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De :charlie nestel
Objet :AARe: la pédagogie de la pédagogie.. :-))
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1999/05/27Alain, Vincent
Je n'aurais pas dû mettre en cause les IUFM dans ce thread, on s'éloigne
du débat.
Je ne conteste pas la qualité des personnes qui pourraient y enseigner.
Tel n'est pas mon propos. Dans toute pratique locale, il y a de la vie.
J'appréhende une mainmise idéologique sur l'école, via la formation des
enseignants.
Je me situais uniquement sur un plan démocratique, basé sur la liberté
et la séparation des pouvoirs.
Hier, j'ai tenté d'expliquer pourquoi j'appréhendais certaines dérives
médiatiques de type "mettre l'enfant au coeur du dispositif éducatif".
Si l'on pouvait concevoir la formation des maîtres, au sein des écoles
normales, dans la mesure où, de par sa fonction, l'école primaire est
héritière des précepteurs de la sphère privée; et dans la mesure où, de
par son existence même, la communale est un équipement de proximité ; il
me semble que l'IUFM - en tant qu'institution chargée de former
également les enseignants du second degré-, entretient une confusion des
genres.
La séparation entre la sphère privée et la sphère publique est l'un des
fondements de notre démocratie. L'éducation relève de la sphère privée,
l'instruction de la sphère publique.
C'est le même principe qui régit la séparation entre l'homme et le
citoyen. Sinon, c'est la Yougoslavie.
C'est l'une des raisons fondamentales qui amena les profs de philo, que
l'on n'avait pas entendus depuis des décennies, à s'opposer si fortement
à Claude Allègre lorsque fut formulé le projet d'introduire de
l'éducation à la citoyenneté en classe de première.
L'enfant est le pendant de l'homme -un être générique- distinct de
l'élève - pris en tant qu'être politique, c'est-à-dire en tant que
citoyen en devenir. Seul le jeune Marx s'est élevé contre cette
séparation, prétendant qu'on ne pouvait pas séparer la force sociale
sous la forme d'une aliénation politique ; ce que les surréalistes
belges et situationnistes interprétèrent par une critique radicale de la
vie quotidienne. Or, remettre en cause cette séparation n'est pas sans
dangers. Tous les systèmes totalitaires du XXème siècle ayant eu le
projet fou de forger un homme nouveau nous l'ont prouvé.Jean-Claude Milner, sur ce point, dans son axiomatique avait raison :
seul le statut d'élève permet de s'élever au rang de sujet. A travers le
changement progressif du statut de l'apprenant, par le passage de
l'instruction à l'éducation, se met en place un changement de statut de
l'enseignant."L'école, employeuse avare et mesquine, permettait pourtant naguère un
minimum d'espace de liberté ; elle ne prétendait pas contrôler les
pensées dans tous les instants de la vie et accordait plus de temps
autonome que les autres employeurs. Cela est fini : le temps autonome
est de plus en plus chichement mésuré ; et dans son principe même, il
est attaqué : l'enseignant secondaire est convoqué à se transformer en
missionnaire éducatif de tous les instants ; ses pensées les plus
intimes doivent être issues de la matière pédagogique.", Jean-Claude
Milner, De l'école.Mon opposition aux IUFM n'est donc pas une opposition contre
l'institution, je n'ai rien contre Normale Sup.. :-) Je crains juste
une confusion des genres, un certain nombre de dérives arbitraires.Cela dit, je préferais que nous reprenions le dialogue là où nous
l'avions laissé, sinon nous allons nous enliser dans un débat sans fin
sur des questions d'axiomatiques. Quelle que soit sa nature, l'IUFM ne
peut échapper au sujet-apprenant. On peut faire confiance aux acteurs
sociaux dans leur capacité à détourner, à restaurer de la réversibilité
par un retour du refoulé... :-)))
L'école avait-elle besoin de ce bordel supplémentaire ?
> En re incise alors.
> Je suis globalement d'accord avec Vincent sur la formation des enseignants
> et l'IUFM, j'avais commencé ma réponse à Charlie dans ce sens. L'IUFM est
> une instance qui dépend de l'université, or la formation des enseignants
> relève pour moi de la formation professionnelle, il ne me viendrait pas à
> l'idée de faire former des cordonniers par des universitaires de la
> chaussure, je préfère qu'ils soient formés par des
> cordonniers à qui on aura donné une formation de formateurs de cordonniers,
> sinon les étudiants sauront tout sur le cuir, sur sa constitution chimique,
> sur la manière dont on faisait les chaussures dans l'antiquité, mais on ne
> pourra pas mettre les chaussures qu'ils nous fabriqueront.Je ne partage pas tout à fait ton raisonnement lorsque tu compares le
cordonnier au co-ordonnier. Livingstone, l'un des étudiants de
Garfinkel, fut obligé de redémontrer le théorème de Gödel pour rendre
compte des ethnométhodes d'une communauté de mathématiciens.
Tu as raison lorsque tu insistes sur le côté pratique. Il y a toujours
de l'ordre du corps-donnier. L'enseignement est une profession qui
renvoie à un corps.Je suis totalement admiratif lorsque tu décortiques les ethnométhodes du
métier, comme savoir se servir d'un rétro-projecteur. Je voulais
répondre à cet article, mais je n'ai pas eu le temps. Je te tiens pour
un ethnométhologue quand tu mets en scène les codes sous-jacents d'une
institution pour que des étudiants africains puissent repérer les règles
et l'indexicalité d'une culture locale. Tu rends intelligible les codes
et tu les transmets.Je n'irais pas jusqu'à dire que l'institution fait de
l'ethnométhodologie en organisant des brevets blancs, mais je suis bien
obligé de constater qu'il s'agit de l'une des rares fois où les élèves
de collège sont confrontés à un rituel, où se met en scène leur
appartenance à la Nation.Mais.. :-)
Il me semble bien que l'apprentissage de la cordonnerie se fait dans la
répition des gestes accomplis et se transmet, pour partie, par
imitation. C'est de l'art de, de l'artisanat. Or nous devons aux
encyclopédistes d'avoir séparé l'art de, de la technique -mot qui
n'existait pas dans la langue avant. Et ceci, par l'émergence d'un
métalangage, des nomenclatures, des planches de métier qui préfigureront
la projection orthogonale issue de la géométride descriptive de Gaspard
Monge. C'est un fait, par ce qui deviendra les sciences de l'ingénieur,
l'encyclopédie de Diderot a préfiguré la révolution française et la
division sociale du travail. L'usage du mot technologie, venant
renforcer le dispositif par un discours-sur, accentuant la dichotomie
entre savoir-faire dans le sens de compétence, disjointe de la partie
commande.Les enseignants ne doivent pas seulement être formés à un certain nombre
de techniques opératoires, néanmoins indispensables à l'exercice du
métier, ils doivent pouvoir jouir du droit de penser librement, hors de
tout modèle établi. Ce que je crains, ce n'est pas la didactique du
métier mais le discours-sur, c'est-à-dire la pédagogie, en guise de
partie commande.Se pose ici la question du fondement épistémologique de la pédagogie. Il
me semble bien dans nos universités françaises, existent quelques
départements de sciences de l'éducation, mais aucun de pédagogie. Car si
le métier d'enseignant tient à la fois de l'art-de, du savoir-faire, il
ne peut s'exercer sur le pari hasardeux d'un modèle fondé sur de
l'induction. On est bien obligé à un moment donné de se raccrocher aux
branches de rationalités locales dénommées sciences. Ce qui nous ramène
à la problématique de la didactique.
>
> Il y a un adage qui dit :
> "Quand on sait faire quelque chose, on le fait !
> Quand on ne sait pas très bien le faire on l'enseigne!
> Et quand on ne sait rien faire du tout on enseigne comment on enseigne !"
>
> Comme je fais de la formation d'enseignants vous voyez où je me situe.C'est ce que l'on appelle dans la littérature cyberpunk être un
techno-connecteur.
Savoir se situer permet de relier. Enfin, on retombe dans le débat. Car
j'aimerais bien répondre à André Michaud.
Cela dit, je te sieds grée de ton honnêteté intellectuelle. On est bien
là dans le cas d'une méta-activité que je référais plus haut. Tout
processus est à un moment donné reinitialisé. Partir du degré zéro du
savoir permet d'aborder de nouveaux contextes, même si peuvent
s'intégrer des bouts de codes pré-existants gardés en mémoire. Cette
démarche me convient tout à fait.
> Mais cette plaisanterie n'est tout de même pas stupide, dans le même ordre
> d'idée Delbos et Jorion avaient cité en 1992 dans un numéro des cahiers
> pédagogiques un texte remarquable :
> ils imaginaient ce que pourrait être un programme officiel si l'école
> enseignait la belote.
>
> "En troisième :
> - Coeur, carreau, pique, trèfle : règles permettant de ne pas les confondre.
> Exercices de mémorisation.
> - L'as. Ses rapports avec la notion d'unité.
> - Du 3 au 5; du 6 au 10.
> - Disposition des signes ; notion de quinconce.
> - Valet, dame, roi.
>
> En seconde :
> Révision des acquisitions de l'année précédente.
> La bataille, théorie générale...
> On imagine les manuels, : "J'apprends la belote", "Grands commençants",
> "Recueil complémentaire d'exercices", "Livre du maître avec corrigés".
>
> On imagine surtout le résultat si l'école enseignait la belote... au bout de
> quatre ans d'étude, les trois quart des élèves se jugeraient complètement
> incompétents, le quart restant aurait théoriquement le niveau, sans avoir
> jamais touché une carte."
>
> Citation tirée de Astolfi, L'école pour apprendre, ESF, 1992.Certains pédagogues auraient-ils le sens de l'humour ?
En tout cas, c'est une excellente auto-critique.
Ce qui n'empêche pas que la belote, avec ses stratégies est d'une
complexité extrême.
Rien qu'à Paris 8, Patrick Gressay du dpt d'IA, rend fou ses étudiants
par un cours qui dure six mois, sur les procédures de la division.
La belote pourrait être un excellent sujet d'ethnométhodologie, j'ai
bien chez moi un certain nombre de mémoires sur le tarot. Décrire les
procédures d'un jeu permet de mettre en lumière certaines techniques
documentaires d'interprétation.
> Tout cela pour dire que l'école, l'université savent faire certaines choses
> et qu'elles le font généralement pas trop mal si on compare leurs résultats
> aux écoles des autres pays, (même si quand on est à l'intérieur du système
> on se dit que c'est pas terrible) mais il ne faut pas confondre les genres.
> Pour moi, être formateur de formateurs c'est être capable de théoriser sa
> pratique. Les universitaires, s'ils ne sont qu'universitaires, c'est à dire
> s'ils ont fait une maîtrise puis un doctorat n'ont aucune raison de savoir
> enseigner, ils ont appris à faire de la recherche.Je partage tout à fait ton point de vue sur la théorie de la pratique et
la pratique de la théorie.
Par contre, si je veux bien reconnaître ma parano sur les IUFM, je ne
peux te laisser dire ce qui n'est pas. Par exemple, dans mon entourage
universitaire, à l'institut Charles V, au département d'anthropologie de
l'université Paris 7, existe un labo d'ethno-menuiserie pour que les
étudiants pratiquent les techniques des communautés dont ils prétendent
décrire les activités. Et ce, à la suite d'un deal entre un labo
d'ethnographie et la chambre des métiers de l'industrie du bois.
L'ethnométhodologie s'appuie avant tout sur une stratégie d'indifférence
basée sur le degré zéro de la connaissance -suspendre son jugement-, et
l'exigence de compétence unique. Je ne connais personne, et surtout pas
au dpt informatique de la fac de Paris 8 qui ne se soumette pas à cette
règle, surtout lors des soutenances de maîtrise, de DESS ou de DEA...Jusqu'à preuve du contraire, il n'y a aucune formation à GNU/Linux dans
les IUFM contrairement à Normale Sup.
> Si les enseignants doivent recevoir une formation à la recherche, (ce que je
> pense), il faut donner cette formation aux universitaires, c'est leur
> boulot, mais la formation professionnelle il faut la donner aux
> professionnels de la chose c'est à dire aux enseignants qui ont fait leurs
> preuves dans une classe et à qui on donne une formation de formateurs.
> Les très bons formateurs de formateurs comme Postic, à Nantes? Meirieu à
> Lyon (n'en déplaise à certains) par exemple étaient profs de fac, mais ils
> avaient auparavant été d'excellents enseignants du secondaire et ils n'ont
> jamais eu peur de prendre des élèves et de montrer comment on fait.Là, tu retombes dans ce que tu critiquais précédemment en séparant la
théorie de la pratique.
Toute recherche s'appuie elle-même sur des procédures identifiables de
description. Personnellement, je n'aurais rien contre le fait que les
formateurs de formateurs d'IUFM entreprennent un DESS
d'ethnométhodologie.
Coulon visait la direction de l'IUFM de Créteil. Il s'est heurté à la
résistance de pédagogues psyscho-rigides, du coup il a pris un poste au
ministère. Je trouve ça dommage pour les IUFM.
>
> Quelle est la différence entre un enseignant et un formateur de formateurs,
> c'est que l'enseignant enseigne, il n'a pas besoin d'expliquer sa pratique,
> il fait, ça lui suffit, surtout s'il fait bien.
> Le formateur de formateurs devrait être, en principe, un enseignant, comme
> son collègue, mais il est nécessairement obligé de théoriser sa pratique, il
> faut qu'il puisse nommer ce qu'il fait, d'ou le besoin de formation.Sauf que.. je revendique en tant que PEGC de techno, moi aussi, le droit
à théoriser pour enseigner convenablement. Dans une société de réseaux,
certaines hiérarchies sont devenues obsolètes et constituent un frein à
l'innovation. Je ne vais pas m'étendre dans cet article, sur mes
malheurs au collège. Je vis une sorte d'ethnocide permanent. Si je veux
pas crever, faut que je me résigne à demander une mise à disposition
dans une institution moins fascisante. J'attends la dernière minute
extrème pour le faire car j'ai pas envie de lacher le morceau.Donc, je ne partage pas du tout ta différence arbitraire entre...
J'estime que chacun doit pouvoir décrire, échanger, ce qu'il fait.
> Il y a
> quelques individus de ce type dans les IUFM mais ce n'est pas l'appartenance
> à l'université qui nous donnera nécessairement ce type de profil, sauf si on
> décide de former en visant un profil particulier comme en formation
> d'entreprise mais on n'en est pas là.Loin de moi cette idée là. Je crains justement l'inverse. Je trouve
malsain que la hiérarchie contrôle les formations. Je ne suis pas dans
la logique d'un type de profil, mais dans un raisonnement démocratique
fondé sur la séparation des pouvoirs.
>
> La pédagogie est une action , pas un discours sur l'action, et en cela je
> suis d'accord avec Vincent.
> Maintenant le recul par rapport à la pratique que donne la connaissance des
> théories aide à mieux enseigner.Là c'est le chat qui se mord la queue. Toute action pouvant être
décrite, racontable (en franglais : accountable) ; on est soit dans une
logique d'apprentissage par initiation, soit dans une transmission de
process. Séparer les deux me paraît hasardeux.
Amicalement Charlie
De :Alain Rieunier
Objet :Re: AARe: la pédagogie de la pédagogie.. :-))
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1999/05/28
Charlie
Difficile pour moi de te répondre, j'ai du mal a te suivre sur tout car je
n'ai pas tes références en ethnométhodologie, ni en psychanalyse, mais le
ton de tes mails me séduit dans l'ensemble, même si parfois je m'y perds, je
vais donc lire le "Que Sais-je ?" sur l'ethnométhologie.En te lisant, j'ai tout de même la sensation, (ce n'est pas une critique),
de retrouver parfois la décennie 60-70, Derrida, l'antipsychiatrie,
certaines manières d'écrire et de décortiquer la langue (co-ordonnier, corps
donnier), (le degré zéro du savoir ) tout cela me fait penser à Barthes et à
Lacan qui n'ont jamais été ma tasse de thé, mais c'est cette atmosphère
qu'il me semble retrouver dans certains de tes écrits, sémiologie,
structuralisme, internationale situationniste... nostalgie !...Je vais donc rester sur les choses que je connais.
"mettre l'enfant au coeur du dispositif éducatif". n'est rien d'autre (à mon
sens) que la reprise du "maître mot" de la pédagogie active du début du siècle :
Freinet, Claparède, Montessori, Dewey, etc. et je ne pense pas qu'il y ait derrière
cette formule autre chose que la volonté de se situer idéologiquement dans
cette filiation. Les capitalistes ne se réunissent pas toutes les lundi matin pour se
demander à quelle sauce ils mangeront le prolétaire, je pense que le système est
suffisamment puissant, sa logique suffisamment forte, pour qu'il n'ait pas
besoin de séides au niveau des ministres. J'ai du mal à voir des complots
partout et à imaginer Ségolène et Allègre en sous marins stipendiés par le
grand capital.Tu écris ailleurs :
>"Je suis donc sur le terrain. Ce qui m'autorise à revendiquer le droit pour
>chaque enseignant à la liberté d'entreprendre, d'innover, sans être
>constamment considéré comme un simple fonctionnaire interchangeable aux
>ordres d'une technostructure."
Tu as vraiment l'impression de ne pas être libre en tant qu'enseignant, on
doit voir un inspecteur 2 heures tous les 4 ou 5 ans et personne ne se
hasarde en dehors de lui à venir dans notre classe voir ce que nous faisons.
C'est ahurissant comme niveau de liberté. Supposons que tu deviennes
directeur d'une école privée, tu laisses autant de liberté aux enseignants
que tu recrutes ? moi pas, si je suis vraiment responsable de l'école.Tu écris aussi :
>Il me semble bien que l'apprentissage de la cordonnerie se fait dans la
>répétition des gestes accomplis et se transmet, pour partie, par
>imitation.Indiscutablement, il s'agit là d'un apprentissage psycho moteur, mais ce qui
est intéressant pour notre discussion c'est que l'apprentissage de
l'enseignement est un apprentissage social (apprendre à se conduire avec
ses semblables dans des situations sociales) et que les apprentissages sociaux s'apprennent
également par l'intermédiaire de la modélisation, on l'a beaucoup oublié
cela dans de nombreuses IUFM pourtant ça me paraît indiscutable.Personne ou presque (d'après ce que j'entends dire par les enseignants en
formation continue) ne montre comment on enseigne le même contenu en prenant
différentes classes de même niveau et en pratiquant une fois la pédagogie
traditionnelle, une fois la pédagogie de la maîtrise, une fois la pédagogie
différenciée et une autre fois la formation individualisée, pourtant, ce que
souhaitent tous les débutants en pédagogie, c'est voir les pédagogues
pratiquer la pédagogie pour extraire de l'action, les caractéristiques de
ces pédagogies, en démarche inductive bien entendu.
On pourra ultérieurement théoriser et faire lire tous les ouvrages que l'on
voudra mais il faut, à mon avis, débuter la formation des formateurs en
montrant.J'ai souvent pensé que le refus de montrer comment on fait signifiait que
celui qui était censé enseigner comment on enseigne ne voulait pas prendre
le risque de se discréditer en ratant la démonstration. Comment les
chirurgiens enseignent-ils la chirurgie ? en montrant, comme les
cordonniers, les plombiers, etc. pourquoi en irait-il autrement en pédagogie ?
Sur le plan éthique, je dois d'abord montrer que je suis capable d'enseigner
moi même si je suis formateur de formateurs, après on peut commencer à
discuter.>Les enseignants ne doivent pas seulement être formés à un certain nombre
>de techniques opératoires, néanmoins indispensables à l'exercice du
>métier,absolument indiscutable; il faut leur donner les moyens de critiquer les
techniques proposées mais il faut enseigner les techniques qui pemettent de
se sortir des difficultés.>ils doivent pouvoir jouir du droit de penser librement, hors de
>tout modèle établi. Ce que je crains, ce n'est pas la didactique du
>métier mais le discours-sur, c'est-à-dire la pédagogie, en guise de
>partie commande.
Bizarre ça, je n'ai jamais perçu la pédagogie comme une contrainte
quelconque sur mon action devant des élèves, la pédagogie du moins
comme je la perçois, est une aide et lorsque je vois Meirieu enseigner le concept
de "romantisme" à des élèves de seconde en demandant aux élèves : qui aime
la peinture ? qui préfère la musique ? qui aime la poésie ? etc. qu'il distribue
des poèmes, des tableaux, des bandes sonores, des textes, illustrant l'art classique et
l'art romantique, que chaque groupe part travailler dans son coin pour
caractériser les deux écoles, revient,
fait un compte rendu, et qu'avec la synthèse finale on parvient à construire
le concept de "romantisme", ça me donne des idées pour travailler
différemment dans ma classe.
Lorsque Oury à la suite de Freinet nous propose les conseils de coopérative
ou quelque chose du même genre, je me dis que c'est utilisable, surtout si
j'ai en face de moi des gens qui ont des problèmes avec la loi,
Lorsque Skinner me propose l'enseignement programmé linéaire et Crowder
l'enseignement programmé ramifié, je me dis parfait, voilà d'autres outils
intéressants (qu'ils soient behavioristes m'indiffère),
Lorsque Britt Mary Barth me décrit les idées de Bruner pour enseigner des
concepts et qu'elle illustre cette théorie de manière remarquable dans deux
de ses bouquins, je dis bravo, et j'utilise.
Lorsque Landa, Scandura, Gordon me proposent ... j'essaye, et si ça marche
j'achète.Personne n'a jamais écrit dans aucun bouquin de pédagogie, (du moins à ma
connaissance et j'en ai lus un certain nombre), qu'il était interdit
d'utiliser quelque technique que ce soit, le problème c'est que la majorité
des enseignants ne connaissent que quelques techniques parce qu'ils n'ont
jamais
été formés mais la liberté pédagogique est énorme en France, et la pédagogie
me paraît à l'évidence une aide et pas un carcan.
Il y a eu des chapelles, c'est indiscutable, il y aura toujours des
charlatans, mais ce n'est pas parce que celui qui parle de pédagogie Freinet
ne connaît rien à la pédagogie Freinet que la pédagogie Freinet est
mauvaise.
>Sauf que.. je revendique en tant que PEGC de techno, moi aussi, le droit
>à théoriser pour enseigner convenablement.Je suis tout à fait d'accord avec toi, il faudrait que tous les enseignants
soient capables de théoriser leurs pratiques, mais il faut bien reconnaître
que ce n'est pas le cas de la majorité.Enfin tu écris au sujet de la formation de formateurs :
>Toute action pouvant être
>décrite, racontable (en franglais : accountable) ; on est soit dans une
>logique d'apprentissage par initiation, soit dans une transmission de
>process. Séparer les deux me paraît hasardeux.Je pense que la formation des enseignants devrait être d'abord une formation
par compagnonnage, une formation par imitation de quelqu'un qui sait. Il
suffit de donner des mentors qui pratiquent des pédagogies très différentes
pour relativiser les pratiques, il faut donner à voir des modèles très
différents, car il ne faut pas oublier que les recherches récentes sur
l'efficacité des enseignants montrent que l'efficacité d'une méthode est
différente selon le type de public auquel on s'adresse il n'y a pas de
méthode d'enseignement idéale qui marcherait pour n'importe quel public,
celle qui marche pour les uns marche mal pour
les autres et inversement, d'où la nécessité de présenter de multiples
modèles et de les critiquer.
>Se pose ici la question du fondement épistémologique de la pédagogie. Il
>me semble bien dans nos universités françaises, existent quelques
>départements de sciences de l'éducation, mais aucun de pédagogie. Car si
>le métier d'enseignant tient à la fois de l'art-de, du savoir-faire, il
>ne peut s'exercer sur le pari hasardeux d'un modèle fondé sur de
>l'induction. On est bien obligé à un moment donné de se raccrocher aux
>branches de rationalités locales dénommées sciences. Ce qui nous ramène
>à la problématique de la didactique.
Alors, plusieurs choses ici.
Il n'y a pas, c'est vrai de département de pédagogie dans nos universités
françaises, parce que Debesse en 1967 je crois (je ne suis pas sûr
de la date), lorsqu'il a été question d'enseigner la pédagogie à
l'université a préféré le nouveau terme de sciences de l'éducation au vieux
terme de pédagogie, la commission qui travaillait sur le sujet a hésité
entre les deux appellations, et s'est prononcé je ne sais plus pourquoi pour
sciences de l'éducation, (terme moins connoté à l'époque sans doute).Didactique et pédagogie.
Là c'est un peu plus compliqué. On s'est aperçu au début des années 80 que
les étudiants de 3° année de physique faisaient
des erreurs graves sur des concepts qu'ils auraient dû maîtriser depuis le
baccalauréat (poids et masse par exemple). On a alors testé les étudiants de
toutes les disciplines et on
s'est rendu compte que c'était vrai dans toutes les disciplines. 40% des
français estiment que l'affirmation : "le soleil tourne autour de la terre"
est vraie, et parmi ces 40% il y a pas mal de titulaires du baccalauréat. Le
désastre est tel que tout le monde s'est affolé et que l'on a conclu que si
des spécialistes (étudiants de 3° année) se trompaient aussi lourdement
c'est que l'on devait fort mal s'y prendre pour enseigner les concepts qui
avaient été testés et qui étaient les concepts de base de la discipline.
On a tous appris à l'école le transit de la nourriture dans le corps humain
entre l'ingestion des aliments et l'excrétion solide et liquide, lorsque
l'on demande à des enseignants (qui ont tout de même un bon niveau d'études)
de dessiner le schéma de l'appareil digestif, les erreurs monumentales sont
légion.
Il s'avère que les représentations spontanées que se font les enfants de ce
type de fonction sont suffisamment fortes pour résister à toute tentative
d'enseignement sauf pour ceux qui deviendront des spécialistes de la chose.
L'individu en apprentissage reproduit en partie l'histoire des sciences et
les obstacles épistémologiques qui ont jalonné l'histoire de la science
semblent se retrouver dans l'apprentissage individuel.
Les universitaires se sont alors lancé sur la piste de recherche que
constituait la
didactique et tentent d'identifier quelles sont les résistances qu'il faut
combattre et comment il faudrait enseigner les concepts de base d'une
discipline donnée, pour qu'ils ne soient plus confondus ou pris l'un pour
l'autre.
Le didacticien a tout son temps pour travailler, des chercheurs d'un l'IREM
(institut de recherche mathématiques) de l'ouest de la France travaillent
sur le concept de proportionnalité depuis 20 ans.
Le pédagogue par contre, comme je le disais récemment vise à provoquer des
apprentissages, dans la classe, alors qu'aucune variable n'est bloquée, ce
qui rend la situation très aléatoire, faire de la pédagogie c'est agir dans
l'urgence et décider dans l'incertitude comme le dit Perrenoud, on n'est ni
dans le registre des sciences de l'éducation, ni dans le registre de la
didactique. On utilise les résultats obtenus par les chercheurs de ces deux
disciplines mais on doit faire avec des élèves qui n'ont pas tous le niveau
requis, pas le même degré de motivation, avec l'architecture de
l'établissement, tu en sais quelque chose, avec une direction qui est ce
qu'elle est, pas toujours performante vu le mode de recrutementn, et avec
toutes les autres contraintes.
Les travaux des didacticiens et des chercheurs en sciences de l'éducation
sont utiles au pédagogue (tous les enseignants sont pédagogues, c'est leur
métier), ils lui donnent des pistes pour agir, mais la
pédagogie est et restera pour longtemps encore, sinon pour toujours du
bricolage, il ne peut pas en être autrement vu le nombre de variables que
l'on doit maîtriser pour enseigner.
Alors sur quoi appuyer la pédagogie ? sur des constats empiriques donc
inductifs, je ne vois pas d'alternative.Alors il reste la compétence de l'expert (celui qui a rencontré et résolu
avec un succès raisonnable des dizaines de milliers de situations) opposée à
celle du novice, c'est par cet intermédiaire (le compagnonnage de l'expert)
que l'on pourra à mon sens former au mieux le novice.
Tout ça c'est ce que je crois, (ma vérité, pas la vérité) avec 25 ans de
recul et de réflexion sur la formation de
formateurs.Amicalement
Alain
P.S. Je pense qu'il faut revenir au débat décrit dans un tes mails :
>l'hypothèse neuronale est-elle un modèle
>d'apprentissage ? Lorsqu'on parle d'un réseau de neurones en
>informatique, de quoi parle-t-on ?
>S'agit-il des mêmes pratiques ?ça me paraît plus intéressant pour tout le monde.
De :charlie nestel
Objet :Re: AARe: la pédagogie de la pédagogie.. :-))
Groupes de discussion :fr.education.divers
Date :1999/05/30
Alain Rieunier wrote:
>
> Charlie
>
> Difficile pour moi de te répondre, j'ai du mal a te suivre sur tout car je
> n'ai pas tes références en ethnométhodologie, ni en psychanalyse, mais le
> ton de tes mails me séduit dans l'ensemble, même si parfois je m'y perds, je
> vais donc lire le "Que Sais-je ?" sur l'ethnométhologie.N'exagérons pas mes références en psychanalyse. Du point de vue
ethnométhodologique -j'en profite à chaque fois pour donner des
exemples, puisque tu me le permets- seul celui qui a pratiqué une
analyse peut réellement décrire ses processus d'accomplissement. Ce qui
n'est pas du tout en contradiction avec ce qu'énonce la psychanalyse,
elle-même, qui exige de l'avoir pratiquée avant de l'exercer.Psychanalyse et ethnométhodologie ne recouvrent pas les mêmes champs.
L'ethnométhodologie n'a aucune finalité thérapeutique, elle se limite à
des descriptions locales et ne s'intéresse qu'à l'action sociale telle
qu'elle est mise en oeuvre, à chaque instant, par ses membres. Pour ce
faire, elle utilise un certain nombre de concepts combinatoires qui
s'apparentent à une axiomatique. Rien n'interdisant de prendre comme
tribu de référence les psychanalystes, les formateurs de formateurs ou
les cordonniers.Si l'interprétation freudienne des rêves est basée sur la métonomymie,
la condensation et le déplacement ; une étude éthnométhodologique de la
psychanalyse devra utiliser les catégories propres à la psychanalyse en
en donnant les définitions locales.
Cela dit, psychanalyse et ethnométhodologie ont des points communs : les
concepts ne sont pas universels mais réinterprétés, réinventés, par les
gens. Je suppose que "complexe d'oedipe" n'a pas le même pouvoir
d'évocation que "complexe nucléaire". Freud, en se référant à la
mythologie grecque, pour décrire un certain nombre de contextes, a
permis l'émergence de nouvelles disciplines thérapeutiques comme
l'ethnopsychiatrie de Tobbie Nathan qui semble s'attacher aux catégories
propres aux différentes cultures locales ; d'où certains cours et
séminaires communs qui permettent à des psychologues de côtoyer des
ethnologues, des informaticiens(nes), des pédagogues, des
mathématiciens(ciennes), des cordonniers(ères) ethnométhodologues...En ce sens, l'ethnomathodologie n'est pas une discipline mais une
interdiscipline qui s'interdit la position de l'observateur universel.Certains concepts (axiomes) ont des relations de cousinage avec
certaines disciplines issues des sciences de l'éducation. Par exemple,
les membres du courant de l'analyse institutionnelle proches de la
sociologie qualitative, utilisent la notion "d'observateur-participant".
L'observateur-participant est à la fois membre de la situation qu'il
décrit et, en même temps par sa description, en situation de
distanciation ; l'ethnométhodologie utilisera d'autres concepts tels que
: "exigence de comptétence unique" et "stratégie d'indifférence".Ce qui les distinguera, en définitive, c'est leur affiliation ou pas à
la sociologie.
L'ethnométhodologie considérant que chacun d'entre nous étant, à l'état
pratique, un sociologue profane, un cordonnier sera plus à même de
décrire ses procédures d'accomplissement qu'un sociologue/ethnographe
décrivant la tribu des cordonniers.Pour les sociologues professionnels, l'ethnométhodologie sera donc
considérée comme une branche de la sociologie qualitative, tandis que
certains ethnométhodologues, à l'inverse, se considéreront comme des
sociologues profanes développant une technologie alternative.C'est la raison pour laquelle des membres du courant de l'informatique
linguistique localiste, proches de l'ethnméthodologie, qui enseignent à
Orsay dans le DEA de sciences cognitives, s'intéresseront davantage aux
représentations des connaissances et à la modélisation des raisonnements
qu'aux catégories sociologiques, contrairement aux membres des sciences
de l'éducation qui se réfèrent à l'ethnométhodologie.Je ne sais pas si je suis bien clair... ?
Du point de vue ethnométhodologique, un formateur de formateurs sera
considéré comme plus à même de rendre compte de ses procédures locales
de formation qu'un discours sociologique sur les formations qui, par
réflexivité (concept dans lequel se reconnaît également Bourdieu),
pourrait refléter des procédures de sens commun , propres à la
sociologie. C'est la raison pour laquelle je disais que lorsque tu
décrivais ton activité, tu faisais de l'ethnométhodologie. Si ce que tu
appelles "pédagogie" c'est de "l'action", une étude ethnométhodologique
portant sur la pédagogie tentera de décrire comment s'opère cette
pratique, dans un contexte circonscrit.A Paris 8, beaucoup d'informaticiens suivent un cursus en
ethnométhodologie, l'acte de programmer s'apparentant à la description
d'un certain nombre de procédures. L'informatique est un domaine où
l'objet c'est du traitrement -donc de l'action- et où en même temps,
l'écriture précède l'action. C'est la raison pour laquelle, au sein
d'une communauté, les informaticiens sont instanément capables de
reconnaître l'auteur d'un code source, sans même lire la signature. Tout
étudiant sait que s'il s'attribue des bouts de codes sans citer sa
source, il court le risque de se faire bouler le jour de sa soutenance.
C'est l'une des raisons pour laquelle l'informatique suscite un tel
intérêt dans les sciences cognitives. Elle permet de valider/invalider
un raisonnement. Il me semble que l'ethnométhologie est une passerelle
entre les disciplines qui se dote de précautions afin d'éviter le piège
du raisonnement par induction.
PS : compte tenu de la complexité de la conversation, je préfère
répondre point par point, en prenant mon temps. Je suis tributaire d'un
système distribué asynchrone.Amicalement Charlie