L'ETHNOMETHODOLOGIE

Notre première interrogation s'orientera vers la formation du mot-ethnométhodologie-.
Soulignons avant tout, afin d'éluder le contre sens commun, comment se décompose le terme : l'ethnométhodologie est la science des ethnométhodes et non pas la méthodologie de l'ethnologie.

C'est en effet lors du célèbre colloque de sociologie de 1968 en Californie que Harold

Garfinkel, père fondateur de cette nouvelle école de sociologie proposa de comprendre ainsi ce néologisme.

Les ethnométhodes

Garfinkel décida de travailler sur les bandes enregistrées des conversations d'un groupe restreint, à savoir un jury de tribunal.
Ne voulant pas travailler d'après les critères de Bales alors en vogue dans la sociologie des groupes -temps de parole, influence, qui est le leader ? etc...- sa problématique s'articula autour de cette question : comment fonctionne-t-on en tant que juré ?

Les processus que ces hommes mirent en place pour reconnaître une personne coupable ou innocente, Garfinkel les qualifia d'ethnométhodes : "procédures que les jurés ont apprises dans la vie courante et non dans les facultés de droit".(1)

D'emblée nous voyons là l'intérêt soudain que peut susciter la démarche de Garfinkel dès lors qu'il oppose à un savoir académique et reconnu ( dans les Facultés de droit) le procès même de l'élaboration du sens : de quels moyens pratiques use l'homme ordinaire pour comprendre et maîtriser un cas qui relèverait pourtant de la compétence des spécialistes.

Le choix du terme -ethnométhode- s'est confectionné d'après des mots tels que :

ethnobotanique, ethnomédecine... en référence à Carlos Castaneda.(2)

Garfinkel appelera -ethnométhodes- les procédures mises en oeuvre lors des raisonnements sociologiques de type profane.

(1) Georges LAPASSADE,L'ethno-Sociologie, MéridiensKlincksieck, 1991, p 78

(2)Carlos CASTANEDA, L'Herbe du diable et la petite fumée,Christian BOURGEOIS

éditeur, 1984

La sociologie profane

L'ethnométhodologie a mis en évidence l'existence d'une sociologie profane aux côtés de la sociologie savante.
Elle est la sociologie du "sens commun", dite non professionnelle. Elle est la représentation que chaque acteur social a de la société. Elle possède son propre fonctionnement, sa propre réflexion : "la sociologie du sens commun est la ressource non-questionnée de la sociologie

savante. Nous sommes tous, écrivait Schutz dès 1932, des sociologues à l'état pratique".(3)

"Son champ d'action se situe dans l'impensé de la sociologie savante".(4)

Aux yeux de Garfinkel, "la réalité sociale est produite ou construite par des procédures qui sont à la fois le fait et de la sociologie profane et de la sociologie professionnelle"(5) et la question réelle est de savoir "comment les acteurs produisent leurs univers, quelles règles les engendrent et gouvernent le jugement. Car si le sociologue accomplit nécessairement un travail d'objectivation afin de transformer ses objets empiriques en objets sociologiques, l'acteur social fait lui aussi un travail analogue, afin d'interpréter le monde qui l'entoure et, ainsi, accomplir ses actions."(6)

(3)Georges LAPASSADE,L'ethno-Sociologie, MéridiensKlincksieck, 1991, p 71

(4)Extrait du cours de Georges LAPASSADE, Séminaire de D E S S

d'ethnométhodologie de Paris VIII, 

1992-1993 sous la direction de Georges LAPASSADE

(5)Georges LAPASSADE,L'ethno-Sociologie, MéridiensKlincksieck, 1991, p 75

(6)Alain COULON,Textesessentiels de la sociologie, Larousse, à paraitre, cité par

Georges 

LAPASSADEin DESS Ethnométhodologie et informatique, année universitaire 1992-

1993

C'est à la lumière de cette notion d'interprétation que l'ethnométhodologie, jusqu'à lors définie comme un courant de la sociologie américaine, s'écarte des disciples d'Auguste Comte et découvre une forme d'autonomie. La preuve en est comme l'écrit Patrick Pharo : "Tout se passe comme si, par le seul fait de proclamer l'identité formelle des raisonnements sociologiques classiques émanant des profanes et des professionnels, cette identité résidant dans leur commun caractère d'accomplissements pratiques, l'ethnométhodologie commençait par scier la branche sur laquelle la sociologie est assise." (7)

Garfinkel contribue à cet éloignement, en effet : "selon la sociologie, le sens des actions des membres ne serait accessible qu'au sociologue professionnel. Le sociologue savanttraite ainsi l'acteur social, selon la formule de Garfinkel, comme "un idiot culturel, qui produit la stabilité de la société en agissant conformément à des alternatives d'action préétablies et légitimes que la culture lui fournit."(8)

Nous comprenons là la réserve et le scepticisme voire l'hostilité de la sociologie universitaire établie à l'encontre des thèses de Garfinkel.