Conversation entre K-PAX et STARMAN

 



K-PAX : Je vois que tu n'arrives pas à communiquer sereinement avec les humains.

STARMAN : Je ne comprends pas ce qui les empêche de franchir ce seuil ? Que peut-on encore faire pour les dépêtrer ?

K-PAX : Tu essayes de stimuler des états émotionnels humains selon des représentations que tu maîtrises. Tu ne peux pas réussir ainsi.

STARMAN : Je ne sais pas vraiment comment m'y prendre. Ils ne me comprennent pas et je n'arrive plus à me faire comprendre. Ils n'arrêtent pas de se questionner sur la réalité de mon existence sans prendre en compte les éléments que j'essaye de transmettre.

K-PAX : Sur quel point en particulier ?

STARMAN: Si j'avance vers eux pour transmettre quelque chose de totalement nouveau, ils reculent et se détournent car ils ne reconnaissent ni l'objet, ni le vecteur. Ils portent alors assez peu d'intérêt à ce que j'ai à donner quel qu'en soit la nature. Si je transforme cela en objet de curiosité, ils ne prennent pas la peine de réagir selon des critères rationnels et se laissent submerger par les émotions. Lorsque je le transforme pour animer la critique et le doute, c'est l'effet inverse, avec les sarcasmes, les affronts et les provocations.

K-PAX : Que croyait tu qu'il se passerait ?

STARMAN : Je pensais naïvement qu'ils finiraient par s'adapter et agir de manière sereine et non compulsive. J'ai l'impression de déconstruire et de tout recommencer quand j'essaye d'établir un dialogue de longue durée.

K-PAX : Avec les humains, il faut toujours remettre à plat les transferts de connaissances quand tu les impliques avec différents états de conscience. Ce n'est pas l'information qui prime mais l'environnement dans lequel cette information apparaîtra. C'est pour cela qu'il faut envelopper cette information pour qu'elle leur apparaisse au fur et à mesure des progressions individuelles. Tu n'obtiendras pas nécessairement un résultat univoque.

STARMAN : C'est laborieux comme procédé de communication. Je ne vais quand même pas adapter la forme et le fond selon les particularités personnelles et les types d'acquisition qu'ils pourront supporter. Cela revient à traiter au plus bas niveau et construire une segmentation de l'information pour une transmission sélective avec la propagation d'un gradient.

K-PAX : Ce n'est pas comme si tu avais le choix, avec les humains le temps de l'apprentissage est indépendant de ta volonté. Il faut savoir s'adapter aux circonstances, et génération après génération tu intègres les données à l'intérieur de connaissances qu'ils pourront manipuler à loisir. Tu peux imaginer cela comme un jeu de patience avec une stratification des apprentissages, ce qui les distinguera sera l'effort pour assimiler cela et travailler ensemble.

STARMAN : Je n'y vois que des instruments que l'on dissémine en espérant qu'ils les utiliseront à bon escient. De quoi me faire perdre patience. J'ai l'habitude d'agir directement sur les profondeurs psychiques et d'observer les transformations somatiques. Avec ta méthode ce serait plus prévenant, avec des procédés primaires afin qu'ils apprennent les connaissances associées à de nouvelles perceptions et qu'ils parviennent naturellement à d'autres niveaux de conscience.

K-PAX : Exactement, il faut faire cela en utilisant toute la gamme des interactions, tout ce qui peut agir sur les aptitudes sensorielles jusqu'à l'établissement d'une connexion spécifique. Ce que tu diffuseras restera accessible et ne sera pas imposé. C'est la construction d'une grammaire adaptée à l'échantillon de population, en les faisant travailler par seuil d'apprentissage on peut espérer les synchroniser pour des modes de communication plus pertinents.

STARMAN : Dans ce cas je m'en remets à ton savoir-faire d'animateur parce qu'en ce moment je rencontre des difficultés. Il y a un fossé entre ce que j'essaye de faire et ce que ces humains comprennent.

K-PAX : C'est naturel, tu brusques les événements, tu provoques des mécanismes de protection. Tu te rapproches sans égards, et tu t'étonnes de voir des humains paralysés par la peur, dans un état de confusion, avec des réflexes de survie et l'apparition d'archétypes pour empêcher un contact de plus prés. N'espère aucune acceptation dans ces conditions, tu pourras espérer quelques exceptions avec des individus ayant des capacités extraordinaires et une sensibilité hors du commun. A moins de faire ce type de sélection sur les particularités, tes projets risquent d'être contrariés par le constat de la fragile condition humaine.

STARMAN : Je n'exclus pas la possibilité de faire de l'expérimentation mais j'ai quelques difficultés pour augmenter mon échantillon et interagir sur les différentes populations en conservant les mêmes objectifs.

K-PAX : Il y a des paliers à franchir lorsque tu élargis ton échantillon. Il faut revoir ta stratégie même si tu varies faiblement la puissance de tes interventions. De toutes les façons, il ne faut pas s'attendre à mieux connaissant l'espèce humaine et son stade d'évolution précoce. Te voilà contraint de faire du babillage.

STARMAN : Dans ce cas, explique-moi comment tu parviens à te faire comprendre ?

K-PAX : Mon stade évolutif est proche du leur. Je masque les singularités de mon existence, et par mimétisme j'utilise leur manière d'être pour communiquer dans leur langage. Par contre pour toi ce sera plus délicat, l'écart est considérable, tu restes hors de portée de ce qu'ils peuvent concevoir, ils ne pourront jamais se représenter ce que peut être ta réalité. Difficile pour eux de l'imaginer à moins de leur apprendre à quoi ils peuvent avoir affaire.

STARMAN : Je ne suis pas doué pour m'occuper de bébés et animer des jeux éducatifs et d'éveils.

K-PAX : C'est pourtant comme cela que tu arriveras à te faire accepter comme une entité reconnaissable selon les sensibilités et les stéréotypes que tu sélectionneras. Cela ne veut pas dire qu'ils te comprendront, mais ils reconnaîtront quelque chose de familier même si cela diffère de la réalité. Ce sera déjà un point de départ pour faire avancer les choses.

STARMAN : Lors de tes rencontres, comment te perçoivent-ils ?

K-PAX : Pour eux j'apparais sans contrainte, de manière amicale ou insignifiante. Ce qui me comble car je passe inaperçu, avec toutefois une perception atypique qui varie selon les modalités d'interactions et la qualité des rencontres, mais c'est sans importance tant qu'ils me reconnaissent comme l'un des leurs, je peux atténuer chez eux ce qui pourrait les perturber.

STARMAN : Tu ne trouves pas tout cela ennuyeux ?

K-PAX : Pas vraiment, c'est à chaque fois diffèrent et parfois amusant lorsque l'on traite de préoccupations fondamentales comme l'incapacité à trouver des solutions pour résoudre des problèmes qui semblent insolubles. On retrouve souvent les mêmes affects, cette incertitude sur le devenir de leur propre espèce, l'écrasante fatalité de leur fragile existence dans un univers qu'ils n'arrivent pas à comprendre, le lot permanent des contradictions qui font s'agiter chez eux les croyances et les doutes, avec cette foi en l'existence d'autre chose qui les dépasse et la peur de surmonter tout cela.

STARMAN : Est-ce que tu es satisfait de ton approche ?

K-PAX : J'obtiens de bons résultats pour qu'ils dépassent les limites de la raison et remettent en question ce qu'ils pensent d'eux-mêmes. Ce qui induit une nouvelle prise de conscience sur ce qu'ils peuvent être et sur ce qu'ils ne connaissent pas encore.

STARMAN : J'imagine que tu utilises une méthode qui a fait ses preuves pour ne pas détruire ce que tu observes.

K-PAX : Il y a des protocoles qui ont prouvé leur efficacité. Dans les turpitudes de leur brève existence, génération après génération, nous retrouvons des échantillons de population assez semblables. Nous retrouvons des comportements déviants, des crises de confiance, des tentatives pour freiner nos intrusions et contrôler l'information que nous pourrions disséminer. On voit plus rarement des individus qui contrôlent leurs émotions pour établir durablement une communication avec nous.

STARMAN : Il n'y a rien d'amusant à perdre son temps avec des comportements insensés. Tu prends des sentiers tortueux pour cibler des individus, et par tes interventions nébuleuses, tu orientes les schémas de pensées vers un seuil d'acceptabilité pour amorcer d'autres choses. Tant d'artifices pour t'adapter au milieu que tu observes, je n'aurais jamais la patience de faire à ta manière. Il doit bien exister d'autres moyens pour obtenir des résultats, et que fait tu avec les comportements déviants ?

K-PAX : On peut avoir des cas d'école, avec ceux qui jouent la confusion et créent le désordre, avec ceux qui veulent convaincre sur la base de faux semblants pour imposer une vision qui les arrange alors qu'ils sont dans un champ d'expérimentation qui les dépasse, avec ceux qui contrarient nos interventions pour maintenir des idéologies néfastes et des raisonnements sans fondements. On peut aussi s'amuser avec les humains qui se font passer pour nous alors que l'on essaye de se dissimuler dans la normalité. L'imitateur peut se rendre compte qu'il y a un paradoxe à interagir avec ceux qu'il prétend être, dans une perspective inversée des rôles de chacun, il ne peut pas révéler sa propre imposture tout en essayant de prouver ce que nous dissimulons sur nous-mêmes, car il doit faire face à la probabilité de l'ingérence d'une chose qu'il cherche à singer.

STARMAN : Ce sont là des enfantillages.

K-PAX : Je n'ai jamais dit le contraire, il faut parfois passer par ce genre de situations délirantes. Gérer les conflits c'est aussi un moyen de les comprendre et de se faire comprendre. Il y a bien d'autres façons de faire, par délégation de pouvoir, par la supervision de groupes expéditionnaires, par le recrutement de talents locaux, par le découplage des systèmes d'interaction et d'information pour maintenir une zone tampon avec le milieu observé. On peut combiner des approches conventionnelles avec d'autres procédés métapsychiques, ce qui nous donne des possibilités d'action plus étendues.

STARMAN : Passons ce type de cas. Que me proposes-tu comme approche ?

K-PAX : Si tu ne peux pas faire de babillage, tu pourrais essayer de te comporter comme un enfant.

STARMAN : Je n'ai pas le tempérament pour cela, autant le demander à nos scolaires qui pourront le faire mieux que moi.

K-PAX : On pourrait proposer ce genre de problèmes à résoudre à nos jeunes. Je suppose que leur tendance à jouer, ainsi que leur propension à supporter les aberrations sous des formes ludiques, sont plus importantes comparativement à un adulte comme toi.

STARMAN : En effet, je n'écarte pas cette possibilité d'un voyage scolaire avec des classes découvertes.

K-PAX : Ce n'est pas aussi simple à faire, les humains ne sont pas aussi réceptifs, l'incompréhension réciproque demeure une caractéristique de leur espèce. Il ne faut pas oublier toute cette part d'irrationalité chez eux qui perturbent les explorateurs en mission.

STARMAN : Tout cela est bien regrettable, mais je ne vois pas où tu veux en venir.

K-PAX : Tu peux faire toi-même cette expérience, essaye donc de communiquer avec des groupes d'humains qui idolâtrent ce qui vient d'un autre monde, et tu verras germer des esprits, cette explosion de rivalités et de méchancetés. Et si tu parviens à communiquer sur une base rationnelle, tu verras aussitôt les émotions et les passions incontrôlables prendre le pas, et cela dans un seul but, parvenir à prouver qu’ils sont capables de retenir ton attention ou de rivaliser avec toi. Quoi que tu dises ils te feront perdre patience.

STARMAN : Est-ce une maladie mentale qui émerge d'un contact prolongé avec nous ? Peut être que ton échantillon de population n'a pas été convenablement préparé à nos interventions.

K-PAX : C'est un constat prévisible lorsque que les humains perçoivent la manifestation d'une intelligence qu’ils ne peuvent pas reconnaître ou circonscrire. Dans le contexte d'une rencontre interplanétaire, il y aura toujours des individus pour proclamer qu'ils sont ouverts au dialogue avec l'inconnu ou avec ce qui vient d'ailleurs, mais selon des normes, des exigences et des conventions qu'ils nous imposent de respecter. Lorsque les humains se mettent à penser à notre place et à imaginer ce que l'on est capable de faire, cela devient catastrophique et d'une profonde absurdité. Bien que ce soit une impossibilité pour eux, ils s'imaginent être capables de se mettre à notre place. Entre leur imagination et la réalité, il y a des abysses d'ignorances. Dans ces conditions il est logique de ne pas obtempérer. Une zone d'échange que nous ne pouvons, ni surveiller ni contrôler, devient un terrain conflictuel avec inévitablement des dommages collatéraux sur le milieu étudié.

STARMAN : Je parviens pourtant à établir des échanges lorsque je sélectionne des individus, et ce malgré l'écart considérable qui nous sépare. J'utilise une grammaire informelle pour faire passer des notions élémentaires qui constitueront ensuite la base d'un langage partagé.

K-PAX : Pour la communication et l'échange individuel tout reste possible, mais au sein d'une collectivité c'est plus délicat. On peut même dire qu'il s'agit d'un problème de plus bas niveau, où la communication ne serait possible que si on arrivait à négocier avec tous les particularismes et les contradictions individuelles, pour faire émerger un échange neutre et sans conséquence.

STARMAN : Un échange de bas niveau qui serait neutre, à quoi cela pourrait ressembler ?

K-PAX : Une interaction qui serait perçue comme rationnelle localement et irrationnelle en globalité pour atteindre une frange étroite de la population qui y verrait un intérêt à interagir avec nous sans que cela ne heurte des principes fondateurs de leur civilisation. Dans une zone d'intervention de plus en plus réduite, pour faire un criblage malgré l'entropie générée lors des tentatives d'approches.

STARMAN : Tant d'efforts de communication pour des résultats incertains. Là je comprends mieux pourquoi il ne faut pas avoir peur de perdre son temps et aimer jouer à toutes sortes de jeux interactifs.

K-PAX : Il faut garder à l'esprit que nous avons des individualités très hétérogènes, avec des potentialités limitées par des comportements collectifs chaotiques qui émergent constamment. Crises après crises, cela devient facile à observer et à prévoir, mais on a toutes les difficultés à mettre en œuvre chez eux les processus mentaux qui les sortiront du marasme, cette compréhension interne des défaillances inéluctables de leur propre collectif. Tout cela constitue un champ d'étude qui en vaut la peine.

STARMAN : Je préfère réduire mes interactions que de me perdre avec des groupes disparates. Je n'ai pas ta patience, c'est peut-être pour cela que je n'obtiens rien d'intéressant lorsque la population est trop nombreuse.

K-PAX : Cette difficulté n'épargne pas les contacts avec les sociétés savantes et les communautés scientifiques, où se déroule en permanence des luttes de pouvoirs et des conflits violents. Je sais que c'est une calamité sans nom, on peut dire que ce n'est pas leur intelligence qui va les sauver. Les chercheurs pour la plupart suivent les conventions qui leur sont imposées par les institutions qui organisent leur travail. Ils adoptent des comportements orthodoxes et redoutent tout ce qui pourrait remettre en question leur carrière et leur réputation. Il est alors difficile de les faire participer à des révolutions intellectuelles qui bouleverseraient profondément leur mode de vie. C'est une des conséquences de l'organisation aberrante des sciences et d'un savoir cloisonné par discipline. Ce n'est pas l'absence de curiosité qui freine les chercheurs mais la spécialisation et la rivalité qui les aveuglent et les étouffent.

STARMAN : Autant mettre en œuvre des systèmes interactionnels évolutifs pour sélectionner les personnalités intéressantes et préparer un contact préliminaire.

K-PAX : Nos scolaires pourraient faire cela sans problème. Aucun humain ne voudra croire à une telle possibilité, ce serait pour eux une déception de se voir rabaisser en matériel de formation pédagogique à destination d'enfants d'autres mondes habités. Ils seraient capables de se vexer et de nous contrarier pour revenir vers quelque chose de plus acceptable pour eux.

STARMAN : Je te laisse avec cette cours de récréation pour enfants turbulents. Dans le cadre d'une visite découverte, tu animeras des ateliers sur la condition humaine en mettant en œuvre ta propre didactique. A ce propos, tu peux également inviter les autres groupes expéditionnaires.