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Au sujet de la métalinguistique et de la pédagogie en référence à l'ethnométhodologie
par Charlie Nestel
 

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De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Un débat intéressant
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2001-10-04 14:09:02 PST

En marge du débat

Pascal Vallet wrote:

> . la metalinguistique demande la capacite pour els
> eleves de se placer au dela de la langue et d'etudier la langue avec sa
> langue donc d'etudier l'objet langue avec un outil qui est la langue elle
> meme...

En premier lieu mon intention n'est pas polémique.
Je lis ce que tu écris avec intérêt. Mais j'ai du mal à comprendre ce
que d'aucuns ont nommé "métalinguistique" sans en donner de
définition locale.

Tu viens d'en donner une, mais je ne suis pas sûr, là non plus de
comprendre.

Lors d'un post récent et dans un autre thread, je me suis référé au
texte d'un ami, Jean-Marc Lepers, qui avait publié un texte dont
l'objet n'a rien à voir avec ce qui nous occupe ici.

Pourtant il écrit :

Repérer de l'information dans de grandes bases textuelles relève plus
d'un problème de traduction, ou de filtrage, que d'un problème de
repérage de contexte. Une extraction de mots, dans une rationalité
donnée, peut ne pas correspondre à une extraction dans
une autre rationalité, alors même que les deux traiteraient du même
thème.
De plus, il serait illusoire d'imaginer que les possibilités des dites
traductions soient illimitées. Pour prendre un exemple extrême que
je connais assez bien, il n'est tout simplement pas possible de traduire
la vision du monde, et donc le langage, d'un indien
d'Amazonie dans des termes occidentaux. Les bases de la rationalité
ne sont tout simplement pas les mêmes : soit on pense en indien, soit on
pense en occidental. La plupart des traductions sont le fait de gens qui
racontent " à l'occidentale ", même s'ils peuvent penser " à l'indienne "
par ailleurs. On retrouverait d'ailleurs le même phénomène, quoiqu'un
peu moins accentué, avec la pensée chinoise ; personne n'est
jamais parvenu à traduire de façon satisfaisante le Tao Te King, par
exemple (sauf à garnir chaque phrase traduite d'une page de commentaires
explicatifs sur la traduction)."

Si l'on accepte cette proposition, ce que j'ai cru comprendre de ce
que d'aucuns qualifient de "métalinguistique" est un pari impossible.

En effet, l'énoncé même de cette "métalinguistique" necessiterait un
passage obligé par une "langue". Est-ce cela que tu veux dire ?

> ce cher Kant defenseur de l'idee qu'ils nous est impossible
> d'acceder a la pensee metaphysique et donc a dieu se bidonne dans son
> sarcophage ! Car cette question epistemologique est cruciale : peut on
> etudier un objet en utilisant comme outil d'observation l'objet lui meme ?

Peut-on rendre compte de la rationalité locale des indiens autrement
qu'en étant "membre" de la communauté des indiens, ce qui revient à
partager leur "indexicalité locale", c'est-à-dire la langue naturelle?
Ce qui, en retour interdirait la posture "métalinguistique" pour ce faire.
Mais, à l'opposé, rien n'interdit d'utiliser comme artefact
la métalinguistique qui loin de rendre compte des rationalités locales
des indiens développerait la théorie de la métalinguistique elle-même.
De même que les indiens dirent aux disciples de Levi-Strauss, le
fondateur de l'anthropologie structurale : "la théorie des liens de la
parenté ne sert pas à se marier", de même l'on pourrait dire
que la métalinguistique ne sert pas à parler, et donc à apprendre une
langue.
Je suis donc ravi de te lire, car me semble-t-il, tu n'es pas trop éloigné
de ce point de vue.
 

> Alors peut etre que justement il serait plus simple d'utiliser une seconde
> langue qui ne fonctionne pas de la meme facon pour ne plus tenter uen
> envolee meta mais uen comparaison en gardant les pieds sur terre.
> Je ne me pose pas pour le moment la question de la faisabilite de cette idee
> peut etre folle pour l'enseignement en france, les contraintes du milieu
> dans lequel j'exerce m'impose par contre cette reflexion.

Nous(1) sommes quelques uns en France, sans vouloir imposer notre point
de vue, à partager ton approche.

Pour revenir au texte de Jean-Marc Lepers, l'un des principaux théoriciens
français des hypertextes, dans le même article où il se pose la question
des liens entre des documents de langues différentes, il écrit :

" L'idée d'une multiplicité des rationalités locales était assez proche de l'un
des postulats de base des hypertextes, selon lequel les connaissances ne
peuvent être organisées dans un arbre unique, mais s'organisent
localement dans une multiplicité de points de vue. Le présent article se fonde
sur le concept de rationalité locale pour proposer des moyens de mise en
relation hypertextuelle des univers rationnels locaux."

(1)  Nous = le courant français de l'ethnométhodologie radicale fondée
par Harold Garfinkel à l'UCLA, aux Etats-Unis, dans les années
soixante, mais nous n'avons rien à voir avec les IUFM.

Charlie


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Un débat intéressant
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2001-10-04 14:10:02 PST
 

lagonissi wrote:

> "productions"? Je pense que vous voulez dire "textes"?
> A ce détail près nous avons à faire là à ce genre d'assertion à l'aspect
> banal, tellement banal qu'il ne conviendrait même pas de la discuter. Or
> vous me permettrez de contester pour le moins la radicalité d'une telle
> affirmation. La massification des théories "constructivistes" par les
> sciences de l'éducation est un phénomène relativement récent.

Il me semble que ce qui est intéressant dans les contributions de Pascal
Vallet ce n'est pas son apologie de théories "constructivistes"
mais son expérience de terrain qui témoigne que
l'apprentissage d'une seconde langue, dès le plus jeune âge, est
dans son contexte local : un succès.

Il écrit : "Je ne me pose pas pour le moment la question de la faisabilite
de cette idee peut etre folle pour l'enseignement en france, les contraintes
du milieu dans lequel j'exerce m'impose par contre cette reflexion."

> Or il se
> trouve qu'avant cela des générations d'élèves ont appris la langue française
> en apprenant des règles ET en écrivant sans pour autant faire de la
> conjugaison "ludique" ou je ne sais quoi du même tonneau. Affirmeriez-vous
> sans rire qu'ils écrivaient plus mal qu'une majorité d'élèves actuels?
 

Même si ton argument était juste (pour ma part, je partage ta description) en
quoi invaliderait-il l'apprentissage d'une langue étrangère dès le plus jeune
âge comme l'ont contesté certains en s'appuyant non pas sur des pratiques
de terrain, mais en usant d'arguments d'autorité fondés sur ce qu'il y a de
pire : des universaux  'déniant même son droit à la compétence unique qu'il
fut obligé de légitimer)?
 

> > Ce cher Wittgenstein pointe dans osn tractacus philosophicus cette idee que
> > la regle ne contient pas en elle emme les conditions de son application. LE
> > constructivisme cherche le sens et pas la regle, car le sens permettre de
> > comprendre la regle et d'en voir les limites.
>
> Sauf qu'à moins de travailler dans des situations triviales, dans un grand
> nombre de phrases c'est la connaissance des règles qui permet de lever les
> ambiguïtés de sens dans la lecture! D'autre part votre affirmation laisse
> sous-entendre que la pédagogie "traditionnelle" (pour faire court) faisait
> l'impasse sur le sens, qu'on faisait appliquer des règles bêtement sans
> s'attarder sur le sens de ce qu'on écrivait. Je suis bien sûr en désaccord.
> Le moindre exercice dit systématique porte en général sur des phrases qui
> ont un sens par elle-même et auxquelles on ne peut pas faire subir n'importe
> quelle transformation au risque d'en altérer le sens.

Autrement dit : "la carte n'est pas le territoire" mais ça peut aider à avoir
confiance en soit pour se diriger. De même, me semble-t-il, notre ami
se réfère au "constructivisme" comme une carte. Pour ma part, le seul
"constructivisme" que je connais fut celui développé par l'avant-
garde artistique russe, au début du XXème siècle. Malgré de superbes
phrases de type "les traces de pas dans la neige ne sont pas le
mouvement", ce courant eut des conséquences désastreuses lorsque
certains de ses concepts furent exportés dans l'architecture et
l'urbanisme. Les barres de béton qu'on est obligé aujourd'hui de
détruire sont le rejeton de ce courant monstrueux.

> > L'enseigne,ment des mathematiques est sans doute le plsu a la pointe au
> > monde en France avec le laboratoire de recherche de bordeaux ou tout est ne
> > grace a Brousseau and co. Et ce sont aussi des demarches constructivistes.
> > En as tu mis au moins une en place pour pouvoir juger de leur veracite ?
>
> Au risque de vous peiner, je pense qu'en France, Brousseau est à peu près un
> illustre inconnu auprès de la masse des instituteurs et qu'on n'a pas
> attendu ce monsieur et ses acolytes adeptes des démarches constructivistes
> pour enseigner les maths relativement correctement. Plus connu peut-être
> était un de ses illustres prédécesseurs en la personne de Piaget. Sur
> l'invitation de ce dernier et à l'instigation des pédagogistes, il fut
> décidé il y a une trentaine d'année la quasi interdiction de l'apprentissage
> de la comptine numérique chez les petits, et l'apprentissage des bases
> autres que la base 10 en cela que cela devait faciliter grâce à des
> "manipulations" sur des collections "l'appropriation" de la notion de nombre
> chez les jeunes enfants? Paraît-il que cela devait faire "sens". On a vu ce
> que cela a fait: des ravages au point que l'on dû faire machine arrière
> quelques années après en faisant quelques centaines de milliers d'éclopés au
> passage. Le même Piaget, pas gêné le moins du monde aux entournures a pu
> déclarer quelque temps après qu'il n'avait jamais conseillé quoi que ce soit
> aux pédagogues!

Piaget est un personnage multiple. L'application de certaines de ses théories
dans l'éducation ont été immondes. Le coup de la séparation entre
"intelligence concrete" et "intelligence abstraite" a justifié l'orientation
massive,
durant des années, des enfants de milieux populaires vers des CAP¨, sous
prétexte qu'ils développaient une "intelligence concrête".
Puis, avec la mutation technologique, l'arrêt de l'orientation en fin de
cinquième,
ce discours fut occulté par les sciences de l'éducation. Etonnant non ?
Pourtant, Piaget inspira le langage LOGO de Seymour Papert, dont le livre
"jaillissement de l'esprit, Ordinateurs et apprentissage" me semble
remarquable.
Par ailleurs, à la fac de Paris 8, quand le département Psycho était tenu
par la branche cognitiviste (où l'enseignement de Piaget occupait une
place centrale) Freud était totalement occulté. Incroyable non ?
Il y a donc plusieurs Piaget.

Charlie


De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Un débat intéressant
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2001-10-07 06:13:43 PST
 

Capitaine Flam :

> Je ne comprends pas du tout ce que tu entends par la.... mais enfin, si la
> pedagogie n'existait pas, l'enseignement n'existerait pas !

L'enseignement pourrait très  bien se passer du pédagogisme, il ne s'en
porterait que mieux. Alors quelle différences fais-je entre pédagogie,
pédagogisme et didactique ?

La pédagogie contrairement à la didactique d'une discipline n'est pas
modélisable. Entrent en jeu trop de paramètres qui font référence
à des observations locales qui ne peuvent se généraliser sans
tomber dans  le piège d'un raisonnement par induction.

Traiter de la grammaire, comment l'enseigner, c'est de la didactique.
La didactique est fondée sur des raisonnements qui peuvent être
démontrés et réfutés. Il ne s'agit  ni d'une problématique de "contenu",
ni "d'émettre le "bon" message",  mais de l'art de décomposer un savoir
de telle sorte qu'il puisse être intelligible et transmissible par le plus
grand nombre : par exemple la table de conjugaison que défendent
ici les instituteurs dans ce forum. La manière dont elle peut être
transmise relève, par contre de la pédagogie.

Mon interprétation du "pédagogisme" :

On a trop tendance à oublier que les sciences de l'éducation sont une
branche de la sociologie et ont été fondées, en France, par le père de
la sociologie quantitative - Emile Durkheim - qui ouvre la première
chaire à Bordeaux. Durkheim considérait que "l'acteur social" est un
"idiot culturel", thèse que réfutèrent avec véhémence les différents
courants de la sociologie interactionniste : phénoménologie sociale,
ethnographie de l'école, analyse institutionnelle, ethnométhodologie,
rattachés, dans de nombreux ouvrages de sociologie, par
simplification : à l'Ecole de Chicago.

La sociologie quantitative s'appuie sur des statistiques. C'est donc
un outil de gestion au service des décideurs, des bureaucrates, des
planificateurs, des réformateurs de l'école...

C'est à ce moment là qu'interviennent les sciences cognitives (Piaget
and co), tous les discours disponibles sur le marchés des idéologies
de l'éducation, les utopies "padagogiques", les discours philosophiques,
etc..., que l'on peut sortir du chapeau en guise de "vous pouvez
enseigner autrement".
Tous ces discours sont facilement démontables avec comme seul
paradigme le raisonnement par induction. En effet, s'appuyer sur une
expérience locale, dans le domaine des sciences humaines, pour en
tirer une loi universelle procède de l'induction. Le raisonnement par
induction débouche assez souvent sur le totalitarisme.

Bien sûr ce que j'énonce est un carricatural, mais je reste à ta disposition
pour de plus amples détails.

Charlie


"extrait de discussion"

De :Philippe-Charles Nestel
Objet :Re: Un débat intéressant
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :2001-10-10 05:39:26 PST

> > Tous ces discours sont facilement démontables avec comme seul
> > paradigme le raisonnement par induction. En effet, s'appuyer sur une
> > expérience locale, dans le domaine des sciences humaines, pour en
> > tirer une loi universelle procède de l'induction. Le raisonnement par
> > induction débouche assez souvent sur le totalitarisme.
>
> Mais peut on etudier un phenomene dans tout sa complexite et globalite ? Ne
> pouvons nous rien dire du monde si on ne s'attache qu'a un echantillon que
> l'on estime representatif ? Pour tirer des conclusions sur des pratiques
> devons nous pratiquer avec tous ? Ton affirmation me surprend, et remet en
> question la plupart des recherches en sciences humaines. Mais peut etre
> ai-je mal saisi votre proposition.

Non, tu as dû lire des recherches en sciences humaines qui datent de 100 ans.
La plupart des travaux sérieux considèrent aujourd'hui que si la science
a pour ambition d'observer phénoménalement le réel, cela ne signifie pas
que tous les observateurs y voient les mêmes choses. Il n’y a pas d’accès direct
au réel. On accède au réel à travers des comptes rendus d’observateurs. Ce que
l’observation produit est pour partie au moins une construction de
l’observateur.


  • vulgarisation et synthèse