Jeux de mains, jeux de vilains

« Les chamailleries se terminent souvent par des coups. Ce proverbe est surtout utilisé à l’encontre des enfants. »


Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne, de Friedrich Nietzsche

Première Partie, prologue de Zarathoustra, chapitre V (Traduction par Henri Albert)

Quand Zarathoustra eut dit ces mots, il considéra de nouveau le peuple et se tut, puis il dit à son cœur : « Les voilà qui se mettent à rire ; ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.

Faut-il d’abord leur briser les oreilles, afin qu’ils apprennent à entendre avec les yeux ? Faut-il faire du tapage comme les cymbales et les prédicateurs de carême ? Ou n’ont-ils foi que dans les bègues ?

Ils ont quelque chose dont ils sont fiers. Comment nomment-ils donc ce dont ils sont fiers ? Ils le nomment civilisation, c’est ce qui les distingue des chevriers.

C’est pourquoi ils n’aiment pas, quand on parle d’eux, entendre le mot de « mépris ». Je parlerai donc à leur fierté.

Je vais donc leur parler de ce qu’il y a de plus méprisable : je veux dire le dernier homme. »

Et ainsi Zarathoustra se mit à parler au peuple :

Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.

Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.

Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !

Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.

Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.

Voici ! Je vous montre le dernier homme.

« Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ? » — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil.

La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.

« Nous avons inventé le bonheur, » — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.

Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.

Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !

Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.

On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.

On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.

Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.

« Autrefois tout le monde était fou, » — disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.

On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt — car on ne veut pas se gâter l’estomac.

On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.

« Nous avons inventé le bonheur, » — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil. —

Ici finit le premier discours de Zarathoustra, celui que l’on appelle aussi « le prologue » : car en cet endroit il fut interrompu par les cris et la joie de la foule. « Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, — s’écriaient-ils — rends-nous semblables à ces derniers hommes ! Nous te tiendrons quitte du Surhumain ! » Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue. Zarathoustra cependant devint triste et dit à son cœur :

« Ils ne me comprennent pas : je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.

Trop longtemps sans doute j’ai vécu dans les montagnes, j’ai trop écouté les ruisseaux et les arbres : je leur parle maintenant comme à des chevriers.

Placide est mon âme et lumineuse comme la montagne au matin. Mais ils me tiennent pour un cœur froid et pour un bouffon aux railleries sinistres.

Et les voilà qui me regardent et qui rient : et tandis qu’ils rient ils me haïssent encore. Il y a de la glace dans leur rire. »


Ce n'est pas la fin, faites votre choix entre les différentes portes


‘Diálogos del conocimiento’ de Vicente Aleixandre. La potencia de la palabra poética.

 

MUERTE Y RECONOCIMIENTO, Vicente Aleixandre

La soledad, en que hemos abierto los ojos.
La soledad en que una mañana nos hemos despertado, caídos,
derribados de alguna parte, casi no pudiendo reconocernos.
Como un cuerpo que ha rodado por un terraplén
y, revuelto con la tierra súbita, se levanta y casi no puede reconocerse.
Y se mira y se sacude y ve alzarse la nube de polvo que él no es, y ve aparecer sus miembros,
y se palpa: «Aquí yo, aquí mi brazo, y este mi cuerpo, y esta mi pierna, e intacta está mi cabeza»;
y todavía mareado mira arriba y ve por dónde ha rodado,
y ahora el montón de tierra que le cubriera está a sus pies y él emerge,
no sé si dolorido, no sé si brillando, y alza los ojos y el cielo destella
con un pesaroso resplandor, y en el borde se sienta
y casi siente deseos de llorar. Y nada le duele,
pero le duele todo. Y arriba mira el camino,
y aquí la hondonada, aquí donde sentado se absorbe
y pone la cabeza en las manos; donde nadie le ve, pero un cielo azul apagado parece lejanamente contemplarle.
Aquí, en el borde del vivir, después de haber rodado toda la vida como un instante, me miro.
Esta tierra fuiste tú, amor de mi vida? ¿Me preguntaré así cuando en el fin me conozca, cuando me reconozca y despierte,
recién levantado de la tierra, y me tiente, y sentado en la hondonada, en el fin, mire un cielo piadosamente brillar?

No puedo concebirte a ti, amada de mi existir, como solo una tierra que se sacude al levantarse, para acabar cuando el largo rodar de la vida ha cesado.
No, polvo mío, tierra súbita que me ha acompañado todo el vivir.
No, materia adherida y tristísima que una postrer mano, la mía misma, hubiera al fin de expulsar.
No: alma más bien en que todo yo he vivido, alma por la que me fue la vida posible
y desde la que también alzaré mis ojos finales
cuando con estos mismos ojos que son los tuyos, con los que mi alma contigo todo lo mira,
contemple con tus pupilas, con las solas pupilas que siento bajo los párpados,
en el fin el cielo piadosamente brillar.