
>Une doc technique bien écrite ne se réduit pas
>à un texte qui aligne les phrases : sujet_verbe_complément.
>Elle contient aussi plein d'averbes comme
>   "Mais, Et, Au contraire, Si, De plus, Plus généralement..."
>et le bon choix de ces mots s'apprend aussi au contact des oeuvres
>classiques.

Des milliers de gens discutent sur internet de sujets très divers comme nous
le faisons actuellement mais sans se demander s'ils sont plus proche de la
pensée de Pascal ou de celle d'Aristote, et sans vérifier s'ils ont le style
de Victor Hugo ou Marcel Pagnol.
La maîtrise de l'orthographe et de la grammaire est très importante et fait
partie selon moi des savoirs fondamentaux à perfectionner tout au long de la
scolarité et même au delà ; mais l'étude du style ou du signifiant du
signifié de la thèse et de l'antithèse et autres gymnastiques
intellectuelles relève plus de l'étude artistique, donc des disciplines
d'éveil. Ensuite ce que je critique, ce sont les exercices qui sont imposés
en français et que l'on n'utilise encore une fois que très rarement dans la
vie courante, professionnelle ou non. Pourquoi doit-on faire des rédaction,
et des dissertations, des résumés et discussions, des synthèses et des
développements ; pourquoi n'apprend-on pas à rédiger une lettre, un
compte-rendu de réunion ou un rapport d'activité ?
>
>Enfin bien connaître sa langue maternelle aide aussi à exprimer
>ses sentiments et là aussi les oeuvres classiques sont d'une grande
>aide :
>
>J'affirme que telle ou telle oeuvre (ou morceau) de Pascal,
>Voltaire, Diderot, Balzac, Hugo, Peguy, Sand, Zola (en vrac)...
>apporte des images neuves sur l'homme. Le fait que cette oeuvre
>se passe à une autre époque est MOINS important que ce qu'ils disent
>sur l'homme d'aujourd'hui.

Encore une fois, c'est de l'étude artistique donc de la discipline d'éveil,
pas des connaissances fondamentales à acquérir. Personnellement, je n'ai lu
que "Le père Goriot" de Balzac, quelques poêmes de Victor Hugo, et rien des
autres auteurs que tu cites. Cà ne m'empèche pas de vivre et de travailler
et d'aimer quand même la littérature.
>
>Au contraire si l'école ne montre aucune perspective
>il apparait alors un malaise : celui-ci risque d'être
>comblée par n'importe quel système sectaire et génère
>une violence brute car non canalisée.

Justement, quelles perspectives montre l'école ? Le chômage à la sortie car
les entreprises rechignent à embaucher au prix fort des jeunes pas
immédiatement opérationnels. Elles sont donc avides de stagiaires qu'elles
peuvent tester, sur plusieurs années parfois, et les recrutent sous contrats
de qualification qui permettent de parfaire leur formation à moindre coût.
Résultat, comme les places sont chères, les meilleurs les emportent et les
autres ont une belle jambe avec leur Diderot sous le bras ; ils découvrent
Marx et veulent faire la révolution.
>
>Pourquoi pas éviter le brouhaha à l'école par des cours de
>réthorique, la violence par l'apprentissage de la diplomatie ?

OK. Mais combien d'enseignants disent qu'ils ne sont pas là pour pallier les
défaillances de l'éducation donnée par les parents et se refusent à ce genre
de "cours intelligents" ; le programme, le programme et rien que le
programme !!!
>
>Sur un autre point tu parles de diminuer l'histoire/géo, mais alors
>comment comprendre la société actuelle si l'on ne connait pas
>les effets de telle ou telle politique et l'enchaînement des faits
>qui apportent révolutions, prospérité, guerre...

J'ai dit diminuer, pas supprimer. Histoire/géo discipline d'éveil.
Personnellement, je me souviens avoir passer les deux derniers millénaires
en revue au moins 3 fois au cours de ma scolarité.
Les gamins de primaire peuvent difficilement faire le rapprochement entre la
guerre de cent ans et les conflits actuels. Il serait nettement préférable
de ne commencer qu'en CM1 ou au collège en balayant l'histoire européenne et
même mondiale une seule fois jusqu'à la terminale. Quitte à faire des sauts
en fonction de l'actualité (Menaces de guerre en Irak, quels sont les
enjeux, comment le pays en est-il arrivé à son régime actuel, évolution
géopolitique...). Il serait peut-être bon de s'attacher à l'histoire de
l'homme plus qu'à l'histoire de ce petit bout de planète qu'est la France.
La seule période où j'ai apprécié les cours d'histoire, c'était en sixième
parce que le programme démarrait dans la préhistoire, puis l'Égypte, la
Grèce et Rome, bref les grandes civilisations fondatrices.
>
>Enfin, des articles précédents ont fait remarquer que diminuer
>les exigences en biologies peut entraîner des polémiques
>(et non une discussion étayée) sur des thèmes aussi variés
>que les OGM ou les théories raciales.

Voilà l'exemple même de ce qu'il faudrait garder car cela se rattache à du
concret directement palpable par les élève et en pleine prise avec
l'actualité. Savoir comment on est fait, ce que l'on mange, boit et respire,
voilà des sujets passionnants pour chacun. Au passage, se connaitre mieux
permettrait peut-être de se porter mieux et donc de diminuer le trou de la
sécu plus sûrement que le livret de santé !
>
>L'enseignement est alors un rempart contre les manipulations plus
>ou moins intéressées (idéologiquement ou financièrement).

L'enseignement scolaire n'a pas empéché la montée des extrémismes. Il y a de
plus en plus de violence, de racket et autres formes de délinquance alors
que tous les enfants vont à l'école. Je me souviens que l'instruction
civique était au programme mais qu'elle était systématiquement délaissée par
les profs au profit de l'histoire et de la géo. Voilà peut-être une grave
erreur de l'éducation nationale qui peut aussi expliquer la désafection des
citoyens aux élections et l'incivisme que l'on constate tous les jours.
>
>Cordialement.
>
Ravi de discuter avec vous, tout aussi cordialement.


 De :Eric Wurbel
 Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
 Groupes de discussion :fr.education.divers
 Date :1998/11/12
 

Francois MALTEY wrote:
>
> > On a besoin de rédiger ou de s'exprimer clairement dans maints
> > domaines professionnels, mais pas d'analyser des oeuvres littéraires ;
> > ceci peut faire partie des disciplines d'éveil qui sont toujours
> > proposées sans bourrage de crâne de connaissances plus jamais
> > utilisées sauf par les spécialistes par la suite.
>
> Je ne suis encore là pas d'accord :
>
> Une doc technique bien écrite ne se réduit pas
> à un texte qui aligne les phrases : sujet_verbe_complément.
> Elle contient aussi plein d'averbes comme
>    "Mais, Et, Au contraire, Si, De plus, Plus généralement..."
> et le bon choix de ces mots s'apprend aussi au contact des oeuvres
> classiques.

Entièrement d'accord. Je vois aussi un autre intéret à l'analyse
littéraire : la formation de la pensée. Pas de pensée développée sans maitrise de la
langue et de son histoire.

L'auteur du message critiquant l'enseignement de l'analyse littéraire
(j'ai pas noté son nom) se contredit d'ailleurs en faisant passer ca pour du
bourrage de crane.
Au contraire, le bourrage de crane, c'est de considérer les disciplines
enseignées comme de simples "outils" et non comme les fondements d'une pensée
structurée et capable d'argumenter.

Eric


De :charlie nestel
Objet :Re: Quelles maths enseigner (et le reste...)
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1998/11/19
 

Francois MALTEY wrote:
>
> "Philippe Leménager" <Philippe.Lemenager@wanadoo.fr> écrit:
>
> > Au collège puis au lycée : Approfondissement des savoirs essentiels en les
> > reliant à la vie concrète. [...]
> > Les maths sont utilisées pour la gestion, pour
> > l'informatique, pour les études économiques et scientifiques.
> [...]
>
> Je ne suis pas d'accord sur un point de vue si tranché, je m'explique :
>
> Les maths sont aussi une ouverture vers l'abstraction.

Je ne suis pas prof de maths, mais je suis totalement d'accord avec toi.
Et bien plus que l'abstraction, les maths devraient permettre de
constuire des raisonnements formels afin d'amener nos élèves à prendre
une distance avec la réalité qui les entoure et envisager des
alternatives possibles que la seule perception sensible ne saurait
appréhender.
 

> Que je sache, cette capacité d'abstraction sert quotidiennement dans
> une société technique.

ce n'est pas toujours vrai, malheureusement. La société technique est
aussi basée sur des procédures de répétition et d'exécution
tayloriennes. Savoir cliquer sur une souris n'implique pas de comprendre
le principe du pointeur. De la même manière, un thermomètre de donne pas
la température mais la dilatation du mercure...

Seule la philosophie des Lumières basée sur la Raison pouvait penser que
la "capacité d'abstraction" c'est-à-dire de raisonner, pouvait servir
quotidiennement dans une société technique. La liberté, inscrite sur nos
pièces de monnaie, n'était dans leur esprit, pratiquable que si elle
s'accompagnait des lumières de la raison, condition indispensable pour
s'affranchir de l'asservissement.

C'est la raison pour laquelle j'adhère à 100 pour 100% à ton point de
vue, tout en tenant compte du fait qu'une société technique peut tres
bien fonctionner sur le principe de l'aliénation. Voilà pourquoi je
défends les Logiciels Libres et combats Claude Allègre.
 

> Par exemple tu conceptualises l'utilisation d'une télécommande TV (et
> non te réfères à la magie) avant de comprendre le principe de la diode
> infra-rouge et suivre le fonctionnement des ampli-ops. et autres
> composants électroniques qu'il y a dedans.

J'énonçais le même genre d'idée en prenant l'exemple du thermomètre. Par
contre, je sais pas si t'as lu Freud, surtout ses écrits sur le fantasme
de la "toute puissance" qu'il assimile à une structure de pensée
animiste, mais il ne faudrait pas sous estimer le rôle de la pensée
magique, y compris dans le développement scientifique.
 

>
> Par exemple n'importe quel technicien ou ingénieur dessine de façon
> abstraite (sur du papier ou un système de CAO) ce qu'il va construire.
> Il est hors de propos de faire tous les essais possibles et imaginables
> (construire 50 ponts avant qu'un tienne, 50 avions avant qu'un décolle,
>  50 médicaments avant qu'un soigne...)
>
> Pour permettre cette abstraction les outils mathématiques sont
> indispensables : cela va de la loi d'ohm (une "simple" règle de trois)
> aux théories les plus abstraites de l'algèbre et l'analyse.

Dans ce cas, il s'agit uniquement d'utiliser des formules mathématiques
de la même manière que l'on applique une recette, sans chercher à
comprendre.
 

> Un enseignement de math. ne peut alors se réduire à utiliser un formulaire
> car il est impossible d'avoir un formulaire de toutes les formules.

Voilà pourquoi, j'ai eu tellement de plaisir à te lire.
Aujourd'hui je regrette de ne pas avoir bossé les maths quand j'étais à
l'école. Au moins je pourrais comprendre toutes les subtilités du
théorème de Gödel. La question que tu soulèves est la clé du rêve des
informaticiens hackers que je côtoie. C'est parce que Von Newman a pris
conscience de ce que tu énonces qu'il a décidé de fabriquer le premier
ordinateur.
 

> De même qu'il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner un poisson
> il vaut mieux comprendre (une partie des) théories mathématiques
> que d'utiliser un formulaire.

Ce serait perdre la raison d'etre des mathématiques, courir le risque de
même plus savoir fabriquer de formulaires... :-)
 

>
> Dans le même ordre d'idée apprendre une langue ne consiste pas uniquement
> à communiquer mais à savoir comment les gens vivent... Je doute que
> savoir dire steak-frites en japonnais soit d'une très grande utilité
> pour se nourrir. A moins que tu ne te contentes d'apprendre
> à dire coca-cola en toute langue !

Dans le même ordre d'idée aussi, si une partie de réalité externe s'est
virtualisé (dans le sens de numérique, virtualisé) comment pourrait-on
rendre intelligible cet environnment sans percevoir phénoménologiquement
le processus formel qui l'a fait advenir ?
Pour comprendre les mathématiques il est nécessaire pratiquer les
mathématiques.

>
> > On a besoin de rédiger ou de s'exprimer clairement dans maints
> > domaines professionnels, mais pas d'analyser des oeuvres littéraires ;
> > ceci peut faire partie des disciplines d'éveil qui sont toujours
> > proposées sans bourrage de crâne de connaissances plus jamais
> > utilisées sauf par les spécialistes par la suite.
>
> Je ne suis encore là pas d'accord :
>
> Une doc technique bien écrite ne se réduit pas
> à un texte qui aligne les phrases : sujet_verbe_complément.
> Elle contient aussi plein d'averbes comme
>    "Mais, Et, Au contraire, Si, De plus, Plus généralement..."
> et le bon choix de ces mots s'apprend aussi au contact des oeuvres
> classiques.

... et même de la vie quotidienne. L'intentionalité précède la technique
et non l'inverse. Comment peut-on comprendre la modernité si on ne sait
pas que le concept fut forgé par Baudelaire ?
Que peut-on dire de la technique si on ne sait pas que le mot apparaît
dans l'Encyclopédie de Diderot pour se substituer à "art de" et prendre
un sens d'exécution. La technologie devenant science de la partie
"commande".
Je te suis donc totalement dans ton raisonnement.

>
> Enfin bien connaître sa langue maternelle aide aussi à exprimer
> ses sentiments et là aussi les oeuvres classiques sont d'une grande
> aide :
>
> J'affirme que telle ou telle oeuvre (ou morceau) de Pascal,
> Voltaire, Diderot, Balzac, Hugo, Peguy, Sand, Zola (en vrac)...
> apporte des images neuves sur l'homme. Le fait que cette oeuvre
> se passe à une autre époque est MOINS important que ce qu'ils disent
> sur l'homme d'aujourd'hui.

Sans oublier la littérature cyber-punk, les logiciels libres, les pieds
nickelés, les ouvrages théoriques, les hypermédias.

>
> Au contraire si l'école ne montre aucune perspective
> il apparait alors un malaise : celui-ci risque d'être
> comblée par n'importe quel système sectaire et génère
> une violence brute car non canalisée.

Eh oui... Là où les sectes recrutent le plus, c'est toujours chez les
techniciens. Ce que tu décris pourrait s'avérer encore plus grave : la
perte du sens commun, de référents culturels communs dans une société
éclatée, balkanisée, dé-contemporéanisée.
 

> Pourquoi pas éviter le brouhaha à l'école par des cours de
> réthorique, la violence par l'apprentissage de la diplomatie ?

Ca existe un peu. Ca s'appelle INTERNET. Car Internet c'est avant tout
un protocole de communication entre machines, son modèle est donc très
profondément diplomatique, car protocolaire. :-)))

Voilà pourquoi je me bats pour que chaque gamin puisse disposer dans une
école en réseau d'un compte sur une machine et puisse y accéder de
n'importe tout, même de chez lui.

C'est la raison pour laquelle, même si ça te semble secondaire, le
combat pour le libre accès ainsi que la liberté d'expression sur
Internet rejoint totalement ce que tu énonces. C'est aussi pour ça qu'il
faut développer les logiciels libres dans les écoles.

>
> Sur un autre point tu parles de diminuer l'histoire/géo, mais alors
> comment comprendre la société actuelle si l'on ne connait pas
> les effets de telle ou telle politique et l'enchaînement des faits
> qui apportent révolutions, prospérité, guerre...

La masse des connaissance s'accroit disait Condorcet. Ce qui change
c'est la façon de les exposer, de les rendre intelligibles. Allègre
n'est qu'un épicier qui raisonne en termes de quantifiable, c'est-à-dire
de marchandise. Car le voilà le vrai problème. C'est celui de la logique
de la marchandise qui devient, à l'ère du virtuel, totalement archaïque.

Je vais te dire l'une des questions posée dans le dernier contrôle donné
aux 4ème et 3ème de mon collège :

- j'ai deux billes, j'en vends une, il m'en reste combien ?
- j'ai deux infos, j'en vends une, il m'en reste combien ?

:-))))
 

> Enfin, des articles précédents ont fait remarquer que diminuer
> les exigences en biologies peut entraîner des polémiques
> (et non une discussion étayée) sur des thèmes aussi variés
> que les OGM ou les théories raciales.
>
> L'enseignement est alors un rempart contre les manipulations plus
> ou moins intéressées (idéologiquement ou financièrement)
>
> Cordialement.

Bien sûr que c'est un rempart.

Cordialement Charlie