Un extraterrestre, en mission d'exploration sur la planète Terre, paru particulièrement déconcerté devant l'aptitude des terriens à oblitérer des problématiques qui concernent leur avenir collectif, et à se concentrer sur des futilités et des divertissements stériles. Sa perplexité fut d'autant plus grande lorsqu'il découvrit que les terriens étaient la plupart du temps devant des écrans de toutes tailles pour participer à des loisirs non constructifs et des interactions peu enrichissantes, au lieu de s'investir dans les domaines qui touchaient les champs économiques, sociétaux et politiques qui avaient besoin d'être reformés. Il s'aperçu assez rapidement que l'absence de curiosité et la résignation frappaient la majorité de la population, ce qui rendait hypothétique la participation de cette même majorité à la résolution des défis cruciaux et impérieux de l'humanité.
Cet explorateur avait du mal à croire qu'il y avait autant d'individus rendus apathiques, pourtant sollicités en permanence par des divertissements sans grands intérêts, et par toutes sortes de distractions qui remplissaient un espace culturel de plus en plus appauvri. Il était surpris par l'existence de telles incohérences dans un monde avide d'informations et d'échanges, un monde qui accélérait son développement des technologies numériques et d'interconnexion des réseaux informatiques. Il reconnut avec amertume que ce qu'il croyait être une civilisation proche d'un contact avec d'autres mondes extraterrestres, n'était en fait qu'un champ de bataille et de clivages entre des possédants et des dépossédés.
Loin du développement technologique et culturel qu'il envisageait pour la planète Terre, il constata la perpétuation des rivalités destructrices de nations concurrentes, ainsi que la lutte acharnée pour l'hégémonie que se livraient entre elles des puissances continentales. Il réprouvait le culte de la guerre ainsi que la rapacité des minorités détentrices des leviers économiques et militaires. Il assistait à ce triste spectacle de la loi du plus fort, cette mise en scène théâtrale des justifications de la guerre sous toutes ces formes, où des acteurs agitaient le sceptre du pouvoir et revendiquaient dans le même temps des bons principes pour se maintenir en place et étendre par tous les moyens leur position sur l'échiquier mondial. Il lui a été difficile de comprendre l'ironie de ce jeux de dupe, si tous se réclamaient de la modernité, du progrès scientifique, de la démocratie, de principes humanitaires, pour justifier des actes odieux et des crimes, comment pouvait-on encore avoir confiance au genre humain ?
Il se demandait sans cesse s'il atteindrait un jour la limite de son propre effarement, car il ne cessait de s'étonner devant cette prouesse des terriens à faire coexister les erreurs radicales persistantes avec la multitude de plans de résolution, de promesses d'amélioration et de projets inachevés. Les nouvelles idées, si elles étaient constructives avaient systématiquement du mal à émerger. Quant aux solutions efficaces et autres avancées révolutionnaires, elles étaient souvent repoussées, sinon mises délibérément en gestation pour une durée indéterminée surtout si elles étaient non conventionnelles ou plus pathétique lorsqu'elles contrevenaient aux intérêts stratégiques des puissants.
Ce n'est pas sans une pointe d'amertume qu'il analysa l'absurdité d'une gabegie sans limite érigée en modèle socioéconomique, avec des incohérences intrinsèques si nombreuses qu'il s'attarda longuement sur les paradoxes des procédés de régulation des crises financières et l'impuissance des terriens à réformer en profondeur un système défaillant. Et plus encore qu'il ne pouvait en supporter, le projet d'une gouvernance mondiale, cette solution miracle mise en avant à grand renfort de propagande, mais qui n'était qu'un paravent de plus pour des politiques totalitaires et d'agressions.
A contre cœur, il renonça à son projet initial de recherche pour étudier l'involution, sous les apparences de la modernité, des différentes cultures et civilisations de la Terre. Il observa avec attention l'organisation du contrôle politique des masses, le chaos planifié avec les outils de préservation et d'expansion des privilèges des oligarchies, le fonctionnement anachronique des différents centres de décisions et de concentration des pouvoirs.
C'était pour lui un terrain d'étude contrasté et complexe. Il se demandait sans cesse, pourquoi les terriens dans leur grande majorité étaient si dociles, comme anesthésiés ou somnolant, pris dans un sommeil sans rêves, peu enclin à participer aux changement de société, préférant céder le pas devant des représentations surestimées de l'autorité même si elles étaient incarnées par des institutions décadentes qui n'exprimaient que la force et la répression comme mode de gouvernance .
Il voulait comprendre les mécanismes de la servitude volontaire de ces terriens qui subissaient des agressions continuelles et qui dans la plus grande des résignations, s'inclinaient docilement sous les coups reçus plutôt que de rechercher les éléments de leur libération des processus adverses et aliénants. Il comprenait que les populations terrestres étaient composées d'individus empêtrés dans les affres de la survie, mais qui malgré tout aspiraient au bonheur dans un monde enclavé et déréglé, où le chaos organisé était en plein essor.
Ces injustices et immoralités de notre planète, inquiétantes pour un extraterrestre en exploration dans un monde inconnu, étaient si familières pour le terrien qu'elles finissaient par être la composante principale d'une normalité effrayante. Cet explorateur observait une planète où l'organisation de la gouvernance se faisait par la concentration des pouvoirs dans une représentation fortement hiérarchique et de type pyramidale. Une constante qui se reproduisait partout, une minorité détentrice des leviers de puissance et non représentative des intérêts de la majorité.
Le rapport de force entre la masse de gens endormis et la minorité au pouvoir, bien que défavorable, était pourtant acquise dans un astucieux tour de force. C'était toute l'intelligence d'un système de contrôle qui s'auto-perpétuait, avec la création continuelle de nouvelles tyrannies politiques, d'exploitations économiques et d'abêtissement des masses. Les justifications de cette absurdité systémique étaient nombreuses tant qu'il fallait préserver les intérêts particuliers et maintenir intacte la structure sociale.
Un monde où les apparences sont plus importantes que la réalité. Une planète où l'on peut passer, au grès des jeux économiques et géopolitiques, selon la vitesse de propagation du chaos, selon la position géographique, la sphère d'influence vis à vis des puissantes nations, pour tour après tour et dans un jeu sans fin, basculer de la démocratie à la propagande ou de la violence à la dictature.
Toutes les instances du pouvoir avaient un rôle à jouer pour sauvegarder les apparences, pour juguler l'attrait des reformes radicales qui prônaient une application des droits et conventions dont le but étaient de réduire les injustices. Une lutte désespérée était en cours pour limiter les dérèglements d'un monde laissé aux mains de prédateurs, un combat constant pour la réappropriation d'un destin commun et pour rééquilibrer le rapport de force entre l'intérêt privé qui était prépondérant sur l'intérêt collectif.
Dans ces rapports de forces, tout le monde pouvait voir les efforts insensés des différentes multinationales ou oligarchies détentrices des pouvoirs financiers et économiques, et qui investissaient massivement pour l'effondrement de la morale, de la justice et de la raison. Ce qui leur importait, c'était la réduction des potentialités de dissémination d'une réflexion critique approfondie qui risquait de se propager, ils faisaient en sorte de freiner les idéologies de libération ou d'empêcher l'application de politiques censées améliorer le sort collectif au détriment des intérêts particuliers.
C'est ainsi que cet explorateur extraterrestre refusa de prendre sa place dans ces jeux du cirque. Il est venu, a vu le désordre, et il est reparti rendre compte de cette infamie qui rongeait l'humanité.