Débats de forums.
Sur le terme interdiscipline, critiques épistémologiques.
 
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De :Julie
Objet :terme "interdisciplinarité"
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1999/01/03
 

Enseignante en segpa, j'ai une stagiaire Capsais qui voudrait faire une recherche sur
l'interdisciplinarité.

Elle voudrait savoir ce qu'évoque ce terme, chez les enseignants, qu'ils soient du primaire, du
secondaire, spécialisés ou non.

Merci pour vos réponses,
Cordialement
Julie


De :NOEL-Alain
Objet :Re: terme "interdisciplinarité"
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1999/01/03

Julie wrote:
>
> Enseignante en segpa, j'ai une stagiaire Capsais qui
> voudrait faire une recherche sur
> l'interdisciplinarit?
> Bonne id?
Pour cela; aller d?a lire le livre de
 Hachette education  Les modules

Consulter;

Les dossiers et textes sur les modules de diff?ents CRDP.

Bon courage


De :jean-marc.giorgi
Objet :Re: terme "interdisciplinarité"
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1999/01/03
 

peut-être contacter le CRDP de Dijon, qui, si ma mémoire n'est pas
défaillante a produit des études intéressantes sur le sujet.

cordialement
jm
Julie a écrit dans le message
>Enseignante en segpa, j'ai une stagiaire Capsais qui
>voudrait faire une recherche sur
>l'interdisciplinarité.
>(...)


De :charlie nestel
Objet :Re: terme "interdisciplinarité"
Groupes de discussion :fr.education.divers, fr.education.medias,
fr.comp.applications.libres
Date :1999/01/11
 

Julie wrote:
>
> Enseignante en segpa, j'ai une stagiaire Capsais qui
> voudrait faire une recherche sur
> l'interdisciplinarité.
>
> Elle voudrait savoir ce qu'évoque ce terme, chez les
> enseignants, qu'ils soient du primaire, du
> secondaire, spécialisés ou non.
>
> Merci pour vos réponses,
> Cordialement
> Julie

Chère Julie, puisque tu demandes ce que peut évoquer le terme
interdisciplinarité, d'un point de vue local et non universel... Voici
donc quelques bribes d'évocation personnelle.

Tout d'abord, le préfixe "inter". Ma première rencontre, autant qu'il
m'en souvienne, avec ce préfixe, fut celui d'un chant :
l'Internationale. Je me souviens, étant lycéen, d'avoir saboté les
manifestations de commémoration du 11 novembre, remplaçant les drapeaux
tricoles sur le fronton du lycée par des drapeaux rouge et noir. Le
chant de la Marseillaise nous apparaissait comme étant lié au drapeau
tricolore et dans les manifestations nous ne manquions pas de répliquer
aux mots d'ordre du parti "communiste" (à l'époque nous écrivions
toujours communiste avec des guillemets) du "fabriquons français" par
"interêt national, intérêt du capital"...

Ce n'est que quelques années plus tard que je pris conscience que la
France était à la fois patrie de la Marseillaise et de l'Internationale,
comme si l'internationale ne pouvait exister que sur la constitution
préalable de l'Etat-Nation. L'expression "prolétaires de tous les pays,
unissez vous", n'implique-t-elle pas, au préalable, l'existence de
"pays" pour que puisse advenir l'interstice non localisable d'un inter,
qui m'évoque bien sûr aussi l'ordre du deux, de l'entre-deux, de
l'altérité et du féminin ?

L'inter nécessite donc, au préalable et au minimum, du pré-existant.
Sans disciplines constituées et mutuellement reconnues, pas
d'inter-disciplinarité.
Cela dit, et j'expliquerai pourquoi plus bas, je me réfère aujourd'hui
davantage au concept d'hyper qu'à celui d'inter qui me semble en grande
partie dépassé. C'est ce qui constitue sans doute le principal décalage
entre un René Chiche, dont je partage pourtant les présupposés lorsqu'il
s'inscrit dans la défense de l'école et de l'enseignement des
disciplines contre le pédagogisme et le sociologisme, et moi-même. Car
bien sûr, sans diciplines constituées toute référence à
l'interdisciplinarité n'est que pure foutaise, pure démagogie, pur
nihilisme visant à détruire le fondement même de l'école, rendant
improbable toute interdisciplinarité en déniant toute altérité.

Pour revenir à l'Internationale, n'est-il pas remarquable de constater
que la Première Internationale fut exclusivement représentée de membres
appartenant à des nations préalablement constituées ou en voie de
constitution (Etats-Unis d'Amérique, pays industrialisés d'Europe)?
Hannah Arendt que je lis entre deux romans cyberpunk, le soir, avant de
endormir, avait admirablement bien démontré en quoi l'impérialisme était
concomitant à l'Etat-Nation et s'était développé dans une pensée de
gauche, héritière de la philosophie des Lumières.

Si l'on accepte de penser la complexité en sortant des vieux schémas
manichéens, il faudra donc aussi admettre l'impérialisme des
disciplines, ce que ne pose pas René Chiche, à mon avis. Car si
l'interdisciplinarité nécessite la pré-existence de disciplines ; par
leur constitution même dans un monde occidental structuré par une
philosophie l'universel, l'enseignement des savoirs en disciplines est
également totalitaire.

En ce sens, je me demande si le paradigme de l'interdisciplinarité n'est
pas obsolète.

Les années qui suivirent la seconde guerre mondiale jusqu'à
l'effondrement du mur de Berlin furent marquées par la bi-polarisation
est-ouest, mais aussi par les luttes de libération nationale. Les
guerres dans l'ex-Yougoslavie et dans l'empire éclaté de l'ex-URSS
témoignent de questions nationales non résolues à l'ère de l'Internet.

Le concept même de l'Internationale, par le passage de la géostratégie à
la chronostratégie, comme l'avaient très justement remarqué en leur
temps des penseurs comme Paul Virilio, Cornélius Castoriadis et dans une
moindre mesure Félix Guattari, me semble totalement dépassé.

L'effondrement du mur de Berlin, déjà préfiguré par le génocide khmers
rouges, la guerre entre le Cambodge et le Vietnam, marque définitivement
l'effondrement des idéologies internationalistes et tiers-mondistes.
N'est-il pas remarquable de constater que c'est précisément dans les
deux pays champions du non-alignement que sévissent la guerre civile, le
retour du religieux et la purification ethnique ?

Quels liens avec l'enseigement des disciplines et l'interdiscipline
pourrait-on dire ?

La réponse à cette question porte un nom : Auschwitz.

"Nous avons désespérement besoin, pour l'avenir, de l'histoire vraie de
cet enfer construit par les nazis. Non seulement parce que ces faits ont
changé et empoisonné l'air même que nous respirons, non seulement parce
qu'ils peuplent nos cauchemars et imprègnent nos pensées jour et nuit,
mais aussi parce qu'ils devenus l'expérience fondamentale de notre
époque et da détresse fondamentale", est écrit en première de couverture
du livre Auschwitz et Jérusalem d'Hannah Arrendt.

Mais la posture d'Annah Arrendt n'est pas morale, éthique. Ce qui est
posé, à travers Auschwitz, c'est l'essence même de la philosophie, de la
science. La plupart des penseurs anti-totalitaires de l'après seconde
guerre mondiale n'ont-ils pas affirmé qu'après Auschwitz la philosophie
ne pouvait plus exister ? Qu'après Hiroshima, la science n'existait plus
en tant que telle et qu'il devenait nécessaire de la penser en tant que
techno-science ?

Ce que formulèrent des Karl Popper et son plaidoyer pour
l'indéterminisme, des Abraham Moles et sa prise de conscience des
concepts flous et vagues de la connaissance incertaine, des théoriciens
du chaos déterministe, des fondateurs de l'ethnométhodologie tout comme
les théoriciens de l'hypertexte, est bien une remise en cause radicale
de la logique par induction, fondatrice des sciences occidentales et de
l'organisation des savoirs en disciplines, structurés sur le modèle de
la segmentation arborescente que d'aucuns font remonter aux catégories
d'Aristote. C'est en ce sens là que je me réfère davantage aux
hypertextes qu'à l'intertexte d'une Julia Kristeva, à l'hyperespace
plutôt qu'au concept débile d'internaute qui évoque la conquête spatiale
de la vitesse mécanique, au groupware plutôt qu'à l'interdiscipline.
C'est une affaire de paradigme.

Je veux bien comme André Chiche défendre l'école de la République, mais
à condition de penser cette école en réseaux, ce qui ne va pas sans
remettre en cause le statut des disciplines, à la lumière de ce
qu'écrivait déjà Marshall Mac Luhan dans son article sur l'automation et
l'école permanente dans les années soixante (cf. Pour comprendre les
média).

Dans Auschwitz et Jérusalem, Hannah Arendt écrit, dans un texte publié
en 1950 :

"Toute science se fonde nécessairement sur un certain nombre de
postulats implicites, élémentaires et axiomatiques, qui ne s'exposent
que si on les confronte à des phénomènes inattendus, désormais
incompréhensibles dans le cadre des catégories de cette science. Les
sciences sociales et les techniques qu'elles ont mises à jour durant le
siècle dernier ne font pas exception à cette règle. Cet article soutient
que l'institution des camps de concentration et d'extermination -c'est à
dire aussi bien des conditions sociales en vigueur à l'intérieur des
camps que leur fonction dans l'appareil plus vaste de terreur propre aux
régimes totalitaires- pourrait fort bien devenir ce phénomène inattendu,
cette pierre d'achoppement sur la voie d'une compréhension adéquate de
la politique et de la société contemporaines. Phénomène qui contraindra
les chercheurs en sciences sociales et les historiens à reconsidérer
leur à priori fondamentaux et jamais remis en question sur l'évolution
du monde et du comportement humain."

Quant à Abraham Moles dans Les sciences de l'imprécis, il écrit :

"Nous vivons au milieu de phénomènes vagues, de choses imprécises, de
situations perpétuellement variables dans lesquelles il faut nous
décider, réagir ou agir, prendre position. Si vagues soient-elles
pourtant, toutes ces choses apparaissent à notre conscience comme des
objets conceptuels, nous leur donnons des noms, et nous faisons sur
elles des opérations, mentales d'abord, pratiques ensuite, à nos riques
et périls. Vivre c'est se confronter à des choses vagues. Le monde n'est
pas un laboratoire où les phénomènes sont épurés, isolés, controlés, au
gré et au loisir de l'expérimentateur qui joue avec eux, pour découvrir
une vérité transcendante, incontestable, car épurée sous la forme de
corrélations fortes entre des variables évidentes."

Le danger de l'interdisciplinarité serait donc que l'on confie à des
pédagogues spécialistes de savoirs clos et positivistes -qu'ils soient
inspecteurs généraux de l'Education Nationale, formateurs d'une
pédagogie linéaire dite par objectifs ou autres-, le soin de mettre en
place un tel dispositif nihiliste. Ils trouveront toujours des
corrélations fortes mettant en évidence des savoir-faire transversaux
qualifiés dans le jargon pédagogique de transferts de connaissances.

Le multimédia, les logiciels prétendument qualifiés d'éducatifs,
participent de cette escroquerie. Je ne vais pas m'étendre là pour
expliquer en quoi les hypermédia issus des hypertextes n'ont strictement
rien à voir avec l'un des derniers avatars de l'idéologie marchande
spectaculaire que je nomme multimerdia. C'est la raison pour laquelle,
bien qu'en désaccord avec René Chiche, je préfère encore sa vision d'une
école fondée sur le seul enseignement des disciplines à celle d'une
lobotimisation généralisée que l'on tente, en ce moment, de nous
imposer.

Car en fait, le véritable problème qui se pose aujourd'hui à l'école, y
compris le fait de se poser la question de l'interdisciplinarité, c'est
bien celui d'une méthode permettant de gérer la complexité.

Edgar Morin dans ses écrits sur la Méthode a eu le mérite de soulever la
problématique ; et bien qu'ayant cautionné par son nom la politique
techno-fasciste d'Allègre en matière d'école, je ne peux m'empêcher
d'éprouver à l'égard d'Edgar de la sympathie et du respect. Cela dit, la
complexité d'Edgar Morin n'est pas de la complexité. Sa perception de la
réalité demeure totalement interdisciplinaire, c'est à dire modélée par
une organisation pyramidale et hiérarchique des connaissances. Edgar
Morin n'est pas dans l'hypertexte, il reste ancré dans une
représentation basée sur la segmentation arborescente. Prendre un
phénomène quelconque et l'analyser en prenant le point de vue de
l'anthropologue, de l'historien, du sociologue etc... peut, certes,
sembler introduire une certaine dose de complexité, puisqu'il s'agit de
décrypter un phénomène en se plaçant de différents points de vue, mais
cette pluralité n'introduit pas pour autant de la complexité.  Quand
Edgar Morin déclare que l'école doit davantage apprendre à relier les
connaissances plutôt qu'à les séparer, il reste totalement ancré dans
une approche pluri et inter-disciplinaire.

Faut-il pour autant jeter à la poubelle toute logique d'organisation des
connaissances basée sur une segmentation arborescente dotée de liens
entre différents noeuds qualifiés d'interdiscipline ?

OUI. S'il s'agit de déterminer UN modèle universel
d'interdisciplinarité.
NON, si s'agit d'interdisciplinarités avec un "S" à la fin du mot. Ce
qui revient à admettre l'infinitude des indexicalités où, au sein d'un
graphe hypertexte, certains noeuds peuvent se décomposer
occasionnellement en branches hiérarchiques disjointes pour former des
morceaux d'arborescences pour former un sous-réseau.

Nous devons accomplir le deuil de la totalité. La géométrie fractale
vient, par exemple, rappeler à notre mémoire que la géométrie
euclidienne n'est pas universelle ; ce qui ne signifie nullement que ses
règles ne sont pas opératoires, au sein de son propre contexte.

Si l'interdisciplinarité consiste à conserver le point de vue d'un
observateur universel cherchant à rendre compte de la totalité, en
s'appuyant sur les seules méthodes de classement par segmentation
arborescente, tout en opérant des liens transversaux qualifiés
d'interdiscipline ; cette démarche ne pourra conduire qu'à un échec.
C'est la raison pour laquelle, par exemple sur le net, aucun moteur de
recherches ne peut durablement fonctionner sur le modèle de Yahoo à ses
origines, quand des opérateurs humains classaient des sites Web dans des
catégories.

Dans un monde où les corpus de données ont tendance à tendre vers
l'infini et où à chaque instant apparaissent de nouvelles données, les
méthodologies de classement par segmentation arborescente ne sont plus
opératoires. Les catégories d'Aristote ne pouvant fonctionner que sur
des corpus restreints.

L'école de la République fut bâtie sur un modèle épistémologique à
modèle linéaire inspiré par le concept cartésien de l'ordre des raisons.
Il s'agissait d'organiser les connaissances de l'élementaire au
complexe.

Si nous nous limitons à cette seule et unique approche, comme semble le
revendiquer le discours de René Chiche, nous risquons de former des
générations incapables de se situer dans des environnements de données
hypercomplexes. A l'inverse, si nous ne transmettons pas aux élèves des
méthodologies de hiérarchisation, de classement et de catégorisation
issus de l'enseignement raisonné des disciplines, nous risquons de
produire un savoir psychotique dénué de tout repère, de toute finalité
de sens.

Quelques soient mes différends avec les défenseurs de l'école de la
République, fondée sur la didactique des disciplines chère à Condorcet,
je suis bien obligé de prendre parti contre la destruction de
l'institution que nous prépare les néo-libéraux. Rien ne saurait être
pire qu'une garderie généralisée où l'enseignement serait remplacé par
de la pédagogie, du multimédia, des savoir-faire purement utilitaires
basés sur des formations qui ne manqueraient pas de se révéler
constamment obsolètes.

C'est la raison pour laquelle, en tant qu'enseignant, j'ai le sentiment
d'être pris dans un double bind. D'un côté, j'ai conscience que l'école
ne peut plus fonctionner sur un mode taylorien. Je partage totalement
l'avis de Mac Luhan qui écrivait : "l'automation est information: non
seulement elle abolit les emplois dans le monde du travail, mais elle
abolit les disciplines dans celui de l'éducation". Il ne s'agissait dans
l'esprit de Mac Luhan de faire l'apologie d'une société nihiliste basée
sur la destruction de l'école. Bien au contraire. Il s'agissait de
renouer avec sa définition première, basée sur l'étude permanente et
l'opposition au travail.

"C'est là une constante désormais familière de la technologie électrique
en général, qui abolit les anciennes divisions entre la culture et la
technique, l'art et le commerce, le travail et le loisir. Alors qu'à
l'âge de la fragmentation mécanique le loisir était l'absence de
travail, ou la simple oisivité, le contraire est vrai à l'âge de
l'électricité. L'âge de l'information nous impose de nous servir de
toutes nos facultés, et nous découvrons que nous sommes d'autant plus en
loisir que nous sommes plus intensément engagés, comme ce fut le cas des
artistes de tous les temps."

L'institution scolaire, surtout celle du versaillais Jules Ferry, s'est
développée dans un contexte de révolution industrielle issue de la
division sociale capitaliste du travail. Les partisans du
néo-libéralisme trouvent une telle école obsolète, parce qu'inadaptée
aux besoins d'une société de l'information... ils voudraient nous
imposer leur logique basée sur le copyright, les brevets. Telle est, par
exemple, l'un des principaux dangers constitué par une microsoftisation
de l'éducation. C'est pourquoi les partisans des Logiciels Libres
produisent un discours très proche de celui d'un Condorcet. Sans libre
circulation des sources, le savoir informatique, deviendrait secret,
inaccessible à l'enseignement, non transmissible.

Je regrette profondément que les opposants à Allègre qui prétendent
défendre l'école ne considèrent pas avec suffisamment de sérieux cette
problématique fondamentale.

Nous vivons une période de mutation. Peu importe qu'on l'appelle
"informatique", "technologie électrique", "cyberculture" etc... Ce qui
paraît certain c'est que nous quittons une société purement
industrielle. Les divisions entre science, l'art et technique sont
issues du XIXème siècle et n'ont plus lieu d'être aujourd'hui.

Deux projets de société s'affrontent et l'école se retrouve au coeur du
débat.

Soit nous accepterons les règles du néo-libéralisme qui ne peuvent
déboucher que sur un état totalitaire très proche de l'Etat régalien
prôné par le Front National, ne serait-ce que pour des raisons fiscales
liées à la faillite économique des Etats qui ne pourront plus faire face
à la paupérisation d'une grande partie des populations ;
soit, nous trouverons la force de nous battre pour un autre modèle de
société dont l'un des enjeux passe par l'école et les Logiciels Libres.

Le net est sans doute l'une des réalisations les intelligentes de cette
fin de XXème siècle. Il met potentiellement à la portée de tous un
corpus de données sans précedent. Le livre, n'en déplaise aux vieux
gâteux incultes qui opposent l'image qu'ils s'en font -c'est à dire le
codex- au numérique, n'est pas historiquement issu du codex mais du
rouleau. Mac Luhan avait raison : le médium est le message.

Le rouleau nécessitait une lecture linéaire et le seul repère dans le
texte était constitué par la ligne, d'où les sourates du Coran ou les
versets bibliques. Il fallut attendre le codex, le livre composé de
feuillets paginés reliés, pour qu'apparaisse la table des matières, une
navigation permise par la pagination, une organisation en chapitres ;
c'est-à-dire une organisation des données structurées en arborescence.
Contrairement à ce que dit Joël de Rosnay, la véritable révolution ne
fut pas constituée par l'imprimerie mais par le codex qui émerge durant
les quatre premiers siècles de l'ère chrétienne. Pour Condorcet :
"l'imprimerie multiplie indéfiniment, et à peu de frais, les exemplaires
d'un même ouvrage". En ce sens, le numérique est son prolongement, mais
le nouveau paradigme vient de l'organisation hypertexte et full-text des
données.

L'idée de l'hypertexte existait déjà et sans doute depuis longtemps.
Mais c'est bien grace à l'ordinateur, au principe du pointeur, du réseau
qu'on a pu structuré et organiser autrement les connaissances, gérer
l'hypercomplexité. En ce sens, je ne suis pas contre l'interdiscipline
mais ne peut-on aussi penser à une autre approche à l'ère d'AltaVista ?

Ne vaudrait-il pas mieux apprendre aux élèves une approche lexicale des
connaissances, basée sur le phénomène de l'indexicalité ?

Tout savoir ne s'exprime-t-il pas dans un jargon spécifique auquel il
serait possible d'accéder à condition d'en connaître quelques mots clés
?

Bien plus que les interdisciplinarités, qui constituent une première
étape, pourquoi ne pas poser la question de l'école en réseaux ?

N'est-on pas confronté à une nouvelle approche de la lecture ?

Déjà Condorcet, dans Cinq mémoires sur l'instruction publique, pensait
qu'un livre ne pouvait être utile qu'à condition de savoir le relier à
tous les autres. Le combat contre le copyright sur le net doit être
inséparable d'une école en réseaux. Sinon comment relier les
connaissances ? Comment y accéder ?

Peut-on parler d'interdiscipline sans exiger que l'accès au réseau soit
accessible massivement dans tous les lieux où se dispense de
l'enseignement ?

Comment peut-on un seul instant parler d'interdiscipline et foutre du
Microsoft dans l'Education Nationale ?

Ne doit-pas former les enseignants à travailler en groupwares ?

Peut-on parler d'interdisciplinarité et dans le même temps traiter les
profs comme de la merde, imposer des structures hiérarchiques obsolètes,
nier les ressources humaines, ne pas mobiliser le potentiel humain pour
développer tous les savoirs ?

Relier les connaissances, ce n'est pas juxtaposer, à la manière d'Edgar
Morin, plusieurs points de vue, chacun d'entre eux séquentialisés, mais
relier des unités de sens d'un livre à l'autre, d'un texte à l'autre, en
découpant des contextes lexicaux. Le cédérom de l'Universalis est à ce
propos totalement excellent. Il permet un système de requêtes full-text
dans la totalité du corpus ; ce qui était totalement impossible avec le
seul support papier, malgré le thésaurus et les liens par corrélats.

S'il fallait une image pour conclure ce long brain storm, les corrélats
de l'universalis renvoient à une approche purement interdisciplinaire ;
le système de requêtes full-text à d'autres modes de mise en
corrélations qui permettent la liberté de l'utilisateur de mettre en
lumière une infinité de contextes.

La lecture ne peut plus, aujourd'hui, se résumer à la seule approche
linéaire. A l'illétrisme traditionnel, il faudra bien prendre conscience
que se met en place un second : l'illétrisme numérique, l'illétrisme
induit par le multimerdia, l'illétrisme du neuneu incapable de sortir
des seuls modes arborescents, l'illétrisme de réseau.

Amicalement Charlie


  • vulgarisation et synthèse