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Le mérite de la science : sociologie des sciences et epistémologie
 
 
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De :Christian
Objet :Le merite de la science
Groupes de discussion :fr.sci.philo
Date :2002-04-10 06:02:02 PST
 
 

Bonjour tous le monde,

Je voudrais soumettre ce sujet à la sagacité des personnes qui utilisent ce
forum.

Notre époque moderne tiens la science en très bonne estime. Lorsque qq1 qualifie
un énoncé de scientifique, il veut signaler qu'il a une sorte de mérite ou qu'on
devrait lui accorder une confiance particulière.
La science est devenue une sorte de mode et chaque domaine de la connaissance se
dit être une science, et tous y passe:
non seulement les sciences politiques ou sociales existent, mais aussi les
sciences bibliographique, administrative, sciences du discours, de la foret, de
la laiterie, de la viande et même une science mortuaire.
Mais qu'a donc la science de si particulier ?

La vision la plus répondu de la science est que celle-ci est basée sur
l'observation et l'expérience, et par une certaine procedure ont peut en déduire
des théories scientifiques.
Or cette vision inductiviste ne tiens pas la route, car par exemple, la
formulation de fait d'observation ou la description expériences et de leur
résultat ne peut se faire que dans le cadre d'une théorie.

Qu'en pensez-vous ?

A+

Christian

P.S: Pour mon texte, je me suis inspiré du livre d'Alan Chalmers "Qu'est-ce que
la science".


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Le merite de la science
 

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Groupes de discussion :fr.sci.philo
Date :2002-04-10 06:56:04 PST
 

Christian wrote:

> La vision la plus répondu de la science est que celle-ci est basée sur
> l'observation et l'expérience, et par une certaine procedure ont peut en déduire
> des théories scientifiques.

Oui... mais comme tu l'écris plus bas... C'est une vision inductive qui a été
réfutée par Einstein, Karl Popper, etc... et qui date du XIXème siècle.
 

> Or cette vision inductiviste ne tiens pas la route, car par exemple, la
> formulation de fait d'observation ou la description expériences et de leur
> résultat ne peut se faire que dans le cadre d'une théorie.

Oui ou à défaut d'une théorie, dans la cadre d'observations locales.

Charlie


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Le merite de la science
Groupes de discussion :fr.sci.philo
Date :2002-04-10 15:05:42 PST
 

fda wrote:

> Philippe-Charles Nestel wrote:
>
> >>La vision la plus répondu de la science est que celle-ci est basée sur
> >>l'observation et l'expérience, et par une certaine procedure ont peut en déduire
> >>des théories scientifiques.
> >>
> >
> > Oui... mais comme tu l'écris plus bas... C'est une vision inductive qui a été
> > réfutée par Einstein, Karl Popper, etc... et qui date du XIXème siècle.
>
> Pardon ? Einstein a fait l'hypothèse qu'il existait une réalité
> indépendante de nos sens, comme le font tous les scientifiques (sans
> quoi ils changeraient de métier), *mais a bien utilisé des méthodes
> inductives pour les découvrir*, et cela pour la bonne raison... que nous
> n'en avons pas d'autres à notre disposition dans la démarche scientifique !

Pourtant, Einstein n'a-t-il pas écrit : "Aujourd'hui chacun sait, bien évidemment
que les fameuses connaissances n'ont rien de certain, rien d'intimement
nécessaire, comme le croyait Kant.  Mais Kant a placé le problème sous
l'angle de cette constation. Nous utilisons un certain droit pour penser de
tels concepts que la matière expérimentale sensible ne peut nous donner,
si nous restons sur le plan logique face au monde de l'objet.
Les concepts apparaissent dans notre pensée et dans nos expressions sont
- d'un point de vue logique - pures créations de l'esprit et ne peuvent pas
provenir inductivement des expériences sensibles" ?

Référence : Discours prononcé à l'occasion du soixantième anniversaire
de Max Plank, in Comment je vois le monde, Champs, Flammarion.

Pardonne moi, je peux trouver des dizaines de citations d'Einstein
où celui-ci critique le raisonnement par induction, notamment la
physique expérimentale qualifiée par lui de "physique inductive" par
opposition à la "physique théorique".

Néanmoins ce que tu dis m'apparaît, dans le même temps, comme
"vrai". C'est la problématique qu'avait soulevée l'ethnologue Robert Jaulin
en énonçant "on ne peut pas faire l'économie d'être vivant", autrement
dit, nul être humain - et non seulement les scientifiques - ne peut
échapper au raisonnement par induction. De ce fait, quand tu écris :
"pour la bonne  raison... que nous n'en avons pas d'autre à notre
disposition dans la démarche scientifique", tu rejoins la position de
Robert Jaulin qui, lui-même pourtant, critiquait l'approche inductive
dans les sciences dîtes sociales, notamment le structuralisme qu'il
réfutait.

Alors comment Einstein, dans le domaine de la physique théorique
et/ou Robert Jaulin, dans celui de l'éthnologie, géraient-ils le "sens
commun" ?

Par une posture méthodologique : la perte de la vue d'ensemble
d'une image du monde universalisante.
"le physicien doit - écrit Einstein - se restreindre d'autant plus qu'il
se contente de réprésenter les phénomènes les plus évidents accessibles
à notre expérience, alors que tous les phénomènes ne peuvent pas
être reconstitués par l'esprit humain avec cette précision subtile et cet
esprit de suite exigés par le physicien théoricien. L'extrême netteté,
la clarté de s'acquièrent qu'au prix d'un immense sacrifice : la perte de
la vue d'ensemble."

Ce que, Yves Lecerf, ami de Robert Jaulin qualifia de rationalités
locales. Cf. à ce propos la proposition de manifeste d'Yves Lecerf,
La science comme réseau : projet de manifeste pour une union
rationaliste localiste.
http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/ylecerf/url.htm
 

> Une fois quelques règles "intuitées" de façon inductive et toujours à
> partir des observations (c'est pour cela qu'on les dit inductives), le
> chercheur regarde s'il peut construire à partir de ces règles des
> prévisions, que d'autres expériences confirmeront ou non. La
> confirmation de la RR et de la RG a très bien marché pour Einstein. Sa
> tentative d'infirmation de la MQ par le paradoxe Eintein-Podelski-Rosen
> a en revanche échoué, mais il ne l'a jamais su de son vivant.

Oui, et c'est bien pour cette raison que je me suis permis de référer
le texte d'Yves Lecerf. Cf. le paragraphe sur l'induction où il écrit :

"L'induction est un outil abstrait de base pour la fabrication d'autres
outils abstraits. Par induction, des séries d'observations antérieures
constamment régulières peuvent être transformées en lois physiques.
(...)
Hume a signalé et montré que l'induction est toujours, au coup par coup,
un pari qui, selon les hypothèses inductivement concernées, peut tantôt
échouer et tantôt réussir."

(...)

> - Poincaré, qui dans "La science et l'hypothèse" avait des phrases qui
> ne prétaient à ambiguité : "Il est clair que la notion d'un temps absolu
> valable universellement ne va plus pouvoir être conservée", "nous alons
> devoir remettre en cause de façon imminente nos notions habituelles de
> l'espace et du temps".

Oui. Et c'est pourquoi Hannah Arendt dans Crise de la culture posait
la question de la phénoménologie de la perception et de la place de
l'homme. C'est une question de fond. Je n'ai pas le temps de recopier
ces passages dans le chapitre "la conquête de l'espace et la dimension
de l'homme" qui conclut l'ouvrage, considérant que le débat reste
ouvert.

Charlie


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Le merite de la science
Groupes de discussion :fr.sci.philo
Date :2002-04-11 06:31:08 PST
 

Gilgamesh a écrtit :

> Le classement se donne pour *objectif* d'être universel. C'est son esprit.

Qu'un classement se donne comme *objectif* d'être universel signifie-t-il
pour autant qu'il le soit ?
L'intention suffit-elle à valider un raisonnement par induction ?
Pour déjouer ce piège logique Karl Popper propose, par exemple, comme
bien d'autres avant lui, de formuler ses inductions sous la forme d'hypothèses
et de mettre les théories en compétition (ce qui implique, bien sûr, comme
condition la libre circulation des idées); un seul contre-exemple suffisant
à réfuter une induction.
C'est la raison pour laquelle, certains courants de pensée, comme
l'ethnométhodologie, reprennent à leur compte la proposition de Husserl
de "suspendre son jugement"; ce qui revient à ne rendre compte d'une
culture locale, qu'en utilisant - dans la mesure du possible - les catégories
mêmes de la micro-culture locale, en partant du présupposé de classements
(avec un "s") qui pourraient se donner comme objectif de tendre vers
l'universel d'où la posture méthodologique : "il n'y a pas d'observateur
(hormis Dieu si l'on croit en Dieu) universel de l'universel".

Pour les êtres humains, il n'y a donc de représentationn de l'universel
que localement; tout corpus devenant (même si les sciences ont besoin
je te l'accorde d'une certaine permanence) de ce fait un corpus
occasionnel.

En témoignent les moteurs de recherches, de type indexation plein texte,
sur le net. Quand le corpus de données à catégoriser devient trop
grand, il est possible de démontrer que l'entreprise devient improbable
pour un être humain.
 

> Pourquoi ? Pasque
> c'est la seule façon qu'il soit partagé par un maximum de monde. Et plus on
> s'attache à le rendre logique, ce qui est la manière concrète d'accéder à
> l'universel, plus on peut espérer faire transparaître un ordre des causes.

Je ne peux que te conseiller, dans un autre registre, "la causalité diabolique"
de Poliakov qui fut, avec Hannah Arendt, l'un des premiers théoriciens
à s'être attelé à déconstruire le discours totalitaire.
 

> Exemple : Aristote classe les animaux en 2 grandes catégories
>
> * Sang blanc (vers, insectes, crustacés...)
> * Sang rouge (oiseau, reptiles, mammifère...)

Pour ma part, je formule une autre hypothèse. J'oppose ce que je qualifie
de classification par segmentation arborescente à l'approche lexicale.

Je ne nie en aucune manière le rôle fondamental joué par le "paradigme"
de l'arborescence dans le développement des sciences occidentales.
Ainsi, je partage en partie l'avis de Mac Luhan : le medium est le
message. Le passage du livre en mode rouleau (le volumen) au codex
(les feuillets reliés) permit l'émergence, par la pagination, des premières
tables
des matières. Et à mon humble avis, l'imprimerie ne fit qu'amplifier le
phénomène mais ne constitue pas en soi une véritable révolution
épistémologique qui demeure, à mes yeux, le codex.
Une table des matières est une arborescence.

La fameuse démarche dîte cartésienne qui consiste à décomposer
chaque difficulté jusqu'au plus simple élément, est une arborescence.

De même, Michel Serres a démontré - pour aller dans ton sens - que
les nomenclatures permirent le passage de l'alchimie à la chimie.

Le système de fichiers d'un disque dur s'appuie sur le paradigme de
l'arborescence.

Toute catégorisation est une arborescence (vertébrés/invertébrés, etc... ).

Cependant, lorsque le corpus d'informations devient trop important,
la méthode de segmentation par classification arborescente n'est
plus que LOCALEMENT opératoire.

D'autres méthodes - fondées par exemple sur des champs lexicaux -
s'avèrent désormais également opératoires.

> Bon, cet ordre taxinomique ne sera pas conservé, car la couleur du sang est
> moins essentielle que des critères d'organisation plus profonds, tels que la
> présence de vertèbres. Et pourtant, du fait que l'hémoglobine est une
> invention tardive de l'Evolution, cette classification d'Aristote apparaît
> remarquablement pertinente. Les "Sang Blanc" regroupent effectivement des
> animaux aux structures apparues précocement et les "Sang Rouge" des animaux
> à structure plus tardive.

Oui, mais aujourd'hui en sommes-nous encore là ?

Cordialement


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Le merite de la science
Groupes de discussion :fr.sci.philo
Date :2002-04-10 09:56:06 PST
 
 

Gilgamesh wrote:

>
> -- Pour ce qui motive les "jeunes disciplines" ça me parait assez net :
>
> 1/ Classer le réel et lui faire correspondre un vocabulaire stable
> 2/ Dans le but de pouvoir mettre en commun des efforts de recherche
> diverzévariés
>
> Dis autrement : pouvoir exprimer les *causes*, ou la simple description des
> faits de manières *universelle*.
>
> (cause et universelle sont les 2 mots à souligner :)

Eh bien... Tu sembles valider les propos de Christian... Le raisonnement
par induction a encore de beaux jours devant lui !!

Seul blem dans ton raisonnement, la position de l'observateur et sa capacité
éventuelle à opérer un classement (stable qui plus est), capable d'englober
l'universel. Ben voyons !!!

Ne serais-tu pas en train de faire de la science une religion ?

Charlie