SYNDROME CLINIQUE


 

 

« L’idée de loi est basée sur l’idée de certitude. L’idée de certitude est de nouveau une des caractéristiques de la science occidentale. Elle a été formulée, peut-être pour la première fois, d’une manière claire – car il y a toujours des origines plus anciennes – par Descartes. Il y a un livre que je recommande chaleureusement à tous ceux qui s’intéressent à l’idée de certitude, le livre Cosmopolis de Stephen Toulmin, un philosophe américain, dans lequel il analyse l’origine de l’idée de certitude développée par Descartes.

C’est une histoire très intéressante et j’aimerais bien écrire, un jour, un petit livre que j’appellerais non pas « une brève histoire du temps », mais « une très brève histoire de la certitude », parce que c’est très intéressant de voir comment l’idée de certitude est apparue. Et aussi dans quel contexte culturel et social l’idée de certitude est devenue centrale comme c’est le cas dans l’œuvre de Hawking.

D’après Toulmin – et je crois qu’il a raison – l’idée de certitude apparaît au moment des guerres de religion. Descartes vit à un moment tragique de l’histoire européenne, au moment des guerres de religion, à un moment où les protestants ont leur vérité, les catholiques ont la leur, les uns ont une certitude, les autres ont une autre certitude, des certitudes conflictuelles. Aussi le propos de Descartes est-il de concevoir une certitude qui soit accessible à tout le monde, une certitude que tout le monde pourrait partager et qui serait un élément de paix, de concorde possible entre les hommes. C’était donc tenter de sortir d’une situation tragique que d’introduire cette idée de certitude à la fois dans les sciences (en exigeant qu’elles doivent s’inspirer des mathématiques, de l’arithmétique et de la géométrie) et, en philosophie, (avec l’idée du cogito) une certitude que tout le monde peut reconnaître.

L’idée de certitude apparaît ainsi comme un moyen de dépasser le tragique de l’histoire, d’aller vers un univers où il n’y a plus ce doute, un univers où il n’y a pas de guerres de religion, un univers où on peut dépasser les vicissitudes de l’histoire. Et curieusement, on retrouve exactement le même contexte chez Einstein. Chez Einstein aussi, il y a un besoin de dépasser le tragique de l’histoire, d’aller vers l’harmonie de l’éternel. On le sait, Einstein a toujours dit qu’il a appris plus de Dostoïevski qu’il n’a appris chez les physiciens ; et il a toujours dit que ceux qui doivent faire de la physique théorique, ce sont ceux qui aiment vivre dans les montagnes, qui aiment l’air pur des montagnes, qui veulent fuir l’air pollué des villes. Ainsi, l’activité scientifique ne doit pas être une activité sociale, mais une activité qui va au-delà de la société, à la recherche d’une harmonie, une harmonie éternelle, une harmonie qui n’est pas entachée, comme le disait Lévi-Strauss, de la malédiction de l’histoire.

Un exemple de son attitude, c’est le fameux échange de lettres avec son ami M. Besso qui, lui, au contraire, lui pose toujours la question : « Mais l’irréversibilité et la succession dans le temps, qu’est-ce que tu en fais ? » Et avec une patience qu’il n’a manifestée qu’à l’égard de son meilleur ami, Einstein répondait toujours : « Mais quelle irréversibilité ? La flèche du temps n’existe pas dans la nature ! C’est une conception purement humaine, purement relative. » Et quand Besso meurt, Einstein écrit à sa sœur : « Michele nous a quittés, mais pour nous physiciens convaincus, cela a peu d’importance car, nous physiciens, nous savons que le temps est “illusion”. »

Et peut-être qu’après tout, la conception que Hawking développe avec ses collègues est inspirée par la même aspiration à échapper au tragique. Pour lui aussi peut-être qu’après tout, la souffrance, l’infirmité qui l’ont assailli peuvent de cette manière être dépassées et réduites à une simple illusion devant l’harmonie éternelle des choses.

Mais pouvons-nous nous arrêter là ? Parce qu’il faut bien dire, il y a un prix à payer pour arriver à cette notion. Et le prix, déjà Descartes l’avait compris, c’est un dualisme fondamental ; car enfin si l’univers peut être décrit de manière statique et « certaine » – conformément à une certitude atemporelle –, nous, nous ne pouvons pas nous décrire de cette manière. Pour nous, le temps est la dimension existentielle fondamentale ; nous ne pouvons pas non plus décrire la vie sans parler d’évolution dans une perspective de certitude. Donc, le prix à payer, c’est le dualisme et finalement l’aliénation. Le prix à payer, c’est de détacher l’homme du devenir. C’est de présenter, d’un côté, comme le faisait Descartes, l’univers matériel comme un automate qui ne devient pas, qui est effectivement soumis à des lois certaines et déterministes et, de l’autre côté, l’intelligence, la vie humaine qui est « pensée ». Ce dualisme est un élément essentiel dans la conception cartésienne.

Pouvons-nous aujourd’hui encore voir la science comme quelque chose de désincarné, d’étranger aux besoins de l’homme ? Aujourd’hui, je ne crois pas que nous puissions dire que l’idéal du scientifique est de vivre dans les hautes montagnes où il n’y a pas de pollution. Ne serait-ce pas plutôt de s’intéresser aux causes de la pollution et d’essayer de créer des villes dans lesquelles il y aurait peut-être un peu moins de pollution, de s’intéresser aux problèmes humains ? La science, après tout, n’est pas seulement une entreprise individuelle, un espoir de libération de l’homme, un peu dans le sens du bouddhisme, mais aussi une entreprise culturelle, une entreprise sociale dans laquelle on ne peut pas concevoir la science comme une activité coupée de la vie, de la société. »


"Temps à devenir", Ilya Prigogine (extrait de la conférence prononcée au Musée de la civilisation)


 

 

« On voit que les progrès en thermodynamique hors équilibre permettent d’ores et déjà de mieux comprendre l’évolution des sociétés humaines. La thermodynamique nous enseigne qu’aux points critiques se produisent des phénomènes de condensation comme l’opalescence critique. Dans le cas des sociétés humaines, ce sont les richesses qui se condensent. Cela implique que les inégalités de richesses suivent une loi de puissance. C’est bien ce qu’a montré l’économiste Vilfredo Pareto. Favorisant les individus qui dissipent le plus d’énergie, la sélection naturelle accroît les inégalités sociales, éloignant sans cesse la société du point critique. Mais plus les gens sont riches, plus ils font évoluer leur environnement. Devant s’adapter à un environnement qui évolue de plus en plus vite les sociétés s’effondrent.

C’est ainsi que les sociétés s’organisent, prospèrent et périclitent; d’autres les remplacent. Communisme ou libéralisme ne sont que des réponses correspondant à des phases particulières de leur évolution. Plus une société dispose d’énergie, plus elle se développe rapidement. La découverte des énergies fossiles et le progrès dans leur utilisation a provoqué une véritable explosion démographique. Jamais l’humanité n’a fait évoluer aussi vite son environnement. Tandis que nos ressources pétrolières s’épuisent, le climat se réchauffe, la biodiversité diminue, la Terre est de plus en plus polluée. On peut donc s’attendre à un effondrement en chaîne de nos sociétés, à commencer par celles qui dissipent le plus d’énergie.

La question se pose alors de savoir s’il est possible d’éviter ou du moins de retarder l’effondrement d’une société. Pour cela, il lui faut évoluer suffisamment lentement pour avoir continuellement le temps de s’adapter. Cela implique qu’elle restreigne sa dissipation d’énergie de façon à rester au voisinage du point critique. Malheureusement, la sélection naturelle tend à accroître sans cesse la dissipation d’énergie. Cela n’est donc possible que dans le cadre d’une société unique ayant pris conscience du processus.

Per Bak a montré que le point critique est le point auquel, statistiquement, l’énergie se dissipe le plus vite. C’est pourquoi les structures dissipatives reviennent toujours vers ce point. Il donne comme exemple les embouteillages sur les autoroutes. Lorsque la vitesse du trafic augmente, il existe une vitesse critique au delà de laquelle des embouteillages se produisent. C’est la vitesse à laquelle le flux de voitures est maximal. Il faudrait donc contrôler le flux d’énergie dissipée par l’humanité de façon à rester constamment au voisinage du point critique. Celui-ci correspond à un juste équilibre entre l’intérêt des individus et celui de la communauté. Ce faisant, on limiterait les inégalités sociales, conciliant au mieux les trois désirs de liberté, d’égalité et de fraternité qui, inspirés à la France par sa révolution, sont devenus la devise de sa république.

Il semble qu’à chaque itération du processus de criticalité auto-organisée, les nouvelles sociétés se rapprochent de cet idéal avant de s’en écarter à nouveau pour s’effondrer. Considéré comme des sociétés de cellules, les êtres vivants multicellulaires disposent de mécanismes leur permettant de réguler leur dissipation d’énergie. Ils atteignent ce que les biologistes appellent l’homéostasie. L’humanité atteindra-t-elle un jour l’état stationnaire caractéristique de l’homéostasie ? »

Extrait de l'article "La thermodynamique des sociétés humaines", de François Roddier


 



une main sur terre
le regard en l'air
l'observation
 
la nature humaine
instinct primaire
la brutalité

les hommes creux
raison défaillante
l'inconsistance

présence discrète
sous la brume
la sentinelle

de l'alerte au choc
futur en détresse
un message
 
un nuage turbulent
réaction flagrante
une dispersion
 
une main sur terre
le regard en l'air
une convulsion

angoissante détresse
révolte du devenir
fin de règne

pensée vertigineuse
poussé courageuse
la douleur

du ciel vers la terre
à travers le temps
une descente

de l'infini des cieux
la voix chuchote
un poème

un silence immense
l'ombre du soleil
l'apparition
 
une étoile à midi
l'étrange vision
l'étonnement

les yeux ouverts
les mains en l'air
une résolution

sur la montagne
un tremblement
l'avalanche

des cris aux larmes
par l'effort humain
une révolution