1.3.- Les sources américaines de l'ethnométhodologie, ma trajectoire d'investigationDans cette partie, je vais m'efforcer de présenter une histoire des ethnométhodologues. J'avais, lors de la rédaction de mon mémoire de DEA, lu quelques uns des textes fondateurs de l'ethnométhodologie, et, en particulier, les "studies in ethnomethodology " [Garfinkel 1967]. Très peu de ces textes étaient alors traduits en français, ou même disponibles en France.
J'avais mesuré, à cette période, les difficultés que je devrai affronter pour mieux pénétrer la pensée de cette école, d'autant que certains de ses auteurs principaux, et Garfinkel en premier, revendiquent une certaine obscurité dans la rédaction, liée, entre autres, au désir de l'auteur de provoquer chez le lecteur un "dépaysement intellectuel" en lui demandant, surtout s'il est sociologue, de modifier ses notions fondamentales, ses thèmes, ses questions.
Fort heureusement des équipes de recherche françaises se sont attaquées à un premier défrichage dès 1982, qui devait déboucher sur des publications en 1984 et 1985. En tout premier lieu, le troisième numéro de la revue "problèmes d'épistémologie en sciences sociales" [CEMS 1984], publiée par le Centre d'étude des Mouvements sociaux, dans lequel Bernard Conein, Renaud Dulong, Patrick Pharo et Louis Quéré faisaient oeuvre novatrice, tant en traduisant qu'en commentant les textes jugés par eux les plus importants. Cet ouvrage m'a été d'un secours inestimable pendant plusieurs mois, me fournissant d'abord les premières clés puis me donnant un garde-fou permanent au cours des étapes suivantes.
C'est aussi Jacqueline Signorini [Signorini 1985], qui, dans son mémoire de DEA, s'efforçait de traduire le chapitre 3 des studies (c'est ainsi que dans l'ensemble de la littérature sur l'ethnométhodologie, on désigne l'ouvrage de Garfinkel, que je désignerai également ainsi dans toute la suite de cette thèse). Elle a, me semble t'il, bien décrit la difficulté d'approche de certains textes, préférant même parler d'essai de transposition plutôt que de traduction : "Ces circonstances (dans lesquelles Garfinkel a rédigé les studies ) sont liées à la densité d'une pensée qui ne veut rien perdre de son indexicalité en même temps qu'elle produit son ordre rationnel, à des constructions inédites choisies pour l'exprimer, au style aussi, qui fait fi le plus souvent de l'embellissement de la pensée claire et bien énoncée, recherchant l'efficacité d'un propos répété grâce à des formes syntaxiques particulières".
Ces difficultés d'approche ont conduit les traducteurs à conserver des mots américains décrivant des concepts sans les traduire (par exemple "account ", "accountability ", "membership "...) afin de bien montrer que l'auteur lui-même les emploie dans un sens qui n'est pas le sens commun. De même en est-il dans la traduction des formes syntaxiques, parfois maintenues volontairement très proches des structures du texte initial, même au prix d'une relative lourdeur.