CHAPITRE I.7
Conclusion
Cet examen des outils conceptuels fondamentaux de l'ethnométhodologie n'est ni exhaustif, ni uniréférentiel. Mon propos était avant tout, non pas de les re-dire à partir de ce qui a déjà été dit - ce qui, pourtant, est inévitable dans une certaine mesure - mais de les relier de manière dynamique, ou plutôt d'en faire ressortir les liens qui existent entre eux, qui sont dynamiques, et d'en montrer l'utilité, bien sûr, mais surtout l'utilisabilité. C'est cette qualité d'utilisabilité qui m'a poussée notamment à employer le terme de "chaos-management" dans le titre du présent chapitre.En effet, on sait à quel point le management - pris dans le sens le plus courant de "gestion" - est devenu une véritable science, avec ses théories, ses expériences, ses praticiens... Deux auteurs qui font autorité en la matière, Peter et Waterman (38), après avoir écrit doctement sur les meilleures techniques du management scientifique, rationnel, planificateur, en sont arrivés actuellement à défendre le "chaos-management". Ils disent, en résumé, qu'au delà d'un certain niveau de complexité, il devient impossible de planifier, de prévoir, quoi que ce soit. Toute tentative de rationaliser le "chaos" qui résulte de cette grande complexité aboutit nécessairement à des plans aléatoires, à des décisions hasardeuses fondées sur des données tout aussi aléatoirement extraites d'un contexte mouvant. Il faut, disent-ils, en revenir à des considérations plus basiques, plus simples, qui en fait permettent une meilleur gestion, une gestion plus réelle, plus réaliste. Ce n'est plus la gestion chaotique, c'est la gestion du chaos.
Il m'a paru que l'ethnométhodologie est à la sociologie traditionnelle ce que le chaos- management est à la science du management : une approche plus modeste de la réalité, mais aussi plus fine, parce que plus proche de ce qui la constitue, et parce qu'elle en intègre les incohérences, les illogismes, les paradoxes et autres obstacles aux théories générales.
Cette approche évite également le piège de l'auto- validation qui fragilise tant les théories en sciences sociales. Watzlawick, notamment, dans La Réalité de la Réalité (39), a montré le processus par lequel ce phénomène survient :
" UNE FOIS NOTRE ESPRIT EMPORTE PAR UNE EXPLICATION SEDUISANTE, UNE INFORMATION LA CONTREDISANT, LOIN D'ENGENDRER UNE CORRECTION, PROVOQUERA UNE ELABORATION DE L'EXPLICATION. CE QUI SIGNIFIE QUE L'EXPLICATION DEVIENT "AUTOVALIDANTE" : UNE HYPOTHESE NE POUVANT ETRE REFUTEE. MAIS, COMME L'A MONTRE POPPER, LA REFUTABILITE EST LA CONDITION SINE QUA NON DE L'EXPLICATION SCIENTIFIQUE."Karl Popper est cité. C'est l'un des grands philosophes contemporains, dont toute l'oeuvre est basée sur une réfutation de l'épistémologie platonicienne. Ainsi revenons-nous au contexte épistémologique de l'ethnométhodologie ; et dans cet esprit, poursuivons par une application directe de ce cadre et de ses outils.
1 Chaos-Management : terme donné par Peter et Waterman, auteurs d'ouvrages sur la science de la gestion, à un mode de gestion adapté à l'hypercomplexité des entreprises modernes. Se référer au point 7 du présent chapitre. Qu'il soit simplement noté que le terme, ici, ne doit évoquer aucune connotation négative du fait de la présence du mot de "chaos" - il s'agit d'un parallèle tracé, comme je l'ai fait ailleurs dans ce mémoire, entre une approche nouvelle d'un domaine où existaient jusqu'à présent des "écoles de pensée", et l'attitude ethnométhodologique, qui permet également un regard nouveau. 38 Peter et Waterman, auteurs notamment de The Search for Excellence 39 op.cit. p. 58